StarWars-Universe.com utilise des cookies pour faciliter votre navigation sur le site, et à des fins de publicité, statistiques, et boutons sociaux. En poursuivant votre navigation sur SWU, vous acceptez l'utilisation des cookies ou technologies similaires. Pour plus d’informations, cliquez ici.  
Chapitre X
 
Le Général Varulg Fayg-Jehd avait raison, les choses étaient différentes, cette fois, Safera le sentit dès le début ; ses sens ne lui indiquaient pourtant aucun changement, elle et ses compagnons se faufilaient toujours entre de gigantesques algues rouges et violettes qui ne leur cédaient qu'à regret, ils ne voyaient toujours dans les eaux noires que grâce à leurs casques, ils apercevaient toujours d'étranges silhouettes de lumière qui semblaient les observer de loin... Et pourtant, Safera n'éprouvait cette fois rien de la peur irrationnelle qui la tenaillait la première fois qu'elle avait traversé la forêt des Ômus.
Cette fois, c'était... C'était vraiment une simple forêt d'algues, il n'y avait rien de plus, Safera ne lui sentait aucune volonté de nuire ; elle se demandait même comment elle avait pu percevoir quoi que ce soit simplement avec son esprit dans cette forêt. Les Ômus devaient savoir que Safera avait assez de volonté pour parvenir jusqu'à eux, ils ne voulaient pas la tester une deuxième fois ; ça ou ils savaient déjà ce qu'elle et ses compagnons venaient leur dire, et ils jugeaient l'heure trop grave pour perdre du temps avec les épreuves habituelles... Ou peut-être l'obscurité qu'elle percevait autrefois dans ces lieux n'avait-elle tout simplement rien à voir avec une quelconque volonté des Ômus de tester leurs visiteurs...
Ainsi, les quatre Chiss, Varulg et quelques gardes Hynors chargés de prévenir toute tentative stupide d'évasion emmenaient-ils sans difficultés leur prisonnier Kryshzla vers la colline où Safera avait trouvé Wogorn ; ils n'avaient plus qu'un seul prisonnier, celui qui était évanoui à la fin du combat étant décédé des suites de ses blessures. Le survivant, un certain Aunf Voorth, leur avait expliqué avec quelques réticences que les Kryshzla savaient que les Ômus s'interrogeaient sur la possibilité de laisser les Hynors tenter de détruire la base Kryshzla, d'où cette recherche désespérée de Fayg pour tuer la menace dans l'œuf... Comme l'avait fait remarquer Varulg, il serait très ironique que cela décide finalement les Ômus à laisser agir les Hynors.
« C'est ici, je crois, indiqua Safera, arrivée au pied d'une colline.
-Oui, je m'en rappelle, confirma Telin, étrangement triste. Dire qu'on t'a laissée tomber si près du but...
-Mais c'est normal, le rassura aussitôt Valdie avec un sourire, apparemment, il n'y a que les cinglées comme Safera qui peuvent aller jusqu'au bout...
Safera lui lança un petit coup de poing dans le ventre.
-Ah, bravo ; je te signale que si j'avais été saine d'esprit, tu serais morte... Vous venez, Général ?
-J'arrive, assura Varulg.
Un peu plus loin, il s'était retourné comme pour regarder une dernière fois l'étrange forêt et les Chayerda que l'on apercevait...
-C'est juste que... C'est vraiment bizarre d'être ici, en cœur de nos légendes, et de découvrir quelque chose de finalement si normal, ordinaire...
Wyntar eut un pâle sourire.
-Vous auriez dû venir avec nous la dernière fois, c'était tout sauf ordinaire...
-Je sais. Allons-y... »
Les Hynors commencèrent à gravir la colline avec les Chiss, tenant toujours fermement le prisonnier Kryshzla ; celui-ci ne pouvait pas communiquer avec ses geôliers, sa propre combinaison n'étant pas équipée pour cela, mais Safera avait l'impression qu'il resterait de toute façon muré dans son mutisme... Il n'avait parlé que pour informer avec réticence les Hynors des raisons de la présence de son sous-marin dans les environs de Fayg et s'enquérir de ce qu'il allait devenir, impossible d'en tirer un mot de plus, personne ne pouvait dire ce qu'il pensait ou ressentait... Il suivait les Hynors stoïquement, sans opposer de résistance vaine.
Minuscules dans l'immensité de la forêt, les marcheurs parvinrent au sommet de la colline, là où devait se trouver l'entrée de la caverne si les souvenirs de Safera étaient bons... En espérant que les Ômus n'aient pas volontairement embrouillé sa mémoire... Non, c'était bien là, les algues disparaissaient, et une caverne apparemment petite s'ouvrait en face...
-C'est là ? s'assura Telin. Ça a l'air vraiment étroit...
-C'est là, oui, ou alors la ressemblance est à s'y méprendre, estima Safera. Quand j'y suis allé, j'ai dû marcher au hasard un moment, c'était assez étroit et je n'y voyais rien ; mais après, je suis arrivée dans une salle beaucoup plus grande... Elle est probablement quelque part sous nos pieds, d'ailleurs...
-Le prisonnier ne risque pas de s'échapper dans un endroit pareil, commenta Varulg. Moi et mes guerriers passerons aucun problème... Par contre, le Kryshzla et vous allez avoir plus de difficile, non ? Vous êtes nettement plus osseux que nous, et vous ne regardez pas là-dedans, je crois ?
