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Chapitre XI
 
Ils étaient petits, infiniment petits dans l'immensité et la magnificence de l'océan, loin de Fayg, loin de toutes les cités que construisaient les petits êtres pour se protéger des périls qui hantaient le fond des mers ; ils n'étaient qu'un petit poisson de métal jaune cherchant son chemin entre les ombres gigantesques de créatures probablement plus anciennes que la civilisation Chiss, des êtres aux dimensions impossibles se déplaçant lentement dans une vague lumière bleutée, impassibles et majestueux comme des montagnes sous-marines.
Mais là où les géants de l'océan ne faisaient que vivre sans autre but que de continuer à le faire, les Chiss s'étaient donnés un objectif qui surpassait leur propre existence, et cela leur conférait toute leur valeur ; ils feraient tout leur possible pour chasser les Kryshzlas d'Hautemer et les empêcher d'étendre plus longtemps leur ombre sur les autres peuples des Régions Inconnues, ils apporteraient leur contribution à faire de la Galaxie un endroit qui ne serait plus dominé par l'injustice et la violence, un endroit où l'escadron Main Bleue n'aurait plus à découvrir des vaisseaux civils pleins d'otages massacrés par des conquérants sans pitié... En tout cas, c'était ainsi que Safera voyait les choses ; elle sourit discrètement en pensant que Sev'rance serait fière d'elle, les deux jeunes femmes étaient exactement semblables dans cette volonté de changer les choses...
« Ce sont des Pashagas, à votre avis ? demanda Wyntar au sujet des imposantes formes noires qu'ils apercevaient.
-Difficile à dire, mais c'est assez gros pour cela, estima Telin. En tout cas, ces créatures n'ont pas l'air d'être taillées comme des prédateurs, nous n'avons rien à craindre à moins d'en heurter une.
-Oui, et nous avons rencontré des bestioles moins agréables, aujourd'hui, ajouta Valdie.
Les autres sourirent ; deux heures plus tôt, une sorte de crustacé verdâtre surdimensionné avait surgi devant le sous-marin et commencé à le frapper de ses pinces. Fort heureusement, celles-ci n'étaient pas aussi tranchantes que les lames Hynors, les Chiss avaient donc pu s'éloigner de la créature sans subir de dommages conséquents. Encore plus tôt, Safera était sûre d'avoir aperçu la silhouette de ce qui ressemblait à un batracien géant, peut-être aussi grand que le sous-marin, s'élançant joyeusement dans les eaux obscures... Il ne pouvait pas s'agir de cela de toute évidence, la terre ferme n'existait pas sur Hautemer à part peut-être quelques glaces aux pôles, mais c'était l'impression que la chose avait laissé à la jeune femme ; cette vision lui avait vraiment donné l'impression de lire un conte pour enfants, réussissant à se terroriser elle-même en imaginant à quoi pouvaient ressembler les créatures décrites, séduite par la fascinante invraisemblance de l'histoire...
-Nous n'avons pas encore rencontré les plus désagréables, rappela Safera avec un sourire sans joie. La base Kryshzla n'est plus si loin d'après les cartes...
-Tant mieux, répliqua Wyntar avec un haussement d'épaules. J'en ai marre d'être en attente ; qu'on en finisse, quoi, une fois pour toutes...
Telin regarda Safera d'un air dubitatif.
-Écoute, les Kryshzlas, au moins, on les connaît, ce sont des gens de notre monde ; je les trouve nettement moins désagréables que les spectres dans la forêt des Ômus, moi...
-Oui, je vois ce que tu veux dire, répondit Safera en frissonnant. Mais bon, là, si on meurt, ce ne sera pas une hallucination...
Valdie leva les yeux au ciel.
-Vous avez l'air de vous être bien amusés sans moi...
-Oui, mais pas autant que nous allons le faire maintenant ! rappela ironiquement Wyntar.
Telin se retourna vers le prisonnier Kryshzla, dont Safera avait presque oublié l'existence.
-Nous sommes bien dans la bonne direction ? demanda-t-il en Sy Bisti.
-À peu près, oui, répondit nonchalamment Voorth. Vous devriez y être d'ici environ une demi-heure... J'imagine que vous voulez que je dise quelque chose à la base en approchant ?
-Pourquoi, vous croyez que nous vous avons emmené parce que nous apprécions votre compagnie ? Dites-leur que vous êtes tombés dans une embuscade Hynor dont vous et quatre autres soldats avez réussis à réchapper avant de ramener le sous-marin jusqu'ici... Nous avons survécu parce qu'ils ont essayé de nous prendre vivants et ont échoué, tiens. Et ils ont réussi à détruire vos communications longue distance pendant la bataille, tant qu'on y est. Enfin bref, dites tout ce qui sera nécessaire pour nous faire passer pour des soldats Kryshzlas... Et pas de blagues, hein ? Si notre opération doit échouer, nous veillerons à ne pas avoir votre survie sur la conscience...
Safera savait que Telin disait cela pour faire peur à Voorth, mais elle ne put s'empêcher de frissonner à l'idée que l'on puisse se reprocher la survie de quelqu'un...
-Ne vous inquiétez pas pour cela, répondit cependant Voorth. J'aimerais entendre mon cœur battre encore un petit moment... Ne serait-ce que le temps d'entendre le vôtre s'arrêter brusquement.
L'image glaça Safera... Décidément, elle ne parviendrait jamais à comprendre le Kryshzla ; jusque-là, il s'était borné à dire et à faire ce qu'ils attendaient de lui, et maintenant, pour une fois qu'il parlait de ce que lui-même voulait et de ce qu'il pensait d'eux, c'était pour exprimer sa volonté de les voir mourir. D'autres n'y auraient probablement rien vu d'étrange de la part d'un prisonnier de guerre s'adressant à ses geôliers, mais Safera cherchait désespérément un signe, quelque chose qui lui indiquerait que les Kryhszlas n'étaient pas ce qu'ils semblaient êtres, qu'il y avait des hommes bien vivants derrière les armures blanches maculées de sang et d'éclats noircis...
Le silence glacé dans lequel s'était muré Voorth jusque-là lui avait permis d'entretenir l'espoir qu'il y avait derrière la façon d'agir des Kryshzlas un mystère que les Chiss ne pourraient jamais comprendre, quelque chose qui expliquait que des êtres pensants puissent se conduire ainsi... Mais la réplique de Voorth était si prévisible, si simple et si brutale que Safera commençait à en désespérer ; peut-être se compliquait-elle la vie pour rien après tout, peut-être que les Kryshzlas n'étaient vraiment rien d'autre que des conquérants sanguinaires... Non. Elle se refusait à croire que les choses étaient aussi simples ; si c'était le cas... Si c'était le cas, c'était une bonne partie de sa vie qui n'aurait plus aucun sens...
