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Centrale n° 6
 
La pièce était classiquement vide, les murs nus. Au centre se trouvaient une table et deux chaises en vis-à-vis. Les deux fonctionnaires de police installèrent la prévenue sur l'une d'elles en lui liant les chevilles aux pieds métalliques rivetés au sol avant de ressortir. Isil resta seule de longues minutes dans cette position plus qu'inconfortable avant que deux hommes ne rentrent à leur tour dans la pièce. Ils étaient en civil, habillés de vêtements de bonne facture un peu austères. Le plus âgé, environ une cinquantaine d'années, s'empara de la chaise restée libre et s'assit dessus avant de poser sur la table un gros datapad, tandis que le second, sans doute plus jeune d'une décennie, s'installait dans le dos de la jeune fille.
- Je suis Dack Tavers, l'assistant du procureur et voici l'enquêteur Bror Forma. Bonjour, mademoiselle Isil…
Il posa un petit scanner miniature afin d'enregistrer la conversation puis consulta un instant son écran en fronçant les sourcils avant de continuer d'un ton affable.
- … Kal'Andil ? C'est ce que vous avez déclaré ?
Isil acquiesça d'un signe. L'homme dodelina du chef.
- Faux, ce n'est pas votre nom !
Elle écarquilla les yeux d'un air étonné.
- Je vous jure que c'est…
Le nommé Bror Forma frappa violemment la table avec le plat de la main.
- Pas de mensonge ! Tu commences bien mal cet interrogatoire ! s'exclama-t-il penché vers elle à quelques centimètres de son visage.
L'assistant du procureur leva la main en geste d'apaisement.
- Peut-être Mademoiselle ne connaît pas sa véritable identité ?
Isil regarda sans broncher les deux hommes alternativement et répondit d'une voix basse.
- Aussi loin que je me souvienne, c'est le nom qu'on m'a appris et donné.
L'enquêteur soupira. Dack Tavers compulsa les documents contenus dans le dossier.
- Voyons Isil… Tu permets que je t'appelle Isil ? Le génoscan est formel. Tu es effectivement née sur Corellia mais ton vrai nom est Isil Valdarra, fille du général Valdarra, présumée morte il y a presque dix ans dans l'incendie qui coûta la vie à tes parents, Jaina et Jann Valdarra… L'incendie de leur demeure.
Un peu perdue, Isil les observa de nouveau l'un après l'autre avant de poser un regard d'incompréhension sur l'assistant du procureur.
- Non, dit-elle ébranlée dans ses certitudes, vous devez faire erreur… Mon Maître m’a toujours dit que mon nom était Kal'Andil… contactez Tython, demandez un Maître du Conseil Jedi, il vous confirmera mon identité !
- Inutile, reprit Tavers, il ne peut y avoir d'erreur. Les archives de Corellia sont formelles. Une signature génétique ne peut mentir. Je ne sais pas ce qu'on t'a raconté, mais on t'a visiblement menti durant tout ce temps.
- Ce qui ne change rien à ta situation hein ? enchaîna l'enquêteur d'une voix forte et agressive. Tu es là pour nous dire comment et pourquoi tu as tué le Sénateur Kaldor !
- Je ne sais pas, répondit doucement Isil.
Bror Forma s'emporta et asséna une grande claque sur la nuque de la jeune fille dont la tête partit en avant.
- Te fous pas de nous, pétasse ! Tu vas pas nous faire croire que tu sais pas comment tu t'y es prise pour commettre cet assassinat lâche et révoltant ? On t'a trouvée penchée sur le corps de ta victime, ton sabre laser à tes pieds et justement c'est un rayon de sabre laser qui a tué le Sénateur… dans le dos qui plus est ! T'en penserais quoi à notre place ?
- Du calme, intervint Tavers d'une voix douce. Je suis sûr que mademoiselle ne demande qu'à passer aux aveux et à nous raconter toute l'histoire. Fais un effort de mémoire Isil, sinon l'ami Forma va encore s'énerver et quand il est énervé, il ne se contrôle plus… Tu ne veux pas que je te laisse en tête à tête avec lui quand même ?
À cet instant précis, Isil pensa qu'elle avait envie de montrer aux deux hommes ce qu'elle était en mesure de leur faire. Mais c'eût été une mauvaise idée ! Elle était consciente que sa situation mettait en porte à faux l'Ordre Jedi tout entier ainsi que la mission que le Conseil et le Chancelier Suprême leur avaient confiée. Il fallait qu'elle se tienne tranquille aussi douloureuse que pouvait être sa situation. D'ailleurs, elle-même ne savait pas vraiment ce qu'elle avait pu faire. Résignée, elle baissa la tête.
