Voici la première partie de l’histoire de LucasArts. Celle-ci se concentre sur les origines de la compagnie, commençant en 1982 alors que les jeux vidéo étaient encore un phénomène nouveau. Les informations présentes dans ce dossier sont basées sur des documents, des publications historiques d’autres développeurs et éditeurs, ainsi que sur les souvenirs d’anciens employés.
En 1982, les jeux d’ordinateur sont relativement primitifs, consistant habituellement en des blocs de plastiques que les joueurs manipulaient devant un écran noir.
Mais George Lucas y voit quelque chose de plus.
De la même façon qu’il avait su tiré son épingle du jeu et créé une riche et complexe aventure spatiale avec Star Wars, il comprend qu’un jour il pourra changer le noir des écrans d’ordinateurs en jeux épiques centrés sur des personnages forts.
Ainsi, il arrive par hasard que la division de Jeux-vidéo de Lucasfilm vint au monde dans un complexe de bureaux, adjacent à deux autres groupes : l’un sera plus tard connu sous le nom de Pixar et l’autre était ILM (Industrial Light and Magic), la compagnie à l’origine des effets visuels de Star Wars. Alors qu'ILM doit élever les effets spéciaux à un niveau supérieur, Lucas demande à un petit groupe de concepteurs de jeux, de programmeurs et d’artistes de mener les jeux à l’étape suivante. Cette mission est clairement soulignée dans le rapport annuel de LucasFilm en 1983 : « L’objectif immédiat est de trouver le meilleur moyen d’apporter la ‘touche LucasFilm’ aux jeux-vidéo et d’aider cet art à se développer. »
Peu après son lancement, le Groupe de Jeux commence la recherche et le travail de développement afin de connaître les capacités des Atari 2600 et 5200 – plus précisément à chaque fois qu'ils peuvent s'arracher à la tentation d'essayer de casser la barrière des 400 000 points au Millipede.
Ce qui commence comme une petite recherche devient les deux premiers jeux de la compagnie, Ballblazer et Rescue on Fractalus !. Créés en partenariat avec Atari et publiés plus tard par Epyx, les deux jeux sont officiellement annoncés en janvier 1984 lors d’une conférence de presse dans laquelle le Groupe de Jeux est officiellement appelé LucasFilm Games. En juin de la même année, les deux jeux sont dévoilés publiquement au Summer Consumer Electronics Show [ancien festival de jeux et produits informatiques, ndlr].
- Ballblazer (Mars 1984, Atari 5200, Atari 800, par la suite: Commodore 64, Apple II, PC, Amstrad, Sinclair Spectrum, Atari 7800)
- Rescue on Fractalus! (Mars 1984, Atari 5200, Atari 800, par la suite: Commodore 64, Apple II, PC, Amstrad, Sinclair Spectrum, Atari 7800)
- Koronis Rift™ (Décembre 1985, Commodore 64, Atari 800)
- The Eidolon™ (Décembre 1985, Commodore 64, Atari 800)
- Labyrinth™: Le Jeu-vidéo (1986, Commodore 64, Apple II)
Ballblazer est une sorte de version futuriste de ping-pong mixée avec du football. Attachés dans un “Rotofoil” similaire à un aéroglisseur, les joueurs combattent l’ennemi afin de piéger une balle volante appelée Plasmorb, qui peut être utilisée comme arme ou lancée dans les buts de l’adversaire. L’action est accompagnée de la toute première bande originale pour un jeu vidéo, qui change en temps réel selon les performances du joueur. A l’origine connu sous le nom de BallBlaster puis plus tard renommé, le jeu reste fidèle à la volonté de George Lucas : créer des expériences interactives uniques.
