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Interlude-bis
 
Attention. Pour d’évidents motifs de confidentialité, le nom des protagonistes de ce chapitre a été modifié. Ben ouais, j’suis un légaliste, moi !





Une Tour, aux Etats-Unis, prenait modèle sur l’ex-World Trade Center. En France, et en particulier dans le XIIIe arrondissement de Paris, c’était plutôt à cette ahurissante mocheté seventinienne qu’était la Faculté Tolbiac que l’on pensait, dès lors qu’il fallait parsemer la zone d’immeubles évoquant immanquablement la nostalgie du si désuet charme soviétique. Quoique l’auteur – suicidaire – de ces présentes lignes habitât en banlieue – pas toujours pavillonnaire – il devait bien reconnaître que le XIIIe tenait à la fois du Blade Runner (pour le Gaumont Grand Ecran Italie), de la Zone 51 (pour la Fac’ Tolbiac précitée, ressemblant assez à une espèce de réacteur de superdestroyer Executor raté), de Whitechapel (pour les immeubles briqués) et de Navarro (mais ça, c’était normal, vu que le commissaire y crèche, dans les HLM), preuve, décidément, que ce merveilleux cosmopolitisme qui eût évidemment fasciné ces esthètes si passionnés qu’étaient Louis-Ferdinand Céline, Robert Brasillach ou encore Joseph Goebbels, ne régnait pas seulement parmi la population, définitivement parigo en dépit des variétés culturelles.

C’était dans cet arrondissement que la Filiale de la Firme, Effluves Noires, avait établi son siège, s’installant dans un immeuble où culminaient tous ces styles, ce qui faisait évidemment dire aux mauvaises langues que ledit bâtiment n’en possédait pas, et que la Tour en question tenait plutôt de la bâtisse.

Mais ça, à l’heure présente (15 h 16, temps maussade, nuageux), assis sur son fauteuil de Grand Timonier Suprême des Collections Science-Fiction d’Effluves Noires, au dernier étage du grand quartier général, Jacques Plumard s’en tapait comme de sa première clope – même si depuis, il en voulait à mort à cet abruti de lycéen qui l’avait poussé à se ruiner dans cette saloperie. Non, en fait, son blème, si l’on pouvait se permettre cette déviance stylistique, tenait en un mot.

Délai. Traduction. Pavé.

Eh oui, ça ne faisait pas un mot, mais trois. La merde, comme les Japonais à Pearl Harbor, frappait toujours par surprise.

- Et vous êtes en train de me dire que ce… ce machin doit être publié avant décembre prochain ?

Le long de la table en forme de T – modèle importé du Kremlin après la chute du communisme –, plusieurs jeunes cadres dynamiques, frais émoulus des grandes écoles, au costard impec, au faciès lunetté tout aussi épuré, se mirent à s’agiter. S’agiter… Non, pas à la manière de la caillera, genre : « Eh, ziva, l’aut’y veut k’on s’fasse réchou not’blé, l’est ouf le keum de sa reum, ‘tain, m’en peta, de resta-reswa… ». Non, un modèle énarque qui se plaignait, ça donnait plutôt ça :

- D’après nos études de marché, décembre constituera l’apogée de notre campagne de promotion pour la collection Starwars, dit le responsable du service marketing.
- Décembre est un mois offert à la science-fiction, avec la sortie du dernier film de la trilogie du Saigneur des Agneaux ou encore le troisième film d’Harry Péteur, dit celui du service concurrence.
- Publier The Tarkin Doctrine à ce moment là nous permettra de profiter de cette vague déferlante pour encercler nos concurrents et les amener à signer une reddition inconditionnelle, dit un ancien du service militaire.
- Le client-partner est totalement aware des nouvelles publications, dit celui du service… euh, Plumard ne s’en souvenait plus. Et The Tarkin Doctrine a fait un carton aux United States.

Le regard de Plumard se riva dans celui de ce crétin, qui se tut dans l’instant. C’était paraît-il voulu, maintenant, de multiplier les anglicismes. Sans être réac’, Plumard regrettait un peu l’époque dorée où les romans de SF étaient traduits presque au mot à mot, ce qui aboutissait parfois à des contresens magnifiques que symbolisaient divers titres effrayants (genre Etoiles garde à vous !, de Robert Henlein), mais tellement… tellement… rhââââ, merde…

- Un carton ? grommela-t-il. Comment ça, un carton ?

