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Recueil SWU N°1: L'Ordre 66
Fiche | INTRODUCTION | 1. INÉLUCTABLE | 2. CRUAUTÉ | 3. TRAHISON | 4. FUITE | 5. SACRIFICE | 6. IMPITOYABLE | 7. L’ORDRE 66 : EN VERSION LONGUE
7. L’ORDRE 66 : EN VERSION LONGUE
1. Introduction
2. La Nuit des Cendres - Oiki Ran
3. Faces à Faces - MasterVega
Introduction
 

Parce que certains auteurs ont voulu se plonger dans l’Ordre 66 en écrivant plus qu’une nouvelle, nous avons décidé de mettre ces minis romans en fin de recueil, pour que vous aussi, vous puissiez découvrir l’Ordre 66… En version longue !

La Nuit des Cendres - Oiki Ran
 

Chapitre 1

 

Le seigneur noir de la Sith Dark Sidious sortit de sa salle de communication secrète dissimulée derrière un mur de son bureau. Il enleva son lourd manteau noir et redevint l’innocent et bien-aimé chancelier suprême de la République Palpatine. Il rangea soigneusement son habit sombre dans un placard encastré dans le mur, contourna un droïde de nettoyage, qui s’affairait activement, et alla s’asseoir derrière son bureau. Il tenta de travailler un peu mais l’euphorie de son proche triomphe l’empêchait de se concentrer sur sa tâche. Il venait de converser avec Grievous sur Utapau et son plan prenait définitivement forme. Il dut se retenir pour ne pas éclater de rire…

Puis, il fronça les sourcils : quelque chose n’allait pas. La Force lui soufflait…

Le droïde de nettoyage s’avança de la salle de repos du chancelier suprême attenante à son bureau. Il entra et referma la porte derrière lui. Il reprit son boulot en commençant par nettoyer scrupuleusement le tapis recouvrant le sol. Arrivé devant la baie vitrée remplaçant un quatrième mur, il s’immobilisa. Un autre programme dans ses entrailles prit le relais. Ce programme comprima l’enregistrement de l’appel entre le seigneur Sidious et le général Grievous, enregistré grâce à un mouchard adroitement dissimulé, ainsi que la métamorphose du premier en Palpatine. Puis il envoya vers l’extérieur ces deux enregistrements sous le format d’ondes courtes. Enfin, le programme s’autodétruisit après avoir supprimé les deux enregistrements de la mémoire du droïde de nettoyage qui reprit son activité normale.

Un droïde de sécurité volant face au bureau du chancelier suprême capta le message qui lui altéra sa programmation. Il plongea dans les profondeurs de la planète et s’arrêta deux cents étages plus bas. Il entra par une fenêtre qui s’ouvrit sur son passage, remonta quelques couloirs et pénétra dans une salle de maintenance. Il transmit son message à un droïde plombier se trouvant dans une grosse canalisation, puis s’approcha d’un terminal et avertit l’ordinateur central d’un problème dans les canalisations. Enfin, comme le droïde de nettoyage auparavant, il reprit son poste après que le programme parasite se soit autodétruit.

Le droïde plombier s’activa, remonta la conduite, arriva à un embranchement et plongea encore plus profondément dans les entrailles du bâtiment. Il descendit jusque dans les égouts où il transmit son message à un droïde de maintenance. Puis, il fit demi-tour et retourna à son point de départ.

Le droïde de maintenance interrompit sa tâche pour parcourir les égouts sur un kilomètre et  s’immobiliser ensuite. Il envoya son message à un droïde de construction se trouvant en surface. Puis, il reprit son travail de maintenance des égouts.

Le droïde de construction remonta le long de la tour à laquelle il était accroché pour ses réparations. Il mit plusieurs minutes pour atteindre les étages où vivaient les personnes aisées sur Coruscant. Il s’arrêta devant une fenêtre et transféra son message à un droïde de protocole se tenant de l’autre côté. Puis, il redescendit et continua ses réparations.

Les yeux du droïde de protocole clignotèrent un instant : le temps que le programme parasite entre en action. Le droïde de protocole s’occupait d’enfants humains particulièrement turbulents. Il décida, pour les calmer et pour éviter la destruction de l’appartement, de les emmener jouer dans la salle d’arcade du centre commercial voisin où de nouveaux jeux venaient d’être livrés. Les enfants, fous de joie, trouvèrent pour une fois une de ses idées géniale et se précipitèrent vers la porte d’entrée. Un quart d’heure plus tard, le droïde plaça les enfants dans divers simulateurs de vols et transmit son message à un vieux jeu démodé n’attirant plus personne. Le programme s’autodétruisit ensuite. Le droïde de protocole se demanda alors comment il allait convaincre les enfants de retourner à la maison.

Un droïde souris roula entre les jambes d’un droïde de protocole, ralentit devant une vieille console de jeu, puis repartit à toute allure vers la sortie du centre commercial. Il parcourut une allée sur deux kilomètres, bifurqua sur la droite, entra dans la tour à sa gauche, remonta trois couloirs pour finalement entrer dans un appartement où l’accueillirent les mains d’un jeune bothan qui le connecta ensuite à son ordinateur.

Le jeune Tak Kay’ver commença le téléchargement des données contenues dans son petit droïde avec une certaine impatience. Cela faisait plusieurs années qu’il travaillait sur ce projet, il avait hâte de voir le résultat mais aussi peur que ça n’ait pas marché. Il attendait donc, assis à son bureau face à la fenêtre de son appartement, mi-anxieux mi-excité. Enfin, le téléchargement prit fin, par habitude il enregistra les deux nouveaux fichiers sur une de ses datacartes spéciales, puis sélectionna le premier fichier…

Une fenêtre s’ouvrit sur son ordinateur signalant que quelqu’un se tenait devant sa porte. Il fit apparaître devant lui l’image de l’extérieur de son appartement : effectivement des hommes au faciès peu amical se tenaient devant sa porte. Il vit un des hommes sortir d’une de ses poches un objet qu’il ne connaissait que trop bien. Un frisson lui parcourut le dos, il s’efforça de ne pas paniquer, se rappelant les conseils de son professeur lui martelant qu’il ne pouvait céder à la peur que lorsqu’il ne savait pas ce qu’il se passait. Or ce n’était pas le cas ici. Une ombre passa devant sa fenêtre. Bien, il n’avait plus qu’une chose à faire : son chef voudrait avoir les fichiers.

Kay’ver enclencha le système de sécurité de sa porte, sortit la datacarte de son graveur, la glissa dans une pochette et plongea sur le côté. La porte et la fenêtre explosèrent simultanément. Une étouffante fumée jaillit de la porte empêchant pendant quelques secondes les assaillants d’entrer par cette voie. Les autres bondirent sur son bureau détruisant par la même occasion son ordinateur. Tak tira à plusieurs reprises sur ses assaillants. Il en vit deux tomber. Puis, il sauta sur son lit qui coulissa immédiatement dans le mur. Il entendit des tirs crépiter contre la paroi derrière laquelle il venait de disparaître. Son lit s’inclina sur le côté : il roula sur un plan incliné métallique. Il glissa sur une motospeeder dont la particularité était qu’il fallait se tenir pratiquement couché sur le ventre pour pouvoir la piloter. Il fut catapulté dehors. Il plongea sur plusieurs dizaines de mètres avant de mettre les gaz.

Alors qu’il s’éloignait, son appartement s’autodétruisit dans une explosion assourdissante.

 

*  *

*

 

Chapitre 2

 

La jeune et séduisante sénatrice Mon Mothma travaillait ardemment dans le bureau de son appartement privé : décrypter la moindre action du chancelier Palpatine était un boulot à temps plein. Elle traquait sans relâche le plus petit détail qui lui fournirait la preuve indiscutable que le chancelier suprême n’était pas celui qu’il prétendait être. Dès leur première rencontre, elle avait éprouvé un sentiment de malaise en sa présence, sentiment qui n’avait pas faibli, bien au contraire, au fil des années.

Un léger grincement de servomoteurs l’avertit de la présence de son droïde de protocole dans son bureau. Elle leva la tête et attendit patiemment qu’il lui explique le motif de son entrée.

— Sénateur, le maître Jedi Jor Aeldan voudrait vous voir quelques minutes, annonça le robot d’une voix pédante.

Instinctivement, ses joues s’empourprèrent et un sourire illumina son visage. Elle tenta vainement de se contrôler, alors que sans s’en rendre compte elle était déjà debout et se dirigeait rapidement vers le salon où elle recevait ses invités.

— Je m’en occupe, personnellement, eut-elle la présence de dire en passant devant son droïde.

Jor Aeldan était son cousin, il avait été recruté très jeune par les Jedi, bien avant qu’elle naisse, mais il avait gardé le contact avec sa famille sur Chandrila. Ainsi, elle avait grandi en voyant fréquemment  son cousin qui trouvait toujours du temps pour passer entre deux missions périlleuses. Leur relation avait évolué au fil des années, et elle s’efforçait de croire à présent qu’ils avaient tissé une amitié durable. Cependant, certaines nuits, elle espérait secrètement qu’ils aient dépassé de loin le stade de la simple amitié et qu’ils puissent s’engager dans une voie bien plus dangereuse mais infiniment plus agréable. Hélas, elle était sénateur de la République et lui maître Jedi…

— Cousine, je suis content de te revoir, l’accueillit Jor alors qu’elle pénétrait dans son salon décoré dans le plus pur style de Chandrila : beau, simple et surtout fonctionnel.

— Moi aussi, je suis contente de te revoir. Ça fait si longtemps, répondit-elle en se jetant presque dans ses bras ouverts.

La Guerre des Clones avait augmenté la fréquence de ses missions à tel point qu’en trois ans, elle n’avait reçu de lui que deux messages trop courts.

— Que fais-tu ici sur Coruscant ? lui demanda-t-elle tout heureuse de le revoir vivant et entier.

— Je te présente mon apprenti, Yrrol Sonho, déclara Jor en s’écartant pour qu’elle voit le jeune wroonien à la peau bleu se trouvant derrière lui.

Elle le salua de la tête, il lui rendit respectueusement son salut.

— Nous avons été appelés en renfort lors de l’attaque des Séparatistes. Hélas, il semble que nous soyons arrivés un peu tard. Kenobi et Skywalker ont une fois de plus été très efficaces, reprit Aeldan en répondant à son interrogation.

— Effectivement, ils ont réussi à sauver Palpatine, observa-t-elle un peu trop sèchement.

Jor s’en rendit compte, il lui passa un bras autour des épaules et l’emmena dans un coin du salon tout en faisant signe à son élève de rester là où il était.

— Qu’est-ce que cela signifie ? demanda-t-il très sérieusement en la fixant droit dans les yeux.

Sous ce regard intense, elle se sentit fondre intérieurement mais comme c’était lui, elle n’avait rien à cacher.

— Je n’ai plus confiance dans le Chancelier Suprême, murmura-t-elle en ne détournant pas son regard.

Son cousin resta silencieux pendant de trop longues secondes, amplifiant le bruit de leurs respirations.

— Cela fait trop longtemps qu’il est au pouvoir. Les Jedi aussi s'en méfient. Hélas, sans preuves, nous ne pouvons rien faire, surtout qu’avec ce conflit nous n’avons pas que des supporters.

— Je sais. C’est pour cela qu’avec un ami, nous recrutons des alliés au Sénat afin de le forcer à démissionner après ce conflit.

— Bonne idée, mais je ne sais pas si nous avons encore le temps, conclut énigmatiquement le Jedi.

Le comlink de la jeune femme sonna l’empêchant de demander à son cousin ce qu’il entendait par là.

— Mon Mothma…

— C’est Kay’ver, l’interrompit brutalement le bothan. J’ai ce qu’il faut mais ils ont attaqué mon appartement. Ils me poursuivent. Rendez-vous cette nuit, à l’endroit convenu.

Il raccrocha aussitôt laissant la jeune femme stupéfaite.

— Qu’est-ce qui se passe ? Qui était-ce ?

— Un agent que j’ai recruté il y a quelques années. Il devait tenter d’espionner Palpatine… Il a la preuve de sa duplicité ! Mais il est poursuivi. Je dois aller le retrouver, expliqua Mon Mothma ne parvenant pas à y croire.

— Sonho et moi, on s’en charge. Où dois-tu le retrouver ? demanda Jor qui avait lui aussi compri l’importance de la situation.

— Je viens avec vous. 

Il la regarda avec un air sceptique : elle était plus habituée aux joutes oratoires du Sénat qu’à celles de la rue.

— C’est mon agent, il ne se montrera que si je suis là. Il n’y a pas à discuter. Je me change et puis on part.

Le soleil se couchait sur Coruscant, le ciel se teintait de bleu foncé là où il faisait déjà nuit, virait au mauve puis au rouge plus on se rapprochait de l’astre flamboyant. Du rouge sang. Mon Mothma ne se rappelait pas déjà avoir vu une couleur pareille lors d’un crépuscule sur Coruscant. Un frisson lui parcourut le dos, elle avait l’impression que c’était un message : la nuit allait être sanglante…

Ils passèrent d’abord par l’appartement de Kay’ver, Jor Aeldan voulait voir s’il pouvait relever une piste. Ils furent un peu déçus : tout était calciné et il n’y avait pas la moindre trace de corps parmi les débris. Cela ne réjouissait pas trop Mon Mothma, néanmoins son cousin lui indiqua que ça leur permettait de tirer certaines conclusions. L’absence de cadavres signifiait sans doute qu’ils étaient facilement identifiables, et puis le fait même d’avoir enlever les corps était le signe qu’ils avaient affaire à des gens puissants. Mon Mothma remarqua alors qu’il n’y avait peut-être pas eu de morts. Parfait, cela confirmait d’autant plus son hypothèse d’une organisation super puissante derrière l’attaque menée contre Kay’ver. La jeune femme pensa immédiatement à Palpatine qui avait commencé à former une garde d’élite et qui était un maître dans l’art de comploter sans jamais se faire prendre. Elle vit que Jor pensait la même chose, mais ils préférèrent ne rien dire laissant une ultime fois le bénéfice du doute au maître de la République.

Ensuite, le groupe décida d’aller au point de rendez-vous fixé par le bothan. Comme ils avaient du temps devant eux, ils prirent grand soin de vérifier de n’être pas suivis en faisant plusieurs fois demi-tour. Ils devaient retrouver Kay’ver dans l’endroit de Coruscant, devant le bureau du sénateur de Bothawui, le plus sûr pour un bothan : le palace Le Paradis Perdu. Cet hôtel de luxe avait comme actionnaires principaux des bothans qui avaient tendance à placer leur race au-dessus de toutes les autres. Habituellement, Mon Mothma n’appréciait que très modérément ce nationalisme exacerbé, mais là, elle savait que son agent ne risquait rien dans ces lieux car jamais les propriétaires ne trahiraient l’un des leurs. Cependant, les propriétaires faisaient en sorte d’avoir un personnel varié pour ne pas faire fuir leur riche clientèle.

Il faisait nuit noire lorsqu’ils franchirent les portes tournantes du Paradis Perdu. Ils entrèrent dans le hall où de nombreux divans et fauteuils de standing délimitaient un rectangle central, surplombé deux étages plus par une impressionnante verrière, au milieu duquel trônait un monument en l’honneur du premier bothan ayant posé le pied sur Coruscant. Au fond du hall à droite se trouvait le comptoir en marbre de la réception, à gauche de celle-ci se trouvaient les dix ascenseurs qui menaient à la centaine d’étages de l’hôtel, enfin à l’extrémité gauche du hall se trouvaient les doubles-portes menant au bar et au restaurant. Sur la gauche, face au monument, des tapis roulants montaient à l’étage supérieur où se trouvaient de nombreuses boutiques de luxe.

Ils montèrent directement au premier étage et s’installèrent contre la rambarde, face à un magasin de joaillerie au nom réputé dans toute la galaxie. De là haut, ils avaient une parfaite vue plongeante sur le monument c’est-à-dire sur le lieu où elle devait retrouver Kay’ver. Ils avaient plus d’une demi-heure à patienter.

— Qu’est-ce que tu vas faire lorsque tu auras la datacarte ? lui demanda Jor en se tournant vers elle.

— Je vais convoquer une session extraordinaire du Sénat et je vais leur montrer à tous qui est vraiment Palpatine, expliqua Mon Mothma en gardant à l’esprit que beaucoup choses pouvaient encore se passer avant qu’elle ne puisse récupérer la datacarte.

— Il te faudra une protection. Les Jedi s’en chargeront. Mais je pense que tu devras leur montrer la preuve. Ils doivent savoir la vérité.

— Tout le monde doit apprendre la vérité, décida-t-elle fermement.

— Maître, je crois qu’on n’est pas seul, interrompit Sonho en désignant trois hommes de haute taille et aux muscles saillants en bas devant les ascenseurs.

— Il y en a d’autres en dessous de nous… Ainsi que sur les côtés, ajouta Aeldan en se concentrant dans la Force. Ils sont prêts à refermer le cercle. Ce sont des professionnels.

Mon Mothma regarda attentivement les trois près des ascenseurs mais ne reconnut aucun indice pouvant lui donner l’identité du commanditaire. En tout cas, ce n’était pas des clones…

— La garde écarlate ! souffla-t-elle alors que la lumière se faisait jour dans son esprit.

— Qui ?

— Palpatine a une garde privée. Des soldats d’élite qui sont vêtus de rouge, expliqua la jeune femme en sentant une boule se former dans le ventre. Ici, ce sont eux mais sans leurs uniformes.

