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Chapitre 20. Mémoires
 
Les sabrolasers s’entrechoquèrent, heurts violents suscitant des geysers d’étincelles. Les deux duellistes étaient passés à la vitesse supérieure et s’écharnaient à percer les défenses de l’adversaire. Chacun portait des coups d’une précision redoutable. Et chacun les parait, avec une agilité non moins redoutable.

L’un des duellistes était un homme aux cheveux argentés, très âgé d’apparence, mais d’apparence seulement. De grande taille, vêtu d’une élégante tunique noire surmontée d’une cape de même couleur, il parvenait à en imposer par son maintien indéniablement aristocratique que le combat n’altérait point. Son visage en lame de couteau, épuré par les ans, était percé de deux yeux vifs dénotant une intelligence supérieure à la moyenne. Sa gestuelle était celle du Chevalier Jedi expérimenté, mais matinée de cette grâce surannée et archaïque propre à l’élite des temps anciens.

Son adversaire était aussi grand que lui, quoique bien plus jeune, peut-être la vingtaine. Sa tenue noire n’était certes pas aussi recherchée que celle de l’autre combattant, lui-même était loin de posséder une élégance comparable, mais son adresse, son endurance, son habileté, son intelligence n’avaient rien à lui envier. Petite particularité, tout de même : son bras droit était robotisé.

Nouveau choc des lasers – terrible. Les deux rompirent le combat, s’éloignèrent l’un de l’autre, restant face à face. Ils tournaient à présent lentement en cercle, planifiant, l’un une attaque, l’autre une défense qui déboucherait sur un contre. Au loin, un sinistre personnage revêtu d’une toge sombre, le visage couvert d’un capuchon qui lui donnait l’aspect d’un vieux sorcier des légendes noires, se contentait d’émettre des ricanements, attendant l’issue finale de l’affrontement avec une délectation de prédateur…

- Mes félicitations, mon garçon ! savoura le Jedi âgé. Tu as fait des progrès depuis notre dernière rencontre…

L’autre se contenta d’afficher un sourire mauvais. Politesse de la jeunesse…

Le jeune Jedi passa à l’attaque, exécutant une pirouette qui lui permit de fondre sur son adversaire. Ce dernier dut reculer, et fut bientôt pris sous un matraquage de sabrolaser, coups qui déferlèrent de tous les côtés. Il recula de plus en plus, manifestement dépassé par la situation, avant de répliquer par une décharge d’énergie qui repoussa l’agresseur. Mais le jeune Jedi, visiblement, avait réussi à endurer la souffrance engendrée par ces éclairs de Force et repartit à l’attaque immédiatement. Ses traits étaient déformés par la rage et la haine. Et apparemment, cette rage, cette haine renforçaient sa puissance de seconde en seconde…

Pour la première fois, l’on put lire certaine inquiétude sur le visage de son adversaire.

Kutchann réduisit le son produit par l’holo-film et, pensif, se tourna vers le colonel Wetzel, qui venait d’entrer dans son bureau.

- Fascinant, n’est-ce pas ?

Wetzel parut hésitant. Il ne comprenait pas l’intérêt que le patron portait à ces enregistrements de combats entre Jedi – et de manière générale, ne comprenait pas l’intérêt que le patron portait aux Jedi, leurs caractéristiques, leurs aptitudes, leur histoire. Wetzel, lui, rejetait en bloc ces croyances d’un autre âge. Les Jedi, cette vermine qui avait asservi la galaxie, avaient tous disparu – sauf un, qui finirait bien par se faire avoir. Leurs prétendus pouvoirs n’existaient que dans l’imagination des esprits faibles. Certes, l’Empereur ou le Seigneur Vador avaient fait la preuve de leurs pouvoirs extraordinaires. Mais l’Empereur était l’Empereur, et Vador avait été le disciple personnel de l’Empereur…

- Il s’agit là de l’une des deux versions d’un enregistrement effectué voici vingt-quatre ans, relata Kutchann, une pointe de nostalgie dans la voix. L’un des plus beaux combats ayant opposé deux Jedi, l’un des plus décisifs, aussi.
- Bien sûr, dit Wetzel sans conviction.