Un jeune type en bras de chemises remonta ses lunettes avec l’index, s’éclaircit la voix, et activa l’écran mural qui se trouvait à la droite de la table en T. Alors que les volets automatiques s’abaissaient le long des fenêtres, une immense carte des Etats-Unis apparut sur ledit écran, frappée d’une cinquantaine de points rouges exactement situés à l’emplacement des cinquante plus grandes villes.

- Hem… fit le cadre. Voici quelle était la situation au D-Day, enfin, le Jour D… euh… J. Hem… C'est-à-dire le jour au cours duquel The Tarkin Doctrine a été publié. En rouge, les zones de départ de la contamination. Vous voyez que pour le moment, cette dernière est circonscrite aux métropoles.
- Ouais, fit Plumard en tapotant nerveusement le bout de son stylo sur la table. Et… ?

Sur la carte, la mention Jour-D laissa la place à Jour-D + 1. Et l’on put déjà remarquer que les points rouges s’étaient élargis. Considérablement élargis.

- Au Jour D + 2, l’essentiel des zones urbaines était déjà touché, commenta sobrement le jeune cadre. Vous pouvez constater que la période d’incubation est extrêmement brève. De l’ordre de quelques heures à quelques jours.
- Ce qui signifie que ce bouquin est tellement bien écrit que le lecteur ne peut s’en défaire ? demanda Plumard, perplexe.
- C’est exact, Monsieur.

Les mentions Jour D + x se multipliaient en même temps que les tâches rouges. A Jour J + 15, l’intégralité du territoire américain était tapissée d’hémoglobine.

- L’épidémie s’est ensuite répandue au Mexique et au Canada. Et je viens d’apprendre du 10, Downing Street, que le Royaume-Uni a succombé hier. Israéliens et Palestiniens ont conclu un accord de cessez-le-feu, comme les Sunnites et les Chiites irakiens, le temps d’achever le bouquin…

Plumard n’en croyait pas ses yeux – ni ses oreilles.

- C’est… impossible… murmura-t-il. Vous êtes en train de me dire, à mots couverts, que nous avons là le plus grand succès de librairie depuis le rapport Warren ?
- Ce n’est pas tout à fait vrai, Monsieur, répondit un autre type. Le best-seller numéro 1 reste la Bible, suivi de Connaître l’orgasme à répétition, du Dr. Zoubida, et des Mémoires d’Alain Delon.
- Taisez-vous, l’interrompit Plumard. Bon, OK, je suis convaincu. Il faut traduire ce… cette Doctrine Tartine de toute urgence.

Il pressa un bouton de la console de commande greffée sur la table, devant lui, appelant sa secrétaire.

- Miss Frappe, mettez-moi en communication avec Jean-Marc Pâques…

Mais, avant que la voix de Miss Frappe ne se fît entendre, le cadre qui avait commenté la carte étasunienne éleva timidement la sienne – de voix :

- J’ai déjà envoyé un agent pour le récupérer…






Jean-Claude Mové, à la vue de la maisonnée qui surplombait la petite colline située à la limite des villes de Tronçonneuse-sur-Seine et Moisi-le-Gland, se demanda vraiment pourquoi il avait accepté de bosser pour la Filiale. Mais ça faisait également des années qu’il attendait de prendre la place de Plumard à la tête du Directoire des Collections Science-Fiction de la boîte. Des années qu’il tissait sa toile, à la manière de Palpatine, pour s’emparer du pouvoir et dominer le monde (de la SF) ! Il avait tout essayé, y compris tenter de remplacer Plumard par un clone de ce dernier, un pantin qui satisferait toutes ses exigences. Mais ces connards de Raéliens s’étaient plantés sur la marchandise et lui avaient livré, non pas un clone, mais… un clown. Au moins, Mové avait-il été depuis durablement vacciné contre cette maladie de notre civilisation occidentale qu’était la tentation sectaire. En attendant, Plumard tenait toujours le rôle de Caine et lui, Mové, restait confiné dans celui de Petit Scarabée.