- Je vous jure que je ne sais pas… je poursuivais le Sénateur… nous avions reçu mission de l'appréhender…
- … du Conseiller Darillian, on l'a vérifié… mais vous n'aviez pas mission de le tuer !
Isil se mordit la lèvre inférieure en repensant au discours que le Conseiller lui avait tenu. Elle continua à voix basse.
- Il allait passer la grille qui donnait sur une plateforme d'atterrissage de service. Je me suis servi de la Force pour refermer la grille avant qu'il ne l'atteigne.
- De la Force ! Bah ! s'exclama l'enquêteur en ricanant. Votre fameux truc de Jedi ? Celui qui vous permet de tout faire et de tout vouloir diriger ?
- Si tu savais ce que je pourrais te faire avec mon truc de Jedi comme tu dis, pensa Isil sans broncher.
- Continue, invita l'assistant du procureur.
- Il s'est retourné vers moi et là… je ne sais plus… il y a eu… je vois… une lueur blanche… un flash… un trou noir… je m'envole…
- Tu t'envoles ? repris Dack Tavers avec étonnement.
- C'est ce dont je me souviens… continua Isil en hésitant comme si elle faisait un effort intense pour se remémorer la scène. Je ne touche plus terre et je vole à toute vitesse… et je me heurte très fort à quelque chose et puis je tombe sur le gravier…
- Ce que tu veux dire, c'est que t'as utilisé ta Force pour te jeter sur le Sénateur mais que t'as raté ton coup et que tu l'as embroché ? cria l'enquêteur à ses oreilles.
- Non, non… ce n'est pas ça… je n'ai pas usé de la Force…
Puis tout bas elle acheva.
- … enfin, je ne crois pas.
- Y'avait-il quelqu'un d'autre alentour ? questionna Tavers.
- Non… je ne pense pas… je n'ai vu personne d'autre…
- Alors, tu l'as tué ! prononça Bror Forma en détachant chacune des syllabes de sa phrase comme pour mieux faire rentrer cette idée dans la tête de la jeune fille.
Elle leva ses yeux vers lui. On pouvait y lire cette incertitude qui ne la quittait plus depuis le moment où elle s'était retrouvée agenouillée devant le corps sans vie de Kaldor.
- Peut-être, murmura-t-elle ne sachant plus quoi penser, désemparée devant l'implacable logique qui s'imposait à tous.
- Ah ! s'exclama l'enquêteur en lui tapotant familièrement la joue. Tu vois ma jolie que tu peux être coopérative quand tu veux.
Il se tourna vers l'assistant du procureur.
- Que demander de plus ?
Dack Tavers se leva pesamment de sa chaise et dit sentencieusement.
- Isil Valdarra, vous êtes officiellement inculpée de l'assassinat du Sénateur Kaldor et vous allez être déférée devant la cour de justice de la République pour répondre de ce crime. Vous avez le choix de votre avocat. Cependant, compte tenu de circonstances exceptionnelles liées à la sécurité publique qu'a soulevées la Procureur Mas Dom, un délai vous sera opposé pour jouir de ce droit jusqu'à nouvel ordre. En attendant, vous allez être incarcérée à la prison centrale dans le quartier de haute sécurité. Voulez-vous ajouter quelque chose ?
Isil fit non de la tête.
- Bonne chance, ajouta l'assistant du procureur avant de sortir accompagné de l'enquêteur.
*
* *
Le long tunnel que suivait le véhicule fermé entre le PCSP et la prison centrale était sinistre. C'était une ancienne ligne de transport souterraine désaffectée, puis remise en état dans le seul but d'y véhiculer des prisonniers sous haute surveillance. Les stations intermédiaires étaient à présents désertes et fermées par d'épaisses grilles scellées, protégées par un système d'holosurveillance. Les trois gardiens qui escortaient la jeune fille enchaînée sur un siège, parlaient à voix basse comme pour rompre la monotonie du trajet. Ils plaisantaient et riaient doucement aux grivoiseries du boute en train de service.
Au terme du court voyage, ils la firent descendre pour la remettre entre les mains de deux matrones en tenues de gardien de prison avant de repartir en sens inverse.
- Bienvenue au quartier des femmes, ma jolie, fit l'une d'elle d'un ton jovial. Moi c'est Marnie... chef Marnie ! Et elle c'est Paula… chef Paula! Première visite chez nous ?
Comme Isil restait muette, elle renchérit avec un accent affirmatif.
- Première visite !