Wyntar haussa les épaules.
-Nous allons sans doute récolter quelques bleus ou nous couper, mais c'est une promenade de santé à côté de ce que nous avons affronté la dernière fois... Et puis, Safera a réussi à se faufiler dedans sans problèmes, non ?
-Oui, mais vu qu'elle fait à peu près la taille et le poids d'une adolescente, ce n'est pas étonnant, remarqua Valdie. On y arrivera, mais il vaudrait mieux que vos guerriers passent devant, Général, sinon nous allons réussir à nous assommer là-dedans...
-Très bien. Allons-y, alors. »
Le Général Hynor marqua un arrêt avant de s'enfoncer dans la caverne, mais Safera savait que c'était sous le coup de l'émotion d'être dans cet endroit mythique bien plus que sous celui de la peur ; le Kryshzla sembla un instant vouloir s'arrêter avant d'être emmené dans la caverne, mais il suivit finalement ses geôliers sans leur opposer de résistance, apparemment toujours aussi impassible. Safera se demanda vaguement si cette imperturbabilité en de telles circonstances était un trait typiquement Kryshzla ou s'il était propre à cet individu... Que pouvait-il bien se passer dans l'esprit d'un être aussi différent ? Son attitude n'apprenait strictement rien à Safera... Elle aurait aimé en savoir un peu plus sur les gens qu'elle combattait, et il ne s'agissait ni d'intérêt tactique ni d'orgueil mal placé, elle éprouvait un désir sincère de comprendre, de savoir pourquoi ces créatures agissaient de telle sorte qu'il devenait nécessaire de les chasser de Hautemer...
Lorsque Varulg fut passé, les Chiss suivirent les Hynors dans l'obscurité de la caverne sous-marine, brûlants de détermination dans les eaux glaciales.

La progression dans la caverne s'avéra bien plus longue et difficile que dans les souvenirs de Safera, à se demander si elle ne s'était pas trompée d'endroit ; elle et ses compagnons passèrent un temps qui lui parut interminable à chercher dans l'obscurité, non sans se cogner régulièrement aux parois... Elle essayait de se rassurer en se disant qu'elle devait tout simplement être dans un état second la première fois qu'elle était venue et que cela avait distordu sa notion du temps, mais après un certain temps, même Varulg dut avouer qu'ils étaient complètement perdus...
Alors ils apparurent. Alors que Safera avait presque perdu espoir, une demi-douzaine de hautes silhouettes lumineuses immatérielles fendirent les ténèbres pour venir se dresser devant eux, les transformant tous en statues de glace figées par la peur...
« Nos maîtres vous attendent. Venez, nous vous mènerons à eux. »
Safera vit Wyntar, Telin, Valdie ainsi que le prisonnier Kryshzla se retourner brusquement les uns vers les autres comme par réflexe, mus par une volonté subconsciente de vérifier que les autres avaient bien entendu cette même voix dans leurs pensées... Mais Safera avait déjà cessé la lutte contre l'irrationalité apparente des pouvoirs des Ômus et de leurs suivants ; quant aux Hynors, ils semblaient trouver le phénomène parfaitement normal.
Comme des fous s'accrochant désespérément aux inventions de leur esprit, la petite troupe se mit à suivre les serviteurs des Ômus dans les sombres galeries souterraines... Et soudain, comme dans les souvenirs de Safera, ils débouchèrent sur cette immense salle, pleine de lumière et de vie, à laquelle les petites algues couvrant le sol donnaient un aspect si terrestre... Safera fut à peine moins stupéfaite que les autres, c'était comme si elle s'était éveillée de ce qu'elle avait cru être un rêve pour replonger dedans... Pour une fois, même le prisonnier Kryshzla semblait curieux.
Néanmoins, les suivants des Ômus n'étaient pas là pour faire admirer le paysage au groupe ; ils leurs firent traverser la salle, de toute évidence pour les emmener au grand escalier de pierre au fond... Oui, c'était bien cela, une multitude d'autres suivants et de Chayerda, à supposer que ce ne fut pas la même chose, les attendait dessus... Intimidés, les Hynors se faufilèrent prudemment entre les êtres surnaturels pour monter, suivis par les Chiss...
Et soudain, ils se retrouvèrent face-à-face avec la créature de cauchemar, le monstrueux céphalopode qui avait hanté les cauchemars de Safera et de probablement bien des Hynors avant elle... Mais Safera n'avait plus peur, plus assez pour l'empêcher de s'avancer vers l'énorme masse de tentacules, malgré son cœur qui battait comme un fou furieux, malgré ses membres qui auraient préféré se changer en glace plutôt que d'approcher une telle créature... Les Hynors et les autres Chiss n'osaient pas aller plus loin, le prisonnier restait figé sur place, insondable, mais elle s'en fichait, elle savait ce qu'elle faisait...
« Vous revoilà, Hess'afer'ajaldo... Avec vos compagnons et des militaires Hynors, cette fois. Qui est l'autre ? »
« Il s'agit d'un soldat Kryshzla que nous avons capturé, seigneur Wogorn... Ils ont tenté d'attaquer Fayg, c'est pourquoi le Général Varulg Fayg-Jehd ici présent est venu avec moi vous demander à nouveau de nous permettre de chasser les Kryshzla. »
Varulg s'avança à son tour, rapidement suivis de quelques soldats, et déclara quelque chose en Hynor, confirmant ou étayant probablement les propos de Safera.