Tandis que Safera réfléchissait, Wyntar jeta un regard mauvais à Voorth.
-Je ne sais pas si nous allons réussir, je ne sais même pas du tout si nous allons survivre ; mais ce que je peux vous dire, c'est que si nous ne ressortons pas de la base, nous ferons en sorte que vous n'en ressortiez pas non plus...
-Tant que c'est après vous avoir vu crever, ça me va, rétorqua Voorth d'un ton glacé.
Laissant les commandes à Safera, Telin se leva brusquement et pointa un fusil-blaster sur le Kryshzla :
-Fermez-la immédiatement, sinon ce ne sera ni juste après notre mort ni dans des années, le voyage s'arrêtera ici pour vous, c'est tout ; on peut vous faire confiance, ou on vous flingue, ce sont les seules options disponibles. Mais si on peut vous faire confiance, faites-vous discret... Vous faisiez cela très bien jusqu'ici... Et Wyntar, continua-t-il en cheunh, merci de ne pas rentrer dans son jeu... Nous sommes des Chiss, tu as oublié ? Alors tu es prié de garder un minimum de sang-froid...
-Désolé, répondit Wyntar de mauvaise grâce.
Malgré le canon à quelques centimètres de sa tête, Voorth haussa tranquillement les épaules.
-Vous pouvez me faire confiance pour vous introduire dans la base et pour ne pas vous trahir... Mais certainement pas pour ne pas souhaiter vous voir morts et assister à la ruine de votre arrogante civilisation.
Au prix d'un effort que Safera devinait surhumain le connaissant, Telin ne répondit pas à la provocation.
-Fermez-la, c'est tout ; on s'en fiche de ce que vous pensez...
-Comme vous voudrez.
Telin hocha la tête sans desserrer les dents ; se désintéressant de la conversation, Safera réalisa qu'une lumière verte clignotait sur le tableau de bord en émettant un petit signal sonore... À quoi correspondait-elle ? Elle n'avait pas le souvenir d'une explication à ce sujet dans la Vooltherga... Elle scruta l'immensité aquatique de ses yeux rouges un instant, mais elle ne voyait rien d'autre que quelques poissons transparents, incroyablement longs et fins, et les senseurs ne semblaient pas en savoir plus long...
-Telin, tu peux venir voir une minute ?
-Qu'y-a-t-il ?
Valdie devança Safera :
-Une espèce de signal qui...
-REMONTEZ TOUT DE SUITE ! hurla soudain le Kryshzla, et la terreur dans sa voix était si contagieuse que Safera s'exécuta immédiatement ; le sous-marin bascula soudain à la verticale pour tenter de s'éloigner du fond, comme s'il voulait grimper à toute vitesse une montagne d'eau...
-Qu'est-ce que... eut tout juste le temps d'articuler Telin tandis que le vaisseau se lançait à l'assaut de la hauteur...
Safera entendit un craquement de mauvais augure à l'arrière et força le vaisseau à revenir à l'horizontale puis à changer radicalement de direction, agissant comme si elle était poursuivie par un chasseur stellaire...
-Regardez ! s'exclama Wyntar.
Safera détourna un instant son regard pour scruter la direction désignée par Wyntar... Il n'y avait pas grand chose à voir, mais c'était juste assez pour lui permettre d'imaginer à quel point le reste devait être cauchemardesque ; une peau écailleuse probablement vert-gris, un museau allongé, une large gueule souriante emplie de crocs, un corps musculeux interminable... Des yeux jaunes reptiliens, oui, il lui semblait bien que c'était des yeux... Elle sentit une merveilleuse bouffée de peur emballer son cœur...
-Safera, change encore de direction, vite ! exigea Valdie d'une voix presque hystérique.
La jeune femme s'aperçut qu'elle avait passé un trop long instant à étudier la créature à leur poursuite ; ce n'était pas très professionnel de la part d'une pilote d'élite, à quoi pensait-elle ? Elle vira à nouveau et sentit que la coque du sous-marin frôlait quelque chose de très long et d'organique...
-C'est le Bunyip ! affirma Voorth, sa voix méconnaissable tant elle était tendue. Faites attention, cette horreur nous a déjà mangé deux sous-marins éclaireurs !
-C'est gentil de nous en parler maintenant ! remarqua sèchement Valdie tandis que Safera faisait de son mieux pour se tenir hors de portée du monstre verdâtre.
Une terreur fantastique s'emparant de son cœur, Safera entreprit à nouveau de remonter en flèche, agissant là encore comme si elle était poursuivie par tout un escadron de chasseurs Kryshzlas ; finalement, elle se déporta légèrement sur la droite avant d'opérer un demi-tour presque complet dans l'eau et de repartir en sens inverse en décrivant un cercle... Ce n'est qu'une fois arrivée en face de son point de départ qu'elle reprit sa course normalement... Elle vit la gueule démesurée tenter une dernière fois de les atteindre avant de retomber hors de son champ de vision... Elle prit encore le temps de plonger brutalement pour être sûre d'avoir semé le Bunyip ; alors, seulement, elle laissa le soulagement monter en elle...
-Bien joué, reconnut Voorth.
-Ouais, bravo Safera, approuva Telin. Pourquoi n'avons-nous pas détecté cette horreur plus tôt ?
-On en sait rien, cette bestiole échappe complètement à nos moyens de détection... Pour contourner le problème, nous avons installé ce signal qui prévient le pilote dès qu'on entre dans la zone où se trouve habituellement le Bunyip...
-Le ? Il n'y en a qu'un ? l'interrogea Safera, intriguée.
-C'est ce que nous disent les Hynors, en tout cas... Ça paraît étonnant, bien sûr ; d'ailleurs nous ne croyions pas à l'existence de cette créature... jusqu'à ce que nous lui laissions un sous-marin. Nous n'en avons jamais rencontré qu'un seul à la fois, donc soit cette espèce est très rare et disséminée, soit ce spécimen en est l'unique survivant, les autres ont peut-être été tous dévorés par d'autres prédateurs... Les Hynors disent que leurs divinités, les Ômus, n'en ont volontairement créé qu'un seul spécimen destiné à garder quelque chose, mais enfin bon...
Safera ne releva pas le mépris de Voorth pour la connaissance des Hynors, il ne semblait pas lui venir à l'esprit qu'ils savaient sûrement bien mieux que lui de quoi ils parlaient, sans parler de respecter un peuple qui avait réussi à établir sa civilisation au fond des mers ; les Kryshzlas, eux, n'avaient fait que prendre aux Hynors ce qu'ils avaient construit et le transformer pour servir leurs objectifs absurdes... Ce peuple resterait-il donc à jamais étranger à Safera ?