— Je te fais confiance. Là, ton agent va droit dans un piège. Il nous faut le déjouer.

— Mais ils vont bien s’apercevoir qu’on est là.

— J’en doute. Depuis qu’on est arrivé, Sonho projette une petite illusion : on nous voit mais l’information n’est pas comprise par le cerveau. Ainsi, personne ne se demande ce qu’on attend là, révéla Jor avec un petit sourire de fierté. Le plan maintenant. Lorsqu’il arrive, tu descends, tu le rejoins et vous vous précipitez derrière la réception. Sonho, tu la suis à dix mètres. Quant à moi, j’attends qu’ils se rapprochent, puis je saute. Compris ? Cousine, ça ira ?

Mon Mothma regarda le monument puis la réception, jaugea la distance qui les séparait ainsi que la hauteur du comptoir, puis inclina la tête.

— Bon tu vas devoir y aller, il arrive.

Mon Mothma s’éloigna de la rambarde et retourna vers les tapis roulant sentant instinctivement Sonho qui la suivait. Alors, qu’elle descendait, elle vit Kay’ver entrer dans le hall par une porte de service dissimulée dans un mur, mais elle vit surtout les gardes de Palpatine se tenir prêts : cela pouvait être le bon bothan.

 

*  *

*

 

Chapitre 3  

 

Mon Mothma continua sa descente d’un pas ferme, mais faussement assuré, pensant à ses plus belles allocutions au Sénat pour se donner le courage d’accomplir sa tache. Elle remarqua alors qu’à cause de la foule présente dans le hall,  Kay’ver ne se rendait pas compte qu’il fonçait droit dans un piège. Cela faisait plusieurs heures déjà qu’il était sur la brèche et il devait commencer à fatiguer. Elle accéléra le pas.

Kay’ver arriva devant le monument. Il allait s’arrêter. Elle lui prit immédiatement le bras.

— Courez ! ordonna-t-elle en l’entraînant vers la réception.

Il avait été bien entraîné : il comprit vite. Il la devança même. Il sauta avec souplesse au-dessus du comptoir en marbre de la réception et l’aida à le franchir ensuite. Ils s’aplatirent derrière, imités par les employés de l’hôtel, alors que les premiers tirs de blasters crépitèrent au-dessus de leurs têtes. Par-dessus ces rafales, elle entendit le bruit caractéristique d’un sabrolaser qui prenait vie.

Jor bondit par-dessus la rambarde au moment où son apprenti décapitait un des gardes chargés de tuer Kay’ver. Le maître Jedi activa son arme en vol et atterrit derrière un groupe de trois adversaires. Deux moururent avant de se rendre compte de sa présence. Il envoya un coup de pied puissant au niveau du foie du troisième, qui se plia en deux, lui donnant le temps de parer les tirs de deux nouveaux assaillants. Il para simplement les premiers tirs, puis se régla, enfin renvoya les tirs suivants sur ses deux adversaires. Il se retourna et trancha l’arme du garde qui s’était redressé. Il l’envoya ensuite voler contre un mur. Il ne se relèverait pas de sitôt.

Jor examina ensuite la situation. Son apprenti s’était très bien débrouillé sauf pour… Aeldan lança son sabrolaser. Il s’enfonça dans le corps d’un garde qui allait prendre Sonho par surprise. Le temps de récupérer son arme, tous les ennemis étaient au sol. Jor félicita son apprenti d’un signe de la main puis se dirigea vers la réception.

— La voie est libre, déclara au-dessus d’elle Jor Aeldan avec un sourire de triomphe.

Mon Mothma et Kay’ver se relevèrent, et contournèrent le comptoir pour aller rejoindre les deux Jedi.

— Tu devrais peut-être dire à tout le monde que la situation est sous contrôle, suggéra la sénatrice en voyant les visages inquiets de tous ceux présents dans le hall, membres du personnel comme clients.

Jor allait parler lorsqu’ils entendirent une navette d’assaut se poser juste devant le palace. Les deux Jedi se mirent immédiatement en garde tandis que Mon Mothma et Kay’ver reculaient pour se mettre à l’abri derrière eux. Par les portes, ils virent des ombres descendre du vaisseau puis s’approcher en courant. Les deux Jedi actionnèrent leurs sabrolasers. Les portes se mirent à tourner. Une vingtaine de clones pénétrèrent dans Le Paradis Perdu. Mon Mothma se figea prise de panique. Les clones continuèrent à avancer et s’arrêtèrent trois mètres devant les Jedis. Simultanément, les deux groupes abaissèrent leurs armes et Jor éclata de rire.

— Zed ! Tu m’as fait une de ces peurs ! s’écria-t-il en se tournant ensuite vers sa cousine. Ce sont mes hommes. Zed le chef – un clone avec deux bandes rouges sur le casque la salua – est avec moi depuis le début de la guerre. Au fait, comment ça se fait que vous soyez là ?

— On a reçu une nouvelle mission. Or vous étiez introuvable, alors on est parti à votre recherche en masse au cas où vous auriez quelques petits soucis, expliqua le dénommé Zed en regardant tout autour de lui. Il semble que c’était le cas.

— Bien. J’ai des nouvelles données, vous allez nous escorter jusqu’au temple Jedi, déclara Jor Aeldan en s’avançant vers la sortie du palace.

Cependant, il s’arrêta en chemin et porta sa main à son cœur.

— Qu’est-ce qui se passe ? lui demanda Mon Mothma en le voyant pâlir soudainement.

Il la fixa sans la voir pendant de longues secondes, ce qui la rendit encore bien plus inquiète. Il se passait quelque chose de très grave.

— Les Jedi… murmura Jor d’une voix brisée.

— Quoi les Jedi ?

A côté, elle vit Sonho poser un genou à terre : il était pris du même mal. Du coin de l’œil, elle remarqua que Zed recevait une communication. Le clone resta un instant immobile puis leva son arme en direction de la tête de Sonho. Mon Mothma ouvrit la bouche. Elle ne se sut jamais si elle avait crié car le bruit de la détonation du blaster couvrit tous les autres sons du hall.

— Fuis ! lui cria Jor en tranchant en deux le clone qui allait le tuer et en repoussant plusieurs autres.

Seul contre vingt, il était foutu. Elle voulut l’aider mais une poigne d’acier lui enserra la main et la tira en arrière. Jor continuait à se battre dans un déluge de tirs. On continuait à l’éloigner de son cousin. Elle se retourna et eut un peu de mal à identifier le bothan qui la suppliait de le suivre. Elle pivota vers son cousin : d’autres clones étaient morts mais les survivants commençaient à l’encercler. Il recula pour ne pas tomber dans le piège. Elle s’arrêta refusant de le laisser tomber.

— Venez ! insista Kay’ver en luttant contre elle.

Soudain, son esprit se vida et elle se mit à courir derrière son agent en direction de la porte de service par laquelle il était entré dans le hall. Elle récupéra sa faculté à réfléchir après avoir franchi la porte. Elle se retourna une dernière fois. Elle vit son cousin avec un genou au sol. Elle sut qu’elle garderait à jamais cette image en mémoire. La porte se referma bruyamment devant elle la coupant définitivement de son passé.

Jor Aeldan poussa un soupir de soulagement en voyant la porte se refermer devant sa cousine.    Maintenant, il pouvait donner tout ce qu’il avait dans la bataille. Il restait encore plus d’une dizaine de clones. Il ne savait pas s’il s’en sortirait mais il l’espérait. Il se releva et se mit à reculer lentement en parant le maximum de tirs, mais ils ne le lâchèrent pas. Il était leur proie. Les tirs s’intensifièrent. Il devait faire de plus en plus d’effort pour les empêcher d’atteindre leur cible. Il sentait les gouttes de transpiration perler sur son visage et dans son dos.

Soudain, un tir de blaster traversa ses défenses. Il poussa un cri. Il se reprit mais un deuxième passa alors suivit immédiatement d’un troisième. Puis, il perdit le compte. Son corps le brûlait et ses jambes avaient de plus en plus de mal à le supporter. Un dernier tir au sternum le projeta en arrière. Il tomba lourdement au sol et laissa échapper son arme qui roula à quelques mètres de lui. Bizarrement, les tirs cessèrent.

Jor, couché sur le dos, fixait la verrière au-dessus de lui se repassant mentalement sa vie de Jedi. Il entendit des pas approcher, il allait bientôt ne faire plus qu’un avec la Force. Il avait de plus en plus de mal à respirer et une douleur sourde lui irradiait tout le corps. Sa mort imminente, il se mit à douter et à avoir peur. Et si tout ce que lui avaient appris ses maîtres était faux…

Un casque familier avec deux bandes rouges entra dans son champ de vision.

— Pourquoi ? articula faiblement le maître Jedi rassemblant le reste de ses maigres forces.

Il n’eut aucune réponse mais, dans la Force, il sentait que son ancien camarade était incapable de lui donner une raison. Zed leva son arme pointant le canon entre les deux yeux d’Aeldan. Le Jedi lança un dernier adieu dans la Force.

Une intense lumière jaillit de l’arme.

 

*  *

*

 

Chapitre 4

 

Si elle devait être arrêtée, et qu’on devait l’interroger sur le chemin qu’elle avait suivi dans sa fuite à l’intérieur du Paradis Perdu, Mon Mothma se serait bien sentie incapable répondre, même sous la torture. Elle avait l’impression d’avoir traversé des bureaux mais elle n’aurait pas parié dessus. Tout ce qu’elle savait c’était qu’elle avait suivi le bothan qui l’avait empêchée de rester avec Jor Aeldan.

Elle reprit légèrement conscience lorsque Kay’ver et elle débouchèrent sur un parking à l’extérieur du palace. Elle le regarda sortir un blaster de sous sa veste, arrêter un speeder arrivant dans le parking et menacer ses occupants. L’homme et sa compagne sortirent du véhicule en levant les mains. Kay’ver la poussa sur le siège passager puis gagna la place du conducteur. Elle ne broncha pas. Elle s’en foutait même. Pour l’instant, tout ce qu’elle arrivait à faire c’était ressasser en boucle l’image de son cousin avec un genou à terre. Le speeder décolla et ils se fondirent dans l’intense circulation de la planète.

Mon Mothma resta plongée dans ses souvenirs pendant tout le début du voyage, s’efforçant de se rappeler les meilleurs moments passés en compagnie de son cousin. Soudain, la circulation se fit plus intense et Kay’ver dut ralentir. La jeune femme releva la tête et comprit la raison de l’embouteillage. A moins d’un kilomètre, un bâtiment était en flamme : le Temple Jedi. Tout le monde se pressait pour admirer cet événement extraordinaire. Ce qui l’acheva, ce fut les sourires et les cris de joie de la plupart des spectateurs qui s’étaient arrêtés pour admirer la mort des Jedi. Elle crut qu’elle allait vomir.

Devinant ses pensés, Kay’ver changea de file et s’éloigna rapidement du carnage. Elle était complètement anéantie, c’était le coup de grâce. Son esprit se vida, et elle continua le trajet prostré dans un silence de mort.

Ce fut la peur qui la fit réagir à nouveau. Le speeder descendait dans des profondeurs dans lesquelles elle n’avait jamais osé pénétrer même très bien protégée. Elle entendit ensuite Kay’ver parler à côté d’elle puis pousser des jurons dans sa langue maternelle en rangeant son comlink dans sa veste. Il n’avait pas dû recevoir une bonne nouvelle. Néanmoins, il se ressaisit et redevint presque impassible : un tic faisait cligner son œil droit. Il posa le speeder dans une ruelle particulièrement sombre non loin de l’enseigne clignotante d’une taverne peu avenante.

— Restez ici. Je reviens tout de suite, déclara-t-il en sortant de leur véhicule.

Elle le regarda s’éloigner, accoster un passant recourbé en deux, échanger quelques mots et autre chose avec lui, puis revenir vers elle le lourd manteau du passant à son bras.

— Tenez. Mettez ceci, lui annonça-t-il en lui tendant le vêtement.

— Mais il pue ! s’exclama-t-elle en sentant l'effluve du sale lui saturer l’odorat.

— Peut-être mais c’est le seul moyen pour que vous passiez inaperçue, insista fermement le bothan.

Elle jeta un coup d’œil à ses habits : elle les trouvait pourtant passe-partout. Ils devaient certainement l’être… Dans le milieu où elle évoluait habituellement. Ici, on la repérerait à des kilomètres. Avec une mine de dégoût, elle enfila le manteau et rabattit les pans pour dissimuler ses riches vêtements.

— Bien, on va aller dans le bar là-bas et attendre un peu que les choses se tassent.

Elle regarda le bar : un nœud se forma dans son estomac. Elle se mit à trembler de manière incontrôlable.

— Je ne crois pas que j’y arriverai, murmura-t-elle en tremblant de plus en plus.

Kay’ver lui prit ses épaules et la fixa droit dans les yeux.

— Écoutez, ce n’est pas le moment de paniquer. Nous n’avons pas le choix : c’est ça ou mourir. Ressaisissez-vous et écoutez-moi bien. Là dedans, ils ont un sixième sens quand il s’agit de la peur. Dès que quelqu’un a peur, ils le sentent. Donc quoiqu’il arrive, gardez la tête haute et éviter de montrer ce que vous ressentez. Compris ?

Mon Mothma inclina la tête. Kay’ver la lâcha et se dirigea d’un pas résolu vers la taverne. Elle le rattrapa et imita du mieux qu’elle pouvait sa démarche assurée. Ils rentrèrent sans difficultés dans l’établissement après que Kay’ver eut fait un signe au garde whiphid se trouvant à l’entrée. A l’intérieur, l’air était irrespirable et Mon Mothma dut se forcer pour ne pas tousser. Elle du aussi se dépêcher car l’intense fumée qui remplissait la salle rendait la visibilité quasi nulle. Un mélange surprenant d’odeurs d’épice et de moisie remplissait l’atmosphère lui faisant oublier le parfum plus que désagréable de son manteau. Comme de nombreuses tavernes dans la galaxie, celle-ci possédait un bar au centre de la salle. Kay’ver s’y dirigea et commanda au barman deux « Comme d’habitude ». Il leur servit deux verres d’une substance brunâtre qui ne semblait pas tout à fait liquide, grumeleuse était le terme adéquat. D’un côté de la pièce principale se trouvaient plusieurs alcôves sombres occupées et de l’autre se trouvait une petite salle séparée aux deux tiers de la pièce principale par une curieuse cloison en transparacier. Ce fut vers cette deuxième que l’emmena son guide. Ils passèrent par l’ouverture et s’assirent à la première table libre venue.

— Buvez. Ce n’est pas très bon mais ça vous remettra les idées en place, indiqua le bothan en prenant une bonne gorgée de sa boisson.

Elle se contenta plutôt de tremper ses lèvres. La boisson lui brûla la gorge puis l’œsophage, mais Kay’ver avait raison : elle se sentit subitement beaucoup mieux avec l’esprit prêt à fonctionner à toute vitesse.

— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demanda la jeune femme après une deuxième gorgée où elle sentit le goût infect de la boisson.

— On attend, répéta le bothan en scrutant le bar. J’ai contacté quelqu’un. Il n’a pas répondu mais j’ai laissé un message. J’espère qu’il le verra rapidement.

— C’est quelqu’un de sûr ?

Kay’ver lui sourit énigmatiquement.

— C’est mon mentor, il m’a tout appris. C’est le meilleur, on peut lui faire confiance.

— Si vous le dites… Néanmoins, il serait sage de ne pas rester trop longtemps au même endroit, recommanda Mon Mothma dont le cerveau fonctionnait à plein régime. Même si l’attaque des clones était réservée aux Jedi, je pense que Palpatine ne perdra pas une seconde pour réagir. Au fait, que contenaient les fichiers que vous devez me transmettre ?

— La vérité sur le Chancelier Suprême. C’est une véritable bombe. J’avoue que programmer tous ces droïdes a fini par payer. Et puis, quelle chance, ce pseudo-enlèvement ! Ça m’a donné accès à son bureau et sa chambre secrète, répondit Kay’ver en savourant son triomphe.

— Montrez-moi.

Le bothan porta sa main à sa veste mais interrompit subitement son geste, le regard rivé sur l’entrée de la taverne. Mon Mothma tourna la tête et aperçut un groupe de cinq à l’allure suspecte ; ce qui était énorme dans un endroit pareil. Le groupe se scinda : deux allèrent s’accouder au bar tandis que les trois autres se mirent à parcourir l’établissement en dévisageant toutes les personnes présentes. Bientôt, l’un des trois s’arrêta de l’autre côté du transparacier et se mit à les fixer intensément. Elle s’efforça de paraître la plus innocente possible. Cela ne prit pas car l’homme appela ses compagnons. Mon Mothma tira son chapeau à Palpatine : c’était futé d’avoir fait appel à des chasseurs de primes là où ses soldats ne pouvaient pas aller.

Le chef, un borgne au visage hideux, s’arrêta devant eux avec deux hommes à ses côtés et les deux autres en couverture. Il la dévisagea pendant une longue minute en se passant la langue sur les lèvres. Puis il se tourna vers Kay’ver et le regarda avec mépris. Finalement, il sortit son blaster et le pointa en direction du bothan.

— On m’a dit que tu avais quelque chose pour nous, ricana-t-il révélant un rictus qui le rendait encore plus laid. Donne la datacarte.