« Mes frères et moi savons ce qui s'est passé, oui... Les Kryshzlas sont allés trop loin, c'est une évidence ; il n'est pas du tout impossible que nous reconsidérions la nocivité de leur présence... Vous et le Général avez bien fait de venir nous trouver.»
Plus que jamais, le cœur de Safera battait la chamade, elle en avait du mal à penser clairement ; si Wogorn acceptait, toute son existence en serait à nouveau bouleversée, et celle d'Hautemer avec... Elle dut s'y reprendre à plusieurs fois pour expliquer :
« Nous vous avons amené ce Kryshzla afin que vous puissiez voir le monde des êtres de la surface par ses yeux, si vous le désirez pour vous aider à prendre une décision... »
« C'est une bonne initiative, Hess'afer'ajaldo ; mes frères et moi étudierons cet étranger, et s'il confirme nos craintes, nous vous permettrons d'entrer en guerre... Mais soyez prévenus, il ne doit pas y avoir de massacres de civils Kryshzla, ni même de prisonniers de guerre ; faites ce qu'il faut pour qu'ils quittent la planète, rien de plus. Ce n'est pas à vous de décider qui est coupable de quoi et quelle punition convient à chacun. Est-ce clair ? »
Varulg dit encore quelque chose en Hynor, l'assurant probablement qu'il ne ferait jamais une chose pareille, et Safera dit à son tour :
« Vous me connaissez maintenant mieux que moi-même, seigneur Wogorn... Je ne ferais pas plus de mal qu'il ne me semblera nécessaire ; j'ai déjà bien trop de sang sur les mains pour me le permettre. »
« Oui, je vous connais, mais un être pensant ne se résume pas à la somme de ses déterminismes, Hess'afer'ajaldo ; bien sûr que ce que vous avez appris au sein des Chiss et ce que vous ressentez habituellement pèse sur vos décisions, bien sûr que ce que j'ai appris aux Hynors pèsera sur celles du Général Varulg Fayg-Jehd, mais en dernier recours, ce sera tout de même vous qui choisirez ce que vous ferez ou non aux Kryshzlas... Alors je dois tous vous prévenir une dernière fois : ne faites pas cela. Ne leur faites pas plus de mal que nécessaire, ou nous devrons vous considérer vous-mêmes comme des menaces pour la vie, au même titre que les Kryshzlas. »
« Nous comprenons très bien, seigneur Wogorn. »
« Tant mieux. Général, apportez-moi donc ce prisonnier... Vous aurez notre réponse définitive demain, mais... Disons qu'à votre place, je commencerais à m'armer dès maintenant. »
Safera fut saisie de pitié pour le prisonnier, même lui devait être pétrifié par la peur alors que les gardes Hynors le forçaient à s'approcher de l'Ômu, surtout s'il n'avait pas entendu leur échange télépathique... Wogorn saisit le Kryshzla d'un de ses longs tentacules noir-bleus ; Safera songea qu'elle se représenterait probablement encore longtemps la mort sous la forme d'une sorte d'énorme pieuvre qui saisissait les mortels pour les entraîner dans les profondeurs de son océan...
« Que deviendrez-vous si vous l'emportez, Hess'afer'ajaldo ? Vous m'intriguez... demanda encore l'Ômu à Safera, après avoir probablement écouté Varulg lui dire quelque chose en Hynor. Repartirez-vous dans le monde des êtres de la surface combattre pour votre peuple et retrouver cette autre femelle Chiss que vous aimez ? Reviendrez-vous ici avec elle ? Ou resterez-vous ici de toute façon ? »
« Je l'ignore... répondit Safera en toute sincérité. J'aime ce monde... Mais mon cœur va à Sev'rance, d'autant plus qu'elle a vraiment besoin de moi ; et l'Ascendance Chiss aussi... »
« Quoi que vous décidiez, si vous vous montrez capable de ne pas céder à la haine des Kryshzlas, vous serez probablement toujours la bienvenue ici, et vos compagnons également, sachez-le. Vous pouvez tous repartir, je vous dirais demain par les Voolthergas si mes frères sont également prêts à vous autoriser à entrer en guerre. »

Deux heures plus tard, un étrange silence régnait dans la maison des Chiss, mais ce n'était pas le silence paisible qui y régnait d'ordinaire, le silence qui remplaçait les cris et les détonations ; c'était un silence effrayant, celui qui se substituait aux conversations aimables et aux plaisanteries lorsque plus personne n'avait le cœur à rire, celui du calme avant la tempête.
Les Chiss étaient rentrés chez eux, mais ce n'était plus chez eux, ce n'était plus l'endroit où ils vivraient désormais parmi les Hynors ; ils étaient là comme ils avaient autrefois été dans les bases Chiss, en attente, en attente avant une prochaine bataille où ils devraient à nouveau frôler la mort... Devant accepter toute une nouvelle existence au fond des océans, il ne leur avait fallu que très peu de temps pour se faire à l'idée que cette étrange maison serait désormais leur foyer ; et voilà qu'ils s'y sentaient à nouveau comme des visiteurs en transit... Ce devait être encore pire pour Valdie qui venait tout juste de reprendre conscience...
« Quelle ambiance, ne put s'empêcher de remarquer Telin après quelques minutes, assis sur ce qui tenait lieu de canapé. Vous avez tous avalé vos langues en voyant l'Ômu ou quoi ?