Marnie la poussa en avant dans d'interminables couloirs sombres et délavés puis elles débouchèrent dans une salle nantie d'un long comptoir métallique derrière lequel officiaient des droïdes.
- C'est ici que commence ta pension chez nous ! reprit la gardienne en jouant avec sa matraque. Là, tu vas remettre au gentil droïde tous tes effets personnels, vêtements, sous-vêtements, chaussures, broches, etc, etc…
- Autrement dit, tu te mets à poil, renchérit la seconde gardienne, Paula, qui était restée jusque là muette, avec une pointe de méchanceté.
Il y avait une certaine similitude entre les deux femmes. Elles étaient grandes, épaisses, portaient des cheveux bruns coupés courts. On aurait presque dit deux sœurs. À la différence que la première semblait plutôt joviale alors que la seconde arborait un rictus malfaisant en mâchant ostensiblement une gomme. Elle secoua sa matraque devant le nez de la détenue.
De mauvais souvenirs s'emparèrent d'Isil tandis qu'elle obtempérait et se débarrassait de sa bure de Jedi, puis de sa tunique. Elle se revit sur Korka et devant ses yeux, se tenait la puissante silhouette du commandant Ramis et de ses quatre gardes du corps. Il tenait dans sa main sa longue et grosse matraque électrique destinée à électrocuter les prisonniers récalcitrants. Les puissantes décharges tétanisaient les muscles les plus résistants en infligeant d'atroces douleurs. La première fois qu'il était venu lui rendre visite, elle n'avait pas compris le plaisir qu'il prenait à s'en servir sur ses victimes. Malgré le refuge qu'elle avait réussi à trouver dans la Force par la suite, elle s'était sentie tellement humiliée sur Korka qu'elle dut réprimer un haut-le-cœur à ce souvenir douloureux.
- Eh, doucement, jeune fille, fit Marnie en se méprenant sur le visage pâle d'Isil. Va pas tomber dans les pommes quand même hein… c'est pas si terrible tout ça… juste une douche et on va t'habiller de neuf… un joli pyjama tout orange pour mettre un peu de gaîté entre ces murs sinistres !
Elle laissa échapper un petit rire en lui donnant une petite claque sur les fesses.
- Allez, c'est bien, viens par ici maintenant… en la poussant vers une petite cabine, deuxième acte de l'accueil des nouvelles recrues ! Entre là dedans et mets les pieds et les mains dans les cercles jaunes et ne bouge plus. Ici, on douche gratis et pas seulement demain !
Elle referma la porte de la cabine et des jets d'eau fumante chargée d'un produit désinfectant se mirent à fouetter la peau d'Isil avec force. Cela dura plusieurs minutes puis de puissantes turbines prirent le relais en propulsant de l'air chaud pour la sécher.
- Et voilà, toute propre la jeune fille ! s'exclama Marnie toujours joviale. Qu'en penses-tu Paula ? C'est-y pas qu'elle est toute mi-gnonnette comme ça ?
Paula mastiqua bruyamment sa gomme avant de répondre.
- Ouais, un vrai petit ange !
Un droïde s'approcha en tenant un plateau qui contenait un uniforme orange, pantalon et chemise manches courtes ainsi qu'une une paire de chaussures basses grises.
- Ton pyjama, fit Marnie. Tu vois, c'est hyper seyant !
Elles attendirent qu'Isil se fusse habillée avant de lui attacher aux chevilles des anneaux reliés entre eux par une chaîne d'une cinquantaine de centimètres.
- Voilà mon ange ! Avec ça, pas question de courir. Je dois te prévenir que ce dispositif interagit avec la sécurité en place. Non seulement là-haut, à la salle de contrôle, on sait en permanence où tu es, mais si tu tentes de te barrer au-delà des limites autorisées, ces trucs te paralyseront les jambes. Idem, si tu ne rentres pas dans ta cellule quand tu entendras la sirène, ça va te faire de tels chocs électriques que tu la regagneras vite en sautant de partout !
Elle se mit à rire en lui donnant une couverture et un oreiller qu'elle posa sur ses avant-bras.
- Faut dire que dans le quartier de haute sécurité, hormis les droïdes gardiens, y'a que les détenues. Restriction de personnels ma poule, tu vois… c'est la crise partout !
- Ouais, fit l'autre. Et sois gentille avec les anciennes si tu veux pas qu'on te retrouve en morceaux dans un coin de la cour de promenade !
- Oh Paula, t'es pas gentille avec notre invitée, la pauvre… laisse-lui découvrir tout ça tranquillement.
Elles tirèrent une porte blindée qui s'ouvrait sur un nouveau couloir.