Kay’ver ne bougea pas. L’homme poussa un soupir et pivota vers elle.

— Dites-lui de nous donner cette putain de datacarte. De toute façon il est condamné. Quant à vous, bien entendu, il vous sera fait beaucoup de mal et vous serez violée.

Ils éclatèrent tous de rire. Il était un d’un comique… Hélas, cela n’arrangeait pas leur situation car Kay’ver se ferait descendre bien avant d’avoir pu dégainer son arme. Le chef ennemi redevint sérieux et se concentra sur Kya’ver. Le bothan n’avait plus qu’une seconde à vivre.

Dans un fracas de verre brisé, un éclair d’énergie frappa le borgne à la tête tandis qu’un autre atteignit l’homme se trouvant à côté de lui. Mon Mothma plongea au sol. Elle vit une ombre se tenir derrière les deux gardes en couverture qui tentaient de se retourner. L’ombre en tua un et saisit le deuxième par cou. Elle s’en servit comme oublier contre le cinquième homme qui se dirigeait vers Mon Mothma. Il n’y arriva jamais. Enfin, leur sauveur abattit froidement celui qu’il tenait contre lui. Il s’approcha d’eux lentement. Il était blond aux yeux bleus, assez grand, et avait toute une partie du visage tuméfiée. Il pencha au-dessus de Kay’ver. Ce fut à ce moment là qu’elle s’aperçut que le bothan avait été touché au ventre.

— Kyfer ! Je suis content de te voir ! s’écria Kay’ver en ouvrant les yeux.

L’homme examina la blessure puis réalisa efficacement un bandage de fortune.

— Bon sang ! Qu’est-ce qu’y t’est arrivé ? continua le bothan dont la voix tremblait légèrement.

— Une mauvaise rencontre, répondit laconiquement le dénommé Kyfer.

— Je parie qu’il est en pièce à l’heure actuelle.

— Hélas, pour une fois, c’est moi qui ait failli être mis en pièce. A l’heure actuelle, il doit avoir recouvré toutes ses forces et être en grande forme, dit Kyfer en redressant le bothan et en lui passant un bras autour de la taille tout en se tournant vers la sénatrice. Il faut partir immédiatement.

Elle acquiesça puis l’aida à soulever Tak Kay’ver.

 

*  *

*

 

Chapitre 5

 

Ces temps-ci, Mon Mothma trouvait qu’elle empruntait beaucoup les couloirs de service pour quitter les endroits dans lesquels elle se trouvait. Le barman n’avait pas protesté lorsqu’ils s’étaient dirigé tous les trois vers la porte, au fond de la taverne, sur laquelle était marqué « Strictement Réservé au Personnel ». Le dénommé Kyfer venait d’abattre en moins d’une minute cinq redoutables chasseurs de primes. Il y avait de quoi réfléchir un peu…

Le couloir les menant à la porte de derrière était heureusement vide mais l’air était encore plus irrespirable que dans la salle principale : elle ignorait qu’il existait de pareils odeurs ! Ils se dépêchèrent de rejoindre l’autre bout du couloir car la bagarre serait autrement plus difficile s’ils étaient surpris au centre de cet étroit boyau où il n’y avait aucun renfoncement pour se cacher.

— Restez ici, lui ordonna Kyfer lorsqu’ils eurent rejoint la porte.

Il la laissa tant bien que mal supporter le poids de Kay’ver et ouvrit la porte. De l’autre côté se tenait un garde qui semblait appartenir au même groupe de chasseurs de primes qui l’avait attaquée quelques minutes plutôt. Kyfer ne lui laissa pas le temps de régir. Il lui sauta dessus tel une bête féroce. Il envoya voler l’arme du garde puis lui régla son compte à mains nues.  Il se redressa ensuite et la rejoignit pour porter à nouveau son élève. Ils marchèrent le plus rapidement possible vers un speeder qui était garé un peu plus haut dans l’impasse, non loin de la porte de derrière de la taverne. Ils installèrent le plus confortablement possible le bothan sur la banquette arrière, puis se glissèrent sur les sièges avant.

— C’est à cause de ce petit repérage que je suis arrivé en retard. Il y en a trois autres à l’entrée principale. J’espère qu’on a été assez discret, expliqua Kyfer en mettant en marche le véhicule. Il nous faut remonter. Vous avez les RAFC à vos trousses.

Le speeder décolla et monta en flèche vers la lumière des strates supérieures de la planète.

— Les RAFC ? répéta lentement Mon Mothma cherchant à se souvenir si elle connaissait ce nom.

— Les Rois Antiques des Fonds de Coruscant. Un nom bien pompeux pour désigner une guilde de mercenaires voulant régner sur les bas-fonds de la planète. Ils se sont rassemblés pour contrer le Soleil Noir qui veut prendre leur territoire. On va arriver dans les territoires du Soleil Noir, théoriquement on devrait être en sécurité, expliqua Kyfer en ralentissant progressivement leur montée. Je dis bien théoriquement car je n’ai jamais vu les RAFC accepter un contrat aussi rapidement. Vous avez dû contrarier quelqu’un de vraiment très important.

Mon Mothma le regarda pendant de longues secondes hésitant à révéler ce pourquoi on la pourchassait.

— Palpatine, lança la jeune femme après avoir pris sa décision. C’est Palpatine que j’ai contrarié. Kay’ver possède les preuves de sa duplicité. Il nous a manipulés depuis le début : tout ce qu’il voulait, c’était le pouvoir absolu.

Ce fut au tour de Kyfer de la fixer intensément : il voulait savoir si elle disait la vérité. Puis il frappa violement les commandes du speeder.

— Merde ! J’aurais sacrifié ma vie pour lui ! s’exclama-t-il d’une voix chargée de la colère d’avoir été trahi.

Mon Mothma n’avait rien à dire. Elle savait ce qu’il pouvait ressentir, elle avait ressenti la même chose lorsqu’elle avait découvert la vérité. La seule différence c’était qu’elle s’en doutait depuis plusieurs semaines tandis que Kyfer était prêt à mourir pour cet homme. Toutefois, voyant sa mine défaite, elle se força à trouver des mots pour le soulager.

Elle n’eut pas à les prononcer : une explosion à l’arrière de leur véhicule attira leur attention. Mon Mothma se retourna et vit trois motos-speeders les poursuivre.

— Les gardes de l’entrée, indiqua Kyfer en accélérant et se mettant à slalomer dans la circulation incessante de Coruscant.

Les mercenaires se mirent à accélérer à leur tour et à les suivre dans leurs manœuvres périlleuses. Kyfer essaya d’abord de les semer en dépassant tous les speeders se trouvant devant lui. Ils frôlèrent plusieurs fois l’accident et un innocent speeder s’embrasa recevant des tirs qui leur étaient destinés. Puis voyant que cela ne fonctionnait pas, il plongea vers la bande de circulation inférieure. Dès qu’il l’atteignit, il redressa le speeder et remonta aussitôt. Ils traversèrent entre deux speeders la file dans laquelle ils s’étaient trouvés au moment de l’attaque. Ils continuèrent à monter jusqu’à la bande de circulation supérieure. Les bandits les suivaient toujours. Kyfer braqua sur la gauche pour se retrouver, dans la file d’à côté, à contresens. Mon Mothma ne put s’empêcher de crier mais n’arriva pas à fermer les yeux tellement elle était tétanisée. Les tirs en provenance de l’arrière ne s’interrompirent pas. Cependant, ils entendirent une explosion et des débris volèrent au-dessus d’eux. Kyfer quitta la file et entra, dans le bon sens, dans un des tunnels creusés dans les gigantesques tours de la planète. La jeune femme souffla.

Elle entendit alors un grognement derrière elle. Tandis qu’ils sortaient du tunnel, elle se pencha au-dessus de Kay’ver qui tremblait frénétiquement. Elle lui posa une main sur l’épaula avec l’espoir que ça le calmerait. Il pivota lentement la tête dans sa direction.

— Je sens que ça y est… Je vais partir… Tenez, murmura-t-il en glissant sa main dans sa veste.

Il en sortit la fameuse datacarte qui se trouvait dans un étui et la lui tendit. Un tir d’énergie heurta le speeder le faisant basculer sur le côté. La main de Kay’ver passa par-dessus la portière du speeder. Elle lâcha la datacarte. Mon Mothma agrippée à une poignée ne put rien faire.

— Non ! cria-t-elle en voyant l’objet disparaître de son champ de vision.

Elle fixa pendant de longues secondes l’endroit où elle venait de voir disparaître la datacarte oubliant presque que Kay’ver venait de mourir. Le moteur du speeder se mit à faire des ratés. Le tir avait fait des dégâts. Ils devaient absolument se poser. Et ils avaient toujours deux ennemis aux trousses !

Kyfer entra dans un parking couvert à multiples étages. Il  ne ralentit presque pas dans le parking et ils rejoignirent en quelques dizaines de secondes le dernier étage. Là, il arrêta le speeder entre deux rangés de véhicules.

— Allez derrière ces speeders, ordonna Kyfer en désignant les appareils sur la droite. Lorsqu’ils arriveront, déplacez-vous en restant à couvert.

Mon Mothma le regarda avec incertitude.

— Maintenant !

Elle entendait les motos-speeders arriver. Elle descendit de leur véhicule et alla se cacher derrière la rangée de droite. Les deux bandits empruntèrent l’allée où ils avaient laissé leur speeder. Mon Mothma vit alors que Kyfer avait disparu. Alors que les ennemis ralentissaient, elle exécuta les ordres de son camarade. Elle se déplaça le long des speeders courbée en deux. Les bandits s’arrêtèrent et pivotèrent dans sa direction. Elle les vit sortir leurs blasters. Kyfer surgit, de derrière une colonne du parking, ses deux blasters à la main. Il héla les deux chasseurs de primes. Ils se retournèrent. Il tira. Elle détourna le regard et entendit deux corps tomber à terre. Puis, le silence se fit.

La jeune sénatrice rejoignit Kyfer qu’elle retrouva penché au-dessus du corps de Kay’ver. Il lui ferma doucement les yeux.

— Je vais vous emmener dans ma planque. Il y a un peu de monde mais vous y serez en sécurité, annonça-t-il en levant sa tête.

Mon Mothma secoua la sienne.

— Non. La datacarte… Il l’avait en main…. Elle est tombée. Je dois retourner chez moi.

Elle vit alors Kyfer froncer les sourcils, puis saisir le bras gauche de Kay’ver et lui remonter sa manche. Un bracelet télécommande était attaché au poignet gauche du bothan.

— Kay’ver, je t’ai bien formé, dit-il en souriant. Ses datacartes sont spéciales : elles ont un émetteur à l’intérieur. Et voila le récepteur.

— Mais, vu la chute, elle doit être en miettes, observa pertinemment la jeune femme.

— Ça m’étonnerait : son étui peut résister à une torpille à proton.

Il appuya sur un bouton du bracelet : un faible bip retenti.

— Nickel. Il nous suffit de suivre la piste. 

— Et les RAFC ?

— Très juste, déclara Kyfer en sortant un comlink de sa poche. Allô ? Soleil Noir ? Je sais que c’est vous. Je voulais simplement vous signaler la présence de deux corps suspects dans un parking couvert du secteur 425. À votre place, je surveillerai un peu mieux mon territoire. 

Il raccrocha juste après. 

— Ça devrait occuper un peu tout le monde.

Kyfer sortit un curieux objet de leur véhicule et se dirigea vers un speeder de couleur noire. En moins de dix secondes, il ouvrit l’appareil sans déclencher la moindre alarme et se pencha sous les commandes. Mon Mothma ne pouvait être qu’admirative : il trouvait rapidement une solution pour chaque problème. Elle était impressionnée, pourtant elle se targuait d’être une personne qu’on impressionnait que très difficilement. Il représentait un atout qu’il serait sage de ne pas négliger dans le futur. Enfin, s’ils survivaient…

La jeune femme regarda une dernière fois Kay’ver et elle sut qu’elle ne pouvait pas le laisser ici.

— Et Kay’ver ? Il faut faire quelque chose, on ne peut pas le laisser comme cela.

— On ne peut pas l’emmener, répondit Kyfer qui avait réussi à faire démarrer le speeder qu’il projetait de voler. Venez. On doit y aller. Je ne suis pas très chaud de tomber sur les hommes du Soleil Noir.

Mon Mothma resta immobile le défiant du regard. Kyfer ne bougea pas et ne détourna pas les yeux. Ils luttèrent ainsi pendant de longs instants. Puis, résigné, Kyfer se leva et s’approcha du speeder dans lequel reposait le corps du bothan. Il resta immobile le temps d’une dernière pensée, puis détacha un cylindre de sa ceinture et le lança dans le véhicule. Il se retourna et elle le suivit vers leur nouveau véhicule.

Le speeder où restait Tak Kay’ver explosa au moment où ils partirent rechercher, quelque part sur Coruscant, la datacarte qui pourrait provoquer la chute du Chancelier Suprême Palpatine.

.

*  *

*

 

Chapitre 6

 

Mon Mothma était quelqu’un d’ordinairement très patient : c’était une qualité indispensable si on voulait faire de la politique. Or en ce moment, après simplement plus d’une heure de recherches minutieuses, elle était prête à piquer une crise de nerf et à tout envoyer promener pour retourner à son appartement. Ils avaient vite remarqué que le détecteur de Kay’ver n’était pas d’une précision remarquable, en fait il était fait pour chercher un objet proche de soi et si on agrandissait la zone de recherche le signal devenait beaucoup plus flou. De plus, ils devaient uniquement se guider à l’intensité et à la fréquence du bip émis. Cependant, ils avaient réussi à circonscrire une zone de quelques centaines de mètres de diamètre mais de plusieurs kilomètres de hauteur. Le seul point positif c’était que la datacarte ne pouvait pas voler d’elle-même. 

Ainsi, pour tenter de rester calme, elle discutait avec son compagnon comme si elle n’avait que ça à faire et que la galaxie n’était pas sur le point de tomber entre les mains d’un dictateur. Elle apprit donc qu’il se prénommait Jhac, et qu’il était né et avait grandi dans le Conglomérat d’Orwin : ensemble de planètes qui s’était illustré en étant un des premiers à passer dans le camp des Séparatistes quelques années avant le début de la Guerre des Clones. Quant à lui, il avait quitté le conglomérat quelques années avant la trahison suite à une petite embrouille. Il était ensuite entré au service d’un cousin de Bail Organa qui était ambassadeur sur une modeste planète du Noyau. Après une année de bons et loyaux services, il rencontra Bail Organa avec qui il se lia d’amitié et qui le fit arriver sur Coruscant peu de temps avant le début de la guerre. Il resta un peu énigmatique sur ce qu’il fit pendant la guerre, toutefois, il lui révéla qu’il avait collaboré avec les Jedis au cours de différentes missions sur le terrain ainsi que sur Coruscant.

— Là, je crois que ça y est, annonça Kyfer en prenant un peu de vitesse.

Mon Mothma ne se réjouit pas : c’était la quatrième fois qu’ils pensaient l’avoir localisée. Toutefois, elle espérait que c’était la bonne car jusqu’à présent ils avaient eu de la chance. Ils avaient opéré leurs recherches pendant la courte période qu’on considérait comme étant « la nuit » sur Coruscant, c’est-à-dire environ une heure durant laquelle on pouvait remarquer une baisse notable de l’activité de la planète. Dans quelques minutes, la vie reprendrait le contrôle et il serait impossible de poursuivre leurs recherches à bord du speeder.

— Je suis persuadé que c’est la bonne, insista Kyfer voulant garder espoir.

Elle espérait qu’il avait raison et que l’endroit où reposait la datacarte était facilement accessible. Il poussa un ouf de soulagement lorsqu’elle s’aperçut qu’ils se dirigeaient vers des galeries accrochées sur trois étages à la façade de plusieurs immeuble sur plus de deux kilomètres de long. Ces galeries devaient abriter des magasins vendant tout ce que l’on pouvait se procurer de part la galaxie, des restaurants pour tous les goûts, des centres de loisirs pour tous et bien d’autres choses encore. Sur le toit des galeries se trouvait une terrasse qui était délimitée par des balustrades, et qui, lorsqu’elle longeait un immeuble, ouvrait sur encore d’autres boutiques. Du bas des galeries s’étendaient des promontoires au bout desquels se trouvaient des plateformes qui servaient à garer son véhicule. C’était vers un de ceux-ci qu’ils se dirigeaient. Kyfer immobilisa le speeder sur une plateforme déserte puis leva les yeux vers le sommet des galeries.

— Logiquement, elle doit être tombée sur la terrasse, observa-t-il en sortant du speeder.

— Logiquement… Dépêchons-nous, il va bientôt avoir beaucoup plus de monde, avisa Mon Mothma en remontant déjà le promontoire.

Comme presque tous les lieux publiques sur Coruscant, les galeries étaient ouvertes et fréquentées à toute heure du jour et de la nuit. Ils entrèrent d’un pas rapide dans les galeries et émergèrent trois étages plus haut sur la terrasse moins de cinq minutes plus tard. Jhac affina le réglage du récepteur, serra le poing voyant qu’il recevait toujours le signal, puis fit un tour sur lui-même et se mit à avancer dans la direction où il recevait le meilleur signal. Mon Mothma le suivait le regard fixé au sol dans l’espoir d’entrapercevoir l’étui de la datacarte.

— C’est ici, déclara Kyfer en s’arrêtant au milieu de la terrasse.