Mais Kutchann souhaitait, de toute évidence, lui tenir une conférence…

- Le Jedi le plus âgé était le Comte Dooku, l’élève personnel du célèbre Maître Yoda, expliqua-t-il d’un ton docte.
- Dooku ? L’homme qui a mené les mouvements séparatistes lors de la Guerre des Clones ?
- Oui. Un agent de l’Empereur, en réalité, qui se faisait appeler Dark Tyrannus.

Un… agent de l’Empereur ?! Wetzel fit un violent effort sur lui-même pour ne pas laisser éclater sa surprise. L’Empereur avait proclamé l’Empire grâce à la Guerre des Clones, qui lui avait apporté la légitimité requise. Et c’était lui qui l’avait fait déclencher ?

- Ne faites pas comme si vous découvriez les faits, colonel, le tança Kutchann. Auquel cas vous risqueriez fortement de me décevoir.
- Et qui est l’homme que Dooku affronte, mon général ? demanda Wetzel, qui avait préféré changer de sujet.
- Anakin Skywalker.

Skywalker ? Wetzel fronça les sourcils. Un autre Skywalker ? Il y a plus de vingt ans ?

- Anakin Skywalker, à l’issue de ce combat, a cessé d’exister pour devenir le fameux Dark Vador.

Dark Vador se faisait appeler Skywalker ? Mais alors…

- Je… ne comprends pas, avoua piteusement Wetzel.
- C’est pourtant très simple, répondit le général. Ce à quoi vous assistez n’est rien d’autre qu’une technique éprouvée des Seigneurs noirs de Sith destinée à attirer un Jedi compétent au sein de ce qu’ils appellent le Côté obscur de la Force.
- En somme, cette… technique permet aux Sith de rallier à eux un Jedi ?
- Vous comprenez vite, sourit Kutchann, ce qui eut le don de soulager Wetzel. Avant de devenir Dark Vador, Anakin Skywalker était un partisan relativement loyal de la République. Une fois que l’Empereur l’a gagné à son service, il s’est avéré l’un des plus fidèles soutiens de l’Empire. Et ce soutien a été acquis grâce à ce combat.

Sur l’holo-film, Anakin Skywalker commençait à l’emporter sur Dark Tyrannus. Ce dernier savait parer et contrer toutes les attaques du jeune Chevalier, mais, de toute évidence, y rencontrait beaucoup plus de difficultés qu’au début du combat…

Le bourdonnement des sabrolasers résonnait désagréablement aux oreilles de Wetzel. Kutchann semblait l’apprécier.

- Voyez-vous, l’Empereur a organisé ce duel entre Dark Tyrannus et ce Skywalker pour pousser ce dernier à rejoindre le Côté obscur, dit-il. D’après leurs coutumes, les Jedi devaient faire primer la Raison sur tout le reste, mettre de côté leur ambition, leurs mauvais penchants, préférer la paix à la guerre, la négociation à l’usage de la Force. En bref, être responsables.
- Ou mous, ajouta Wetzel, ce qui fit rire Kutchann.
- C’est une façon de voir les choses. Ce mode de vie leur permettait de ne pas sombrer dans le Côté obscur, ce qu’ils appelaient, selon leur mythologie, le Mal absolu. Le Côté obscur présente des attraits, offre des facilités. C’est le lieu où se déchaînent les haines et les ambitions, les rancoeurs et les passions. Selon les adeptes du Côté obscur, la Raison bloque, et la Passion stimule. Un Jedi qui choisit de se fondre dans le Côté obscur n’en acquiert que davantage de puissance et de pouvoir. Certains y ont succombé. D’autres ont mis au point des méthodes devant apporter quantité d’autres Jedi en offrande à cette variante sombre de la Force… L’une de ces méthodes est celle que l’Empereur a utilisée dans le cas présent. Obliger un jeune Jedi à servir le Côté obscur pour mieux terrasser son adversaire.