-Il y a d'autres surprises dans ce goût-là avant qu'on arrive à votre base ? demanda Valdie, qui avait retrouvé son ton désinvolte habituel, à des années-lumières de la peur hystérique que Safera avait perçue dans sa voix quelques minutes plus tôt... Mais les Chiss savaient maintenant à quoi s'en tenir sur ce que ressentait vraiment Valdie.
-Non, le Bunyip est la seule véritable menace pour nos sous-marins... Et heureusement, d'ailleurs...
-Oui, ou dommage pour vous que vous n'ayez pas plus de pilotes de la trempe de l'escadron Main Bleue, rétorqua Wyntar.
-Avant que tes chevilles n'enflent, je te rappelle que tu es un nouveau, pas un pilote de l'escadron Main Bleue, rappela Valdie, un peu mécaniquement.
-Je commence à le savoir...
-Vous savez à quoi ressemble le Bunyip, exactement ? demanda Safera à Voorth, piquée par la curiosité au point qu'elle en oubliait qu'elle parlait à un prisonnier.
-Nous ne savons pas grand chose en-dehors de ce que vous avez pu apercevoir, ceux qui l'ont approché de trop près ont fini dans son estomac... En général, on l'associe à une sorte de saurien géant ; d'autres assurent qu'il a des pattes de batracien, mais...
Safera repensa à la mystérieuse créature qu'elle avait aperçue un peu plus tôt, cette forme noire qui lui avait justement fait penser à un batracien... Pouvait-il s'agir d'une créature de la même espèce, voire du même spécimen ? Sur le moment, la chose lui avait plus évoqué une sorte de joyeux génie aquatique qu'un dangereux prédateur, mais ce n'était qu'une impression enfantine née de l'observation d'un animal marin ; elle songea aussi aux serpents géants qui avaient autrefois chassé les Pashagas selon le docteur Iblir, les Varshgas... Peut-être le Bunyip était-il le dernier représentant de cette espèce légendaire ? Ou un descendant... La jeune femme songea qu'elle n'aurait pas été malheureuse de travailler comme scientifique étudiant la faune, surtout sur Hautemer ; mais elle ne se serait pas sentie utile, et elle avait vraiment besoin de cela...
-Attendez une seconde, intervint Telin. Il mange les sous-marins ? Vous êtes en train de me dire que cette chose avale du duracier à son petit déjeuner ? Je ne vois pas comment une telle créature a pu évoluer...
-Je ne suis pas un expert en la matière, mais à en croire les légendes Hynors, il est censé dévorer tout ce qui s'approche du domaine qu'il garde, peu importe de quelle matière c'est fait ; en tout cas, je peux vous assurer qu'il a bel et bien croqué le sous-marin de quelques connaissances...
-Euh... D'accord, répliqua Telin comme si Voorth venait de lui annoncer que les Pashagas étaient en fait des Hynors punis par les Ômus parce qu'ils n'avaient pas été sages.
-Bon, eh bien, maintenant, nous avons encore plus l'air d'avoir été attaqués par les Hynors, ironisa Valdie.
-Telin ? appela Safera. L'instant que nous attendions depuis notre arrivée ici est enfin arrivé...
-Ah... Je vois ça, oui, commenta le Lieutenant en rejoignant Safera, sur un ton si sobre qu'il en devenait expressif.
C'était un ensemble de tours noires légèrement plus petites et plus compactes que celles de Fayg, reliées entre elles par des passerelles tout aussi noires ; la lumière colorée des Voolthergas était bien présente, mais toute entière concentrée sur une seule tour au centre, le réseau ayant manifestement été redessiné par les Kryshzlas. Les points communs avec Fayg sautaient aux yeux, mais il n'y avait ici pas une once de la vie qui caractérisait la cité Hynor ; l'éclat des Voolthergas était prisonnier des hautes silhouettes noires plutôt que de s'étendre joyeusement sur toute la cité, aucun Hynor ni aucun être vivant d'aucune sorte n'était visible.
Et c'était là l'endroit qui avait alimenté leurs rêves les plus fous et leurs pires craintes pendant des jours, depuis l'instant où le docteur Iblir leur avait annoncé qu'il existait une base Kryshzla dans les environs... C'était d'ici qu'étaient partis des escadrons entiers de chasseurs Kryshzlas pour abattre quatre éclaireurs Chiss un peu trop consciencieux qui s'étaient défendus de leur mieux... Et surtout, c'était d'ici qu'ils pourraient retrouver le monde des êtres de la surface s'ils survivaient.
-C'était autrefois une cité Hynor, expliqua Voorth, qui semblait soudain devenu très bavard. Mais nous les avons tous chassés d'ici afin qu'elle nous serve uniquement de base... Il nous fallait un endroit où nous ne risquions pas d'affronter une révolte Hynor pour cacher les Voolthergas...
-À propos, vous faites quelque chose pour empêcher les Hynors qui vivent dans les cités occupés de gagner Fayg ? demanda Wyntar, qui paraissait chercher une raison supplémentaire de haïr Voorth.
-Juste le strict minimum pour empêcher une évasion massive... Je crois que les Hynors disent que leurs Ômus nous puniront si nous ne les laissons pas au moins partir, à défaut de quitter la planète... J'ai toujours trouvé ça ridicule avant que vous ne me laissiez à votre charmant ami tentaculaire, mais les officiers ont eu l'air de les prendre au sérieux dès le début, ne me demandez pas pourquoi...
-Peut-être parce qu'ils sont un peu moins étroits d'esprit que vous, rétorqua sèchement Safera.
-Vous n'allez pas recommencer... grommela Telin. Bon, Voorth, prenez la place de Safera, et lorsqu'ils nous contacteront...
-Ouais, j'arrive.
-Où est censé se diriger un sous-marin éclaireur, au fait ? Je vous préviens tout de suite, si je vois que...
-... J'avais déjà compris à la dernière menace, merci. Bon, vu les circonstances, autant les contacter les premiers... Dirigez-vous plutôt par là...
Telin lui jeta un regard menaçant tout en dirigeant le sous-marin ; s'installant à la place que quittait Safera, Voorth était manifestement en train d'ouvrir un canal vers la base ennemie... Il dit quelque chose dans sa langue natale sur un ton calme et posé, certainement pas celui que Safera aurait pris pour prévenir une base Chiss de l'arrivée imminente d'un commando de combattants ennemis ; une voix lui répondit dans la même langue et Voorth sembla apporter des indications supplémentaires, toujours très neutre.
-C'est bon, vous pouvez entrer, annonça-t-il finalement en Sy Bisti à Telin. C'est par là...
-Bien... J'espère pour vous que nous aurons un comité d'accueil tout ce qu'il y a de plus normal...
-Oui, d'autant plus que maintenant, pour eux, vous êtes avec nous, rappela Valdie. Vous venez de nous aider à entrer...
Voorth haussa les épaules.