Il faisait froid, c'est-à-dire pas chaud, et Mové était vêtu d’une parka grisâtre, parfaitement conforme à l’ambiance régnant dans ces villes de la très lointaine banlieue industriellement défrichée. Pourquoi Jean-Marc Pâques, El Traductor Superior, s’était-il réfugié ici, il ne savait. Il semblait que, depuis 2002, Pâques se dirigeait petit à petit vers Pétajdeplonland, au vu des délirants rythmes de travail qui lui étaient imposés par les Presses de la Téci et Effluves Noires.

Fallait avouer que le type avait sérieusement taffé. Se remémorant la séquence d’Apocalypse Now où Martin Sheen récapitulait le parcours militaire héroïque de Marlon Brando, Mové, tout en se dirigeant vers l’humble demeure, se laissa aller à un petit hommage. Pâques était considéré par beaucoup comme étant one of ze best Human translators ever made. Les « grands format », ou Hardcovers, c’était lui. Et ces trucs là, ce n’étaient pas de simples pavés – non, plutôt des astéroïdes genre Exterminateur de Dinosaures.

Zahn, par exemple. Zahn, c’était jamais moins de mille pages. Si Lucas avait fait La Guerre des Etoiles, Zahn avait pondu un équivalent de La Guerre et la Paix. Encore un gars qui s’était levé de bonne heure pour regarder Youpi-Matin-hin-hin, De bon matin-youpi, Youpi Matin, Youpi ! © Les Inconnus.

Beaucoup de traducteurs s’étaient attaqués à Zahn et avaient fini à l’asile ou Al Qaeda – d’où le proverbe, « qui commence par Saint-Zahn finit à Sainte-Anne »… Seul un Traducteur aussi expérimenté qu’expérimenté pouvait venir à bout du Grand Tim. Ce Traducteur, à l’époque, n’était autre que Michel Degluth, formé par le célèbre maître Torture Géniale de l’Académie littéraire de Lefortovo (Russie). Et Degluth, réunissant toute sa puissance, tout son courage, était parvenu à triompher de la Trilogie de Zahn. Mais ce gigantesque effort l’avait épuisé, voire même vidé de son énergie – et peut-être plus. Degluth, ayant formé son disciple, prit sa retraite, se fabriqua un radeau comme dans Koh Lanta et s’embarqua pour un long voyage sans retour sur l’Océan Atlantique en criant « Je suis Quetzalcoatl ! Le Serpent à Plumes aztèque ! Je reviens conquérir le Mexique ! Alleluia ! ».

Un disciple, disions-nous. Le lecteur l’aura compris. Ce disciple n’était autre que Jean-Marc Pâques.

Une légende était née.

Pâques traduisit les plus gros – à défaut des plus grands – Hardcovers de l’Univers Etendu. Il affronta même Zahn, lequel ne s’était jamais estimé vaincu par Degluth et avait entrepris de lancer une nouvelle superarme, Le Pancréas de Thrawn.

L’affrontement était d’importance. Mais Pâques ne se laissa pas démonter. Il traduisit le premier volume. Hélas, l’intervention d’un roman grand format, La Menace Fantasme, le paralysa. Il fallut faire appel à un trio de Traducteurs bien entraînés, lesquels, au prix d’efforts acharnés, réussirent à vaincre le bestiau.

Et Pâques avait enchaîné les traduc’… L’Ombre du Classeur, Vent de Traduction, Point d’Equilibre Budgétaire, Tsar by Tsar, L’Attaque des Cônes… Autant de triomphes, autant d’heures de gloire, de…

Mové s’arrêta. Il était devant la porte. Sa main droite s’éleva. Son index se tendit. Pressa la sonnette. Une fois. Deux fois. Trois fois. Temps d’arrêt. Quelques secondes. Trente secondes. Une minute. Nouvelle pression. Une fois. Deux fois. Trois fois. Temps d’arrêt. Quelques secondes. Trente secondes. Une minute.

Le vibreur de son portable – le comlink de notre époque – retentit. Mové décrocha.

- Allo, Jean-Claude Mové à l’appareil…
- Ici le Grand Timonier.

Merde…

- Qu’en est-il de Pâques ?
- J’ai beau sonner, il ne répond pas…

La voix de Plumard se durcit.

- Eh bien, entrez donc…

Mové faillit en tomber à la renverse.