Même lui ne sourit pas à sa plaisanterie, comme s'il avait dit cela uniquement pour meubler le silence. Le silence... Safera serait peut-être bientôt plongée dans le silence pour l'éternité... Mais qu'est-ce que c'était que cette pensée morbide? Surtout après le nombre de batailles qu'elle avait traversé... Mais elle pensait avoir échappé à cette sombre réalité...
-On n'est pas encore morts, vous savez, tenta encore Telin, alors profitez-en si vous avez quelque chose à dire...
Wyntar, qui restait jusque-là debout, appuyé sur le canapé, l'air perdu dans ses pensées alors qu'il fixait le mur en face de lui, sembla brusquement sortir d'un long sommeil :
-Vous croyez au destin ? demanda-t-il soudain.
-Pardon ? demanda Valdie comme si Wyntar lui avait dit qu'il n'y avait pas de glaciers sur Csilla.
-Le destin, la prédestination, ce genre de trucs ? Est-ce que vous pensez qu'il pourrait y avoir une force au-dessus de nous qui gouverne nos actions ?
-C'est le moment de se poser ce genre de questions... ironisa Valdie.
-Je ne vois pas pourquoi je devrais y croire, répondit Telin. Et pourquoi tu parles de ça ?
-Parce que... Je ne sais pas, j'y réfléchis, depuis tout à l'heure... Depuis qu'on est repartis de la forêt, depuis que je sais que les Ômus peuvent vraiment communiquer par la pensée, que leur champ d'énergie existe... Depuis que je sais que nous allons peut-être pouvoir attaquer les Kryshzla...
-Tu n'es pas très clair, commenta Safera, dissimulant son intérêt derrière un simple sourire amusé.
-Je sais... Mais je veux dire... Quand on réfléchit à tout ce qui nous est arrivé depuis le début... C'est quand même plutôt bizarre, non ? C'est comme... Comme si c'était programmé. Comme si nous étions les jouets d'engrenages qui nous emmènent dans la bonne direction même si sur le moment, on a pas l'impression que ce soit la bonne... Quand Valdie a été abattue, nous voyions cela comme un malheur tragique, mais sans cela, nous ne serions pas arrivés ici ; quand les médecins Hynors ne sont pas arrivés à sauver Valdie, nous étions terriblement tristes, mais sans cela, nous ne serions pas allés demander l'aide des Ômus, et les Kryshzlas n'auraient pas eu de raison de commencer à chercher Fayg ; quand les Kryshzla ont envoyé leurs sous-marins à notre recherche, ils pensaient se protéger, mais cela va probablement nous permettre de les attaquer... C'est comme si... Comme si nous agissions comme nous le voulions, mais que quelque chose faisait en sorte que quoi que nous fassions, cela finisse par causer la perte des Kryshzla... Ou des Hynors, d'ailleurs, parce que si notre assaut échoue, je ne donne pas cher d'eux... Enfin bref, vous voyez ce que je veux dire ? Comme si nous avions été attirés ici parce que nous sommes les outils de quelque chose de plus grand qui veut que nous obtenions autre chose pour lui... Comme si tout ce qui nous arrive, bon ou mauvais, devait nous guider dans une direction précise...
Telin ricana gentiment.
-Tu penses trop... Tout cela n'a de sens que parce que tu lui en donne un, point. Les Hynors vont pouvoir entrer en guerre grâce à une suite d'évènements qui auraient tout aussi bien pu ne pas se produire, c'est tout.
Safera haussa les épaules.
-De toute façon, pour que nous puissions dire s'il y a une volonté avec un but précis qui tire les ficelles du destin, il faudrait que nous connaissions tout du passé et de l'avenir ; là, nous pourrions dire si tout ce qui nous arrive à un sens ou non... Mais ça n'arrivera pas. Ou si cela arrivait, nous serions justement au-dessus de cette mystérieuse volonté, alors...
Valdie, qui semblait jusque-là écouter avec peu d'attention, intervint brusquement, manifestement traversée par une idée soudaine :
-Ou alors, notre arrivée sur Hautemer était bien programmée pour permettre de chasser les Kryshzla, mais par quelque chose d'un peu moins général et de moins puissant qu'un destin universel...
-C'est à dire ? demanda Telin, toujours dubitatif.
-Je ne sais pas, moi, n'y a-t-il pas quelque chose sur cette planète qui est censé pouvoir influencer nos pensées et peut-être celles des Kryshzla... ? Wyntar l'a dit lui-même...
-Attends, tu veux dire que les Ômus nous auraient attirés ici pour voir comment réagiraient les Kryshzlas ? Ou juste l'un des Ômus pour forcer les autres à réagir ? comprit Wyntar, surpris.
-Je ne crois pas qu'ils aient assez de pouvoir pour nous influencer à ce point, surtout à cette distance... se risqua Safera. Et c'est assez tiré par les cheveux, on ne va pas se mettre à accuser tout le monde de notre situation...
-Qu'en savons-nous, du pouvoir réel des Ômus ? répliqua Valdie avec une vivacité et un aplomb surprenants. Nous savons ce que les Hynors savent, nous savons que les Ômus n'ont jamais communiqué avec nous à cette distance... C'est tout. Et cela ne prouve rien.
Safera se demanda ce qui prenait à Valdie... Cette paranoïa et cette agressivité ne lui ressemblaient pourtant pas...
-D'un autre côté, sans vouloir te vexer, tu ne nous a rien prouvé non plus, Valdie, argua Telin.