-J'ai donné quelques codes d'autorisation et quelques mensonges pour faire entrer un sous-marin, la belle affaire ! Je vous ai aidé à rentrer, oui, mais si je vous aide aussi à vous faire flinguer, mes compatriotes ne vont pas se demander longtemps dans quel camp je suis...
-Vous serez un cadavre loyal, alors, remarqua Telin. Bon... Allez vite mettre les armures Kryshzlas pendant que je surveille monsieur...
Safera s'engagea dans le couloir du sous-marin avec Valdie et Wyntar ; elle entendit encore Telin demander ce qu'ils devraient faire en descendant et Voorth lui expliquer qu'un officier les attendait pour clarifier la situation tandis qu'elle enfilait l'armure qu'elle haïssait tant, légèrement mal à l'aise à l'idée qu'ils avaient tué le soldat auquel elle appartenait... Le casque lui indiquait maintenant les matricules respectifs des armures de Wyntar et Valdie pour lui permettre de les reconnaître.
Lorsqu'elle revint dans le poste de commandement, Telin engageait le sous-marin près d'une ouverture en bas des tours noires, Safera en voyait une lumière jaunâtre affreusement crue, comme une pâle imitation de la face jaune du monde des êtres de la surface, une imitation réalisée par des êtres qui ne savaient pas comment vivre au milieu de ce qui était différent d'eux, des êtres qui avaient besoin de tout façonner à leur image...
Lorsque le sous-marin s'arrêta, Safera sentit son cœur intensifier ses battements, mais pas autant qu'elle ne l'aurait cru ; en fait, elle se sentait étrangement sereine... Peut-être éprouvait-elle inconsciemment une sorte de soulagement de revenir à ses vieux ennemis, mais ce serait tout de même étonnant pour quelqu'un qui avait passé sa vie à vouloir fuir son monde d'origine... Ou peut-être était-ce simplement le soulagement de savoir que ses problèmes allaient prendre fin d'une façon ou d'une autre...
-On y va, ordonna Telin, méconnaissable une fois qu'il eut enfilé sa propre armure Kryshzla. Voorth, vous faites comme si vous étiez notre officier, compris ? Pour ne pas que nous ayons à parler... Vous leur dites que nous avons été attaqués par des Hynors qui ont tué le reste de l'équipage, donnez-leur les détails de notre attaque si vous en avez besoin pour crédibiliser vos dires... Soyez sérieux, parce que si quelque chose foire, quoi que ce soit, je considérerais que c'est de votre faute.
-Ça, j'avais compris, merci... Bon, alors puisque je dois être votre nounou, à moins que je ne vous dise explicitement le contraire, suivez-moi, d'accord ? Je n'aurais pas forcément la possibilité de vous expliquer en privé où nous allons...
-D'accord... Tant qu'un imbécile ne nous dit pas de jeter nos armes... Enfin, pour peu que les Kryshzlas sachent faire des sommations comme les gens bien élevés, bien sûr. Allez, dans la passerelle ; Voorth, nous passons tous les deux en premier, prenez ce fusil-blaster... Et ne vous emballez pas, il est déchargé. »
Telin et Voorth s'engagèrent effectivement dans la passerelle ; comme pour mieux s'inculquer l'idée que les choses sérieuses allaient commencer, Safera respira un grand coup puis les suivit en compagnie de Wyntar et Valdie. Tout en progressant entre les parois grisâtres, elle chercha un instant confusément quelque chose à dire tant que c'était encore possible.
« Prêts pour la dernière ligne droite avant de pouvoir sortir de tout ça ? demanda-t-elle finalement, maladroitement, sa propre voix sonnant étrangement à ses propres oreilles.
-On n'a pas trop le choix, de toute façon, soupira Wyntar. En tout cas... Ça aura été un plaisir de traverser tout ça avec vous.
-Pareil... Ça va aller, Valdie ? Dis-le si...
-Je crois, oui. Sérieusement.
-Bon, alors... »
Les trois Chiss émergèrent du tunnel à la suite de Telin et Voorth. Ils débouchèrent sur un vaste hall dont les murs avaient été recouverts de plaques métalliques blanches ; décidément, les Kryshzlas avaient besoin de se sentir chez eux sur Hautemer... Voorth était manifestement en grande conversation avec un officier Kryshzla qui se tenait devant lui entre deux soldats ; son ton n'était plus aussi neutre que précédemment, il parlait même avec émotion, mais comme les soldats ennemis n'esquissaient pas un geste, Safera en conclut qu'il était tout simplement en train de narrer à l'officier Kryshzla la façon dont lui et ses défunts compagnons avaient été piégés par les Hynors, de cacher la vérité derrière la vérité... Les quatre Chiss vinrent se placer derrière Voorth, raides et silencieux, menaçants comme tout soldat Kryshzla qui se respecte.
Lorsque Voorth fut arrivé au bout de ses explications, l'officier sembla hocher la tête d'un air grave et expliqua quelque chose d'un air ennuyé ; quoi qu'il ait dit, Voorth parut confirmer et prit la direction d'un couloir que Safera apercevait au fond sur la gauche... Conformément à ce qui était prévu, les Chiss le suivirent ; l'officier et les deux soldats semblaient rester près du sous-marin, mais Safera n'eut pas le loisir de leur accorder plus d'attention, il fallait qu'elle suive les autres.
« Alors, que s'est-il passé ? Où allons-nous ? demanda Telin sur une fréquence qu'ils étaient normalement les seuls à pouvoir entendre, non sans pointer le canon de son fusil-blaster sur Voorth.
-Je lui ai raconté l'attaque comme vous me l'aviez demandé... Il m'a dit que les guerriers Hynors en exil étaient en train de fondre massivement sur les cités occupées et que nous avions besoin de tous les sous-marins disponibles, nous faisons face en plus à un soulèvement massif de la population... Il va laisser le nôtre à une force d'assaut ; nous, nous restons là pour défendre la base au cas où les Hynors parviendraient jusqu'ici, le Capitaine nous a envoyé défendre l'un des postes d'artillerie.
-Bon, on n'a pas beaucoup de temps devant nous, rappela Valdie alors qu'ils suivaient toujours Voorth dans les couloirs de la base, alors est-ce que vous savez où sont les Voolthergas ?