- Tu suis les lumières qui clignotent, dit Paula. Elles te mèneront jusque dans ta cellule. Retiens bien l'étage et le numéro. C'est ton nouveau chez toi… sauf si la surchef décide de te mettre ailleurs ! ajouta-t-elle avec une pointe de vice.
- Allez courage, ma mignonne, lui fit Marnie en lui tapotant l'épaule.
Elle la poussa doucement en avant et la porte blindée se referma dans son dos. Devant elle, une raie lumineuse lui montrait le chemin. Elle suivit le couloir, et déboucha dans un grand bâtiment de plusieurs étages ouverts sur un vaste hall central et garnis de cellules tout autour. Au milieu de cet espace, suspendus dans le vide, de grands écrans diffusaient des informations de l'HoloNet et des slogans publicitaires. Des cris accompagnèrent son entrée du bas en haut, tandis qu'elle marchait le long des lumières clignotantes, à travers les escaliers et les couloirs suspendus qui longeaient les box barreaudés actuellement fermés.
- Salut poupée !
- Eh vise moi un peu ce qui nous arrive… de la chair fraîche…
- Allez mignonne, viens voir maman…
- Approche ma jolie, on va bien s'entendre toi et moi…
- Une petite blondinette pour mamie Lanclo… n'aie pas peur… viens me donner un bisou…
Elle parvint ainsi au quatrième étage du bâtiment sous le regard scrutateur des droïdes de surveillance qui roulaient en silence autour de l'immense puits central éclairé par des lumières artificielles qui tombaient d'un plafond qui se perdait à la vue dans sa hauteur. Les lumières sur le sol s'arrêtaient devant la cellule 4127. Elle s'arrêta également. Quelques secondes plus tard, la grille de la cellule coulissa, lui laissant un espace pour entrer avant de se refermer sitôt qu'elle eût pénétré à l'intérieur.
La pièce était relativement grande. Il y avait deux lits, une table et deux chaises, deux armoires, un grand rideau qui occultait une petite salle de bain avec un lavabo, un coin douche et les indispensables toilettes. Une femme occupait un des lits sur lequel elle lisait, allongée. À son entrée, elle posa son livre en flimplast et l'observa longuement. C'était une humaine d'âge mûr, avec des cheveux longs grisonnants et raides, un visage énergique chargé de rides profondes et de cicatrices témoins d'une vie sans doute mouvementée. Ses mains étaient puissantes et la musculature de ses bras laissait supposer une force au-dessus de la moyenne.
- Tiens, de la compagnie, enfin, fit-elle en guise de mot d'accueil. Et… oh…
Elle se redressa sur ses coudes et la détailla du regard en sifflant doucement.
- Et pas n'importe quoi en plus ! C'est que t'es toute jolie ma puce ! Un magnifique brin de jeune fille !
Elle se mit à rire en gloussant.
- T'en fais pas mignonne, je prise pas les femmes… ce sont les beaux mecs qui m'intéressent, ceux qui sont bien montés si tu vois ce que je veux dire. Tu crains rien… avec moi en tout cas ! ajouta-t-elle en clignant de l'œil. Vas-y installe-toi de ton mieux. C'est pas la panacée ici, mais c'est propre et les droïdes sont serviables !
Elle se mit à rire puis à tousser grassement dans ses mains. Une longue quinte de toux. Quand elle eût terminé, Isil entendit siffler sa respiration.
- Je m'appelle Isil, dit la Padawan sans autre commentaire.
- Et moi c'est Gigianna … mais tout le monde m'appelle Gigi dans le coin !
- Je suis ravie, fit Isil avec un sourire.
La femme se remit à rire.
- Ravie ? Tu sors d'où trésor ? Du beau monde ? De là-haut ? préci-sa-t-elle en montrant le plafond avec son index. On est en taule ici ! Personne n’est ravi. Ça fait huit ans que je moisis dans ce magnifique studio de douze mètres carrés !
Isil ne répondit rien et posa la couverture et l'oreiller sur le lit.
- Qu'est-ce qui t'amène ici, mon ange ? questionna Gigi.
- Je suis accusée de meurtre.
- Ah ! Pas bon ça ! Et tu as vraiment tué quelqu'un ?
- En fait, j'en sais rien !
Gigianna s'esclaffa ce qui déclencha une nouvelle quinte de toux.