-Et alors ? Ce serait logique, non ?
-Génial, nous avons été soldats de l'Ascendance Chiss, nous voilà soldats des Ômus, commenta Wyntar, sarcastique. Eh, je me pose peut-être des questions inutiles, mais moi, je n'accuse personne, au moins...
-Tu trouverais ça inutile si nous étions vraiment manipulés depuis le début ? Trouverais-tu juste de mourir dans une bataille sans savoir pourquoi ? rétorqua Valdie, son ton devenant de plus en plus péremptoire.
-Valdie, arrête, ça ne tient pas debout, osa lui rappeler Safera d'une voix douce. Ce n'est pas la faute des Ômus si nous sommes coincés ici... Ou si ça l'est, de toute façon, nous sommes des combattants Chiss, c'est notre travail de détruire cette base...
-Bien sûr, et ça ne te gêne pas qu'il y ait des créatures capables de fouiller jusque dans tes pensées... Mais non, bien sûr, tu leur a même livré ta mémoire de ton plein gré, tu...
-Valdie, arrête ça tout de suite, s'il te plait, prévint Telin, reprenant sa voix de Lieutenant. Écoute, je ne sais pas ce qui te prend, mais tu es ridicule, là...
Valdie ouvrit la bouche pour protester, et Safera devina avec horreur ce qu'elle allait dire cette fois, qu'elle serait restée vivre paisiblement ici ou qu'elle serait simplement morte s'ils n'avaient pas eu l'excellente idée d'essayer de la sauver... Oui, Valdie semblait brusquement capable de faire preuve de tant de cruauté et de mauvaise foi.
Mais finalement, elle ne répondit rien ; elle referma la bouche sans rien répondre, apparemment confuse.
-Je... Laissez tomber.
Sur ce, elle sortit simplement de la pièce d'une démarche hâtée, montant l'escalier pour se diriger vers sa chambre.
-Mais qu'est-ce qui lui prend ? demanda Wyntar lorsqu'elle fut partie, stupéfait. Elle veut absolument se brouiller avec nous au cas où elle mourrait pour que nous ne la regrettions pas trop, ou quoi ?
-Aucune idée... avoua Telin. Je la connais depuis des années, on a traversé pas mal de batailles ensemble, mais c'est bien la première fois que je la vois se mettre dans un état pareil...
-On ne va pas en rester là avant une bataille, quand même !
-Écoute, si tu te sens d'aller lui parler, ne te gêne pas, hein...
-Euh, franchement... Je ne saurais pas trop quoi dire, là ; je n'ai rien compris, et je crois que... »
Safera s'engagea dans l'escalier sans chercher à en entendre davantage.

« Valdie, tu peux arrêter et me dire ce qu'il y a ? demanda Safera. Tu sais que tu peux me le dire, à moi, non ? Je ne te jugerai pas là-dessus ; tu le sais, non ? Je ne le répèterai pas non plus si tu ne le veux pas...
Malgré son cœur qui battait la chamade comme pour lui hurler que ce qu'elle faisait était pitoyable, Safera se sentait étrangement euphorique de braver ainsi sa timidité alors qu'elle se tenait face à Valdie dans sa chambre... De toute façon, elle devait faire quelque chose, cela la peinait trop de la voir dans cet état...
Encore une fois, Valdie sembla sur le point de lancer une réplique hargneuse à Safera, mais elle s'en abstint finalement et jaugea un instant Safera du regard avant de lui répondre :
-Mais je n'en sais rien, moi ! lança-t-elle d'un air désespéré. Écoute, je ne suis pas comme vous trois, je me suis réveillée depuis seulement deux jours, moi, et pour m'entendre dire que je terminerai ma vie ici au milieu de monstres marins avec des pouvoirs surnaturels ! Comment veux-tu que j'accepte ça ? Ce n'est pas votre faute, mais... Je ne sais même plus ce qui est réel, je ne sais plus rien, je suis perdue. D'habitude, j'arrive à prendre de la distance, mais là... Là, ce n'est pas possible, et c'est insupportable ! Peut-être que je dis n'importe quoi, d'accord, mais je ne suis pas en état de penser clairement !
Elle se tut un instant ; Safera ne reprit pas la parole, pressentant que Valdie n'en avait pas fini. Et en effet, elle s'assit sur le sol, suivie par Safera, et reprit :
-Je ne sais pas, j'ai besoin de chercher... Un responsable. Je ne déteste pas ce monde, mais je n'y contrôle plus rien... Alors c'est tout ce qui me reste... Ou la seule façon de donner un sens à tout cela, je ne sais pas... Je... J'étais vraiment joyeuse lorsque je me suis aperçue que j'étais toujours vivante, ne t'y trompe pas... Mais... Quand ça m'est passé... Je ne sais pas, j'ai commencé à me sentir en colère sans savoir contre qui la diriger... Ce soir... J'ai explosée. Je suis vraiment désolée pour toi et les autres, si vous saviez ce que j'allais vous dire...
-Je sais, Valdie, je sais.
-Et... tu m'en veux ? demanda Valdie avec hésitation.
Cela lui aurait paru incroyable de la part de Valdie un autre jour, mais Safera se demanda si la jeune femme en face d'elle n'allait pas pleurer ; là, elle serait horriblement gênée, incapable de savoir quoi faire...
-Tu sais bien que non, l'assura-t-elle en toute sincérité. Je préfère ça plutôt que tu gardes tout sur le cœur en faisant comme si de rien n'était...