-Les quoi ? Ah, les machins soit-disant télépathiques que vous êtes venus chercher ? J'ai bien peur que non... Mais ce que je sais, c'est que la tour numéro trois est particulièrement bien gardée et que je ne suis pas assez gradé pour savoir ce qu'elle contient ; la conclusion est facile... Maintenant, dépêchez-vous ; vous ne tenez pas à déclencher l'alerte trop vite en arrivant en retard à notre poste de combat, n'est-ce pas ? Et moi, je ne tiens pas à ce que vous vous fassiez prendre tant que je serais à portée de vos canons... »

Après environ une dizaine de minutes à suivre leur prisonnier dans la base Kryshzla, les Chiss parvinrent au poste d'artillerie dont leur avait parlé Voorth ; il ne leur avait pas menti, les soldats ennemis présents ne semblaient pas les attendre et Voorth sembla leur déclarer comme prévu qu'ils étaient envoyés ici pour renforcer ce poste, fraîchement revenus d'une mission de reconnaissance qui avait mal tourné. Pourtant, alors que les Chiss et leur guide s'installaient dans le poste de combat surpeuplé, couvert de froides parois métalliques blanches comme le reste de la base, Safera eut tout de même une surprise de taille ; ce n'était pas un choc brutal comme l'aurait été la découverte d'un comité d'accueil déterminé à les tuer mais plutôt une sorte d'étonnement qui montait graduellement en elle, accompagné d'un incompréhensible sentiment d'incompréhension... Les Kryshzlas étaient tendus. Les Kryshzlas étaient obligés de s'entasser dans un poste de combat trop petit, d'attendre l'ennemi le fusil à la main ou la console d'artillerie sous les yeux... La jeune femme se sentit stupide ; bien sûr qu'ils éprouvaient la peur, bien sûr qu'ils étaient parfois obligés de faire avec des conditions défavorables, que s'imaginait-elle ? C'était juste qu'elle ne les avait jamais vu ainsi, elle ne les avait jamais connus que plongés dans une bataille ou prisonniers comme Aunf Voorth... C'était à la fois déconcertant et rassurant de découvrir l'envers du décor... Ce n'était certes pas la démonstration qu'il y avait quelque chose à sauver en eux qu'attendait Safera depuis qu'ils avaient capturé Voorth, mais cela suffisait déjà à les rendre plus compréhensibles à ses yeux...
La question, maintenant, serait de savoir si elle et ses compagnons parviendraient à maîtriser tous les Kryshzlas présents ; ils devaient être une dizaine sans compter les artilleurs... D'un autre côté, le manque d'espace devrait jouer en leur faveur pour créer un vent de panique et de confusion lorsqu'ils passeraient à l'attaque... Safera s'efforça d'envisager les choses sous un jour tactique, de ne pas penser aux soldats Kryshzlas qui seraient tués sans comprendre ce qui passait... S'ils réussissaient, ce serait encore un massacre... Elle redoutait vraiment ce moment, les combats au sol étaient tout simplement ignobles comparés à la netteté technologique des batailles spatiales ; mais elle s'efforça de penser à tout ce pourquoi elle combattait, à l'Ascendance Chiss, à Fayg, à Sev'rance, à la libération des Hynors et de Hautemer... À tout ce qu'elle voulait préserver ou retrouver. Elle ne prétendait pas savoir si ce qu'elle allait faire était juste, mais elle savait que cela suffirait au moins à lui donner le courage d'agir.
À côté, Voorth discutait tranquillement avec un officier Kryshzla, comme s'il voulait parler assez pour que l'on ne demande rien aux Chiss... Pourvu qu'il n'essaye pas de les trahir au plus mauvais moment, cela pourrait compromettre leur mission et Safera ne tenait pas à tuer une personne de plus...
Tombé dans la crevasse de la peur et de l'attente, le temps sembla un instant se figer, les conversations des soldats Kryshzlas et la respiration de Safera sonnant déplacées à ses propres oreilles tant l'air paraissait saturé d'attente craintive dans le poste... Mais tout le monde n'y craignait pas et n'y attendait pas la même chose... Au terme de quelques minutes éternelles, Wyntar brisa enfin le silence dans le circuit de communication privé du commando ; l'espace d'un instant, Safera s'en sentit étrangement triste, comme si elle appréciait les moments d'angoisse intense aussi bien que les moments de bonheur intense...
« On fait quoi ? demanda Wyntar. On attend que quelque chose nous permette de les surprendre, voire nous donne un prétexte pour sortir... ou on les tue pendant qu'ils ne s'y attendent pas ?
-On attend, je dirais, décida Telin. On est assez à l'étroit, ici, ce serait risqué de tenter quelque chose seuls contre autant d'adversaires...
-Et s'il ne se passe rien ? remarqua Valdie.
-Je sais, mais on va espérer... Si d'ici une demi-heure, nous n'avons toujours pas trouvé de prétexte pour sortir, nous passerons à l'action ; Voorth, interpella Telin en Sy Bisti, si vous voyiez une occasion de nous faire sortir d'ici... Ça nous évitera de tuer quelques-uns vos compatriotes ici présents, vous comprenez ? Et vous par la même occasion, parce que si nous échouons...
-Si le Lieutenant demande s'il y a des volontaires pour aller se balader dans la tour trois, je vous préviendrais, promis, ironisa Voorth.
Mue par une crainte qu'elle savait stupide mais invincible de passer pour une imbécile, Safera ne dit pas à quel point elle était soulagée que Telin ait choisi d'attendre une éventuelle occasion de sortir du poste sans faire couler plus de sang que nécessaire ; elle ferait son devoir quoi qu'il arrive, mais son devoir était plus supportable en certaines occasions qu'en d'autres...
Le silence reprit ses droits sur la fréquence des Chiss, les Kryshzlas continuant à essayer de converser pour se détendre, incapables de savoir que des Chiss infiltrés parmi eux venaient de décider de leur laisser une chance de survie... Le temps fit mine de s'arrêter de nouveau, comme s'il prenait son élan avant de se lancer dans une folle course...
Lorsque vint le signal de la course, Safera ne sut pas tout de suite le reconnaître ; un soldat Kryshzla invita un autre à venir consulter les détecteurs d'une voix tendue, et les soldats ennemis cessèrent brusquement leurs conversations pour se raidir et scruter le fond de l'océan par la fenêtre en transparacier, du moins autant qu'ils le pouvaient dans le poste de combat surpeuplé... Jouant son rôle, Safera fit mine d'essayer de regarder par-dessus l'épaule d'un soldat, bien plus grand qu'elle comme tout le monde dans le poste, tandis que Telin s'adressait à Voorth dans le canal privé :
-Que se passe-t-il ? Qu'est-ce qui les intéresse autant ?
Safera entendit Voorth soupirer dans le canal.
-Apparemment, vos amis écailleux commencent à se rassembler autour de la base... Euh, dites, ils ne vont pas passer à l'attaque tant que vous n'aurez pas les Voolthergas, hein ?
-A priori, non.
Il n'y avait plus trace d'inquiétude dans l'attitude des Kryshzlas, à présent, ils semblaient s'être métamorphosés en machines... Les artilleurs étaient rivés à leurs consoles, d'autres Kryshzlas attendaient, leurs fusils tendus vers les vitres de transparacier, prêts à faire feu sur le premier Hynors qui les briserait, d'autres encore surveillaient la porte comme s'il s'agissait d'une bête féroce...
Tous semblaient croire que le danger viendrait forcément de l'extérieur.