- C’est illégal, non ?
- Les flics achètent nos bouquins, les juges aussi. Ils pardonneront. Maintenant, faites ce que je vous dis !

Clic. Fin de communication. Mâchoire serrée, cerveau en ébullition, Mové rangea son portable, posa la main sur la poignée de la porte, réalisa que c’était fermé à clef. Nullement découragé, il entreprit de faire le tour de la maisonnée, quelque peu troublé par la ressemblance de cette dernière avec celle où résidait Mme Bates dans la série des Psychose.

Le garage… La porte du garage était grande ouverte… Surveillant le moindre recoin, le cœur et les cellules cérébrales en alerte Defcon 1, Mové pénétra à l’intérieur… longea la Jaguar qui faisait office de bagnole de fonction pour Mister Pâques… aperçut une ouverture qui menait dans un coin sombre… Punaise, ça lui rappelait l’émission Faites entrer l’accusé consacrée aux six caves de Marc Dutroux…

Il chercha un interrupteur au fur et à mesure qu’il avançait dans le noir et s’éloignait de la lumière du jour… N’en trouva pas… Putain de merde… Il manqua de trébucher sur un bibelot, se prit la main gauche dans une échelle rangée horizontalement sur le mur… Et atteignit enfin l’ouverture…

Là, c’était le noir total.

Enfin presque. A quelques mètres, une autre ouverture. Où se dégageait une espèce de lumière tamisée, pour ainsi dire mourante… Et…

… et…

… et un son.

… un son…

… un son répétitif… mécanique… Un son que Mové, lui-même écrivain et Traducteur, connaissait bien. Celui que produisait… une imprimante…

La gorge nouée, la poitrine lourde, Mové s’avança un peu plus, avec prudence… La lumière se rapprochait… Il y arriva enfin.

La salle tenait du caveau. Quelques bougies étaient dispersées ça et là. Les murs, ravagés d’humidité, étaient couverts de graffitis à demi-effacés… Dans un coin, une sorte de haut-parleur relié à un fil enfoncé dans le mur. Au milieu, une table. Et sur cette table, un disque dur, un écran, et une imprimante d’où sortaient des dizaines de feuilles, des centaines même, à en juger par la masse de papier qui traînait au sol…

- Quel con, maugréa Mové, comme pour se rassurer. J’espère qu’il a numéroté ses pages…

Ce fut alors qu’un éclair lui traversa l’esprit.

… les grafitis…

Le regard de Mové se dirigea vers les murs. L’espèce d’intuition qui s’était révélée à lui fut… confirmée. L’encre avait beau avoir perdu de sa couleur, les termes n’en restaient pas moins visibles…

… na… kin n’ét… p.. s.

Mové s’approcha. C’était bien ça. Anakin… n’était… plus…

Anakin n’était plus.

Et la phrase revenait. La phrase était partout. En gros ou en petit, en style télégraphique ou en enluminures, dans toutes les couleurs, dans toutes les langues, en termes latins, cyrilliques, grecs, sanskrit, mandarins, japonais, cambodgiens, peintures rupestres style Grotte de Lascaux, les lettres, les dessins formaient ces mêmes mots, cette même signification : Anakin n’était plus.

Un frisson parcourut la colonne vertébrale de Mové, pire que lors du premier visionnage des Cauchemars de Dracula avec Christopher Lee, un soir dans un vieux cinéma de quartier, alors qu’il n’avait pas atteint les dix hivers… Oui, c’était bien ça, c’était la même phrase, partout, sur les murs, les plafonds…

Anakin n’était plus.

Ouais, il devait l’avouer, ça lui avait fait bizarre, d’apprendre la mort d’Anakin Solo dans Tsar by Tsar. Mais paraissait que chez les fans, ça prenait des allures d’hystérie collective. Des lecteurs s’étaient avalés une foultitude de barbituriques ou avaient rallié les Brigades Rouges des Indépendantistes corso-arméniens. D’autres s’étaient contentés d’adresser des pétitions à Troy Degling. Mais Anakin ne reviendrait pas. S’il revenait, les lecteurs – ces cons – risquaient de le confondre avec son papy, Anakin Skywalker, et le Nouvel Ordre Jedi, qui n’avait jamais été rien d’autre qu’une parenthèse entre l’époque Bantam et celle de la Guerre des Clones, risquait de porter atteinte aux livres de la prélogie.