Valdie eut un rire désabusé.
-Tu devrais parler plus souvent ; tu es vraiment gentille, quand tu veux... Moi, par contre, je... »
Safera la fit taire d'un geste et la prit dans ses bras ; elle était mal à l'aise d'étaler ainsi ses sentiments, elle ne se sentait pas faite pour cela, mais tant pis... Qu'ils vivent ou qu'ils meurent, ils devaient le faire ensemble. Ils étaient quatre, ils le resteraient aussi longtemps que possible, quatre soldats Chiss sur Hautemer unis comme les doigts de la main, la Main Bleue.

Safera aurait cru qu'elle finirait par s'habituer à l'impression d'irréalité qu'elle retrouvait presque à chaque réveil depuis son arrivée sur Hautemer, mais non, rien n'y faisait, elle se demandait toujours si elle n'était pas dans un rêve alors qu'elle et les autres Chiss sortaient de leur maison en combinaison pour aller rejoindre le Général Fayg-Jehd ; le fait qu'elle soit une fois de plus mal réveillée n'arrangeait pas les choses, bien sûr.
Elle pensait qu'elle aurait dû ressentir quelque chose de plus alors qu'elle allait probablement vers la bataille qui déciderait du destin d'Hautemer, la bataille qu'elle et ses compagnons avaient eux-mêmes provoquée... Elle aurait dû ressentir quelque chose de plus alors qu'elle allait risquer de tout perdre... Mais non, elle nageait simplement avec ses compagnons au milieu des géants noirs de Fayg et des lutins de lumière qui les parcouraient à toute vitesse... Comme dans un rêve, justement.
Au moins, elle avait réussi à arranger les choses la veille ; même si celle-ci ne l'avait pas explicitement dit, Safera sentait que cela avait fait du bien à Valdie d'expliquer ce qu'elle ressentait, et elle avait dit à Telin et Wyntar sans s'étendre sur le sujet que Valdie était simplement encore sous le choc de s'être retrouvée ici... Il était surprenant de voir que finalement, Valdie n'en disait pas plus long sur ce qu'elle ressentait que Safera, elle faisait simplement comme si tout allait bien la plupart du temps...
Safera se sentait rarement fière d'elle : c'était d'autant plus vrai que contrairement à tous les autres militaires Chiss qu'elle avait connu à commencer par Sev'rance, elle n'éprouvait jamais de fierté à avoir remporté une bataille, même lorsque celle-ci avait été difficile et entièrement légitime ; cependant, pour une fois, elle devait admettre qu'elle était fière d'avoir surmonté sa timidité pour aller parler à Valdie.
Alors qu'ils approchaient de l'endroit où les attendaient les guerriers Hynors, éclairés par les lueurs vertes et bleues de Fayg, Safera se rendit compte que ses pensées offraient un certain contraste avec la situation... La veille, elle ne se souciait de rien d'autre que de l'état d'esprit de Valdie alors qu'aujourd'hui, ils allaient affronter une bataille extrêmement dangereuse... Mais pour Safera, cela avait de l'importance.
« Nous voilà, Général. » annonça sobrement Telin.
Comme prévu, Varulg les attendait en périphérie de Fayg avec une partie des forces Hynors et le sous-marin Kryshzla. Safera se demanda comment les Hynors avaient pu le remettre en marche ; avaient-ils emporté avec eux du matériel Kryshzla ou en avaient-ils complètement modifié le fonctionnement grâce à leur étrange technologie ? En s'approchant un peu, elle vit que le docteur Iblir et Sev'unt'alani étaient également présents.
« Très bien... Pas de surprise, les Ômus ont accepté notre entrée en guerre, tout se passe donc comme prévu... Ah, un détail...
Sur un geste de Varulg, les guerriers Hynors amenèrent à proximité un individu aux mains liées dans le dos qui n'était autre que le prisonnier Kryshzla, Aunf Voorth, si les souvenirs de Safera étaient bons...
-Les Ômus nous l'ont rendu, reprit Varulg, et nous avons pensé qu'il pourrait vous faire gagner du temps, puisqu'il parle Kryshzla... Je ne sais pas ce que lui ont dit les Ômus, mais ils nous assuré qu'il coopérerait...
Safera était heureuse de savoir le prisonnier Kryshzla en vie, elle s'était demandé ce que lui feraient les Ômus en découvrant un être si radicalement opposé à leur pacifisme...
-D'accord, mais comment saurons-nous qu'il est en train de nous ouvrir des portes et pas de prévenir ses amis que nous sommes des Chiss ? demanda Telin.
-Ça fait partie des risques... J'imagine que les Ômus l'ont menacé, lui ont dit que nous l'emporterions de toute façon et qu'il n'avait donc rien à remporter en essayant de vous freiner, sinon la mort...
-Connaissant la mentalité des Kryshzla, ça m'étonnerait qu'il prenne le risque de se faire tuer pour nous ralentir, commenta Telin, méprisant.
-De toute façon, c'est ça ou nous sommes grillés dès que les Kryshzla nous demandent quelque chose, alors... rappela Valdie.
-À propos, vous pouvez communiquer, maintenant, nous avons équipé son casque comme vos combinaisons ; ceci dit, il n'est pas plus causant pour autant... Et il ne vous comprendra pas si vous ne lui parlez pas en Sy Bisti, bien sûr.