- T'en sais rien ? Ben ça, c'est la première fois qu'on me la fait ! D'habitude on a droit aux sempiternels, j'ai rien fait… je suis innocente… ou à quelqu'un qui assume et qui revendique son acte… mais jamais j'ai entendu quelqu'un pas savoir ce qu'il avait fait ! Raconte un peu…
*
* *
- Bon alors c'est simple, tu restes près de moi, Sisil. J'ai une certaine expérience des lieux et on me respecte. Tant que tu seras avec moi, on te fichera la paix… en principe… ce qui n'empêchera pas les sous-entendus des femmes en manque, les propositions douteuses, et j't'en passe…
Isil ne pouvait s'empêcher de sourire intérieurement à la situation même si au fond, il n'y avait pas de quoi en rire. Gigianna était comme une mère poule avec son poussin. C'était une très gentille personne qui avait pourtant fait voler un homme du cent cinquante-troisième étage d'un building. Son histoire était tragique, sans doute comme la plupart des personnes enfermées dans les prisons. Elle ravitaillait avec son vaisseau les postes isolés de la République sur de lointaines planètes. Comme nombre de contrebandiers, elle était sous contrat ce qui faisait de son travail une activité légale pour un temps. Gigi avait une sœur sur Coruscant, plus jeune qu'elle et après le saccage de la ville planète, elle avait tenu tout naturellement à la retrouver parmi les décombres encore fumants. Titi, comme elle l'appelait affectueusement, avait survécu au bombardement et elle avait fini par retrouver sa trace parmi les prostituées désespérées qui ne survivaient que grâce à l'argent des plus nantis, habitant les niveaux supérieurs de la cité. Le cœur brisé, elle avait fini par convaincre sa sœur de renoncer à vendre son corps pour qu'elle vienne travailler avec elle dans l'espace. Titi s'était alors rendue chez le négociant avec qui elle passait la semaine pour récupérer ses affaires mais la discussion avait mal tourné et l'homme avait passé Titi à tabac, la rouant de coups avant de la projeter dans le vide par la terrasse ouverte. La police avait alors conclu à un accident moyennant une forte somme de crédits républicains déboursée par le riche marchand. Alors, ni une ni deux, Gigi était allée rendre visite au meurtrier de sa sœur pour lui montrer à lui aussi comment on volait sans propulseurs terrestres. L'homme s'était écrasé des centaines de mètres plus bas dans l'avenue. Curieusement, la police n'avait pas conclu cette fois-là à un accident et Gigi avait été condamnée à quarante années de détention en quartier de haute sécurité.
Isil avait en effet été l'objet de multiples attentions de la part de ses co-détenues notamment des plus âgées, lors de sa première apparition au réfectoire tenu par des droïdes serveurs. Toutefois, la présence de Gigi à ses côtés avait freiné les élans des quelques caïds au féminin qui se partageaient l'autorité de la centrale numéro 6 où elles étaient incarcérées.
- Faut comprendre que certaines ici ont pas vu le jour depuis des dizaines d'années… disait une petite brunette affamée en finissant les restes du plateau d'Isil. Et quand j'dis le jour, j'me comprends hein… c'est le jour et le reste… la musique… les mecs… une belle…
Elle murmura le mot à l'oreille de la Padawan avant d'éclater de rire.
- Tu vois ? Rien de tel qu'un mâle bien monté pour grimper aux rideaux ! Moi, ça fait trois ans… et ben, je saute sur tout ce qui me tombe sous la main !
Gigianna leva les yeux au ciel en soupirant sous le regard amusé d'Isil.
- Et voilà ! Faut dire aussi qu'on a pas grand-chose à faire de nos journées. Moi j'aime lire. Les droïdes me fournissent de la lecture tant que je veux, pour ça, c'est bien. Les autres regardent l'Holo-Net… mais c'est abrutissant de conneries… Bilan, elles finissent par réfléchir avec leur cul !
La brunette s'esclaffa de nouveau en recrachant la pâte blanche qu'elle était en train d'avaler sur le plateau avant de renifler bruyamment tout en s'essuyant la bouche d'un revers de bras.
- T'es dégoûtante, Kita ! s’exclama Gigi écœurée.
- T'es nouvelle ? demanda soudain une voix dans le dos d'Isil.
Une humanoïde au teint bleu, au visage recouvert de tatouages étranges, le crâne lisse avec deux petites protubérances sur le sommet du front, lui avait posé une main sur l'épaule.
- Ouais, elle est nouvelle, Sill ! répondit Gigi d'un ton agressif.
Isil tourna la tête et observa l'inconnue. Elle devait dépasser les deux mètres. On aurait dit une zabrak, mais Isil n'en avait encore jamais croisée à la peau bleutée.
- Te bile pas ma grosse, rétorqua Sill. J'aime faire connaissance avec chaque nouvelle qui arrive. T'en a de la chance d'avoir une nouvelle coloc Gigi !