Wetzel était déjà las de ce petit exposé sur ces histoires à dormir debout. Que Kutchann s’y intéressât, y adhérât même, dépassait l’entendement. Mais chaque génie avait son hobby…

Sur l’holo-film, Anakin Skywalker avait accru sa vitesse et la puissance tant de ses coups que de ses gestes. L’autre perdait du terrain.

- Un jour, peut-être, vous reparlerai-je du Triangle de la Subversion, colonel… Mais vous vous doutez bien que je ne vous ai pas fait venir pour vous dispenser un séminaire sur les techniques de combat des Seigneurs Sith.

Wetzel serra les poings. Bien sûr, qu’il n’avait pas été invité pour ça.

- J’ai pu voir, fit Kutchann en consultant un databloc situé devant lui, sur sa table de travail, juste à côté de l’holo-écran, j’ai pu voir que vous aviez personnellement participé à une rafle opérée dans les bas-fonds de Coruscant…

A ces mots, les cellules cérébrales de Wetzel s’étaient mises en alerte rouge. Stade ultime. Kutchann décocha sa flèche :

- Avez-vous arrêté ce… Lando Calrissian ?

Wetzel sentit ses poumons se vider. Mais trouva le moyen de formuler une réponse – cette réponse qu’il travaillait sans discontinuer depuis des heures :

- Les hommes que j’ai réquisitionnés ont échoué. Calrissian s’est enfui en air-speeder avec l’aide d’un complice, vers l’Invisec. Les forces de police ont entamé une course-poursuite. Des coups de feu ont été échangés, nous avons perdu quelques hommes. Mais leur véhicule a été abattu en plein vol. Il s’est écrasé au milieu d’un hangar de l’Invisec.
- En effet, tout ceci n’a guère brillé par sa discrétion. Et ?

Le colonel, tout à coup, hésita.

- Le… Le speeder de Calrissian a été retrouvé, dans un sale état, au milieu du hangar.
- Certes. Et après ?

Nouvelle hésitation de Wetzel. Les images de l’holo-film montraient le Comte Dooku à terre, s’abritant derrière son sabro-laser face à la furie de Skywalker.

- Où sont les corps ? insista doucereusement Kutchann.
- Le speeder était vide, reconnut Wetzel.

Et c’était vrai. Il l’avait personnellement vérifié.

- Très bien, dit Kutchann. Maintenant, passons à l’essentiel. Pourquoi, d’abord, avez-vous tenu à arrêter cet homme ? Ensuite, pourquoi ne pas m’avoir tenu informé ?

Wetzel, là encore, avait bossé sa réponse. Il s’agissait maintenant de la mettre à l’épreuve. Les frappes de Skywalker, sur l’holo-écran, furent de plus en plus violentes…

- Lando Calrissian est un espion rebelle, vraisemblablement présent sur Coruscant dans l’intention de fomenter des troubles. Qui plus est, j’ai pu apprendre qu’il avait personnellement dirigé le raid contre l’Etoile noire. Mettre la main sur lui n’aurait pu que consolider la position de l’Ubiqtorate sur l’échiquier politique.
- Je vois. Et naturellement, vous avez voulu obtenir la gloire de cette arrestation, n’est-ce pas ?

Wetzel ne répondit rien, se contentant de se tenir plus droit que jamais. Kutchann poussa un soupir.

- L’ambition vous mènera loin, se contenta-t-il d’énoncer. Mais prenez garde, colonel, à tomber sur plus fort que vous.
- Je suis à vos ordres, mon général.
- Je n’en doute pas, émit Kutchann à voix basse.