Il se mit accroupi et commença à examiner attentivement le sol face à lui. La jeune femme, penchée en avant, chercha dans une autre direction. Ils délimitèrent une zone de dix mètres de large et la parcoururent dans tous les sens provoquant la curiosité et des fois la colère des passants qui devaient les contourner. Ils examinèrent tout ce qui se trouvait dans le périmètre de leurs recherches : d’un banc à une poubelle en passant par le sommet d’un antique lampadaire auquel Kyfer dut grimper. Jhac alla même jusqu’à interroger les commerçants se trouvant face à leur zone de recherche. Rien. Dégoûtée, elle détourna les yeux. Un éclat métallique attira son attention. Cela venait de la balustrade. Elle sentit son cœur s’emballer dans sa poitrine. Lentement, elle se rapprocha du parapet de la terrasse. Bientôt, elle distingua un objet qui ressemblait à s’y méprendre à l’étui de la datacarte. Elle accéléra. Une légère brise déplaça l’étui vers le bord externe de la balustrade. Elle bondit en avant et plaqua sa main sur l’objet au moment où il allait basculer dans le vide. Ouf ! Elle respirait. Elle prit en main l’objet et la porta à ses yeux pour l’examiner. Un sourire de victoire illumina son visage : elle l’avait retrouvé.

— Kyfer ! appela-t-elle en serrant la datacarte. Je l’ai. Elle était sur la balustrade.

— Bien, répondit-il en souriant alors qu’elle lui montrait la précieuse datacarte. On y va maintenant.

— Je vous suis. Allons dans votre planque, je dois préparer mon intervention au Sénat, dit Mon Mothma alors qu’ils redescendaient dans les galeries.

Ils débouchèrent bientôt sur le promontoire menant à la plateforme où ils avaient laissé leur speeder. Toute à sa joie, elle ne fit pas attention au speeder qui s’était garé non loin du leur ni aux trois personnes qui se tenaient à côté de l’autre véhicule. Alors qu’ils montèrent sur la plateforme, les trois hommes se placèrent sur leur chemin et sortirent leurs armes. Mon Mothma et Kyfer voulurent faire demi-tour mais trois autres gars leur barraient le passage.

— Parfait, vous avez compris que vous ne pouviez pas vous échapper, déclara d’une voix distinguée un falleen en s’avançant vers eux. Merci pour l’info sur les RAFC. Ils ne sont pas prêts de remettre leurs pieds puants dans notre territoire.

— Comment vous nous avez retrouvé ? demanda Kyfer en tenant ses mains loin de ses armes.

Le falleen sortit un récepteur de sa tunique.

— Nous avons détecté un curieux signal par ici. On m’a envoyé voir de quoi il s’agissait. Maintenant, donnez-moi l’objet.

— Ce n’est rien d’important…Pour vous, bluffa Kyfer en prenant un air innocent.

— T-t-t-t-t. Ce n’est pas bien de me mentir, répliqua le falleen en souriant et tendant la main. Donnez-moi cette datacarte. On me paye très cher pour me la procurer. 

Mon Mothma ne put dissimuler sa surprise : Palpatine avait aussi engagé le Soleil Noir.

— Je vous en offre le triple, proposa très sérieusement Kyfer ne se laissant pas démonter.

— Je ne suis plus à vendre. J’ai déjà reçu un acompte plus que satisfaisant.

— Pauvre con ! Le niveau de recrutement du Soleil Noir a bien baissé ces derniers temps, cracha avec véhémence Kyfer.

Le falleen fit signe à un de ses hommes, un colosse, qui s’avança. Il s’arrêta face à Kyfer et lui flanqua un terrible coup de poing qui le fit tomber à terre. Jhac se releva presque aussitôt la lèvre en sang.

— Tu me retouches, je te tue, déclara-t-il en fixant le colosse qui se préparait pour un deuxième coup.

— Suffit, intervint le falleen. La datacarte. Maintenant !

Rapide comme l’éclair, Kyfer s’approcha d’elle et la serra dans ses bras. Il en profita pour lui glisser une vibrolame.

— Fuyez ! cria-t-il en bondissant sur le colosse.

Mon Mothma se retourna et voulut s’enfuir mais on l’agrippa avant qu’elle ait pu faire deux mètres. Elle vit qu’un deuxième colosse avait rejoint son collègue et qu’à deux ils avaient maîtrisé l’indomptable Kyfer.

— Soit. Si c’est ce que vous voulez. De gré ou de force, vous nous donnerez cette datacarte, déclara le falleen en secouant la tête.

Puis il regarda derrière eux et ordonna à ses hommes de les emmener dans le speeder. Mon Mothma devina que leur petite conversation avait du attirer des curieux. Ils se dirigeaient tous vers le speeder, le falleen et un de ses gars en tête, puis Kyfer tenu par les deux géants, elle ensuite toujours tenue prisonnière, et enfin un dernier bandit en couverture.

Le speeder explosa projetant le falleen et son acolyte, qui étaient les plus près, au sol. Ils ne bougèrent plus : ils devaient être sonnés. Kyfer se mit à gesticuler. Il arriva à libérer une jambe et donna un puissant coup au visage du colosse qui retenait son autre jambe. Il le lâcha et voulut sortir son arme. Kyfer envoya promener le blaster d’un coup de pied puis décocha un autre coup aux parties sensibles de son adversaire. Celui-ci tomba à terre, plié en deux. Kyfer s’occupa de son autre adversaire qui voulait l’étrangler. Il lui donna des coups dans les côtes. Puis lui agrippa la tête et le projeta, grâce à une savante prise, au-dessus de lui. Le colosse tomba lourdement au sol. Kyfer ne lui laissa pas le temps de réagir en lui sautant dessus. Ce fut à ce moment là que Mon Mothma réagit. Elle actionna sa vibrolame et la planta dans la jambe de son adversaire. Il la lâcha en criant. Elle se retourna et lui décocha un coup qui lui fit aussi mal à elle qu’à lui. Par chance, elle avait bien visé et il tomba au sol. Les chasseurs de la défense de Coruscant les survolèrent à nouveau mais ne tirèrent pas cette fois-ci.

— Tu vas mourir salope ! entendit-elle juste à côté.

Le dernier garde pointait son blaster sur elle. Elle vit sa dernière heure arriver. Arrivé de nulle part, Jhac Kyfer le plaqua au sol et lui faisant lâcher son arme. Kyfer sortit un de ses blasters et tira. Mon Mothma poussa un cri. Puis son compagnon se releva et se dirigea vers le falleen qui tentait de se redresser. Il le mit en joue.

— Non ! lui cria Mon Mothma en lui interdisant d’appuyer sur la détente.

Kyfer le regarda avec un regad de haine puis décocha un coup de pied au falleen et rangea son arme. Les chasseurs les survolèrent une troisième fois et au loin ils virent des transports de troupes s’approcher. Palpatine avait encore trompé tout le monde : le Soleil Noir n’avait servi qu’à les retarder.

Ils quittèrent la plateforme et remontèrent la passerelle pour se mettre à l’abri à l’intérieur des galeries.

— Tuer ! Vous ne savez faire que cela ! s’écria-t-elle lorsqu’il fut à l’intérieur.

— Je prends mes responsabilités pour que vous n’ayez pas à les prendre, contra Kyfer qui semblait regagner un peu de son sang froid.

— Cette excuse est minable ! Personne ne vous a nommé pour supporter toute la violence de la galaxie. Tout le monde est responsable. Vous ne réglez rien en prenant le fardeau des autres, lança la jeune femme en secouant la tête.

— Il faut fuir, dit Kyfer en changeant de sujet après un instant de réflexion.

Mon Mothma lut dans ses yeux que ses propos le faisaient douter. Ils parcoururent les galeries sur un kilomètre, en courant et en bousculant nombre de personnes, avant de se décider à monter sur la terrasse. Là, ils eurent la mauvaise surprise de voir que les transports avaient changé de cap : ils se dirigeaient toujours vers eux.

— La datacarte, dirent-ils simultanément en comprenant que les clones captaient eux aussi le signal.

— Il n’y a pas moyen de l’arrêter ? demanda anxieusement Mon Mothma.

Kyfer sortit de bracelet-commande de Kay’ver de sa poche et commença à actionner plusieurs boutons.

— Non. Il faut un code que lui seul connaissait, répondit-il en relevant la tête.

Mon Mothma se tourna vers les navettes qui se rapprochaient.

— Partez. Je m’occupe de les retenir, déclara son compagnon en lui posant une main sur l’épaule.

— Non. Vous ne devez pas mourir aujourd’hui, annonça-t-elle froidement : elle avait pris sa décision.

Elle prit l’étui en main et en sorti la datacarte. Elle laissa tomber devant elle le précieux objet.

— Vous ne pouvez pas faire ça, dit Kyfer qui avait compris.

— C’est la seule solution. Palpatine ne nous lâchera pas et mort nous ne servirons à rien.

Tout en fixant les transports remplis de clones effectuer leur approche sur les plateformes, elle écrasa de son talon la datacarte la rendant ainsi inexploitable. Elle répéta ce mouvement pour s’assurer que toutes les pièces étaient en miettes. Elle ne porta pas un regard à son œuvre, sachant qu’elle ne pourrait le supporter, et se tourna vers Kyfer.

— Alors, Jhac, si vous avez un dernier atout dans votre manche, c’est le moment.

Il inclina la tête et se dirigigea vers le terminal informatique le plus proche. Il sortit une datacarte et l’inséra dans le terminal.

— Le dernier coup de génie de Tak Kay’ver, expliqua-t-il en la fixant, son regard chargé d’émotion.

Une sirène se mit à hurler. La borne anti-incendie la plus proche explosa dans une gerbe d’eau créant ainsi une surprenante fontaine. Puis ce fût la suivante, et puis celle d’après. Cela se propagea sur toute la longueur de la terrasse. A l’intérieur des magasins de puissants jets jaillissaient des sprinklers. Puis, ce fût dans les couloirs que cela se déclencha, et ensuite dans les étages supérieurs. Chaque pièce de l’immeuble fût touchée. Puis ce fût l’immeuble voisin, l’immeuble d’après ou encore l’immeuble d’en face. En quelque sorte, il pleuvait sur un secteur entier de Coruscant. Surtout, cela réveilla et fit sortir tout le monde. Même lors du changement d’année, il n’y avait pas autant de monde dehors. C’était une bien belle pagaille, idéale pour s’éclipser en toute discrétion.

 

*  *

*

 

Epilogue

 

Le ciel de Coruscant s’éclaircissait, bientôt le soleil réapparaîtrait à l’horizon. Assise face à Jhac Kyfer dans une minuscule ruelle des bas-fonds de la planète, Mon Mothma pleurait. Elle avait fini par craquer. Elle venait de survivre la nuit la plus épouvantable qu’elle ait connue. Une nuit qu’elle n’oublierait jamais et qui allait la marquer à vie…

Son cousin, le maître Jedi Jor Aeldan, était mort devant elle exécuté par ses propres hommes. Le tir de blaster qui avait tué le jeune apprenti de son cousin résonnait encore dans sa tête. Elle revoyait les flammes et l’épaisse fumée noire s’échapper du temple Jedi réduisant au silence la paix et la justice dans toute la galaxie. Elle avait eu en main la preuve qu’un être diabolique donnait la touche finale à un plan, vieux de plus de treize ans, consistant à prendre le contrôle de la galaxie. Elle avait dû détruire cette preuve après s’être rendu compte que sa vie était plus importante. On pouvait mourir pour une cause, mais une cause n’existait pas sans quelqu’un pour la défendre. La mort l’avait poursuivie tout au long de la nuit et avait frappé un camarade qui croyait aussi à cette cause. Finalement, elle avait compris que la violence entacherait malheureusement sa lutte contre le tyran. La voie pacifique était morte en même temps que les Jedi.

Mon Mothma sécha ses larmes et regarda l’homme, face à elle, qui lui avait sauvé plusieurs fois la vie durant la nuit. Il ne la regardait pas, il fixait le vide et elle comprit que lui aussi devait faire face à la vérité. Puis sentant son regard, il se ressaisit et la regarda.

— Qu’est-ce vous allez faire maintenant ? demanda-t-il sur un ton étonnamment doux.

Elle le contempla minutieusement. Son visage était marqué par les coups qu’il avait reçus, et elle devinait que ça devait être pareil sur tout le reste de son corps.

— Vous souffrez ? interrogea-t-elle après s’être rendu compte de la gravité des blessures.

— J’ai connu des jours meilleurs, répondit-il avec un sourire désabusé.

— Et vous, Jhac, qu’est-ce que vous allez faire ?

— Je vais contacter Bail Organa pour qu’il me fasse quitter la planète avec quelques personnes. Puis, je tenterais de me remettre de cette nuit.

— Je vais continuer la lutte, commença Mon Mothma en réponse à la question de Kyfer. Nous avons perdu une bataille aujourd’hui, mais je me refuse à penser qu’on ait perdu la guerre. Je vais organiser une opposition… Armée et secrète. Je ne sais pas combien de temps ça nous prendra pour triompher, mais je suis patiente et déterminée. Avec Bail, nous changerons les choses.

— Je peux vous donner un petit coup de main sur le terrain, proposa Kyfer alors qu’elle se levait.

— J’y compte bien, reprit Mon Mothma qui dans sa tête l’avait déjà recruté. Maintenant, partez et reposez-vous. Dans quelques jours, nous vous contacterons pour votre première mission. Je dois me préparer pour assister au triomphe qu’a sans aucun doute organisé Palpatine pour son accession au pouvoir absolu.

Elle lui tendit la main, il la serra avec respect.

— À un de ces jours !

Jhac la regarda s’éloigner lentement. Le soleil se levait sur Coruscant, il venait d’assister à la naissance du leader charismatique de ce qui allait bientôt s’appeler la Rébellion.
Faces à Faces - MasterVega
 

Chapitre I

 

— Je vois que vous savez apprécier un bon vin Monsieur Terrick, constata avec un amusement mêlé d'ironie l'homme élégant qui trônait à l'autre bout de la petite table.

— Je parie que ça vous surprend chez un homme de la rue, répondit l'autre avec un sourire que masquait à moitié le long verre de cristal de Damaska qu'il tenait devant son nez, humant avec contentement le nectar couleur de rubis sanglant. Vous pensez sans doute qu'un type comme moi, qui affectionne les vestes en reptile, n'a pas assez de goût pour faire la différence entre un grand cru et une vulgaire piquette de cantina.

— Loin de moi l'idée de sous-estimer votre capacité à apprécier la valeur des choses, reprit avec sérieux le politicien. Sans cette qualité admirable, vous feriez bien piètre figure dans votre domaine.

— Comme c'est bien dit Sénateur Estariol. Vous n'invitez sans doute pas à votre table des gens de peu de valeur.

— Détrompez-vous mon ami. Cela arrive plus souvent que vous ne l'imaginez. Le grand jeu du pouvoir implique que les puissants côtoient parfois les médiocres car même la vermine a son utilité.

— Hmm, maugréa Terrick. Est-ce que je dois me sentir insulté par votre jolie formule ?

— Si vous avez su reconnaître la valeur du vin qui est dans votre verre, alors vous ne douterez pas de celle que je vous accorde, répondit le seigneur Estariol d'un ton sans réplique. La piquette comme vous dites, je ne la sers qu'aux gens de peu.

— Je vous remercie. En toute franchise, j'avoue que ça me plaît de vous avoir à la bonne. Et ce vin est une merveille.

Estariol sourit de cet habile changement de cap qui redonnait à la conversation un ton plus léger.

— J'ai des vignobles tout à fait admirables sur les coteaux qui entourent la vieille demeure familiale. J'en tire des quantités modestes, mais le bouquet envoûtant rattrape très largement ce petit défaut. De toute façon ce cru n'est servit que pour mon plaisir et celui de mes amis, ainsi je vous l'ai dit.

Ils apprécièrent dans un silence quasi-religieux le contenu de leurs verres, alors que de l'autre côté de la baie se levait la nuit artificielle de Capital City, au milieu des tours titanesques qui abritaient l'élite de Coruscant. Estariol jeta un regard vers le visage de Terrick, détaillant les traits nerveux, le regard vif et la lueur d'envie qui y brillait. Le sénateur ne connaissait que trop bien les ambitieux et il avait devant lui un spécimen merveilleux.

— L'expression parfaite du pouvoir, lança Estariol. Le palais et ses beautés... impressionner les masses pour mieux les mettre au pas.

— Voilà un discours qui sonne étrangement dans la bouche d'un modéré comme vous Sénateur. Le vin vous monte à la tête ?

— Ne vous faites pas plus naïf que vous ne l'êtes Monsieur Terrick. Démocratie, Autocratie, Dictature...peu importe ! Toutes utilisent des ressorts communs pour s'imposer et gouverner les hommes. Certaines le font avec plus d'élégance.

— Une main de fer dans un gant de velours c'est ça ?

Estariol approuva d'un hochement de tête. D'une impulsion légère sur le tableau de commande inséré dans l'un des bras de son fauteuil à répulseurs, il diminua l'éclairage, plongeant la pièce et son admirable décoration dans une pénombre moins accueillante. Terrick, par habitude plus que par crainte, jeta un oeil nerveux vers Zia, son garde du corps, une fille  élancée et bougrement sexy -c'est ainsi qu'il les aimait- qui se tenait près de la porte, passant une main nerveuse dans ses courts cheveux roses. Il se détendit bien vite. Estariol n'était pas le genre d'homme à tacher ses tapisseries rares avec le sang d'un caïd de la pègre. Pour se débarrasser des gêneurs, pensait Terrick, un des plus puissants seigneurs du système Tapani devait sans doute opter pour une solution plus élégante...plus noble. Comme du poison dans un verre ? Ridicule conclut-il en avalant avec plaisir une dernière gorgée de ce vin fameux.