« Bon, je crois que nous n'aurons pas de meilleure occasion, ils ont l'air assez occupés... On fait en sorte qu'il n'y ait personne pour nous tirer dessus lorsque nous sortirons et on dégage, inutile de les tuer tous ; si les survivants donnent l'alarme, tout le monde pensera probablement dans un premier temps que ce sont tout simplement les Hynors qui attaquent... Voorth, essayez de vous caser dans l'angle de droite et suivez-nous lorsque nous partirons, à moins que vous n'ayez envie qu'on vous abatte avec les autres... Safera et Wyntar, à mon signal, vous vous occupez de ceux qui vous tournent le dos, ceux à côté des artilleurs ; Valdie, des trois qui gardent la porte ; je nous ouvre le chemin. À mon commandement...
Une fois de plus, Safera sentit son cœur intensifier la circulation de son sang ; elle n'avait pas tellement peur pour elle-même, elle se sentait même étonnamment sereine sur ce plan, mais elle n'aimerait certainement pas ce qu'elle allait devoir faire, certainement pas... Mais elle devait le faire. Et au fond, tant qu'elle ne trouverait pas cela normal, elle pourrait légitimement avoir un semblant d'estime pour elle-même ; elle leva discrètement son fusil-blaster.
-Feu ! » claqua la voix de Telin.
Mus par une mécanique implacablement bien réglée, les pseudo-soldats Kryshzlas firent soudain éclater la violence dans le poste d'artillerie ; Safera pressa la détente de son arme et libéra l'éclair qui vint frapper le soldat en armure blanchâtre devant elle tandis que d'autres détonations retentissaient autour d'elle... Avant même de s'être rendue compte de ce qu'elle faisait, elle pressa de nouveau la détente une fois, deux fois, trois fois, et le soldat s'effondra tandis que les autres se retournaient brusquement ; profitant de leur surprise, Safera trouva miraculeusement le temps de se jeter à terre pour esquiver les rafales qui ne manqueraient pas de venir... À peine était-elle au sol qu'elle faisait feu une nouvelle fois dans le chaos ambiant, tuant une deuxième fois ; mais soudain, elle sentit quelque chose de lourd et de rigide s'abattre sur elle et la plaquer au sol, lui coupant la respiration alors qu'elle entendait toujours tirs et cris autour d'elle...
Le cadavre d'un soldat Kryshzla abattu par Telin, un soldat bien plus lourd qu'elle, naturellement... Brusquement, s'être jetée au sol lui apparaissait comme calcul nettement moins bon ; elle avait à peine réalisée cela qu'elle sentit la panique s'emparer d'elle...
La porte s'ouvrait, des gens en armure sortaient, des cris retentissaient, des traits mortels fendaient l'air dans toutes les directions... Et elle, allait-elle rester là, bêtement bloquée sous ce cadavre ? Mais elle avait à peine eu le temps de se poser la question que quelqu'un semblait revenir brusquement sur ses pas et tirer sur quelqu'un derrière elle ; quelqu'un d'autre en profita pour se pencher vers la jeune femme, et elle sentit l'oppression du cadavre revêtu de l'armure disparaître... Elle se releva aussitôt, décidée à quitter cet endroit où elle ne trouverait plus que les corps de ceux qu'elle avait tué et la menace de ceux qui voulaient la tuer.
« Viens vite ! » s'exclama Wyntar, qui venait de la libérer, tandis que Telin cessait de tirer et tournait à son tour les talons.
Safera ne se le fit pas dire deux fois et commença aussitôt à courir aussi vite qu'elle le pouvait vers les portes avec ses compagnons, entendant des détonations déchirer l'air derrière elle, dépassée quelques instants plus tard par des éclairs rouges qui lui auraient peut-être transpercé le crâne s'ils avaient été un peu plus précis... L'un d'eux frappa Telin au dos tandis que les trois Chiss franchissaient la porte ; l'impact lui coupa manifestement le souffle et le cœur de Safera fit un bond dans sa poitrine, mais l'armure Kryshzla tint bon.
« Continuez, ne vous arrêtez pas pour riposter ou ils vous auront ! » ordonna Telin alors qu'ils fuyaient dans le couloir...
Safera vit Valdie qui les attendait, le fusil-blaster pointé d'un air menaçant sur Voorth ; lorsqu'ils approchèrent sa hauteur, elle rejoignit leur course, contraignant Voorth à les suivre pour ne pas se retrouver pris entre deux feux. Il n'était malheureusement pas envisageable d'essayer de retourner bloquer la porte du poste d'artillerie dans une telle situation, et Safera entendait le pas d'acier de soldats ennemis se lançant à leur poursuite en hurlant des avertissements pour leurs compagnons d'armes dans les environs...
Encore une fois, des rafales rouges ne passèrent pas loin des Chiss, en-dessous des épaules de Wyntar, cette fois ; Safera avait l'impression tenace qu'elle ferait mieux de se retourner pour répliquer, mais Telin avait raison, elle ne ferait que donner du temps aux soldats ennemis pour l'aligner dans leur viseur... Les Chiss et leur prisonnier couraient sans savoir où ils allaient, s'aventurant au hasard dans le labyrinthe des couloirs de ce qui avait autrefois été une cité Hynor avant d'être recouverte de métalliques plaques blanches et coupée de son eau natale pour subir l'agression de l'air ; ils apercevaient par moments des Kryshzlas trop stupéfaits pour réagir, le son entêtant d'une alarme résonnait dans leurs casques, probablement pour signaler leur intrusion... Et soudain, après une bonne dizaine de minutes de course, une porte s'ouvrit devant eux, laissant passer cinq soldats Kryshzlas qui se dressèrent au milieu du couloir, barrant la route aux Chiss tels un mur d'armures blanches hérissé d'armes, vraisemblablement alertés par les cris de leurs poursuivants...
Safera sentit un couperet d'acier tomber sur son espoir, mais elle s'efforça de le tenir à distance...
« À mon signal, stoppez net, et à terre ! » ordonna Telin sur le canal de communication, en Sy Bisti pour éviter à Voorth de se faire abattre par erreur.
Les Chiss continuèrent à courir un court laps de temps, les Kryshzlas alignant leurs fusils devant eux...
« Maintenant ! » ordonna Telin lorsqu'ils furent à portée de tir.
Mais les autres avaient déjà anticipé l'ordre ; se forçant à ne pas prendre garde à ses ennemis qui ouvraient le feu devant elle, Safera ordonna brusquement à ses jambes de cesser leur mouvement et se laissa tomber lourdement au sol...