Et ça, la Firme ne pouvait pas se le permettre.

Mové fit un pas en direction de l’ordinateur, de l’imprimante. Puis un autre. Et encore un. Il se retrouva devant la petite table. Contempla l’écran. Nom de Dieu…

Pâques en avait écrit pour des milliers de pages… Et l’imprimante en sortait toujours autant… Mové s’empara d’une feuille qui sortait… Lut.

Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Rhôôôô putain… Mové saisit une autre feuille… Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Une autre, par terre. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Et sur l’écran, partout : Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus. Anakin n’était plus.

Mové, fébrile, fouilla dans une de ses poches, en sortit son portable.

Mais il n’eut jamais le temps de l’activer. Tout à coup, le haut-parleur qu’il avait aperçu à la page précédente se mit à hurler la musique en lames de couteau de Psychose, ce qui fut à deux doigts de lui filer un infarctus… A peine s’était-il retourné qu’une vieille peau, les cheveux en chignon aussi gris que sa robe, sorte de sosie presque parfait de Mademoiselle Mangin (la Kapo de Princesse Sarah), se jetait sur lui, abattant sur sa gorge, sur sa figure, sur son crâne, un exemplaire grand format de Tsar by Tsar…

Avant de sombrer dans le pays où coule le fleuve de notre imagination – l’inconscience, donc –, Mové reconnut le visage de son agresseur. Pas une vieille fille, non. Mais Pâques himself. Qui lui cria : « Anakin was gone ! ». Et tout devint très clair. Trop clair. Et vice-versa.






- Euh… on a perdu le contact, Monsieur, déclara le jeune cadre qui avait eu l’idée de recruter Jean-Marc Pâques.
- Comment ça, « perdu le contact » ? s’énerva Plumard en explosant la mine d’un de ses crayons.

Personne ne souhaitait répondre. Mais un murmure fit office d’explication… « Qui commence par Saint-Zahn finit à Sainte-Anne »…

Plumard se passa la main sur le front. Sur les yeux. Le nez. La bouche. Le menton. La reposa lourdement sur la table.

- Et Rosalie Glaucome ?
- Pas dispo. Elle doit traduire tous les paperbacks sur Nouvel Ordre Jedi.

Rosalie Glaucome était quelque peu controversée, parmi les fans. On lui reprochait notamment une nette tendance à faire vouvoyer des héros censés avoir à peu près tout partagé – bouffe, pansements, copines – dans d’innombrables aventures. Ce n’était certes pas des machins du style Jabba le Forestier, mais ça pouvait agacer. Et puis s’il n’y avait que ces « petites » erreurs… Ainsi Mon Mothma était-elle devenue Calamarienne – c’était comme si un historien de la Deuxième Guerre Mondiale transformait Churchill en poulpe. De plus, le titre d’un bouquin consacré à l’Escadron Spectre, Solo Command, avait été traduit littéralement : Aux Commandes, Yan Solo ! Chez certains, ça passait, mais d’autres avaient embarqué leurs sabots et leurs faux pour rééditer l’insurrection vendéenne de 1793.

Cela dit, elle bossait beaucoup. Non, parce qu’on ne le dira jamais assez, mais on voudrait vous y voir, vous, devant un écran PC, à relire des textes de merde traduits par l’ordinat… putain, je l’ai pas dit, je l’ai pas dit… NOOOON !!! C’est une ERREUR !!!

Or, donc, Rosalie Glaucome…

- … n’est pas disponible ? pesta Plumard. Z’allez-voir si elle n’est pas disponible… MISS FRAPPE ! Branchez-moi la liaison par satellite !

La carte des Etats-Unis fit place à un blizzard, puis… un paysage de carte postale des Antilles ou de Tahiti. Une plage, le ciel bleu, une mer turquoise. Et une jeune femme, allongée sur la plage, près d’un parasol.

- Rosalie ! gueula Plumard sans se lever de son siège.
- Ouiiiiiiiiii ? répondit une voix mélodieuse et très sympathique.

La femme n’avait pas bougé.

- Euh… On a un énorme bouquin à traduire pour dans deux mois.
- Ouiiiiiiiii ?
- Et… euh… Ca fait 800 pages en paperback…
- Ouiiiiiiiii ?