— À présent cher Monsieur Terrick, abordons le sujet qui nous tient tous deux en haleine depuis le début de cette aimable échange, reprit Estariol avec un sérieux absolu.

— Je n'attendais que ça votre seigneurie, répondit l'autre avec un sourire carnassier.

— N'éprouvez vous pas, mon ami, un étrange sentiment à l'idée que nous puissions ainsi deviser entre hommes d'affaires, envisageant avec sérénité un avenir doré alors que tout autour s'effondre la République, et que se profile à l'horizon des temps de fer et de feu ?

— Les gens comme moi sénateurs, n'ont que faire des changements de régimes, répondit Terrick avec une moue désabusée. Mon monde c'est celui de la rue et il est bien plus vieux que cette foutue République. Et les types de mon espèce ont des facultés d'adaptations inégalées. Nous ne vivons pas pour des choses périssables ou corruptibles comme...des idées. On vit pour l'argent. Et l'argent, jusqu'à preuve du contraire, est éternel.

— Il y a beaucoup de pragmatisme dans votre vision des choses Mr Terrick, ajouta Estariol avec une ironie forcée. C'est ce pragmatisme qui fait de vous un survivant. Vous êtes bien armé pour franchir sans grands maux cette difficile époque de transition.          

— Je soupçonne seigneur, que vous vous sortirez sans trop de casse de tout ce grand fatras galactique, répliqua Terrick. Le système Tapani est bien assez riche pour se passer des autres.

— Je ne pleurerai pas sur la République certes. Mais je crains davantage l'inconnu que le connu, et cette bonne vieille baderne de démocratie m'était familière. Ce qui s'annonce ne me rassure guère.

— Les Jedi sont foutus. Si le système part en vrille une bonne fois pour toute, ils disparaîtront. Je ne verserai pas une larme sur ces salopards de donneurs de leçons.

— Il se murmure que Palpatine voudrait les écarter du pouvoir.

— Comment il va faire ça ? Ils sont plutôt populaires ces gars-là.

— Une mise en accusation est à envisager.

— Les Jedi sont tristement blancs comme linge. Il va falloir trouver du lourd pour les envoyer au pilori.

— S'il le faut, ils trouveront. La curiosité des Jedi envers le Chancelier pourrait facilement être interprétée comme une attitude subversive.    Soit ! Je soupçonne que tout cela va connaître un dénouement dans très peu de temps. L'air est chargé des relents de la mort et je pressens une grande tragédie.

Il avait dit ça sans passion ni cynisme, en regardant dans le lointain la coupole démesurée du Sénat et la vertigineuse ziggurat du Temple, symboles intimidants de deux mondes inconciliables, celui des idéaux et celui de la politique. Terrick ne trouva rien à ajouter.

— Pourquoi m'avez-vous fait venir Sénateur ? dit-il finalement.

—Je veux que vous sauviez la vie d'un homme, Mr Terrick, lança le noble seigneur sans ambages, et sans un regard vers  le criminel classieux qui jouait nerveusement avec son verre de cristal. C'est pour vous une requête un peu particulière je suppose.

— Disons que ça fait pas partie de mes prestations habituelles. Mais je suis capable d'assurer ce genre d'extra. Qui ?

— Un Maître Jedi. Maître Vega. Un homme qui, dans son aveuglement, ignore encore que sa fin est proche.

— Vous savez sans doute des choses que j'ignore sénateur. En tout cas, je doute que Sidh Vega ait besoin de mon aide pour se défendre. Ces types sont les meilleurs combattants de la galaxie.

— Lorsqu'ils font face à leur adversaire, sabre au poing, sans doute. Mais lorsque les poignards sont cachés dans l'ombre et que les masques innocents cachent des assassins, ils sont aussi démunis et faibles que l'homme du commun.         

— Votre idée de complot contre l'Ordre ?

— J'ai un sens pour ces choses-là. Les événements se précipitent et je commence à percevoir la fin, comme la trame d'une tapisserie presque achevée dont on s'apprête à découvrir l'histoire fascinante et colorée.

— Hum...je l'aurais sans doute pas dit comme ça.

 

Estariol se permit un rire, un éclat grinçant et tranchant qui fit frémir Terrick bien plus qu'il ne l'amusa.

— Comment je m'y prends et surtout quand dois-je m'y prendre ? questionna le caïd. Si je comprends bien vous ne savez ni où ni comment il va être abattu. Ce serait bien plus simple de le mettre au parfum histoire qu'il protège ses arrières.

— Justement non. Car dans ce cas, c'est moi-même qui me retrouverai dans une situation périlleuse et je ne veux pas prendre ce risque. Trop de choses sont en jeu.

 

La face émaciée du sénateur se crispa sous l'effet d'une douleur soudaine, qui fit courir sur son corps frêle des spasmes qu'il réprima avec difficulté. Terrick ne se permit aucune sollicitude car c'eût été insulter son hôte. Il était notoire que le brillant fils de la haute noblesse Tapani souffrait d'un mal incurable, qui le privait de l'énergie de sa jeunesse. Les efforts des meilleurs medtechs testaient sans effets. Diminué physiquement, le sénateur n'en continuait pas moins sa brillante carrière, endurant avec un admirable stoïcisme les douleurs de sa chair affaiblie.

D'un geste lent et mesuré, il posa sur la table une petite plaque noire qu'il fit glisser vers son invité. Sans la toucher, Terrick l'évalua de son oeil expert avant de siffler entre ses dents, admiratif.

— Mémoire de masse dernière génération, annonça-t-il au terme de son analyse. Modèle I-800, fabriqué par le Consortium Sullustain des Micro-technologies. Production limitée aux besoins de clients bien précis, gouvernements, grandes corpos… etc. Je sais de source sûre que ces petits bijoux équipent l'ordinateur central du Sénat. Et bien sûr, vous êtes si fabuleusement riche que vous vous en êtes payé un.

— J'aurais pu mais...

— Vous êtes en train de me dire que cette mémoire provient de l'ordinateur du Sénat ? lança Terrick en se penchant un peu plus vers l'objet insignifiant au milieu de la table.

— Non, Mr Terrick. Dérober un objet comme celui-ci eut été à la fois stupide et dangereux. Cependant les données contenues à l'intérieur proviennent bien du macroframe sénatorial.   

— Vous avez réussi à pirater l'ordinateur central, gloussa Terrick. Ca, c'est un sacré putain d'exploit ! Filez-moi les coordonnées de votre hacker, je l'embauche dés demain.

— Comme vous vous en doutez, continua le sénateur sans prêter attention à la dernière remarque du trafiquant, ces données ont une valeur inestimable. Votre tâche va consister à leur trouver une cachette sûre, et à veiller sur elles aussi longtemps que je l' estimerai nécessaire. Et ne vous faites pas de soucis pour votre rémunération. Elle sera à la hauteur de vos talents.

Le jeune sénateur infirme pivota pour lui faire face dans son fauteuil à répulseurs, dévoilant une dentition parfaite. Un prédateur affamé n'aurait pas eu rictus plus effrayant.

*  *

*

 

Chapitre II

 

Depuis une bonne demi-heure, Terrick était tout à sa joie, sorte de frénésie délirante accompagnée de cris et d'imitations d'animaux. Il n'en finissait pas de consulter le petit datapad où il compilait toutes les données concernant ses lucratives affaires. Parfois, il l’agitait avec enthousiasme sous le nez de Zia dont le plus grand mérite était de conserver un stoïcisme parfait, d'autant plus que la circulation à Capital City avait tout du champ d'astéroïdes sous acides. De temps en temps, le caïd improvisait un air de cantina, un truc dansant, remuant... énervant. Si Zia avait pu soupirer elle l'aurait fait volontiers. Décidée à montrer à son employeur qu'il avait atteint à la fois les limites du supportable et celle du ridicule, elle glissa en coulisse un regard assassin.

— Tenez-vous à carreau ou je vous balance par-dessus bord, grogna-t-elle. Vous me tapez sur le processeur.

— Cesse de cracher Zi et apprécie notre bonne fortune, lança Terrick, toujours aussi hilare. Je dis « notre », car ce qui est bon pour moi l'est aussi pour toi. C'est la plus belle affaire que j'ai jamais conclue.

— C'est un coup qui pue, répliqua la jeune femme. Vous cherchez à jouer avec des gens qui s'y entendent mieux que vous dans la magouille. Putain, ces types sont des menteurs-nés !

— Tu me vexes ma poule ! s'outragea Terrick. Hé... C'est moi. Estariol est honnête sur ce coup. Il a besoin d'un gars efficace, un spécialiste de la came en cortose massif. C'est justement mon rayon et il le sait. Rassure-toi, cette mémoire de masse va faire notre fortune. Après ça je vais pouvoir envisager... Hmm comment dire... Une extension de ma zone d'influence.

Zia compris qu'elle aurait bien du mal à doucher  l'enthousiasme de son employeur

— Fais-moi confiance, je sais où je vais, reprit-il avec plus de sérieux. J'ai des réseaux solides, et je peux faire bosser sur le biz des types qui sont de véritables bêtes. Si je décide de planquer cette merveille, personne ne la retrouvera.

Il tapotait avec tendresse la poche où il venait de glisser la mémoire de masse et arborait à présent un air satisfait. Avec une vivacité surprenante chez un homme d'apparence si nonchalant, il sortit de son holster un petit Blas-Tech DL 22 qu'il colla contre la tempe de son garde du corps. Zia ne cilla pas mais comprit bien vite que Terrick ne jouait plus.

— Avise-toi encore de me contredire ou d'insinuer que je suis incapable de m'en sortir et je grille ce qui te sert de cerveau ma beauté, dit-il froidement.

— Bien reçu maître hin hin ! ânonna Zia comme un bon petit droïde de protocole. Tout ce que vous voulez maître hin hin.

— Tu te démontes jamais toi, répliqua Terrick mi-figue mi-raisin. J'aime ça.

Il fit glisser sur elle un regard évaluateur, froid et professionnel.

— Tu es la plus belle créature synthétique que j'ai jamais contemplée de toute ma vie de séducteur. Une oeuvre d'art technologique.

De la provocation pure pensa Zia. Terrick savait parfaitement où toucher pour faire mal. Il lui faisait parfois penser à un medtech sadique titillant les nerfs à vifs d'une espèce rare avec un arc à souder. Juste pour observer les réactions. Ou peut-être par sadisme. Zia songeait de plus en plus à lui pulvériser la mâchoire lorsqu'un sifflement familier l'incita à tourner la tête. Il fallut toute la vitesse de son cyberprocesseur pour leur sauver la vie. L’infime plaque de silicium recueillit les informations visuelles qui, traitées et converties en impulsions électriques, déclenchèrent une série de protocoles de réaction. Des ordres furent transmis aux servomoteurs des bras, à une vitesse bien supérieure à celle d'un humain lambda, et le petit speeder de sport effectua une embardée soudaine qui le jeta hors de la trajectoire brûlante de la roquette. L'ogive tourbillonnante percuta un écran publicitaire géant qui, en l'espace d'une seconde, se transforma en un mur de feu. Zia plongea à travers plusieurs strates de circulation pour éviter un nouveau tir pendant que Terrick se démenait pour ouvrir un compartiment placé derrière la banquette.

— Roquette anti-véhicule K26 de chez Merr-Sonn, hurla Zia pour couvrir le bruit infernal des moteurs poussés à plein régime.

— T'as eu le temps de voir ça ?

— Je suis une oeuvre d'art technologique, répliqua Zia. Vous l'avez dit  vous même patron.

— Ok ça va, cracha le caïd. Sors-nous de là tu veux.

Quatre speeders leur filaient le train, tous identiques et armés lourdement. Terrick pesta et prit les commandes de son bolide, laissant Zia se démener avec leurs poursuivants.

— Des speeders militaires, cria Terrick. Quel est le salaud qui ose...

— Mettez-là en veilleuse vous voulez, cracha Zia. Je vais essayer de les secouer. Vous, vous filez le plus vite possible vers la surface. Essayez de les semer dans l'Indu. Au sol on pourra peut-être s'en tirer.

Elle se cala contre le tableau de bord et saisit le lourd lanceur de projectiles qu'elle coinça dans le creux de sa hanche. Sans hésiter, elle fit feu sur l'appareil le plus proche. Avec un bruit sourd, un projectile perforant à haute vélocité fut projeté du canon et s'enfonça dans un blindage étrangement moelleux. Deux secondes s'écoulèrent pendant lesquelles Zia s'interrogea avec un détachement louable sur l'efficacité du joujou. Puis dans un fracas épouvantable, la moitié avant du speeder fut arrachée, dispersée en milliers de fragments. Le véhicule mutilé plongea vers le sol, entraînant ses occupants vers une mort lente à venir. La surface était encore loin.

— Mais où est-ce que vous avez trouvé ce machin ? lâcha Zia avec un étonnement sincère.

— On discutera de mes réseaux de fournisseurs un peu plus tard si tu veux bien, expliqua un Terrick complètement absorbé par son pilotage. Pour l'instant, je ne me sens pas de faire une conférence.

Le reste de la meute ne fut pas long à comprendre la menace et se mit à bonne distance. Zia jura en voyant que le système de visée intégré indiquait maintenant une portée supérieure aux capacités de l'engin. Elle mit l'arme de côté et reprit les commandes du speeder, dégageant Terrick d'un coup d'épaule.

— Vous faites du tourisme ou bien ? ironisa-t-elle. Si je vous laisse faire on va finir par s'arrêter au bar du coin pour siroter un verre.

— Bon ça va, je fais ce que...

Terrick hurla alors que Zia plongeait à la verticale, coupant les lignes de circulation à une vitesse que le caïd jugea légèrement déraisonnable, se glissant entre les obstacles au prix de manoeuvres qui relevaient davantage de l'Académie Navale que de la licence basique de pilotage. Les trois speeders survivants disparurent rapidement dans le flot dense de véhicules, incapables de tenir la cadence.

— Je crois que tu les as semés, triompha Terrick. Bien joué Zi !

— Je m'appelle Zia, fit remarquer l'androïde, acerbe. C'est déjà trop long pour vous ?

Elle poussa les phares à pleine puissance afin de percer l'épais rideau de grisaille qui commençait à apparaître au-dessus des zones basses de la ville. Un décor glauque se dessina peu à peu, ruelles sales, bâtiments lépreux dévorés par les nuées acides que rejetaient les industries lourdes du secteur. Rien ne semblait bouger ici si ce n'est l'épaisse toison de débris en tous genres qui recouvraient le sol en permabéton et que des vents nauséabonds soulevaient parfois. Capital City était un jardin de fleurs d'acier et de verre dont les racines pourrissaient dans l'indifférence générale. Ce royaume sous le brouillard n'étaient habité que par des ombres, les pires rebuts de la société de Coruscant mais aussi les âmes les plus désespérés, des légions de pauvres hères, qui partageaient avec les abominations des sous-sols des instincts de bêtes.

— J'espère que tu sais ce que tu fais, dit Terrick dans un murmure. C'est un des coins les plus mortels de Capital City. T’es au courant ?

— C'est provisoire, répondit Zia. Ils vont finir par se décourager. Je doute qu'ils se risquent à nous suivre jusqu'ici.

Les senseurs du speeder bipèrent un signal d'alerte. Terrick soupira à l'adresse de Zia tout en dégageant son blaster et en se saisissant du lance-projectiles. L'androïde coupa les phares du speeder et tira sa vibro-épée de son fourreau, exécutant quelques mouvements machinaux. Dans sa main gauche, elle tenait un blaster lourd.

— Ca fait un bail que j'ai pas tiré sur quelqu'un, badina Terrick. Maintenant que je suis un homme important, je délègue ce genre de tâches à d'autres.

— Je sais, répondit Zia. Trouvons-nous un bon couvert. Si comme je le crois on a à faire à des mercenaires, ça va sévèrement fumer.

Les bâtiments du coin ressemblaient à usine chimique désaffectée où la rouille s'offrait un véritable banquet, rongeant la moindre parcelle de métal comme un cancer vorace. Terrick eut bien du mal à trouver une surface verticale encore capable de le protéger. Il finit par se pelotonner derrière un panneau déflecteur qui devait préserver jadis les droïdes de chargement du souffle brûlant des stabilisateurs des barges de transport. Zia, d'un bond surhumain, disparut dans les hauteurs et se fondit dans la brume.

— Où elle va bordel ? maugréa Terrick.

La voile jaunâtre se fit moins trouble lorsque les projecteurs à longue portée des speeders balayèrent le sol à la recherche de leurs cibles. Tassé derrière son mur, Terrick ne bougeait pas d'un pouce et vérifiait sans cesse le niveau de chargement de son pack énergétique. Une minute s'écoula peut-être. Au-dessus de lui, les projecteurs s'éteignirent, remplacés par la lumière plus douce des phares standard. Les trois speeders se posèrent autour de l'appareil des fuyards et les stabilisateurs se turent.

— Ils se risqueront pas par ici qu'elle disait, maugréa Terrick. Quel pif t'as ma belle ! 