Plusieurs rayons venus des deux côtés du couloir passèrent au-dessus de sa tête dans un sifflement terrifiant, et elle comprit aux cris qui suivirent que les Kryshzlas des deux côtés s'étaient touchés mutuellement, comme le voulait Telin ; mais elle prit à peine ce paramètre en compte alors qu'elle dirigeait son arme vers le soldat en armure blanche le plus proche tout en se relevant, profitant de la confusion des troupes adverses... Elle tira deux fois, atteignant sa cible au ventre ; tandis que d'autres tirs retentissaient un peu partout dans le couloir, l'armure du soldat ennemi lui sauva la vie le temps qu'il s'écarte de justesse, et il riposta rapidement de tirs dirigés vers la poitrine de la jeune femme. Sans tenir compte des puissants impacts qui menaçaient la solidité de son armure et manquaient de la faire retomber, la jeune femme parvint à se reprendre et lâcha une nouvelle rafale rougeoyante, qui transperça cette fois l'armure de l'autre et lui ôta la vie. Il ne fallut pas longtemps à Safera pour trouver un autre soldat Kryshzla, qui était justement en train d'essayer d'aligner l'un de ses compagnons dans son viseur ; cette fois, quelques tirs bien placés à la tête tuèrent rapidement l'ennemi, dont le corps retomba lourdement sur le sol... Elle entendit un cri de douleur suivi de brèves détonations juste derrière elle, mais elle ne s'en soucia pas car deux tirs rougeoyants venaient juste de frôler l'épaule de son armure... Un troisième Kryshzla, juste à l'autre bout du couloir, qui essayait de la tuer ; misant tout sur la surprise, ne s'apercevant même plus que son cœur battait la chamade, Safera se jeta sur lui et le plaqua au sol de toutes ses forces. L'autre se débattait de toutes ses forces, et Safera savait qu'elle ne pourrait physiquement pas tenir longtemps contre lui ; elle porta sa main gauche à la gorge du Kryshzla, entre son armure et son casque, comme pour l'étrangler, et lui décocha dans le même temps un vigoureux coup de genou à l'entrejambe... Mais ce n'était là qu'une diversion, elle tordit la main de son adversaire de sa main droite pour prendre le contrôle de son arme... Et pressa la détente.
La tête du Kryshzla explosa sous son visage en un horrible spectacle.
Sans s'attarder dessus, Safera se releva et se retourna le plus vite possible ; non, ce Kryshzla-là avait déjà été tué... Là, de l'autre côté, il en restait un, mais il s'effondra, achevé par Telin.
« C'est bon, on les a finis, affirma Valdie, les cadavres de deux autres soldats portant la même armure qu'elle à ses pieds.
-Oui... On est tous là ? s'enquit Telin. Safera, Wyntar... Parfait. Nous n'avons pas eu beaucoup de chance en sortant du poste d'artillerie, mais on s'en est sortis, finalement... Quelqu'un réveille notre ami grognon ?
Safera lui lança un regard interrogateur.
-Oui, je ne voulais pas avoir Voorth dans les pattes à un moment pareil, alors je l'ai assommé... Celui à ta droite, Safera.
Safera se pencha vers ce qu'elle avait pris pour un Kryshzla mort et commença à le secouer.
-Hmmm... Qu'est-ce que... Qui...
-Non, ne rêvez pas, c'est bien nous qui avons gagné, lui annonça Safera, s'essayant aux sarcasmes de Valdie pour dissimiler sa confusion vis-à-vis de Voorth, sans trouver elle-même le résultat convaincant. Allez, relevez-vous...
-Génial...
-Allez, qu'on ne perde pas de temps, les pressa Telin. Emmenez les cadavres à l'intérieur du poste duquel ces cinq-là sont sortis, au cas où...
Il n'y avait plus rien d'autre que l'acier et la mort autour des Chiss et de leur prisonnier, et eux-mêmes étaient dissimulés derrière des armures Kryshzlas... La vision était ordinaire aux yeux d'une pilote de l'escadron Main Bleue, et c'était justement le fait qu'elle en vienne à trouver cela ordinaire qui terrifiait le plus Safera, vivement qu'ils sortent de là... Elle veilla à ce que Voorth entre sagement dans la pièce d'où étaient venus les Kryshzlas ; finalement, ils se rassemblèrent tous dans la pièce et fermèrent la porte, comme si tout était normal, comme s'ils étaient simplement des soldats Kryshzlas faisant leur travail, comme si une bataille meurtrière ne venait pas de se dérouler juste dans le couloir.
« On fait quoi, pour l'alarme ? demanda Wyntar.
-Rien, répliqua Telin. Ils vont mettre un moment à comprendre ce qui se passe vraiment, et encore plus à nous localiser... D'ailleurs, je ne suis pas sûr qu'ils nous identifieraient tout de suite.
-Bon... Et à part ça, on fait quoi, maintenant ? s'informa timidement Safera. On fonce vers la tour trois en espérant que nous y serons avant qu'ils n'aient compris ? Ou nous continuons à jouer les soldats Kryshzlas comme si de rien n'était ?
-Je dirais plutôt la deuxième solution, personnellement... estima Valdie. La base doit être dans un bel état de confusion, à l'heure qu'il est... Autant en profiter.
Telin hocha la tête.
-C'est risqué, mais nous allons essayer, oui... Voorth...
-Je sais, oui, je vous emmène là-bas, et je n'ai pas intérêt à ce qu'on soit repérés...
-Ravi que vous commenciez à comprendre... Allez, on ressort. »

Ils portaient des armures Kryshzlas, ils s'avançaient d'une démarche raide et sans âme, ils s'efforçaient de feindre la tranquillité la plus ordinaire alors qu'ils laissaient Voorth les guider à travers les couloirs de la base Kryshzla ; les quatre Chiss et leur prisonnier auraient dû avoir l'air tout ce qu'il y avait de plus normaux au sein d'une base militaire Kryshzla.
Pourtant, dès qu'ils s'aventurèrent dans des parties manifestement plus fréquentées de la base, ils s'aperçurent que ce n'était pas le cas ; loin de vaquer tranquillement à leurs occupations, les vrais Kryshzlas semblaient tous exceptionnellement agités, les Chiss en croisaient beaucoup qui se déplaçaient en courant dans toutes les directions, hurlant des ordres et des informations d'un air manifestement préoccupé. Voorth semblait aussi surpris que les Chiss, mais il sembla considérer qu'il valait mieux faire comme les autres et adopta le pas de course, suivi par les Chiss.
« Qu'est-ce qui leur arrive ? demanda Telin, manifestement méfiant alors qu'ils se faufilaient entre deux colonnes de soldats ennemis qui traversaient une salle en sens inverse.
-Je l'ignore, répondit Voorth, et Safera eut l'impression qu'il était sincère. Les Hynors sont peut-être passés à l'attaque ?
-Ça m'étonnerait de la part de Fayg-Jehd, déclara Valdie, ce serait le meilleur moyen de convaincre les Kryshzlas d'utiliser les Voolthergas pour détruire les cités Hynors...