Le regard du général plongea dans celui de Wetzel. Ce dernier en fut indisposé.

- Je vous laisse Calrissian, annonça Kutchann après un silence. Trouvez-le, et amenez-le moi vivant.
- Vivant ? protesta Wetzel. Mais…
- Je connais ce type d’homme, colonel. Calrissian est un ancien contrebandier, qui maîtrise très bien cette planète. Ce n’est pas n’importe qui. Je doute que les Rebelles l’aient envoyé pour accomplir une banale mission d’agitateur. Non, il y a autre chose.
- A quoi pensez-vous ? murmura Wetzel, qui savait déjà ce que Kutchann allait répondre.

Le regard du général semblait le fouiller au plus profond de son âme.

- Quelque chose en rapport avec ce fameux document disparu des archives, colonel… dit-il rêveusement. Le Document de Caamas…
- Vous… vous pensez qu’il est là pour le récupérer ? Qu’il a une idée de l’endroit où le Document se trouve ?

Le ton de Wetzel était cette fois surpris – une surprise feinte, en fait… Sur l’holo-film, Dooku tenta de se relever – sans succès…

Le regard de Kutchann se fit sévère.

- A vous de voir, colonel… Et surtout, n’oubliez pas. Je le veux vivant.
- A vos ordres, obéit Wetzel en claquant les talons.
- Allez…

Il se retira, non sans jeter un dernier coup d’œil à l’holo-film. Anakin Skywalker venait de brandir son sabre et l’abattit d’un coup sec et précis sur Dark Tyrannus, qui gisait au sol, déjà vaincu. Son corps fut pris d’un spasme et s’effondra. Skywalker contemplait sa victime, haletant, comme ivre de sa propre puissance. Au loin, l’Empereur riait.

Et puis, plus rien. Kutchann avait mis fin à la projection.

Wetzel sortit, se demandant comment il allait se dépêtrer de cette situation impossible… L’absence de Nora ne lui facilitait pas la tâche. Mais que pouvait-elle bien faire ?

Bon, d’abord, le travail – la vie privée, on verrait ensuite. Et ce travail, c’était de retrouver ce minable espion rebelle qui risquait de faire capoter tout l’accord avec les Bothans.



* * *






- Le règlement définitif de la question Naboo progresse à vive allure, lut le capitaine de l’Epouvante sur sa console. Et d’après le Renseignement, toujours aucun signe d’un quelconque mouvement de la Flotte rebelle.

Assis dans son fauteuil à répulseur, le regard vide perdu dans l’infini de l’espace qui se dessinait par delà la baie vitrée en transpacier du destroyer interstellaire, le Grand Amiral Takel se contenta d’hocher la tête. Depuis quelques jours qu’il était ici, et ses destroyers n’avaient fait qu’ouvrir le feu sur des zones urbaines de Naboo. Le moral des équipages ne s’en ressentait pas, mais Takel décelait chez le personnel navigant de l’Epouvante certaine impatience… Voire même du découragement.

Le capitaine se tourna vers lui, et, la voix hésitante, murmura :

- Croyez-vous… Croyez-vous que les Rebelles attaqueront ?

Les yeux gris du Grand Amiral pivotèrent vers l’officier.

- Bien sûr, capitaine, répondit-il, sur un ton plein d’assurance. Cette planète meurt. Et la Rébellion ne tenterait rien ? Absurde.
- Mais ils pourront se douter qu’il s’agit d’un piège…
- Ils savent que c’est un piège, répliqua Takel. Ma présence à la tête de cette force de couverture, moi, un Grand Amiral, pourrait suffire à les convaincre. Et cependant, ils interviendront. Les bons sentiments ont leur propre logique que la logique ignore. La politique, aussi. La retransmission de nos actions spéciales sur Naboo convainc chaque jour davantage de monde que l’Empire n’est pas encore prêt à se rendre et que pour chaque coup porté, dix coups seront rendus, civils inclus. Les Rebelles ne peuvent pas laisser une telle idée se répandre.