Les six soldats qui bondirent souplement hors des petits appareils de combat trapus n'avaient rien de simples mercenaires. Tous revêtus d'une armure de combat lourde d'un noir mat et portant des blasters mitrailleurs légers, des vibro-lames courtes à la ceinture et un assortiment de grenades miniatures, ils ressemblaient davantage à un commando expérimenté qu'à une bande de soldats de fortune commandités  à la dernière minute. Terrick siffla entre ses dents serrées et sentit la peur, cette fidèle compagne des années de misère, se lover lentement dans ses entrailles. Il souhaita avec ferveur que Zia passe à l'action, qu'elle trouve un moyen de le tirer d'affaires une fois encore. Zia et ses bonnes idées, son astuce et son bras qui ne tremblait jamais. Rien ne se passait. L'avait-elle abandonné en même temps que sa chance ?

Les soldats se déployèrent dans le large espace de la rue et adoptèrent aussitôt une démarche prudente, balayant les environs à l'aide des scanners intégrés à leur casque. Ils ne mettraient certainement pas beaucoup de temps à dénicher leurs proies. Terrick jeta un oeil par dessus le muret et s'aperçut qu'ils s'étaient divisés en trois groupes. Deux avaient déjà été happés par le brouillard. Une poignée de secondes, c'est tout ce qu'il restait au caïd.

Il accepta avec fatalisme l'évidence de sa situation. Ca sent la fin de règne mon vieux, se dit-il, alors qu'il glissait son blaster dans son étui à la taille. Il essaya d'imaginer une solution de secours et se demanda s'il ne pouvait pas temporiser pour permettre à Zia d'agir. Trop tard. Terrick, malgré la confiance inhabituelle qu'il avait placé dans sa protectrice, s'avoua avec amertume que l'androïde avait sans doute fui pour sauver sa peau synthétique. Il ne pouvait lui reprocher quoi que ce soit car, après tout, Zia était tout comme lui une survivante qui depuis des années luttait pour s'extraire de l'enfer où on l'avait jetée. Elle méritait bien de s'en tirer.

Ce qui mettait Terrick en rage c'est l'odeur nauséabonde de la trahison qu'il sentait émaner de toute cette histoire. On l'avait vendu sans vergogne, lui, le businessman implacable et intouchable qui frayait avec quelques-uns des plus prestigieux noms de Coruscant, nobles, magistrats, sénateurs, grands patrons de corporations. Des années de travail gâchées, irrémédiablement compromises par la bassesse de quelques petits ambitieux. Il en rit. Il n'aurait pas agi différemment à leur place. Pendant toute sa vie, il avait joué le grand jeu et gagné plus qu'à son tour. Aujourd'hui, il fallait passer à la caisse.

Il entendit deux des soldats se rapprocher de son trou, perçut les souffles rauques échappés des casques et les bips assourdis et réguliers des scanners bio. Avec un courage désespéré, il se redressa et fit face aux deux tueurs qui le mirent aussitôt en joue. Il écarta largement les bras et les regarda bien en face, l'un après l'autre.

— Alors tas de fientes, cracha-t-il avec un mépris cinglant. Faut que vous soyez six et armés pour la guerre pour serrer un type en veste et en chemise de soie. Avant de me buter, dites-moi un peu qui vous envoie. Qui bordel !

— Au nom de la République et du Chancelier Palpatine, prépare-toi à passer le blaster à gauche salopard de trafiquant, fit le chef du groupe avant que sa tête n'explose sous l'impact d'un tir de blaster lourd.

— Zia ! s'écria Terrick tout dégainant son arme et en abattant le second soldat dans le même mouvement.

Les quatre autres réagirent aussitôt et se jetèrent à couvert tout en arrosant copieusement les hauteurs du bâtiment. D'autres tirs fusèrent à travers le brouillard. Un des soldats fut atteint entre les épaules alors qu'il tentait de se mettre à l'abri. Il s'écroula avec un grognement et ne bougea plus. Terrick avait regagné son bunker de fortune et échangeait un feu nourri avec ce qui restait du commando. Un sourire rapace lui fendit le visage quand il réalisa qu'une fois encore la fortune lui souriait, et il se maudit d'avoir douté de son androïde de combat fétiche. L'odeur âcre du gaz Tibanna empuantissait l'air, se mêlant aux effluves des ordures en décomposition. Terrick songea à dégager de son abri avant qu'une grenade ne l'en déloge. Il roula vers un autre couvert juste avant qu'une charge à plasma ne réduise le muret déflecteur en magma incandescent.

Avec un tintement métallique, une petite sphère rebondit au milieu de la rue, projetant tout autour d'elle des décharges ioniques qui crépitèrent dans l'atmosphère enfumée. Terrick entendit avec jubilation les cris frustrés des soldats dont les blasters avaient été réduits au silence par le petit jouet de Zia. Il en profita pour courir jusqu'au speeder, mais un des soldats jaillit de la brume pour lui couper la route, le menaçant d'une vibro-dague salement affûtée. D'un pas de côté sautillant, Terrick esquiva le premier assaut et saisit tant bien que mal le bras de son adversaire avant d'encaisser un méchant coup en bas du dos qui le força à lâcher prise. Il se retourna pour faire face à la prochaine attaque avant de s'apercevoir que  Zia se tenait devant lui, serrant sa vibro-épée poisseuse de sang. La gorge fendue d'un sourire macabre, le commando gisait à ses pieds.

— Plus que deux, lança Terrick comme s'il avait fait tout le boulot.    

Zia secoua la tête.

— J'ai eu les deux autres, expliqua-t-elle froidement. Trop lents. Mauvaise technique. L'un d'eux vit encore. Je lui ai brisé les deux bras.

Terrick grimaça.

— Comment t'as fait ça ? questionna-t-il. Je veux dire, il s'est passé à peine quelques secondes.

— Tout est dans le déplacement patron. Si vous voulez poser des questions à notre prisonnier, magnez-vous le train. Il risque de tourner de l'oeil à tout moment.

— Déjà fini alors ? Moi qui commençait à m'amuser.

Il passa cinq bonnes minutes à questionner le survivant et en apprit suffisamment pour se sentir déprimé. En temps normal, il aurait fait payer ce salopard pour avoir essayer de le descendre, mais il éprouvait davantage de pitié que de ressentiment. Zia avait presque arraché les deux bras de ce malheureux, et les os  saillants avaient percé les chairs à maints endroits. En prime, elle lui avait tranché les deux mains. Une souffrance atroce déformait ses traits, et ses lèvres exsangues n'exprimaient plus que le désir silencieux de mourir. Terrick l'exauça.

Son malaise n'échappa pas à Zia lorsqu'il revint vers les speeders.

— Je suis une machine après tout, lâcha l'androïde. Je fais ce pour quoi on m'a conçu.

Terrick préféra ne pas relever et s'installa lourdement dans le cockpit de son appareil, l'air infiniment las. Zia prit les commandes et ils décollèrent.

— Inutile de rentrer à la maison Zia, commença Terrick faiblement.  Les services secrets ont déjà tout nettoyé et j'ai assez vu de cadavres pour aujourd'hui.

— Tout ça pour la mémoire ? fit Zia incrédule. Alors qu'ils auraient pu négocier pour la reprendre ?

— Les informations contenues dedans ne sont pas seules en cause. Quelque chose de terrible se prépare. Un grand chambardement. Et ceux qui n'entrent plus dans les plans  du Chancelier et de la faction majoritaire risquent de salement déguster.

— On prévient Estariol ?

— C'est déjà trop tard pour lui, soupira Terrick. S'il n'est pas encore mort accidentellement, ils vont sans doute l'arrêter et le faire extrader. C'est d'ailleurs ce qui pourrait lui arriver de mieux.

— On essaie une des planques du Nord de la ville ?

 

Terrick ne répondit pas, fixant l'horizon lumineux de Capital City.

— Je sens que les gens de notre espèce ne vont pas tarder à devenir indésirables sur cette planète. Une reconversion s'impose. Je peux encore m'en tirer après tout. J'ai dans la poche des données qui valent des dizaines de millions de crédits et des comptes déjà bien garnis. Et la galaxie est vaste...

— Mais vous ne voulez pas tirer votre révérence sans un petit coup d'éclat pas vrai ?

— Oh ça non ! s'exclama Terrick en serrant le poing. Je suis ce que je suis, mais j'ai de l'honneur à ma façon.

— On fait quoi alors ?

— On va sauver ce Jedi, ma belle, jubila le caïd. Juste pour le plaisir de faire enrager cette clique de politiciens. Et pour la frime aussi !

 

*  *

*

 

Chapitre III

 

— Maître Windu, puis-je vous interrompre ? demanda le commandant Cody, s'immisçant dans la réunion holographique que tenait le grand Korunnaï avec Yoda, Ki-Adi-Mundi et Aayla Secura.

Anakin était là également, sa haute silhouette ne le cédant en rien à celle de son aîné. Derrière eux, drapé dans les ombres de la salle de commandement, qu'éclairaient à peine les projections holographiques des nombreux champs de bataille de la République, Maître Vega observait la scène en silence.

— Le général Kenobi a engagé le combat avec le général Grievous, reprit l'officier clone. Et nous avons lancé notre attaque.

— Merci Commandant, répondit Mace avant de se tourner vers le jeune Skywalker. Anakin, communique cette information au Chancelier. Sa façon de réagir nous éclairera sur ses intentions.

— Oui Maître dit le jeune homme en quittant la pièce.

Il passa tout près de Sidh et lui adressa un signe de tête, rien de plus qu'un hochement discret et respectueux. La perplexité se lisait sur le visage grave du disciple d'Obi-Wan, trace  d'une agitation dont le maître d'armes avait du mal à évaluer l'intensité. Depuis quelques temps, Anakin se renfermait de plus en plus, affichant un mal être que sa récente nomination au Conseil Jedi ne parvenait pas à effacer. Le jeune homme disparut dans l'encadrement de la porte, la tête basse. La voix de Maître Yoda ramena Sidh à l'instant présent et la conversation dont il avait perdu le fil.

— À de sombres extrémités un tel raisonnement nous conduirait, disait le chef du Conseil. De grande prudence il nous faut faire preuve.

Le silence tomba. Maître Yoda semblait plongé dans une intense réflexion, les rides profondes de son front plus creusées que d'habitude. Il laissa échapper un souffle ténu, peut-être las, peut-être fatigué de chercher à percevoir quelque chose dans l'informe paysage du futur.

— De tout cela, qu'est-ce que Maître Vega pense ? reprit Yoda en fixant avec toute l'intensité de son regard sans âge le visage encore lisse du stratège du Conseil. Que sans détours il parle.

Mace, Ki-Adi et Aayla se tournèrent  vers lui, silencieux et attentifs. D'un pas lent, Sidh approcha de la table de projection, évalua une fois encore l'ensemble des données, les informations qui défilaient, les rapports de batailles qu'il connaissait déjà parfaitement, s'offrant un répit avant de répondre. Il reporta ensuite son regard sur Yoda qui n'avait pas cessé de l'observer.

— Je suis d'accord avec Maître Windu et Maître Mundi. Nous devons contraindre le Chancelier Palpatine à abandonner ses pouvoirs. En se maintenant à son poste sous des prétextes fallacieux, il risque de détruire le peu d'autorité politique qu'il reste au Sénat et contribue ainsi à l'affaiblir et à le décrédibiliser. Si Obi-Wan parvient à nous débarrasser de Grievous, Palpatine n'aura plus de raison de conserver son poste. Quant aux doutes de Maître Windu sur la personne du Chancelier, je les partage. Le Côté Obscur est à l'oeuvre en lui, d'une façon surprenante. Étrangement subtile.

— Peut-être raison notre jeune maître a, continua Yoda. En confiant une mission si délicate à Anakin, une erreur nous aurons commise.

— Je le répète, je n'ai aucune confiance en lui, dit Mace. Je pensais que cette tâche pourrait constituer une épreuve intéressante pour tester sa fiabilité. Aujourd'hui je nourris des doutes à ce sujet. Mais il est trop tard à présent.

Windu et Vega remontait un des vastes halls du Temple Jedi à une allure de promenade, avec ce visage fermé qu'ont les hommes poursuivi par leurs responsabilités. Entre deux longs silences, ils échangeaient quelques mots, des remarques anodines sur le quotidien de l'Ordre, l'entraînement des padawans ou l'avancée des combats dans tel ou tel système stellaire, prêtant une attention distraite aux toutes jeunes recrues armées de sabres de bois, qui répétaient avec un sérieux attendrissant leurs enchaînements.

— Je tiens à m'excuser pour mes absences durant la réunion Maître, dit Sidh, gêné.

— Ne te fustige pas trop, répondit aussitôt Mace. Ta charge de stratège t'impose une réflexion constante et il n'est pas surprenant que ton attention s'émousse par moment. Après tout tu n'es pas un droïde scientifique. Et je t'en prie, Sidh, cesse de t'excuser à tout bout de champ.

— Bien Maître.

— Depuis ta nomination au Conseil, tu sembles te recroqueviller sur ton fauteuil, continua le Korunnaï sur un ton de reproche. Nous t'avons nommé pour remplacer Oppo Rancisis et si nous avons pris cette décision, c'est parce que nous t'en jugions digne.

— Je ne mets pas en doute le choix des membres du Conseil, affirma Sidh humblement. Mais... J'éprouve des réserves quant à ma capacité à assumer le rôle de Maître Rancisis.

— Tu en es tout à fait capable, trancha Mace. Tu es le seul à maîtriser encore la méditation de combat. C'est grâce à ce don rare et à ta profonde connaissance de l'art de la guerre que nous pouvons espérer vaincre sur les champs de bataille les plus difficiles. Maître Rancisis est mort sur Saleucami. Mort en Jedi. En Jedi tu prends sa suite.

Sidh connaissait assez bien son maître pour savoir que la discussion était close et il crut bon de le montrer.

— Bien Maître. Je ne vous décevrai pas.

— Tu ne me décevras pas, termina Mace. C'est un fait.

Le visage glabre du grand guerrier s'illumina d'un bon sourire et il posa sur l'épaule de son ancien padawan une main réconfortante.

— Nous avons vécu des jours difficiles. D'autres encore nous attendent Sidh. Je te félicite pour ta démonstration sur les barricades. Ton unité d'ARCs a repoussé presque un bataillon entier et sans le contrôle de cette avenue, nous aurions eu bien du mal à contrer les assauts des Séparatistes sur le quartier législatif. Chaque jour qui passe je me réjouis d'avoir contribué à faire de toi un grand Jedi.

— Je suis honoré d'avoir été votre élève Maître, répondit Sidh avec un peu d'émotion dans la voix.

— Je n'ai plus rien à t'apprendre, Sidh, et ne suis plus ton Maître. Mais je veux bien être appelé ton ami. Et mon nom est Mace. Cesse un peu d'être formaliste.

— Je m'y emploie Mace, hésita Sidh. Je m'y emploie.

Leurs ombres démesurées glissaient sur les marbres ocre des murs, caressant les colonnes massives qui soutenaient la voûte. Le Temple résonnait des bruits de leurs pas, dont l'écho avait quelque chose de funeste dans ce vide immense, où jadis marchaient et devisaient des centaines de jedis dont la plupart étaient morts ou disparus aujourd'hui. La Guerre des Clones avait prélevé sur l'Ordre un lourd tribut. Certains avaient péri au front pour l'idée de République et d'autres, sans illusions, choisi de se perdre dans un coin de la galaxie et d'abandonner une robe devenu trop lourde à porter.

— Vous m'avez appris bien plus qu'à me battre Mace, dit Sidh. Vous avez fait de moi ce que je suis. L'enfant qui emprunta la route ardue du Jedi il y a vingt ans n'a pas... n'a pas aujourd'hui de mots assez forts pour exprimer la profondeur de sa gratitude envers celui qui l'a guidé sans faillir. Je vous remercie de m'avoir ouvert à la Force.             

Mace demeura muet et ne trahit rien de ce qu'il ressentait mais il serra la main de son padawan avec une poigne qui en disait  long. Le Korunnaï incarnait à la perfection l'idée du Jedi maître de lui-même, capable de juguler la moindre de ses émotions jusque dans le plus furieux des combats.

— J'ai appris de toi aussi, Sidh, dit Mace. Sans t'en rendre compte, tu m'as éclairé sur ce que j'étais. Même le maître peut recevoir une leçon de son apprenti.

Ils s'arrêtèrent quelques minutes pour répondre aux questions de jeunes padawans curieux et enthousiastes, dispensant quelques enseignements à ces jeunes esprits qui représentaient l'avenir de l'Ordre Jedi. Sidh eut un pincement au coeur en pensant que, peut-être, tous ces efforts pourraient bien être vains à la fin. Que j'aurais aimé ne pas connaître de temps aussi sombres, pensa-t-il. Milessa lui manquait tant. Et ce fils qui grandissait sans lui...

Son système de transmission holographique personnel émit une petite série de bips. Il le décrocha de sa ceinture et confirma la réception du message. Le commandant clone Delta 303, alias Bob, apparut, engoncé dans son armure de combat, le casque sous le bras. Sidh s'amusa un instant de trouver à l'officier une forte ressemblance avec Cody.

— Je vous écoute, Commandant, lança Sidh à l'image qui flottait devant lui.

— Vos options stratégiques ont été approuvées par l'Etat-major, Général, annonça Bob avec une certaine satisfaction. La flotte Typhon doit se tenir en alerte. Un départ pour le système de Carida est imminent.