Les joueurs peuvent aussi tenter leur chance avec Rescue on Fractalus ! qui sort en même temps que Ballblazer. Prenant place sur la rude planète alien Fractalus, les joueurs pilotent un chasseur Valkyrie, qui est utilisé afin de locasliser des pilotes spatiaux naufragés. La mission de sauvetage se complique une fois que les aliens, connus sous le nom de Jaggies, viennent protéger leur planète. A cette époque la Division Informatique expérimente les récentes innovations d’anti-aliasing, servant à lisser les contours des personnages à l’écran. La Division de Jeux sait que les systèmes de jeux de l’époque n’arriveront pas à afficher ce niveau de qualité graphique, alors ils décident de tirer parti avec humour de la qualité graphique déplorable et nomment les aliens Jaggies (ndHalpheus : en langage informatique, photographie obtenue de façon pas très claire, avec des courbes en escalier). L’équipe pense même appeler le jeu « Derrière les lignes Jaggies », calembour se référant aux lignes très voyantes lorsque l’on regarde le jeu en dehors du cockpit d’arcade. La planète du jeu, Fractalus, tient aussi son nom d’une nouvelle technologie : l’image générée en fractal-temps réel qui fait une percée à l’époque. Elle permet de créer des paysages aléatoires et d'obtenir une fréquence graphique honorable de six à 8 frames à la seconde sur Atari.
Suivant le lancement de ces premiers jeux, ainsi que la nouvelle appellation de Division de Jeux en LucasFilm Games, la compagnie avance rapidement sur le développement d’une autre série de jeux révolutionnaires. Koronis Rift, qui se déroule en 2049, utilise une version avancée du moteur fractal 3D créé pour Rescue on Fractalus !. Dans cette aventure futuriste, les joueurs voyagent vers une planète lointaine dans l’espoir de récupérer des technologies d’armement supérieures sur des vaisseaux spatiaux abandonnés. Tout en combattant des aliens et des soucoupes volantes, les joueurs envoient des droides acquérir toute technologie encore en état dans le ventre de ces vaisseaux.
La technologie joue également un rôle-clé dans The Eidolon, un jeu dont le nom vient d'un globe sphérique, de la taille d'une tête d'homme, qui permet à son utilisateur de pénétrer son propre esprit. Une fois plongés dans la machine Eidolon, les joueurs font l'expérience d'un jeu de rôle fantastique à la première personne, les plongeant dans dix niveaux de sombres tunnels de l'inconscient. Ces méandres tortueux de l'esprit sont peuplés de créatures telles que trolls et dragons. Si le joueur ne peut détruire ces gardiens du Ça, l'Eidolon s'éteint, le forçant à recommencer le niveau.
Les programmeurs de The Eidolon écrivent un code révolutionnaire permettant aux personnages de changer de taille graduellement selon qu'ils marchent vers l'avant ou vers l'arrière de l'écran. Cette fonction de perspective du personnage permet à l'équipe de développement de simuler la profondeur à l'écran et d'utiliser un même tableau pour plusieurs scènes. Ce code est par la suite amélioré et finalement utilisé dans le système SCUMM (Script Creation Utility for Maniac Mansion).
Jusqu'alors, tous les titres LucasFilm Games sont issus de concepts originaux. Cette tendance changea en 1986, quand le groupe commence à travailler sur Labyrinth, jeu inspiré du film éponyme de Jim Henson. George Lucas, qui en est le producteur, commande la sortie d'un jeu parallèlement au film. Le résultat est une aventure labyrinthique où le défi consiste à atteindre l'antre de Jareth, le diabolique Roi Gobelin. Technologiquement, Labyrinth est en avance sur son temps. Une interface textuelle à choix multiples, sorte de SCUMM avant l'heure, unique, est développée pour diriger le jeu. Au lieu de taper les commandes comme dans la plupart des jeux d'aventure de l'époque, le joueur choisit un nom et un verbe dans des fenêtres verticales de mots afin de progresser dans le jeu.