-Bon... Vos guerriers nous rejoignent dans la base Kryshzla une fois que nous aurons les Voolthergas, c'est ça ? s'assura Telin. Enfin, une fois que vous en aurez fini avec les cités Hynors, du moins...
-Exactement.
-Nous avons mis au point ensemble nos plans pour reprendre les cités Hynors occupées pendant que vous vous occuperez des Voolthergas, expliqua Sev'unt'alani. Je connais les méthodes des Kryshzla, et le Général connait les cités Hynors... Nous espérons renverser à nous deux l'avantage technologique des Kryshzla.
-Dans le cas contraire, le gouvernement va de toute façon faire évacuer Fayg, ajouta Iblir. Les Kryshzla doivent avoir une idée de la zone où ils ont perdu contact avec leur sous-marin éclaireur, et nous ne pouvons pas prendre le risque d'être repérés si vous échouez ; nous ne reviendrons qu'une fois la victoire obtenue.
-Parfait... répondit simplement Telin, qui ne semblait pas savoir quoi dire exactement. Que se passera-t-il si vous réussissez à reprendre les cités Hynors mais que nous échouons pour les Voolthergas ?
-Dans ce cas, nous allons avoir un sérieux problème, parce qu'il faudra évacuer les cités Hynors le plus vite possible... affirma Iblir.
-Les armes des Kryshzla sont à bord du sous-marin, j'imagine ?
-Tout à fait, confirma Varulg. Je ne sais pas si les commandes du sous-marin ressemblent à celles d'un vaisseau spatial, mais nous vous avons laissé des indications pour vous aider à le manœuvrer. Les Kryshzla ont des cartes de la région dans leur Voo... leur ordinateur de bord, qui devrait vous permettre de localiser leur base. Bien, il ne nous reste plus qu'à vous souhaiter bonne chance... Quoi qu'il arrive, connaissez, euh, sachez, que nous n'oublierons pas votre courage.
-Nous n'oublierons pas votre aide et votre hospitalité non plus, assura Telin. Quoi qu'il nous arrive, nous espérons que vous reprendrez aux Kryshzla ce qui vous revient... À bientôt, j'espère. Bon... Je passe le premier, indiqua-t-il aux autres Chiss. Ensuite, faites entrer le prisonnier et suivez...»
Iblir, Varulg et Vuntal saluèrent les anciens pilotes Chiss avant de partir avec leur escorte rejoindre le reste des forces Hynors, ou peut-être préparer l'évacuation, dans le cas d'Iblir. Safera entra à la suite de Telin et d'Aunf Voorth ; les Hynors avaient manifestement réparé la coque du sous-marin avec ce qu'ils avaient sous la main, mais les Kryshzla ne s'apercevraient vraisemblablement de rien s'ils ne s'approchaient pas trop.
Une fois qu'elle eut retiré son casque pour respirer à nouveau de l'air, Safera ne put s'empêcher d'éprouver une impression sinistre en pénétrant dans le sous-marin... Encore une fois, elle ressentait dans les entrailles de ce prédateur de métal le contraste avec le monde plein de vie des profondeurs qu'elle venait de quitter, mais il n'y avait pas que cela ; les corps n'étaient plus là, mais en-dehors de cela, le sous-marin éclaireur était exactement tel qu'elle l'avait quitté après le massacre, elle n'arrivait pas à se défaire de l'idée qu'un ennemi l'attendait quelque part là-dedans, et les murs étaient encore tâchés de sang aux endroits où les Chiss avaient dû affronter leurs adversaires avec les lames Hynors...
Laissant cela de côté, elle s'engagea dans les coursives vers le poste de commandement, Wyntar sur ses talons ; Telin l'attendait, un fusil Kryshzla braqué sur Voorth, lequel avait de toute façon les mains liées.
« Les commandes de direction sont assez semblables à celles d'un vaisseau spatial, apparemment... Tu veux bien t'occuper de la sphère que nous ont laissée les Hynors, voir s'il y a autre chose ?
-J'y vais, répondit Safera tandis que Valdie et Wyntar entraient à leur tour.
Elle s'aperçut qu'elle s'était vaguement attendue à des notes écrites, elle savait pourtant que les Hynors n'en faisaient pas usage... La perle de lumière verte qui attendait paisiblement sur les consoles devait être une sorte de périphérique éjectable du réseau des Voolthergas... Safera la saisit et ouvrit sa conscience aux pensées contenues dans la perle verdoyante, fermant les yeux pour mieux se concentrer ; oui... Elle sentit l'autre dans son esprit, attendant sagement que quelqu'un lui demande ce qu'elle savait... Des images lui vinrent à l'esprit, des idées, des impressions de ce qu'il se passait lorsque l'on enclenchait telle commande... Elle s'arrêta un instant pour faire le tri, espérant avoir bien compris, puis rouvrit les yeux.
-C'est bon, ça n'a pas l'air trop compliqué... La jauge de carburant est là... On coupe l'alimentation des moteurs ou on l'enclenche avec ça... Il ne faut pas toucher au bouton jaune, là, je n'ai pas compris à quoi il servait exactement, mais je crois que nous n'apprécierions pas les effets... On a des cartes des régions explorées sur l'écran de gauche, à régler avec le bouton sur la droite.
-Euh... Ouais. Écoute, installe-toi à côté de moi... Tant que j'y suis... (Telin se retourna vers le Kryshzla assis derrière lui sous la surveillance de Wyntar) Il y a quelque chose que nous devrions savoir sur ce sous-marin ? demanda-t-il en Sy Bisti. Parce que s'il y a une bombe avec nous, vous sauterez avec, hein...