— Je vous rejoins pour le briefing Commandant. Ordonnez le rassemblement des troupes et commencez l'embarquement.

— À vos ordres Général ! lança Bob avant de saluer et de disparaître.

Sidh réajusta le petit appareil à sa ceinture.

— Voilà une bonne chose Sidh, dit Mace tout en saluant une dernière fois les padawans ravis. Si tu peux t'assurer le contrôle de Carida alors nous aurons enfoncé une belle épine dans le pied des Séparatistes.

— Je le pense aussi.

Ils se séparèrent sur les marches menant à la salle du Conseil. Quelque chose hurla alors en Sidh, pareil à une voix angoissée  qui se répercutait en échos lugubres dans un puit sans fond. Une crainte douloureuse lui serrait les entrailles. Presque une certitude. Avec une tristesse qu'il ne comprit pas, il regarda son maître gravir les degrés de cette démarche noble qui le distinguait des autres. 

— Soyez prudent Maître, lança Sidh avec une retenue qu'en cet instant il aurait aimé pouvoir chasser. Que la Force soit avec vous !

Mace sourit de s'entendre encore appeler Maître et secoua la tête.

— Que la Force soit avec toi mon garçon, dit Mace avec une douceur paternelle. Que toujours elle t'accompagne.

Puis il s'inclina avec respect devant son padawan, lui offrant toute son estime dans ce geste d'humilité et d'admiration. Il fit quelques pas en arrière et disparut à sa vue, empruntant seul et d'un pas ferme, la route de sa destinée. Sidh jeta un regard vers le sommet des marches, évoquant une dernière fois l'image de son maître de toujours, comme on évoque un vieux souvenir. Ou peut-être un  fantôme.

 

*  *

*

 

Chapitre IV

 

Planté au sommet d'un Juggernaut HAVw A6, au centre d'une des vastes zones d'embarquement, le commandant Bob observait avec satisfaction les derniers contingents de clones qui gravissaient les larges rampes d'accès des trois croiseurs de classe Venator, songeant qu'il n' y avait pas de plus beau spectacle pour un officier de son rang que les mouvements parfaitement exécutés de l'armée placée sous ses ordres.  Les lourds quadripodes achevaient leur marche disgracieuse  jusqu'aux soutes, les derniers éléments de la longue file disparaissant à l'intérieur de la superstructure. Des grappes de chasseurs-bombardiers ARC-170 hurlants se glissaient à l'intérieur par les portes longitudinales placées sur l'appareil.

Quelqu'un qui n'entendait rien aux métiers des armes pouvait difficilement se représenter l'importance d'un simple embarquement. Pourtant rien n'était anodin dans cet exercice qui impliquait plus de soixante-dix mille soldats, près de cinq cents RT-TT, trente canons lourds SPHA-T, ne serait-ce que pour les forces au sol. Sans compter une kyrielle de véhicules blindés plus légers, de speeders de reconnaissance et bien sûr tous les effectifs aériens qui ne quittaient jamais les entrailles des croiseurs. C'était ça la vie d'un officier clone : diriger, superviser, contrôler... et remporter des batailles. Et la flotte Typhon du général Vega avait fait plus que sa part du travail, s'illustrant à de nombreuses reprises et de façon décisive sur les points les plus chauds de la galaxie. Des images de bruit et de fureur lui revinrent en mémoire... Onderron, Kamino...

— Embarquement effectué mon commandant, annonça un lieutenant qui se tenait aux côtés de Bob. Nous avons gagné deux minutes sur le temps précédent.

— Très bien lieutenant, dit Bob. Je suis certain qu'on peut faire mieux encore.

— Sans doute mon commandant, dit l'officier avec confiance.

Sur quoi il se laissa glisser le long d'une échelle et disparut à l'intérieur, abandonnant son supérieur sur le monstre blindé. Bob s'autorisa un soupçon d’allégresse et il s'apprêtait à contacter le général Vega pour lui rendre compte de l'embarquement lorsqu'il vit le Delta-7 du Maître Jedi se poser au pied du Juggernaut, dans les sifflements de ses rétro-propulseurs. Bob se saisit de son casque et regagna l'intérieur du blindé.

Les quartiers du général semblaient toujours à Bob étrangement déplacés pour un Jedi. Vastes, confortables et suréquipés, ils ne ressemblaient en rien à une cellule du Temple, toute d'austérité et dénuement. En tout cas, c'est ainsi que le commandant aimait à se les représenter bien qu'il n'ait jamais eu la chance de franchir les portes de la vénérable ziggourat de l'Ordre. Le Maître Jedi étudiait depuis près d'une heure les rapports des officiers, réunis sur une datacarte cryptée par les soins de son second qui, pour l'heure, se contentait d'attendre patiemment les questions de son supérieur. Bob était un roc. Jamais il n'aurait osé manifester devant le Maître Jedi le moindre signe d'impatience et ainsi trahir une autodiscipline fragile. Le général procédait toujours de la sorte au moment de compulser des rapports, s'enfermant dans un silence profond pour s'imprégner plus rapidement du contenu des dossiers. Depuis trois ans que Bob servait sous ses ordres, le stratège du Conseil Jedi n'avait jamais agi autrement.

— Parfait, conclut Sidh en relevant la tête vers le commandant. Inutile de vous dire que je suis satisfait de votre travail, Bob, et de celui de l'équipage. Si la flotte Typhon s'est acquise une si belle réputation, c'est en grande partie à vous qu'elle le doit.

— Je vous remercie, mon Général, dit Bob en inclinant la tête en signe de remerciement. Vous savez à quel point nos hommes et moi-même apprécions de servir sous vos ordres. C'est un honneur. Je me répète sans doute, mais vous vous débrouillez très bien pour un Jedi.

Sidh sourit de bon coeur à cette pique familière, bien dans l'esprit de ce Jango Fett qui avait servi de modèle aux clones de la Grande Armée de la République. Sidh préférait de loin ces marques d'une personnalité affirmée plutôt que l'obéissance machinale et les visages de marbres de la plupart des soldats. Militairement, ils étaient parfaits. Sur le plan humain, c'était une tout autre histoire. Au fil des campagnes militaires, Bob s'était efforcé de se rapprocher du Maître Jedi, non tant par nécessité que par admiration, et le soldat de métier semblait avoir trouvé dans le jeune stratège du Conseil l'expression idéale du vrai chef de guerre, soucieux de ses hommes, soucieux des vies innocentes  que la guerre, bestiale, dévorait ad nauseam. Mais il avait également trouvé un ami, quelqu'un qui lui renvoyait l'image d'un être à part entière et pas celle d'une machine à visage humain.

Bob prit un air gêné tandis qu'il fourrageait à l'intérieur de son casque, extirpant timidement une flasque d'alcool chromée qu'il posa sur le bureau de Vega. Hormis un haussement de sourcils, ce dernier ne manifesta pas de surprise excessive.

— Admettons que je ne sois pas un Jedi et que ne pèse pas sur moi tout un tas de sages restrictions, puis-je tout de même savoir en l'honneur de quoi nous nous apprêtons à trinquer ? dit Vega en acceptant le petit verre que lui tendait Bob.

Bob hésita, saisit la flasque, et remplit le verre de Sidh d'une rasade pour Wookie, avant de faire de même pour lui.

— Pour la République, pour Typhon et pour la victoire finale, proposa Bob. Et avant tout...

Il leva son verre avec un air solennel qui n'avait rien de feint.

— ...pour l'amitié, termina-t-il avec un large sourire.

— Voilà une raison qui vaut bien un whisky corellien, approuva Vega. N'étant pas un habitué des spiritueux, je vous laisse le soin de me dire ce qu'il vaut.

— Une petite fortune, mon général, dit Bob en savourant la première gorgée. Mais j'ai mes habitudes chez un marchand du coin.

— Secret défense je suppose, dit Sidh. J'ai quelques compagnons que cela intéresserait pourtant.

— N'essayez pas de me faire parler, général, dit Bob amusé. J'ai été bien entraîné pour résister aux interrogatoires.

Ils firent revivre quelques instants passés, avec une joie pudique. Si la guerre blessait plus souvent le coeur qu'elle ne l'emplissait de joie, elle réservait toujours des moments où, même en compagnie de la mort, on trouvait des raisons d'être heureux. Ceux qui marchaient avec vous, combattaient, avec vous, partageaient vos souffrances, savaient mieux que quiconque profiter de ces répits inattendus. S'il y avait une chose que Sidh Vega avait appris en partageant l'existence des soldats clones c'est que, même poussés en avant par un courage et une dévotion hors du commun, il leur arrivait  de connaître eux aussi la peur, au moment où se déchaînait la bataille. Leur stoïcisme martial cachait plus souvent qu'on ne l'imaginait la souffrance et le désespoir. Sidh se souvint d'un soldat sur Onderron, qui chaque jour passait tout son temps libre à veiller auprès de la cuve à bacta d'un compagnon, blessé par un tir de blindé. Il restait assis à regarder le corps meurtri qui flottait dans l'épais liquide, lui parlant à voix basse, comme s'il eut prié pour sa survie. Ce jour-là, Sidh avait compris ce qu'étaient les clones, ou plutôt ce qu'ils n'étaient pas, à savoir des organismes artificiels dépourvus d'émotions et de jugement. Ils n'étaient que des hommes, certes forts, rapides, fidèles et intrépides, mais rien d'autre que des hommes. Et en eux s'affirmait peu à peu une humanité. Sidh voyait dans les clones des enfants découvrant le monde, grandissant au rythme d'une existence difficile qu'on avait choisie pour eux.

— Puis-je vous poser une question personnelle, Bob ? demanda Sidh  en reposant son verre.

— Faites, mon Général, fit Bob simplement.

— Qu'auriez-vous fait de votre vie si vous n'aviez pas été soldat ?

— Difficile à dire mon Général, soupira Bob. Je suppose qui si cette guerre n'avait pas eu lieu, je n'existerais pas.

— C'est terriblement juste, acquiesça Vega. Mais admettons qu'elle s'achève demain et que vous soyez démobilisé, que la Grande Armée soit démantelée, que feriez-vous ?

— Je l'ignore, avoua le clone. C'est une question qu'il aurait fallu poser à Jango Fett non ? Nous avons déjà eu cette discussion plusieurs fois mon Général.

— Mais vous n’êtes pas Jango, le contredit Sidh en ignorant ses derniers mots. Vous êtes un être unique, pas une copie. L'expérience que vous avez accumulée au cours de ces quelques années de vie a contribué à vous forger un caractère, une identité.

— J'avoue n'y avoir jamais réfléchi jusqu'à maintenant, balbutia Bob. A quoi suis-je bon à part faire la guerre ? Quel métier serais-je capable de faire ?

— Peu importe que vous en soyez capable, dit Sidh. C'est ce que vous voulez qui importe.

— Peut-être, dit l'officier légèrement troublé.

Sidh voyait la confusion se peindre sur le visage du commandant et il décida d'en rester là. D'ici quelques jours, il monterait au front et il préférait avoir un officier en second serein à ses côtés.

— Un autre verre ? proposa Sidh pour dissiper le malaise de son ami.

— Ce n'est pas de refus, dit Bob rayonnant. Je devrais essayer la profession de distillateur après tout.

— Pourquoi pas, acquiesça Sidh. Vous ne manqueriez pas de clients au sein des Forces Corelliennes.

Bob s'apprêtait à remplir de nouveau son verre lorsque Sidh ressentit une violente douleur dans la poitrine. Il se dressa brusquement et porta la main à son coeur, alors qu'un vide froid et immense se creusait en lui. Il sentit la Force s'agiter, s'étirer jusqu'à se déchirer, soumise à des volontés terribles qui s'affrontaient avec violence. Bob se précipita pour le soutenir et l'aida à s'asseoir.

— Voulez-vous que je fasse venir un droïde médical pour vous ausculter mon Général ? s'enquit Bob.

— Ce n'est rien commandant, le rassura Sidh pourtant choqué. Rien de physique en tout cas.

— La Force ? demanda Bob.

— J'ai senti... commença Sidh avant qu'une nouvelle vague de douleur ne le secoue.

Sidh exhala un soupir de mourant et ferma les yeux. Ses épaules s'affaissèrent. Quelque part dans la Force, Mace Windu avait rugi une fois encore et s'était tu à jamais. Le Maître d'armes fut envahi par un chagrin immense et sentit pour la première fois depuis des années des larmes noyer ses yeux. Il dut faire appel à toute sa maîtrise pour juguler cette tristesse étouffante qui déferlait de toute part. Seule la paix pouvait l'aider à faire face à ce qui s'annonçait.

Il projeta sa conscience à travers la Force, parcourut ses flux et découvrit qu'Agen Kolar, Kit Fisto et Saessee Tin avaient eux aussi cessé d'exister. Quelle que fut leur fin, ils étaient désormais retournés à la Force.

D'un pas incertain, Sidh marcha jusqu'à la baie en transpacier de son bureau, cherchant l'apaisement dans la nuit de Coruscant. Quatre Maîtres Jedis avaient péri aux mains d'un ennemi qui s'avérait être l'homme le plus important de la République. Un ennemi qui pendant tant d'années avait trompé tout son monde et en particulier les Jedi, dissimulant sous des dehors affables des pouvoirs qui surpassaient ceux des membres du Conseil. La République, cette grande démocratie plurimillénaire, était passée aux mains d'un Seigneur Sith.

— Palpatine, murmura Sidh. Ainsi vous aviez raison, Mace.

— Mon Général ? demanda Bob. Que se passe-t-il ?

— Grievous est probablement mort à l'heure qu'il est, commandant, dit Sidh froidement.

— Grande nouvelle, s'exclama l'officier. C'est un pas considérable vers la victoire.

— Je n'en sais trop rien, mon ami, fit le Maître Jedi, l’air préoccupé. Il se pourrait bien que tout cela n’ait pas la moindre importance en fin de compte.

— Que voulez-vous vous dire, mon Général ? dit Bob d'un ton où perçait l'incrédulité et la stupéfaction.

— Mace Windu, Kit Fisto, Agen Kolar, Saessee Tin... sont morts, dit Sidh.

Il avait du mal à appréhender ce que signifiait cette phrase. Interloqué, il observait son reflet dans la baie, l'esprit en berne et les idées confuses. Une fois encore, il dut s'astreindre à quelques techniques Jedi basiques pour recouvrer son sang-froid. Ce fut l'affaire de quelques secondes. Dans son dos, Bob s'était tu.

— Ce soir, le Chancelier Palpatine s'est révélé être en fait le Seigneur Noir du Sith que nous cherchions à identifier depuis toutes ces années, dit Sidh. Et c'est probablement lui qui est responsable de la mort des maîtres du Conseil venus pour le démettre de ses fonctions.

Il se retourna pour observer Bob, qui encaissait la nouvelle avec un flegme surprenant.

— Que faire à présent ? dit Sidh plus pour lui-même que pour Bob qui n’osait parler. Je suis le seul Maître du Conseil encore en vie sur Coruscant et le Temple est privé du plus gros de ses forces. Qui sait quels mensonges Palpatine va pouvoir inventer pour discréditer encore les Jedi ? Je dois contacter Anakin avant qu'il ne soit trop tard.

Bob écoutait le Maître Jedi réfléchir à voix haute. Il craignait d’interrompre ses pensées et lui-même était bien trop troublé pour envisager sereinement la situation. Il ne parvenait pas à croire ce que disait Maître Vega. Était-il possible que l'homme qui avait maintenu la République à flot pendant plus de douze ans ne soit en fait qu'un tyran ambitieux ? Comment cet homme fragile et délicat avait-il pu venir à bout d'un guerrier comme Mace Windu ? Bob voulait croire ce que disait le Général mais il n'y arrivait pas. Pour lui, Palpatine était la quintessence de la République, un leader éclairé et courageux qui n'avait jamais hésité à se mettre en danger pour sauver la démocratie. Ces accusations ne tenaient pas debout.

Son communicateur holographique bipa. Sidh ne l'entendit pas et Bob se mit à l'écart pour recevoir la communication. La silhouette voûtée d'un homme qu'il n'avait jamais vu, et que pourtant il connaissait, apparut devant lui, enfouie dans les pans d'un lourd manteau noir, une capuche profonde rabattue sur son visage dont on ne discernait que la bouche cruelle et dure. Bob observa ce personnage, fasciné par quelque chose qu'il ne comprenait pas.

— Commandant Bob, feula une voix rocailleuse. L'heure est venue. Exécutez l'Ordre 66 !

Avec un détachement irréel, malgré les cris angoissés de sa volonté captive, il tira son blaster et fit feu sur Maître Vega.

 

*  *

*

 

Alerté par une prescience aussi salvatrice qu'inhabituelle, ou peut-être conscient de la présence d'un point de rupture dans la Force, Sidh agit avec la célérité inhumaine d'un prédateur acculé. Il fit volte-face, activa ses sabres et dans un même mouvement d'une fluidité absolue para le tir de Bob et projeta une vague de Force qui l'arracha du sol et l'envoya s'écraser contre la paroi. Le clone s'affaissa et demeura inerte. Inquiet, Sidh s'assura de la présence de signes vitaux.

Bob vivait encore.