-Écoutez, tant qu'on arrive dans la tour trois, ça vous va, non ?
-Oui, eh bien emmenez-nous y en vitesse, à la tour trois, prévint Wyntar.
-On se calme, nous y sommes presque... Là, on prend ce turbo-élévateur ; ensuite, la première passerelle, et nous y serons... »
Une voix cynique quelque part dans l'esprit de Safera murmura qu'ils n'avaient plus vraiment besoin de Voorth, maintenant, et il représentait plus un handicap qu'autre chose puisqu'ils devaient le surveiller... L'esprit de Safera se glaça d'horreur alors que son corps était toujours occupé à courir ; qu'est-ce qui lui passait par la tête ? Elle était saisie d'effroi à l'idée que de telles pensées pouvaient lui venir...
Suivant Voorth, les Chiss embarquèrent dans un turbo-élévateur ; après quelques minutes d'ascension, ils émergèrent dans un corridor, parfaitement semblable au reste de la base avec ses parois d'un blanc métallique et son éclairage cru, à ceci près qu'à mi-hauteur des murs, les parois blanches laissaient la place au transparacier. L'océan semblait les surplomber...
Mais passé ce soulagement, une scène glaça le sang de Safera : des Kryshzlas étaient déjà dans la passerelle, une demi-douzaine environ ; deux d'entre eux, apparemment désarmés, étaient plaqués contre la paroi par les autres, qui tendirent leurs fusils-blaster... Deux éclairs rouges fusèrent, et les deux premiers soldats ennemis tombèrent, raides morts ; les Chiss et leur prisonnier se figèrent soudain, stupéfaits par ces meurtres incompréhensibles.
Avant qu'ils n'aient pu se ressaisirent, l'un des Kryshzlas assassins aboya quelque chose dans leur direction, une interrogation transparaissant vaguement à travers son agressivité ; Voorth ne réagit pas, les Chiss s'entreregardèrent sans savoir quoi faire, et le Kryshzla répéta sa question d'un ton encore plus pressant... Et soudain, Safera sut qu'il allait tirer, les faire exécuter comme il venait d'éliminer ses deux compagnons d'armes... Sachant au plus profond d'elle-même qu'elle ne pouvait pas se permettre d'y réfléchir plus longtemps, elle leva immédiatement son fusil-blaster en direction de celui qu'elle supposait être l'officier ennemi et tira à bout portant à plusieurs reprises, jusqu'à ce que l'assassin Kryshzla s'abatte sur le sol, renversé par les éclats rougeoyants.
Il ne fallut qu'un instant aux trois autres Chiss pour faire feu à leur tour, abattant deux autres soldats Kryshzlas, médusés; les deux derniers ouvrirent le feu à leur tour tandis que Voorth et les Chiss se repliaient précipitamment vers le turbo-élévateur, refusant de prendre le risque de perdre quelqu'un si bêtement... Safera entendit rugir les canons derrière elle, elle vit les traits rouges noircir les murs blanchâtres à proximité, mais ils tenaient tous encore debout lorsqu'ils se jetèrent dans la cabine du turbo-élévateur avant de l'envoyer hâtivement à n'importe quel autre endroit... Ce ne fut que lorsqu'elle fut hors de danger que Safera réalisa que sa respiration était haletante et que son cœur tapait un rythme sourd qui semblait l'empêcher de penser correctement...
« Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel, à la fin ? s'exclama vulgairement Telin, qui peinait à reprendre son souffle. Ils se massacrent entre eux, maintenant ? Et pourquoi as-tu tiré, Safera ? Peut-être que...
-Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, il n'y a plus besoin d'avoir l'air d'un Chiss ou d'un Hynor pour se faire tirer dessus par les Kryshzlas, maintenant ! rétorqua sèchement la jeune femme, peu encline à discuter de la possibilité qu'elle se soit trompée sur les intentions des Kryshzlas. Tu as vu ce qu'ils ont fait aux deux autres, non ?
-Peut-être qu'ils les ont pris pour nous... avança Wyntar. L'alerte à notre sujet a dû se diffuser, maintenant...
-Et pourquoi eux ? interrogea brusquement Safera. Ils n'étaient que deux... Et je n'ai pas eu l'impression qu'ils étaient en mesure de se défendre... Ils ne menaçaient personne. Ce que nous venons de voir n'a rien à voir avec la guerre, ça s'appelle un meurtre !
-Voorth, il y a un autre chemin pour gagner la troisième tour d'ici ? demanda Valdie, apparemment peu intéressée par des débats stériles sur ce qu'il se passait dans la tête des Kryshzlas.
-Bien sûr qu'il y en a un, répondit Voorth, qui paraissait étrangement troublé. Et Safera a eu raison de tirer... Quand l'officier m'a demandé ce que nous fichions là, j'ai senti à sa voix ce qui nous arriverait si nous n'avions pas une excellente raison à lui fournir...
-Mais que faisait-il là, lui, pour commencer ? demanda Telin. Ils ne devraient pas être tous en train d'attendre sagement une attaque des Hynors ou d'aller défendre les cités à bord de leurs sous-marins ? Ou de veiller sur les Voolthergas, au pire... Alors qu'est-ce qu'il faisait là, et pourquoi a-t-il fait exécuter deux de ses propres compagnons d'armes aussi sommairement ? Et que font tous les autres pour que nous en ayons croisés autant en train de s'agiter dans la base ? C'est les soldes, ou quoi ?
-Écoutez, je ne comprends pas plus que vous, d'accord ? s'exclama soudain Voorth. Je ne sais pas du tout ce que les autres fabriquent ! Mais ça ne me plait pas...
Encore une fois, Safera ne put s'empêcher d'étudier le prisonnier et de chercher à le comprendre... Mais pour une fois, il ne semblait rien y avoir à comprendre, justement ; il semblait réellement désemparé... Safera le comprenait très bien ; même dans des circonstances qui requéraient tant de concentration, elle ne pouvait empêcher son imagination de vagabonder entre les scénarios tous plus noirs les uns que les autres qui pourraient expliquer la folie de ce qu'il était en train de se passer... Au fond, une part d'elle-même n'était pas sûre de vouloir savoir ce qui était en train de se produire, tandis qu'une autre se délectait de l'idée qu'il y avait peut-être à l'œuvre quelque chose de si effrayant que cela dépassait son imagination...
Telin ouvrit la porte du turbo-élévateur.
« Bon, souvenons-nous en : la prochaine fois qu'un imbécile nous demande quelque chose, tirez immédiatement... Et surtout, soyez prudents.
-De toute façon, si les Kryhszlas se battent entre eux, ça ne peut que nous aider à atteindre notre objectif, non ? tenta de se rassurer Wyntar. À terme, cela ne peut pas être mauvais signe pour nous et les Hynors...
-J'aimerais en être aussi sûre... » murmura Safera.
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