Bon sang, mais qu’est-ce qu’elle avait ? Plumard se demanda tout à coup s’il ne pouvait pas s’enfuir pour demander l’asile politique chez J’ai Lu.

- Ca s’appelle The Tarkin Doctrine, c’est écrit par un con de fan qui s’appelle Cador. Marc Cador, je crois.
- Dark, corrigea un type.
- Ouiiiiiiiii ?
- Euh… Rosalie, vous êtes sûre que ça va ?
- Ouiiiiiiiii ?
- C’est du Star Wars, Rosalie, ajouta Plumard, ton plus doucereux, mais inquiet. Vous savez, les sabrolaser, les Jedi, l’Enterprise…
- Ouiiiiiiii ?

Yo bordel…

- OK, soupira Plumard, tout à coup très las, elle est visiblement enfumée comme un renard…
- Ah booooooon ? dit la voix féminine avant la rupture de communication.

L’ambiance était passée du sinistre au très sinistre. C’était Napoléon à qui l’on annonçait que Moscou brûlait, ou Jacques Chirac averti de l’élimination de l’équipe de France aux éliminatoires du Mondial 2002.

- Et Gérard Haren ? hasarda Plumard. Il nous avait fait un bon boulot sur Bison du Futur…
- Si l’on oublie la multiplication des points d’exclamation… ajouta à voix basse un jeune stagiaire.

Plumard l’avait immédiatement repéré et pressa rageusement un autre bouton de sa console électronique. Le siège du stagiaire se mit à grésiller, laissant échapper de la fumée. Le stagiaire, lui, fut parcouru de puissantes décharges électriques qui lui niquèrent la peau, la graisse, les nerfs, les os, le cerveau en quelques secondes…

- Le prochain qui ose me balancer ça subira le même sort… déclara froidement le Grand Timonier alors que des Gardes Rouges embarquaient précautionneusement le cadavre. Capice ?
- Oui, numéro 1 ! scandèrent les cadres en se jetant à genoux. Oui, Don Plumard, Grand Timonier, Petit Père des Ecrivains, Grand Camarade ! Le Soleil de Votre Génie éclaire nos pitoyables yeux et nous mène vers l’avenir radieux qui…
- Fermez la et trouvez-moi Haren, au lieu de faire les cons ! se fâcha tout rouge Plumard.
- C’est que…

Le regard de Plumard cibla un des cadres. Celui qui venait de parler.

- Oui ?
- Gérard Haren n’existe pas.
- QUOI ?

Il arrivait que certaines infos le laissassent sur le cul. Mais celle-là était au-delà du réel – et ce n’était pas une défaillance de son téléviseur.

- Gérard Haren est en fait constitué de trois personnes, une équipe menée par Jean-Claude Mové, expliqua le cadre. Jean-Marc Pâques, après L’Insecte du Passé, n’avait pas le temps de traduire Bison du Futur et nous avions fait appel à trois gars. Je les ai fait mander, au cas où.
- Alors faites les entrer.

La lourde porte en bois de chêne génétiquement modifié s’ouvrit en un sinistre gémissement.

Et trois petits nains roses en bleu de travail entrèrent. Ils avaient l’air timide, et tenaient leur casquette de taf sur la poitrine en tremblant légèrement, façon prolétaire exploité face à l’ignoble patron capitaliste SS membre de la CIA.

- Bonjour, je suis Naf-Naf, dit le premier.
- Et moi Nif-Nif ! dit le deuxième.
- Et moi Nouf-Nouf ! sourit le troisième.
- Et moi je suis le Petit Prince ! hurla Plumard, totalement versé du Côté Obscur. Mais qu’est-ce que c’est que ce cirque, par les Moustaches de Plekszy-Gladz !?

Les trois visiteurs se regardèrent, consternés.

- Eh bien…
- … nous sommes…
- … des traducteurs !

Plumard bondit de son siège, les yeux fous.

- C’est un canular ! beugla-t-il. Une holocaméra cachée !

Les trois visiteurs firent spontanément « non » de la tête.