Elle avait dit cela d'une voix forte. Les conversations s'arrêtèrent.
- Écoute Sill, reprit Gigi, fous-lui la paix à la petite et retourne prendre ton pied avec tes twi’lek !
- Me parle pas sur ce ton ! cria la zabrak en sortant de sa poche ce qui ressemblait à un couteau de fortune.
Isil ne put s'empêcher de se lever. Maître Beno avait eu beau lui apprendre que de toutes les vertus du Jedi, la patience en était une essentielle, elle commençait à en avoir assez de tout cela. Elle se retourna vers Sill. Gigi murmura.
- Isil, non.
La brunette s'écarta un peu, prudemment. La zabrak considéra la Padawan de toute sa hauteur.
- Oh mais, le petit poussin a envie de se mesurer à moi ?
- Fais attention, marmonna Kita à l'adresse d'Isil. Sill est capable de te broyer la tête entre ses mains.
- Écoute-moi bien, Sill, laissa tomber Isil dans le silence, je ne cherche pas les ennuis et je ne veux pas me battre. Mais tu vas m'oublier immédiatement.
La main de la Padawan décrivit un demi-cercle devant elle. Aussitôt, elle sentit une forte résistance de la zabrak à sa tentative de persuasion par la Force. Elle soupira. C'eût été beaucoup trop facile !
- T'as raison mignonne, on va pas se battre, je voudrais pas t'abîmer. J'suis pas là pour ça. Laisse-moi m'occuper de toi et tout ira bien.
Sill avança la main vers Isil. Avant qu'elle eût pu la toucher, celle-ci avait saisi son poignet de la main droite et s'était envolée dans un bond impressionnant par-dessus la zabrak, lui faisant effectuer un saut périlleux en arrière qui la fit s'étaler de tout son long. Isil se retrouva debout un pied sur son visage. Elle s'adressa à la zabrak dans un calme impressionnant, sans une once d'émotion ou d'essoufflement dans le timbre de la voix.
- Écoute face bleue, dorénavant, tu ne m'adresses plus la parole, tu penses même plus à moi ! C'est valable pour toi…
Elle regarda autour d'elle les visages médusés des autres détenues.
- … et pour tout le monde !
Gigi se leva sans rien dire et suivit Isil qui sortit vers la cour de promenade.
- Ouah ! Trop forte ! J'en ai vu des trucs, mais quelque chose comme ça, aussi rapide, un tel bond… y'a qu'un Jedi pour faire ça !
- Juste une Padawan, admit Isil en laissant échapper un léger sourire.
- Mince, tu es une Jedi ? s'exclama Gigianna. Ben ça alors ! Et moi qui pensais que t'avais besoin d'être protégée !
- Peut-être protégée de moi-même ? murmura Isil d'un ton énigmatique.
- Oh, oh… fit Gigi en regardant le fond de la cour. On va avoir des gros problèmes ! M'est avis que Sill a pas apprécié d'être prise au dépourvu et humiliée devant tout le réfectoire. Il est vrai que dans sa position, elle ne peut pas se permettre de perdre son autorité.
En effet, la zabrak revenait à la charge mais cette fois, pas toute seule. Il y avait avec elle, quatre twi'lek, une autre zabrak avec un visage sombre plus caractéristique de la race, et trois humaines relativement jeunes mais dont les muscles saillaient sous des vêtements trop ajustés. Chacune était armée d'une barre de fer et Sill dissimulait maladroitement un couteau à la lame effilée.
- Ça va être notre fête ! grimaça Gigi en cherchant du regard un objet à adopter comme arme.
Isil s'avança vers le groupe en levant les mains.
- Je ne veux pas vous faire de mal. Arrêtez ça de suite !
Des ricanements fusèrent. Les autres détenues s'étaient rapprochées de part et d'autre de la cour.
- Tu te prends pour qui petite pute ! grogna Sill. Tu m'as eue en traître une fois par surprise, mais ça marchera pas deux fois ! On va vous donner à toutes les deux la correction que vous méritez et après, on s'occupera de ton cas en particulier !
- Ça va être dur, songea Isil. Ça va être dur de me modérer !
Elle ferma les paupières en soufflant doucement pour ne plus penser à rien. Dans l'ombre ainsi créée, elle distinguait chacune des silhouettes qui lui faisaient face, chaque barre de fer ainsi que la lame du stylet de fortune de Sill. Quand elles furent à deux mètres de la Padawan, Sill cria.
- Attrapez-la !