Le capitaine, comme encouragé, se le tint pour dit et retourna à sa console, alors qu’un jeune officier faisait irruption sur la passerelle, la démarche raide.

- Excellence, le major Fel vient d’arriver.
- Ah, sourit le Grand Amiral en se levant de son siège. Amenez-le moi ici.
- A vos ordres.

Le jeune officier claqua les talons et fit demi-tour en une parfaite gestuelle militaire. Takel, dos à l’espace, avait daigné se lever pour un pilote impérial…Un pilote impérial ! Non, Fel n’est pas n’importe quel pilote impérial…

L’officier revint au bout de quelques secondes, suivi d’un homme de grande taille en uniforme de major de la chasse stellaire. Ils saluèrent le Grand Amiral, puis le jeune officier s’éclipsa, les laissant seuls face à face.

- Major Soontir Fel, 181e groupe de chasse, à vos ordres, Excellence ! se présenta l’homme, la voix rauque.
- Rompez, major.

Même lorsqu’il n’était pas au garde-à-vous, constata le Grand Amiral non sans amusement, Soontir Fel conservait une allure à proprement parler « militaire ». Physiquement, il était l’archétype de l’homme nouveau que vantaient tous les adeptes de « l’humanisme galactique », cette doctrine scientifique promue par l’Empereur lui-même et faisant des humains la race supérieure de l’Univers. Grand, le visage carré, les cheveux noirs coupés court, le regard clair et vif fixant l’horizon, le corps bâti comme un roc, tout respirait en lui le mythe du surhomme impérial. La rectitude martiale de son maintien parvenait à en imposer même à des officiers supérieurs.

- Major Soontir Fel… répéta Takel à la manière d’un guide gastronomique. Surnommé le « Baron » en raison de ses désormais très nombreux exploits de pilote de chasse. La dernière fois que nous nous sommes vus, c’était à Coruscant, il y a quelques années. Vous veniez de reconquérir Ord Biniir et vous aviez été promu major. J’étais à cette cérémonie, en compagnie de cette si fameuse actrice, Wynssa Starflare. Je me prends à penser que si je ne l’avais pas fait inviter, vous n’auriez jamais pu l’épouser par la suite… Vous en souvenez-vous ?
- Oui, Excellence, répondit Fel froidement.

Takel marqua une pause et poussa un soupir.

- Quel dommage que votre victoire soit survenue le jour même où nous perdions notre Etoile noire à Yavin… Enfin, je suppose que c’était un signe avant-coureur des événements à venir. L’Empereur aurait du réaliser que sans les militaires, il ne parviendrait jamais à écraser les Rebelles. L’Etoile noire devait lui permettre de s’affranchir de la Flotte. Yavin lui a démontré que cet engin était davantage un joujou qu’une arme de guerre, tandis que votre victoire, Major Fel, aurait pu lui rappeler cette évidence : la guerre est une affaire trop importante pour ne pas être confiée à des militaires. N’êtes-vous pas de mon avis ?
- Je… ne suis pas sûr de vouloir m’intéresser aux subtilités de la politique, Excellence, déclara Fel, un soupçon d’embarras dans la voix.

Les lèvres du Grand Amiral se plissèrent en un sourire chaleureux.

- Evidemment, major. Vous êtes un soldat. « Mon honneur, c’est ma loyauté ».

Il lui fit signe de la main.

- Approchez… Oui, approchez…

Fel s’avança, Takel lui laissant sa place, devant la baie vitrée. La main gantée de noir du Grand Amiral désigna l’astre bleuâtre parsemé de couches nuageuses qui se profilait devant eux, à bâbord.