- PHM Pegasus™ (1986, Commodore 64, PC, Apple II)
- Strike Fleet™ (Decembre 1987, PC, Commodore 64, Apple II)
- Battlehawks 1942® (Octobre 1988, PC, Amiga, Atari ST)
- Their Finest Hour: The Battle of Britain® (Octobre 1989, PC, Amiga, Atari ST)
Ayant créé, avec succès, un intéressant mélange de jeux originaux, LucasFilm Games s'intéresse à l'exploration de nouveaux thèmes. Comme les graphismes évoluent rapidement, une partie de la compagnie se tourne vers le développement de PHM Pegasus, un jeu de simulation navale réaliste. Le jeu se concentre sur les combats impliquant l'unique hydroptère construit par l'US Navy dans les années 70. Distribué par Electronic Arts, PHM Pegasus est le premier produit LucasFilm Games à dépasser les 100 000 copies vendues. Sans surprise, une suite intitulée Strike Fleet est rapidement mise en chantier. Strike Fleet est davantage un jeu tactique, réclamant du joueur le contrôle de jusqu'à huit vaisseaux de guerre, des hydroptères aux croiseurs, sur des théâtres comme le Golfe Persique ou les Îles Falkland. Certains le qualifient de premier jeu de stratégie en temps réel.
Grâce au succès de ces simulations navales, LucasFilm Games tourne son intérêt de la mer vers les cieux. Battlehawks 1942 est le premier volet d'une célèbre trilogie de simulateurs de combat de la Seconde Guerre mondiale. Dans Battlehawks, les joueurs pilotent six appareils classiques américains et japonais dans quatre batailles aériennes décisives de la Guerre du Pacifique. Le jeu est remarqué des critiques et des fans pour son exactitude historique. Le manuel du jeu fait plus de 150 pages et est enrichi de photos d'archives et d'informations détaillées sur chaque avion. Les historiens apprécient également que le jeu permet de jouer pour l'un ou l'autre des deux camps. Battlehawks est le premier simulateur de vol à permettre aux joueurs de rejouer les missions et d'y intervenir à n'importe quel moment. Il est suivi de Their Finest Hour: The Battle of Britain, le deuxième simulateur de la Seconde Guerre Mondiale à mettre en scène les flottes aériennes Britanniques et Allemandes s'affrontant au-dessus des côtes anglaises.
Ces simulations deviennent rapidement les titres préférés des fans, posant les bases des jeux LucasArts du début des années 90 comme Secret Weapons of the Luftwaffe et Star Wars: X-Wing.
- Maniac Mansion® (Octobre 1987, IBM, Amiga, Atari ST, Commodore 64, Apple II, NES)
- Zak McKracken and the Alien Mindbenders® (Octobre 1988, Commodore 64, PC, Amiga, Atari ST, Fujitsu FM Towns, Apple II)
Les créatifs de LucasFilm Games auront bientôt largement l'occasion de faire étalage de leur loufoquerie. En effet, la sortie de Maniac Mansion, en octobre 1987, est déterminante pour la compagnie, en ce qu'elle traduit fidèlement le sens de l'humour intelligent du groupe et montre la voie de leurs jeux d'aventure futurs.
Réalisé en à peine une année, Maniac Mansion raconte l'histoire de Dave, un élève de lycée qui entreprend, avec ses amis, de sauver son amie Sandy des griffes du Dr. Fred, un savant fou vivant dans un manoir victorien. Bourré à craquer d'énigmes irrévérencieuses et de vannes assassines, Maniac Mansion inclut de multiples fins et permet aux joueurs de contrôler plusieurs personnages. C'est également le premier jeu d'aventure à présenter des scènes cinématiques, des séquences de l'histoire non interactives qui deviennent rapidement un moyen courant de faire progresser l'intrigue.
L'une des contributions les plus durables de Maniac Mansion vient de la forme de son système narratif, du nom de SCUMM (Script Creation Utility for Maniac Mansion). SCUMM introduit une nouvelle sorte d'interface d'aventure graphique. Auparavant, les joueurs devaient généralement entrer des commandes - telles que ALLER NORD ou OUVRIR PORTE – afin de progresser dans l'aventure. SCUMM supprime ce besoin. A la place, les joueurs sélectionnent un verbe à l'écran et accomplissent des actions en cliquant sur les objets du jeu. La nouvelle interface, saluée à la fois par les joueurs et la critique, devient la base de tous les futurs jeux d'aventure LucasArts.