Le groupe s'élança aussi vite que les courtes chaînes qui liaient les pieds permettaient de le faire et arriva… sur du vide. D'un double saut périlleux, Isil s'était comme envolée et se trouvait à présent dans leur dos. Elle les voyait se mouvoir au ralenti. Les barres de métal se levèrent. Elle sentit leur attraction métallique dans les lignes de la Force et pouvait toucher à travers Elle chacune des armes improvisées. Elle tendit la main et les barres de fer quittèrent les doigts qui les tenaient comme si un aimant géant les avait attirées à lui, flottant un instant dans l'espace avant d’aller s'écraser contre le mur derrière Isil. Les formes se ruèrent de nouveau vers Isil qui tendit cette fois-ci ses deux bras devant elle comme si elle avait voulu frapper l'air compact. Une onde de choc se propagea vers ses agresseurs qui furent propulsés avec violence aux quatre coins de la cour, entre les spectateurs ébahis par ce qu'ils voyaient. La Poussée de la Force ayant assommé la plupart de ses adversaires, la Padawan se propulsa d'un nouveau bond puissant devant Sill qui se relevait et pivota sur elle-même en lançant en avant ses deux jambes qui tournoyèrent dans l'air en un mouvement de ciseaux, frappant du bout des pieds la zabrak en plein visage.
Sill s'effondra comme une masse sur le sol.
Isil retomba acrobatiquement sur ses deux jambes. Des applaudissements fusèrent au milieu d'exclamations d'étonnement et d'admiration. La scène n'avait duré au total qu'une quinzaine de secondes. L'action de la Padawan avait été foudroyante ne laissant de fait aucune chance à ses agresseurs. Gigi se rapprocha d'elle et lui posa une main sur l'épaule.
- Tu as été superbe Isil ! Tu dois être une grande Jedi !
Isil sourit et lui adressa un clin d'œil complice.
- Je te l'ai dit, je ne suis qu’une Padawan, une apprentie. Ça, c'est juste de l'entraînement pour moi.
- Qu'est-ce que ce sera quand tu seras grande !
Elles se mirent à rire puis Gigi prit la jeune fille par le bras.
- Viens au réfectoire, j'ai comme l'impression qu'il y a plein de personnes qui veulent te payer à boire à présent !
*
* *
Après cet incident, Isil avait été adoptée par presque toute la centrale numéro 6. Les autres se tenaient tranquille, la correction donnée au gang de Sill ayant donné à réfléchir aux autres caïds. La présence d'une Jedi en prison, fait complètement inédit, dominait tous les sujets de conversation des détenues qui avaient scruté en vain les émissions de l'holonet diffusées par les écrans géants, mais aucune information la concernant n'avait été diffusée.
Isil avait tourné et retourné le problème dans tous les sens, elle ne parvenait pas à recomposer le puzzle du néant qui occupait la ou les minutes qui s'étaient écoulées entre le moment où elle avait fait se refermer la grille de la sortie de service du domaine des Kaldor, et celui où Maître Melvar l'avait sortie de sa torpeur, agenouillée devant le corps sans vie du sénateur. Maître Mahr, ne l'avait pas préparée à affronter un tel doute venant du fond d'elle-même. Si elle l'avait réellement fait, comment avait-elle pu tuer le sénateur ?
La Padawan se demanda si la mission de Adol Bruck et Hiivsha se déroulait normalement. Lors de longues heures de méditation qu'elle pouvait tranquillement mener au fond de sa cellule, elle s'était essayée à sonder la Force pour voyager au-delà des parsecs et tenter de voir ce qui se passait à Alderaan… tenter de voir l'avenir…
*
* *
- Maître Beno ? Peut-on vraiment voir ce qui va arriver ?
Beno Mahr regarda, comme à son accoutumée, sa Padawan avec un regard bienveillant. L'enfant était si curieuse de tout, qu'il lui suffisait de répondre lorsqu'elle l'interrogeait pour l'enseigner à son propre rythme.
- Mmm… Oui et non, Isil. La divination dans la Force te permet de voir des choses qui pourraient être et ce de façon plus ou moins claires ou si tu préfères, compréhensibles. Mais l'avenir reste incertain. Il découle d'un nombre quasi infini de facteurs qui peuvent se modifier et être modifiés par les circonstances, les décisions, les émotions…
- Donc, si je comprends bien, Maître Beno, on ne peut pas vraiment voir l'avenir ?
La fillette avait insisté sur le mot vraiment. Beno Mahr retint un sourire.
- Cela dépend. L'avenir est ce qu'il est… du moins, au moment où tu le vois. Lorsqu'il devient présent, il peut avoir changé.
- Je ne comprends pas, Maître, se découragea Isil.