- Observez cette planète, major Fel. Regardez-là, sentez-là, goûtez-la. Ne ressentez-vous pas de l’émerveillement face à une telle beauté naturelle ? Au fond de vous même, n’êtes-vous pas transporté de joie à l’idée de pouvoir admirer pareille splendeur ?

Les yeux du major fixèrent intensément ce monde appelé Naboo. Puis se tournèrent vers Takel.

- Je ne vois pas où Son Excellence veut en venir, énonça-il sans varier le ton.
- Si, vous le voyez, le contra Takel. Cette œuvre d’art que vous contemplez, nous la saignons, nous la brûlons, nous la torturons. Bientôt, elle sera rayée de la carte, pour toujours. Nos troupes au sol massacrent continuellement les peuples de Naboo, rasent les villes et les villages… Je sais que nombreux sont ceux qui, tant chez l’armée de terre qu’au sein de la Flotte, sont écoeurés par ces exterminations de masse. Et je sais que vous faites partie de ces protestataires.

Fel se raidit, comme prêt à encaisser le choc imminent qui allait venir. Takel ne le regardait pas. Ses yeux restaient happés par l’image de Naboo.

- Je ne demande pas votre démission, encore moins votre mutation, déclara-t-il. Certainement pas. Vos problèmes de conscience ne me regardent en rien, du moins tant qu’ils n’interfèrent pas avec votre serment de fidélité à l’Empire. Néanmoins, vous vous doutez que je n’ai pas demandé votre rattachement à mon escadre dans l’intention de vous envoyer mitrailler des colonnes de réfugiés avec votre TIE. Vous valez beaucoup mieux que ça.
- Son Excellence me flatte, dit Soontir Fel en courbant la tête.
- Les Rebelles vont nous attaquer, annonça brutalement Takel en se tournant vers le major.
- Nous… attaquer, Excellence ? répliqua Fel, surpris.

Le ton de Takel se durcit.

- Effectivement. Ce génocide qui vous trouble n’est qu’un piège, un piège qui vise à faire intervenir les forces de l’Alliance. Puisque notre escadre est assez importante, six destroyers Imperator, les Rebelles devront envoyer le gros de leur Flotte, dont les survivants d’Endor, notamment. Quant à nous, nous les laisserons venir. Nous leur résisterons, par n’importe quel moyen. Et alors interviendra une autre escadre impériale, autrement plus puissante, qui annihilera l’agresseur.
- Tel est le plan ?

Takel tiqua. Fel ne l’avait pas appelé « Excellence »…

- Oui, major. Tel est le plan. Ce n’est pas la guerre qui prend en compte le facteur politique, mais la politique qui fait de la guerre un instrument. Un jour, peut-être, comprendrez-vous…

Le Grand Amiral s’éclaircit la voix.

- Les Rebelles sont des cœurs tendres doublés d’hypocrites. Moralement, ils ne peuvent laisser l’Empire détruire ce joyau qu’est Naboo. Politiquement, ils en seraient discrédités. Ils interviendront. Il est dans leur nature d’intervenir pour des causes lamentables. Ils nous attaqueront, et c’est pourquoi vous êtes ici. Car vous êtes le meilleur pilote de l’Empire. Et vous êtes l’un des piliers de notre stratégie. Vous et vos chasseurs auront sans doute à affronter un ennemi supérieur en nombre. Mais je sais que vous parviendrez à lui tenir tête en attendant les renforts.
- Je ne serai pas seul, Excellence. Mes pilotes seront présents.
- Certes, major. Mais la meilleure armée de l’Univers ne vaut rien sans un véritable chef à sa tête. Et vous êtes ce chef. Ne le niez pas.
- A vos ordres, Excellence.
- Dans quatre heures, je réunirai les chefs d’escadrilles de chasse de l’escadre pour leur révéler la véritable nature de l’opération. J’ai tenu à vous informer plus tôt. Ne considérez cependant pas ce geste comme une faveur personnelle. Prenez vos dispositions en vue d’une manœuvre de fixation de la chasse ennemie.
- Nous tiendrons jusqu’à ce qu’on nous relève, sourit le major, sans que le Grand Amiral pût savoir s’il s’agissait d’une remarque empreinte de courage ou d’ironie.