La seconde incursion de LucasFilm Games dans les jeux d'aventure à caractère original tient à un autre concept innovant. L'intrigue de Zak McKracken and the Alien Mindbenders est résumée sur la boîte du jeu: "Can One Hack Writer, Two Yale Coeds, and a Stale Loaf of French Bread Save the World from a Galactic Conspiracy?" Le joueur incarne un journaliste de tabloïd qui découvre un complot extraterrestre visant à rendre les humains totalement idiots. Et oui, à un moment du jeu l'on découvre qu'Elvis vit parmi les aliens. Utilisant le système SCUMM, Zak McKracken propose aussi la librairie audio et musicale la plus étendue de son époque, en grande partie car l'un des co-designers du jeu est musicien.
- Pipe Dream® (a.k.a. Pipe Mania) (Juin 1989, PC, Macintosh, Apple II, Amiga, Atari ST, Commodore 64)
- Indiana Jones® et la Dernière Croisade™ - L’aventure graphique (Juillet 1989, PC, Amiga, Atari ST, Macintosh, FM Towns, CDTV)
- Indiana Jones et la Dernière Croisade – Le jeu d’action (1989 - PC, Amiga, Atari ST, Commodore 64, Spectrum, GameBoy, NES, Genesis, SMS)
La fin des années 80 apporte un grand nombre d’étapes importantes pour LucasFilm Games. Alors que la compagnie a été grandement prospère dans le domaine des jeux d’aventure et de simulation, cela demande toujours du temps d’explorer l’inhabituel. Un de ces titres est Pipe Dream, un jeu de stratégie et de puzzle spatial rapidement développé dans lequel les joueurs essaaient de construire un pipeline avec des morceaux de tuyauterie assortis. Le processus de construction est compliqué par les eaux d’égout toxiques qui trouvent rapidement leur chemin à travers le pipeline. Si le pipeline fuit, la partie est perdue.
Cela montre que LucasFilm, dans les années 80, fait ses premiers pas dans la grande industrie du jeu-vidéo, et la compagnie commence à travailler de façon intensive avec l’adaptation d’un film produit par George Lucas. Indiana Jones et la Dernière Croisade (l’aventure graphique) est destinée à sortir simultanément avec le film du même nom. Bien sûr, vouloir qu’un jeu sorte à la même date que le film dont il est inspiré est plus facile à dire qu’à faire, particulièrement si l’on compte avec le fait que les développeurs n’ont que neuf mois pour terminer le produit. Le jeu est donc disponible dans les rayons en juillet 1989 alors que le film est sur les écrans.
L’équipe tente donc de concevoir le jeu Indiana Jones dans un laps de temps très court. La trame du jeu suit celle du film, la quête d’Indy pour le Saint Graal, et s’étale dans des lieux tels que Venise et Berlin. Le gameplay combine des jeux de puzzles avec des séquences de combat, de l’aventure et des labyrinthes. L’équipe de conception, toutefois, ne parvient pas à s’accorder sur la façon dont le jeu doit finir. Cette dispute amicale a pour résultat l’écriture de deux fins alternatives au jeu, l’une sérieuse et l’autre plus humoristique. Un générateur de nombres aléatoires assure que chaque fin ait lieu grossièrement 50 % du temps.
LucasArts s’associe aussi avec plusieurs autres compagnies afin de produire un jeu d’action basé sur Indiana Jones et la Dernière Croisade, qui sort sur beaucoup de plateformes sur plusieurs années.
L’équilibre entre les jeux originaux, tels que Maniac Mansion, et les titres sous licence, tels qu’Indiana Jones et la Dernière Croisade, est un exemple brillant du futur de LucasFilm Games. Avec le temps, la compagnie continuera à développer de nouveaux titres inventifs, tout en commençant à explorer davantage les univers du film riche de George Lucas. Au début des années 1990 cette approche va conduire à des séries de produits classiques, parmi lesquels les premiers titres Star Wars développés entièrement par LucasFilm Games.