- Regarde cet oiseau sur la branche et vise-le avec une pierre. Tu es très adroite, très précise à ce jeu, sans doute la plus adroite de tous les Padawan que j'ai eu l'occasion de suivre de près ou de loin. Sonde la Force. Concentre-toi sur cet oiseau. Vois-le dans les lignes du temps.
La fillette avait clos ses paupières et la gravité imprimée sur son joli minois indiquait à son Maître qu'elle était fortement concentrée dans la Force. Il le sentait, Isil avait une relation très forte et très sensible avec Elle. Le Jedi était convaincu qu'elle pourrait, un jour, être une grande visionnaire comme l'Ordre en comptait de temps en temps dans ses rangs.
Au bout de quelques longues minutes, ce fut Maître Mahr qui rompit le silence car il avait l'impression de prendre racine au milieu du chemin sur lequel ils s'étaient arrêtés. La fillette, aussi immobile qu'une statue, n'avait pas bougé d'un millimètre.
- Alors ma jeune Padawan, que vois-tu ?
- L'oiseau est mort Maître Beno. Je vois son œil et le reflet du ciel à l'intérieur. Il est sur le sol. Il ne bouge plus. Le sol est rouge de sang.
- Bien, alors, accomplis le destin de cet oiseau. Lance la pierre.
- Mais, Maître Mahr, je ne lui veux pas de mal !
- Veux-tu m'obéir sans discuter, Isil ? C'est une leçon ! Concentre-toi et fais-le !
- Bien, Maître.
Isil prit une petite pierre ronde comme une bille, ferma les yeux et la lança. Alors que le projectile quittait ses petits doigts, le Jedi claqua des mains et l'oiseau s'envola. La pierre passa exactement à l'endroit où sa tête se trouvait une fraction de seconde plus tôt. Isil rouvrit ses grands yeux et les leva vers Beno Mahr avec une once d'incompréhension.
- Vous avez triché, Maître, protesta-t-elle doucement avec un accent de reproche. J'allais l'avoir mais vous lui avez fait peur !
Le Jedi laissa échapper un petit rire, les bras croisés, dissimulés dans les amples manches de sa bure brune.
- Alors, d'une, je me suis dit que ce petit oiseau méritait de vivre et comme tu ne voulais pas lui faire de mal, je me suis également dit que tu serais heureuse que son destin ne s'accomplisse pas aujourd'hui tel que tu l'as vu.
- Alors je me suis trompée ?
- Non. Tu as vu ce que l'avenir devait être au moment où tu as sondé la Force. J'ai été celui qui a modifié l'avenir parce que je savais que tu allais tuer ce pauvre volatile.
- Alors l'avenir peut se modifier n'importe quand ?
Une rafale de vent souleva la poussière du chemin et fit voler un nuage de pétales de roses rouges dont le chemin était bordé. Ils se déposèrent au pied de l'arbre, sous la branche que l'oiseau occupait l'instant d'avant.
- Disons que l'avenir est en mouvement et qu'il n'est pas immuable. C'est pour cela que souvent, nous ne pouvons le voir qu'à très court terme de façon fiable. Tes décisions doivent se plonger dans l'avenir pour en analyser les conséquences et t'aider à décider de tes actes. Mais à long terme, l'avenir est sinueux et ses fils forment des trames bien complexes. Pourtant, parfois, il est impossible de lui échapper. Il peut même arriver que, précisément le fait de savoir que quelque chose va arriver, provoque ce quelque chose.
- C'est compliqué, Maître ! se plaignit la fillette du bout des lèvres.
- La Force a une complexité qui nous échappe. Nous n'en connaîtrons jamais qu'une infime partie, conclut le Jedi.
Ils s'étaient avancés au pied de l'arbre. Sur le sol, les pétales de roses formaient comme une tâche rouge autour d'une petite flaque d'eau dans lequel le ciel se reflétait. Un petit caillou noir et rond, émergeait au centre de la flaque comme l’iris d’un œil. Maître Beno sourit.
- Voici l'œil, le reflet du ciel et le sang rouge, murmura-t-il en regardant Isil en biais. Peut-être que tu as vraiment vu l'avenir mais que tu n'as pas su correctement l'interpréter !
Il conclut sa leçon sur un clin d'œil appuyé à la fillette qui fit une grimace de perplexité avec le nez.
*
* *
Et ce qu'elle vit ce soir là dans les profondeurs de la Force, c'était Hiivsha, entouré de rafales de tirs de blasters et il tombait et s'enfonçait au fond de l'eau.
- Hiivsha ! cria-t-elle en rouvrant les yeux comme émergeant d'un mauvais cauchemar.
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