- Non, nous…
- … avons traduit…
- … Bison du Futur…

Plumard en chialait, presque… Au bord de la crise de nerfs, il était. Il s’affala sur la table, la tête entre les mains… Les trois visiteurs reprirent :

- C’est très…
- … facile…
- … en fait…
- … les noms sont…
- … stéréotypés…
- … peu originaux…
- … Les Impériaux…
- … par exemple…
- … portent des…
- … patronymes…
- … germaniques…
- … soviétiques…
- … ou ibériques…

Plumard redressa la tête. C’était vrai, ce qu’ils disaient. C’était vrai, que les écrivains SW ne se foulaient pas pour dénicher des noms bien originaux. Mais ça, seul un pro pouvait le savoir, ou un assidu de Brouillon de Torture, l’émission de Bernard Poivrot…

- Sinon, il reste l’expérience des Free Translators accessibles sur le Ouaibe, tenta un des cadres.
- Montrez moi ça, dit Plumard en posant la main sur une feuille que lui tendait ledit cadre.

Il s’agissait du passage consacré à l’introduction de Boba Fett, p. 165 du premier volume de La Doctrine Tartine :

« Boba Fett enfila son casque aspergé de cicatrices, le témoin du combat passé et le numéro incroyable de « les fichiers » dans lequel ces il n'avait pas parti sa peau. Il le s’apprêtait pour se retourner dans « le sien » le vaisseau – enfin, l'un qu’il avait « emprunté » à Bossk, quel vaisseau a été arrangé dans un hangar l perdu’qu de trou de habituel était Tatooine, sur qui, décidément, il n'est pas arrivé mal des choses. Mais avant tout, à l’abri dans l'hangar susmentionné, il a vérifié de nouveau sur databloc montant il qu de comptes de matif’il possédé dans les divers établissements d'une plutôt citée, bien que les crédits discrets.

« … Le Jedi au plongea de peau sombre immédiatement sur Jango Fett en brandissant le sien abattit le laser. Le chasseur de esquiva de primes alors enclencha que ses fusées pour partir dans les airs, essayant lui-même maintenir la lame de loin mortelle et profiter du déclin pour tirer sur son adversaire…

« Oui parce que bon, hein, le Sarlacc de Tatooine l’avait a trouvé un peu indigeste – éviter lui ainsi la mort plus grotesque que tout personnage charismatique de ce eût de saga a pu avoir des cauchemars. A imaginé un Luke Skywalker pour succomber à une crise de foie de pretzel? Le Solo de Yan pour lui-même casser la nuque du cou en glissant sous la douche? Le s sombre de Vador’étouffer sous son casque? Bien sûr qui no. »

Bref. C’était le doigt de Dieu. Alors qu’il jetait la feuille de papier au broyeur, Plumard fit signe aux trois traducteurs de s’avancer.

- Je vais vous poser trois questions. Si vous répondez juste, vous avez le contrat. Capice ?
- Tout…
- … à…
- … fait…

Plumard sortit un fascicule de Lucasbooks. L’ouvrit. Le feuilleta.

- Première question. Corran Rog… merde, Horn et ses potes se vouvoient-ils ?

Les trois traducteurs réfléchirent.

- En principe non…
- … Chez Rosalie Glaucome oui…
- … Ce qui est chiant…

« Bonne réponse ! » sourit Plumard.

- A présent, deuxième question. Comment orthographiez-vous Borsk Fey’lya ?

Question flinguante. Pas mal de candidats s’y étaient mordus les doigts. Le record, ça avait été celui-là, le mois dernier, qui avait écrit : S.A.R.K.O.Z.Y..

- B.O.R.S.K…
- … F.E.Y apostrophe…
- … L.Y.A.

Plumard n’en revenait pas. De véritables prodiges !

- Troisième question : tant va la cruche à l’eau qu’à la fin tu me les brises, sachant que la baignoire se vide à une vitesse d’écoulement de 10 centilitres à la seconde selon un vecteur AB en dérivée f(x) = (x + y) / (x + 2) et que le train Lyon-Marseille croisera le carré de l’hypoténuse évadé de Thalès à 15 h 11, A VOTRE AVIS KIKIDONC ?

Les trois traducteurs réfléchirent un long moment.

- Le détroit…
- … de…
- … Gibraltar ?

Plumard hocha négativement la tête.

- Il ne vous reste qu’une seule chance de gagner. Et vous n’avez droit, ni à l’aide du public, ni à l’appel à un ami.