-Non, rien d'autre, dit le Kryshzla. D'autres modèles se verrouillent et explosent si on entre pas le bon mot de passe... Mais ceux-là, il faut que nous puissions nous en servir rapidement, d'après le Haut Commandement, alors il n'y a pas ce genre de sécurités.
-J'espère... Tu m'as dit cette manette-là, Safera ? Alors on y va...
Lentement, comme à contrecœur, le sous-marin commença à s'élever dans l'eau, se mettant peu à peu au niveau des géants noirs de Fayg ; Safera enclencha une autre manette et le vaisseau s'avança lentement vers les eaux noires, s'éloignant de la cité des Hynors...
-Je me demande si nous reviendrons, dit Wyntar d'un ton sinistre.
-Je ne sais pas, admit Telin, mais c'est un nouveau tournant dans notre vie à tous, en tout cas... Et franchement, ça m'étonnerait que nous nous en sortions tous vivants, cette fois... Quoi qu'il en soit, vous avez tous été formidables. Vraiment.
-Ne parle pas comme ça, on dirait que nous sommes déjà morts, remarqua Safera en frissonnant.
-Peut-être pas, mais en tout cas, ce qui est sûr, c'est que les choses ne seront plus jamais comme avant, pas après cela... Ce sera la fin de notre aventure ici, d'une façon ou d'une autre, parce que si nous survivons, nous devront choisir une fois pour toutes entre ce monde-ci et celui de la surface...
-Avec un peu de chance, les Kryshzla nous épargneront ce choix difficile, ironisa Valdie, sans parvenir à tromper Safera sur son véritable état d'esprit, toutefois.
Voyant que personne ne répondait, elle reprit :
-Allez, on s'en est bien sorti contre l'équipage de tout ce sous-marin, non ?
-Oui, mais là, on va se retrouver paumés au milieu de toute une base ennemie à chercher ces fameuses Voolthergas, rappela Wyntar. Je suppose que personne ne sait lire le Kryshzla ici ?
-Non, ça ne sert pas trop quand on est pilote de chasse, en principe, répliqua Telin. Même pilote de l'escadron Main Bleue... Le commandant n'est jamais là quand on a besoin de lui...
Safera haussa les épaules.
-De toute façon, vu le nombre de choses qui nous sont arrivées depuis que nous sommes entrés dans ce système, nous avons déjà une chance incroyable d'être en vie... Je me suis préparée à mourir dès l'instant où j'ai plongée pour sauver Valdie ; ce n'est pas parce que nous sommes dans un autre monde que c'est différent...
-Oui... admit Wyntar. Mais bon, j'aurais bien aimé avoir le temps de faire certaines choses avant de me retrouver embarqué dans ma dernière mission, et je trouve ça assez énervant de penser que nous allons probablement mourir si près de pouvoir retourner dans le monde des êtres de la surface, quoi... »
Safera hocha simplement la tête, elle comprenait très bien. Les Chiss se turent, faisant progresser en silence le sous-marin, perdus dans leurs pensées ; Safera n'essaya même pas d'échapper à la seule qui lui faisait vraiment mal... Sev'rance.
Comme elle venait de le dire, elle était déjà morte d'une certaine façon, parce que c'était déjà un miracle qu'elle soit encore en vie après toutes les folies dans lesquelles elle s'était lancée, parce qu'on ne s'engageait pas dans la flotte Chiss sans accepter l'idée qu'on allait peut-être y laisser la vie, bref, parce qu'elle se sentait condamnée ; ainsi, l'idée qu'elle allait mourir maintenant ne lui faisait plus si peur, ça devait arriver, c'était tout... Et pourtant... Safera s'imagina un instant revoir une dernière fois Sev'rance avant de mourir pour lui reparler, lui raconter toutes les choses incroyables qu'elle avait vécues ici, la prendre dans ses bras et l'embrasser, la toucher le plus intimement possible, lui expliquer pourquoi elle devait mourir, lui dire d'essayer d'être heureuse sans elle, surtout, car Safera craignait vraiment que Sev'rance ne recommence à vivre uniquement pour ses combats sans son amour ; vu comme cela, elle avait vraiment peur de mourir maintenant... Certes, à chaque fois qu'elle avait vu Sev'rance, à chaque fois qu'elle l'avait embrassée, à chaque fois qu'elle avait parlé avec elle, à chaque fois même qu'elle s'était glissée contre elle, elle avait su que ce serait peut-être la dernière ; mais cela n'empêchait pas son cœur de se glacer à la pensée qu'elle ne vivrait plus jamais rien de tout cela si elle mourrait...
C'était idiot, elle s'était promise d'accepter une fois pour toutes l'idée qu'elle ne reverrait pas Sev'rance pour ne pas devenir folle, prisonnière à Fayg ; ça avait très bien marché jusque-là, elle s'était plu à Fayg malgré tout... Mais jusque-là, bien sûr, les Ômus n'avaient pas autorisé les Hynors à entrer en guerre ; jusque-là, elle n'avait aucune chance de revoir Sev'rance dans cette vie...
Bon, qu'importait, cela lui donnait simplement une excellente raison de vouloir survivre à cette bataille...
Mais il ne suffisait pas toujours de vouloir.
<< Page précédente
Page suivante >>