La main de Takel se posa sur l’épaule du Baron Fel.

- Le sort de l’Empire est entre nos mains, lui dit-il d’une voix sourde, inhabituelle. Chaque homme devra accomplir son devoir.

Soontir Fel se contenta de répondre par un hochement de tête sinistre.

La main de Takel quitta son épaule. Et l’homme en uniforme blanc redevint le Grand Amiral.

- Vous pouvez disposer, major.
- A vos ordres, Excellence ! s’écria Fel en se figeant au garde-à-vous.

Le major salua et se retira au pas cadencé, laissant Takel à ses rêveries. Le Grand Amiral le regarda s’éloigner puis se rassit sur son fauteuil à répulseur…

Croyez-vous… Croyez-vous que les Rebelles attaqueront ?

Oui, les Rebelles attaqueraient. Peu importait comment, peu importait quand : ils attaqueraient. Et lui, Takel, résisterait, avec ses six destroyers – ce qui était amplement suffisant. Puis les quinze destroyers de l’amiral Hiffrig surgiraient de l’hyperespace et anéantiraient le gros de l’ennemi. Une bonne partie d’entre eux avait déjà quitté Coruscant, dans le plus grand secret, ayant été remplacés par quelques vieux croiseurs que l’on avait maquillés avec un soin extrême pour parfaire la substitution… Ces croiseurs modifiés avaient déjà été utilisés avec succès pour des missions d’intoxication similaires – l’illusion était parfaite. Il suffisait d’enrober le tout sous une avalanche de messages radio afin de maintenir les apparences, d’y ajouter quelques détails crédibles genre rapport sur une crise alimentaire frappant l’équipage des batteries 1-4 et 2-7, et le tour était joué. C’était si simple, en fait. Il suffisait de faire travailler l’imagination.

Et pendant ce temps-là, les vaisseaux de l’amiral Hiffrig se positionnaient non loin d’ici, à l’abri d’astéroïdes, de comètes ou de planètes isolées. Ces destoyers étaient suffisamment éloignés pour ne pas être repérés par les Rebelles et suffisamment proches pour intervenir au bon moment. Et ils interviendraient au bon moment, ils avaient été formés pour ça.

Tel était le plan.

L’affaire promettait d’être intéressante. Mais le Grand Amiral avait réservé une petite surprise aux Rebelles… Ces derniers, à n’en pas douter, flaireraient un piège, et s’armeraient en conséquence. Avec Ackbar à leur tête, ils pouvaient recourir à une stratégie efficace – suffisamment efficace pour vaincre, même.

C’est pourquoi Takel avait pris livraison de deux vaisseaux d’un type particulier, sans en référer aux instances dirigeantes. Ils répondaient aux doux noms de Féroce et de Cannibale, et venaient tout juste de sortir des chantiers. Leur construction avait été tenue rigoureusement secrète – la galaxie était parsemée d’arsenaux et de complexes militaires inconnus de la plupart des membres des Cercles du Pouvoir ou du Haut-Commandement… Pour une fois, Takel trouvait que la paranoïa de Palpatine avait eu du bon.

Car ces vaisseaux étaient des modèles Executor. Peut-être étaient-ils trop récemment sortis des chantiers, peut-être souffraient-ils encore des habituelles maladies de jeunesse. Mais les équipages avaient été formés en conséquence depuis des mois. Les formations de TIE étaient au complet, ce qui, après Endor, relevait du luxe. Et ces deux magnifiques jumeaux qui n’existaient pas encore à titre officiel étaient disponibles. Là résidait l’essentiel.

Les Rebelles attaqueraient, donc. C’était inévitable. Et Takel saurait les accueillir…
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