Encore quelques secondes et…

… le visage des traducteurs s’éclaira.

- Nous…
- … avons…
- … trouvé !!!

Plumard ne cessait pas de sourire – autant en profiter… « Alors ? »

- La Planète…
- … du…
- … Crépuscule !

Silence de mort.

- C’est votre dernier mot ?
- C’est…
- … notre…
- … dernier mot…

Re-silence de mort.

Plumard regarda chacun des candidats. Longuement. Façon Ange de la Mort.

Les traducteurs flippèrent.

- ET C’EST UNE BONNE REPONSE ! explosa de joie Plumard.

Les trois traducteurs restèrent une seconde sans voix. Puis ils hurlèrent de bonheur. Puis ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre, tandis que les cadres leur projetaient des confettis.

- Et oui, expliqua Plumard au lecteur comme Patrice Laffont pour la solution de l’énigme à la fin de Fort Boyard. Cette question lourde et chiante ne pouvait qu’appeler une réponse lourde et chiante, et nos amis candidats l’ont trouvée, en la personne de La Planète du Crépuscule, de Barbara Ampli. Encore bravo, donc, et à la semaine prochaine…

Le temps de leur faire signer le contrat, Plumard passa un coup de fil à la Section Maquette, pour d’emblée élaborer une couv’ qui resterait dans l’Histoire.

- Ici le Grand Timonier. Où en êtes-vous, là ?
- Nous travaillons d’arrache-pied, Camarade ! L’ultime volume de L’Horreur de la Victoire sera bientôt prêt, le temps que nous imprimions la moitié de la couverture de La Prophétie Finale…
- L’Horreur de la Victoire ? s’étonna Plumard. Vous voulez parler du Nouvel Ordre Jedi…

A l’autre bout du fil, la voix se fit moins confiante.

- Euh… Z’êtes sûr ? C’est pas L’Horreur de la Victoire, le nom de la série ?
- Attendez une minute… grommela Plumard. Vous seriez pas en train de me faire comprendre que vous avez commis une énormité, là…
- Mais pas du tout, pas du tout, nous… attendez, je vous reçois mal, là… je passe sous… un tunnel… je…

Tût… tût… tût…

Un souvenir stressa Plumard. Ce dernier, après avoir raccroché le combiné, ouvrit un tiroir, s’empara d’un exemplaire poche de Tsar by Tsar qui y traînait.

Le machin était intitulé L’Horreur de la Victoire II.

Il fouilla de nouveau dans le tiroir, en sortit d’autres bouquins. L’Horreur de la Victoire I, L’Horreur de la Victoire II (mais avec un titre différent), L’Horreur de la Victoire III, L’Horreur de la Victoire IV. L’ultime outrage, L’Horreur de la Victoire contre-attaque, La vengeance de l’Horreur de la Victoire, L’Horreur de la Victoire de l’œil du Tigre, L’Horreur de la Victoire contre Dr. No, Tango à Tanger pour l’Horreur de la Victoire, L’Horreur de la Victoire fait du ski, L’Horreur de la Victoire au Service Secret de Sa Majesté, L’Horreur de la Victoire vous salue bien…

Plumard s’enfonça dans son fauteuil. Pensif. Puis son doigt pressa le bouton d’appel de sa secrétaire.

- Miss Frappe, contactez ces jeunes gens de starwars-universe.com.
- Les jeunes qui ont mis votre bureau à feu et à sang il y a quelques mois ?
- Oui, ceux-là, confirma Plumard avec un sourire nostalgique. Dites-leur que j’ai des noms et des adresses à leur livrer. Dites-leur aussi qu’ils trouveront ce qu’il leur faut dans un dépôt d’armes que tient mon cousin Bobby.
- Bien, Grand Timonier.

Fin de communication. Plumard, laissant ses cadres s’entretenir avec les trois traducteurs, se prélassa, soudainement libéré d’un grand poids.

Être traducteur, il le reconnaissait bien volontiers, ce n’était pas évident. Mais être aux commandes, ça l’était encore moins. Cependant, il ne pouvait se résoudre à laisser le Directoire des Collections SF d’Effluves Noires à quelqu’un d’autre, et surtout pas Mové. Il n’était pas encore prêt, le Petit Scarabée.
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