Soulagé, le Maître Jedi s'empara de son comlink et s'apprêtait à contacter Anakin lorsqu'il se ravisa, craignant que les communications ne soient surveillées. Les siennes avec un soin tout particulier. Il vérifia les écrans de contrôle intégrés à son bureau et fut soulagé de voir que les coursives proches de ses quartiers étaient pour l'heure absolument désertes. Avec prudence, il se glissa jusqu'au turbolift personnel du Capitaine et activa le code de sécurité. L'ascenseur communiquait avec un hangar peu contrôlé où était entreposée la navette qui servait aux déplacements du commandant de bord. L'endroit abritait pour l'heure le Delta 7 de Vega, sa seule échappatoire dans un labyrinthe peuplé de plusieurs milliers d'ennemis potentiels. Tout en descendant vers les profondeurs du croiseur, Sidh pensa  à Bob et cette folie qu'il ne parvenait pas à comprendre. L'amertume le disputait à l'incertitude lorsque l'image du clone le mettant en joue venait, tragique tableau, s'imposer devant ses yeux. De la démence pure, pensa Sidh alors qu'il empoignait ses sabres en prévision des difficultés à venir. Il se souvint de ce que les généticiens de Kamino lui avaient dit des clones, de cette possibilité de les programmer comme on le faisait avec des droïdes, de les configurer en vue de tâches particulières. Des gènes dormants, se dit-il. Il dut reconnaître que cette explication avait le mérite de la pertinence malgré l'absence de preuves et qu'elle permettait d'évacuer d'autres hypothèses, d'autres soupçons qu'il préférait ne pas considérer davantage pour le moment. Parce qu'il croyait encore que Bob comptait comme un ami et qu'il souhaitait avoir fait le choix le plus raisonnable en épargnant sa vie. De toute façon, il fallait craindre à présent que l’ensemble de ses hommes soit prêt à l’abattre.

Le turbolift atteignit le hangar et avant que les portes ne s'ouvrent, Sidh activa les lames de ses sabrolasers dont l'éclat d'un bleu glacial avait quelque chose qui évoquait l'inéluctable pour ceux qui allait croiser le chemin du maître d'armes. Je les attends, les tueurs de Jedis, murmura Sidh tandis que la coursive menant au hangar s'ouvrait devant lui, dans la semi-obscurité de son éclairage de veille. Il bondit et d'une course fulgurante, poussé par la Force, il s'élança dans le vide depuis la passerelle qui enjambait le hangar, décapitant au passage deux sentinelles en poste qui eurent à peine le temps de lever leurs fusils-blasters. Il ralentit sa chute en s'aidant à nouveau de la Force, une suspension délicate de la gravité qui lui conféra l'espace de quelques battements de coeur l'aspect d'un rapace prêt à s'abattre sur sa proie, planant dans la lumière quasi-solaire des rampes de projecteurs qui illuminaient le décor. Et en guise de festin s'offraient à lui une vingtaine de soldats clones désorganisés par son irruption soudaine, menés par un lieutenant qui eut à peine le temps de lancer quelques ordres avant qu'un coup venu d'ailleurs ne le terrasse, une lame d'énergie pure pénétrant son épaule pour achever sa course mortelle dans son abdomen.

Le temps qu'ils ouvrent le feu, les clones étaient déjà privés de trois unités supplémentaires. Le trinôme de caporaux qui entouraient le lieutenant fut balayé par une attaque en rotation. Sidh prit une inspiration et bondit à nouveau, abandonnant le sol pour trouver refuge sur un empilement de containers, alors que des tirs nourris et maladroits tentaient en vain de le faucher. Les fusils-blasters crachaient avec acharnement, déchirant l'air tout autour de lui. Sidh effectua un saut périlleux et fit appel à la Force au moment où il se rétablit dans le dos d'un autre groupe d'une demi-douzaine de soldats. Il tendit vivement le bras dans leur direction, paume ouverte. Déracinés par le choc, les clones roulèrent avec violence dans un stock de barils pressurisés et ne se relevèrent pas. Deux autres jaillirent sur ses arrières et le forcèrent à reculer sous un feu dense, sans pour autant le mettre en difficulté. Sidh contrait chaque décharge de gaz Tibanna avec aisance, calquant le rythme de ses parades sur son souffle afin de préserver ses forces. Du coin de l'œil, il aperçut un passage étroit entre deux empilements et s'y glissa avec souplesse, s'offrant un peu de répit. La zone de stockage formait un dédale sombre dans lequel il s'enfonça. Quand il fut certain d'être à l'abri, il saisit son comlink.

— R4, j'ai besoin d'un coup de pince, chuchota le Maître Jedi. Le champ de force du hangar est fermé. Ils ont dû le verrouiller avec un nouveau code. Essaie de m'ouvrir ça rapidement.

L'astromec babilla quelques secondes et rompit la communication. Sidh pria pour que les soldats n'aperçoivent pas la petite unité droïde rouler vers le terminal de sécurité. Dans le cas contraire, quitter le hangar relèverait de l'hypothétique.

Je compte sur toi, mon vieux, murmura le Jedi avant de quitter son abri. Il sentait à travers la Force la tension qui habitait les clones, désorientés par la perte de leurs officiers, la confusion de leurs esprits où les pensées s'entrechoquaient avant de se cristalliser en masses informes sous l'effet de la peur. Sidh aurait préféré ne pas avoir à combattre ses soldats, ne pas avoir à tuer des hommes qu'il côtoyait pour certains depuis trois ans. Mais il n'avait plus le choix.

Jouant sur la surprise il attaqua les neuf survivants alors qu'ils se rassemblaient à l'extérieur de la zone de stockage. Grenade à la main, ils devaient avoir prévu de la noyer sous un nuage de gaz mais ils se ravisèrent bien vite et concentrèrent leurs tirs sur Sidh. Les traits s'écrasèrent sur les lames dansantes comme sur un bouclier énergétique et quatre d'entre eux revinrent à la source, frappant comme des dards, foudroyant autant de soldats touchés de plein fouet. Sidh se porta alors au contact de ses derniers adversaires, qui brandissaient des vibrodagues tirées à la hâte, et les abattit en quelques coups rapides.

Le calme revint. R4 roulait dans sa direction avec des piaulements satisfaits. L'air doux de la nuit entrait en bouffées légères par la porte du hangar débarrassée de son champ de force. Vega tapota affectueusement le droïde.

— On file mon vieux, dit le Jedi. Dès qu'on aura pris le large, tu établis une communication avec Anakin. Utilise le système de cryptage du Temple.

R4 sifflota un air dédaigneux.

— Je sais que tu sais faire R4, dit Sidh. Ne prends pas la mouche et  monte dans le chasseur.

Le droïd eut juste le temps de siffloter une réponse  avant que  le hangar ne disparaisse dans le noir. L'ensemble des projecteurs semblait s'être désagrégé dans un geyser d'étincelles, donnant naissance à de grands arcs électriques qui couraient le long du plafond et des épaisses poutres d'étai. La porte du hangar se referma presque aussitôt au grand désarroi de Sidh et de R4, et le dispositif de secours s'activa, baignant la zone dans une inquiétante lumière d'un rouge brumeux. Sidh perçut alors la présence du Côté Obscur, d'abord comme une caresse d'une sournoise légèreté puis comme une étreinte nerveuse et brûlante.

Quelques projecteurs encore fonctionnels éclairaient par intermittence des recoins de la baie de décollage, créant des puits de lumière qui révélaient brièvement à Sidh quelques détails et des formes vagues. Il alluma ses sabres et fit appel à la Force, augmentant ses facultés sensorielles afin de percer les ténèbres.

— C'est l'heure de fermer les yeux Jedi ! crachèrent à l'unisson deux voix. Le timbre était crissant mais assurément féminin.

Deux petits sabres rouges s'allumèrent, l'un à la droite du Maître Jedi et l'autre quelque part au-dessus de lui. Sidh choisit instinctivement sa garde favorite, le sabre dextre au-dessus de la tête, horizontal, la senestre parallèle et tenue au niveau de la taille, pointant vers l'arrière. Campé sur ses jambes, il expira lentement, chassant la tension. L'instant d'après, elles étaient sur lui.

Vriss et Kriiss, pensa  Sidh. La partie s'annonce difficile.

 

*  *

*

 

Chapitre V

 

Depuis plusieurs minutes, le sénateur Estariol fixait les langues de feu qui s'échappaient du Temple Jedi, avec l'attention de l'esthète devant une oeuvre émouvante. Il y avait tant de force dans ce spectacle tragique que le sénateur en oubliait presque sa réalité, et ses implications politiques – et même historiques – ne faisaient que l'effleurer. Un monde disparaît dans l'holocauste, pensa-t-il. Mais que s'élevera-t-il de ses cendres ?

Immobile dans sa livrée bleue, un garde sénatorial se racla nerveusement la gorge. Tout ceux qui gravitaient autour du sénateur manifestaient depuis le début de l'affaire des signes d'inquiétude, comme cet employé administratif chargé de ses menus besoins et dont les mains avaient de ces tremblements presque séniles qu’Estariok détestait tant. Lorsque les grands fauves s'agitent, les rongeurs frémissent, pensa le sénateur. L'ordre des choses paraissait sur le point de subir des ébranlements comme on n'en avait pas connu depuis des siècles, et la base du vieil édifice républicain n'échapperait pas au désastre.

Le visage inquiet de la secrétaire du sénateur apparut sur l'écran de l'intercom.

— Un envoyé de la Chancellerie demande à vous voir, Sénateur, dit-elle avec une légère appréhension.

— Faites-le entrer je vous prie, répondit Estariol tout en soupçonnant  les raisons de cette visite.

— Ça commence, pensa-t-il. Quel fallacieux prétexte va-t-on trouver pour me signifier ma déchéance ?

L'homme appartenait au large cercle des collaborateurs du Chancelier, un frêle bonhomme insipide mais gonflé de suffisance. D'un simple coup d'oeil, Estariol jugea l'importun et le classa sans hésiter dans la catégorie des cafards, avant de lui offrir son sourire le plus affable. L'autre s'arrêta sur le seuil de la porte. Tout dans son attitude dénotait une confiance en soi qui frisait l'arrogance. Cette chiure écoeurante ne me craint pas, pensa le sénateur. Il sait son heure venue. L'autre se racla la gorge.

— Sénateur Estariol, le Chancelier Palpatine vous fait mander sur l'heure.

Tout cela avait été dit avec suffisamment de fermeté pour lui faire comprendre qu'il s'agissait davantage d'un ordre que d'une requête. Estariol supporta l'affront sans broncher.

— Puis-je connaître le motif de cette entrevue ? demanda le sénateur. Peut-être me faut-il réunir des documents...

— Inutile, le coupa le fonctionnaire. Veuillez me suivre, sénateur.

Estariol hésita à user d'un de ces regards chargés de menace qu'il maîtrisait à la perfection. L'audace qu'il sentait dans tous les gestes et dans chacun des mots de ce secrétaire, autrefois sans envergure, lui laissait à penser que le grand jeu pourrait bien aujourd'hui tourner en sa défaveur. L'instinct de survie de ce formidable animal politique lui criait à pleins poumons que cette entrevue pourrait être dangereuse. Sans laisser paraître une once de peur, Estariol se cala confortablement dans son fauteuil et fixa avec un mépris à peine voilé la face insignifiante du secrétaire.

— Mon ami, commença lentement Estariol avec une ironie mordante. Il ne vous aura pas échappé que, par deux fois déjà, vous avez fait preuve à mon égard d'un manque de déférence qui frise l'insulte. J'en conçois une froide colère et je ne peux faire autrement que vous enjoindre à un peu plus de respect. Sans quoi...

— Vous n’êtes pas en position d'exiger quoi que ce soit ! explosa l'autre, frustré de voir son embryon d'autorité étouffé aussi aisément. Le Chancelier vous a ordonné de vous présenter devant lui.

— Ordonné, dites-vous ? Mais personne ne me donne d'ordres mon ami. Palpatine n'est rien pour moi. Croyez-vous qu'un insignifiant sénateur de Naboo pèse bien lourd face à un seigneur d'Expansion ?

Le secrétaire se mit à bafouiller, choqué par la violence de l'insulte. Il serrait les poings, essayant à grande peine de contenir cette colère qui déformait son visage. Estariol jeta un oeil à la console de son bureau et constata sans surprise que deux gardes vêtus de longues robes rouges se tenaient dans son antichambre, prêts à intervenir à la demande du secrétaire. Voilà donc la garde personnelle de notre nouveau tyran, se dit-il. Mais est-elle là pour me servir d'escorte ou de peloton d'exécution ? Le cerveau du sénateur travaillait à plein régime, élaborant une demi-douzaine d'hypothèses à la fois, triant, considérant, rejetant les informations, les faits, les indices. Palpatine était-il, d'une façon ou d'une autre, déjà au courant du vol de l'unité mémorielle de masse ? Que pouvait-il contre lui ? Se risquerait-il à menacer un seigneur d'Expansion alors que son pouvoir n'était pas encore assuré ? Peut-être cherchait-il à s'attacher ses services, espérant profiter encore de la surpuissance économique du secteur Tapani malgré le changement de régime ? Estariol cherchait frénétiquement une issue.

Une chose au moins lui paraissait acquise. Il ne quitterait pas vivant ou libre le bâtiment du Sénat Galactique s'il refusait de se plier à la volonté de Palpatine. Il n'avait pour seule défense qu'une garde sénatorial qui semblait prêt à ouvrir la gorge de l'envoyé de la Chancellerie et un secrétaire personnel que la seule vue d'un blaster suffisait à mettre en émoi. C'est bien maigre, songea Estariol, et je n'ai jamais été adepte des sorties en beauté. Il pensait aussi à sa suite, les fidèles qui l'avait accompagné sur Coruscant lorsqu'il avait accepté de représenter le système Tapani au Sénat. Qu'allait-il advenir d'eux ? Il songea à faire appel à son immunité diplomatique, mais le spectacle du Temple Jedi en feu suffit à lui rappeler que les règles du jeu avaient subi de sensibles altérations ces dernières heures.

Il était clair qu'il allait devoir louvoyer, faire des compromis et accepter quelques accrocs à son ego. Soit. Il fallait survivre.

— Puisque la démocratie semble ne plus avoir cours par ici j'accepte de vous suivre, lâcha-t-il froidement.

L'autre ne put réprimer un sourire qui s'effaça presque aussitôt lorsque la poigne surprenante de vigueur du sénateur lui enserra l'avant-bras dans une étreinte de python. Estariol le tira jusqu'à lui, l'invitant à plonger dans son regard pour qu'il puisse mieux y lire ses intentions.

— Mais avisez-vous de me prendre de haut une fois encore et je vous fais ouvrir le ventre, susurra-t-il avec un calme reptilien. Et jamais vous ne profiterez des largesses de votre nouveau maître.

Son garde laissa échapper un grognement moqueur avant de pousser le sbire de Palpatine hors de la pièce.

 

*  *

*

           

Zia galopait comme si sa vie en dépendait – et c'était le cas –, avalant les coursives d'une foulée infatigable. Elle laissait derrière elle les cadavres de deux dizaines de clones qui s'étaient trouvé sur son passage au plus mauvais moment. L’alerte avait été donnée et les kilomètres de boyaux du Venator baignaient maintenant dans une lumière jaune pisseuse, alors que l'alarme saturait les récepteurs auditifs de l'androïde. Venue pour sauver la peau d'un jedi, elle se retrouvait à lutter rageusement pour la sienne, talonnée par des escouades de troopers prêts à lui griller les circuits. Plus elle s'enfonçait dans le réseau de passages étroits de l'appareil, plus elle s'interrogeait sur ses motivations.

Lorsqu'elle avait pris la décision de se glisser à bord, tout lui avait paru évident et naturel. Pas une seconde elle ne s'était demandée pourquoi elle prenait un tel risque, ni même s'il était possible qu'elle réussisse, piétinant toute logique, faisant fi du rationnel. Cet élan spontané et généreux, un brin stupide, ne cadrait pas avec sa prudence habituelle.

Elle se jeta dans un turbolift et prit quelques secondes pour étudier le tableau de commande. Vega ne se trouvait pas dans son bureau où elle n’avait trouvé que le corps inanimé d’un commandant.

— Hangars, hangars, marmonna-t-elle. Secteur G1, G2... Baies d'amarrage tribord, bâbord... Hangar des officiers ! C'est ça.

Elle appuya sur le bouton, se cala contre la paroi incurvée de l'ascenseur, et pendant un moment considéra froidement sa situation. Il lui restait un pistolet-blaster glissé dans son holster, une vibro-lame, mais pas d'arme suffisamment dissuasive pour disperser une escouade de soldats clones entraînés. Si Vega est encore dans le vaisseau, pensa-t-elle, ils vont essayer de le coincer dans les hangars. Sans moyens de fuir, il n'a pas l'ombre d'une chance... et moi non plus en fait.

Comment avait-elle fait pour oublier ses vieux principes ? Toute son existence s'était résumée jusqu'à aujourd'hui à survivre et amasser des crédits. Être une simple machine ne vous autorisait pas à avoir beaucoup d'espoirs, encore moins d'ambitions. Après tout un androïde n'était rien de mieux qu'un droïde recouvert d'une chair synthétique, alors pourquoi aurait-elle pu caresser le rêve d'une autre vie ? On l'avait convoitée, traquée et recherchée comme une banale cargaison de contrebande à travers des dizaines de systèmes et pour le compte d'un bon paquet de caïds. Grâce à quelques modifications de son cortex cybernétique elle avait appris à donner la mort. Pour rester dans l'ombre. Pour vivre libre.

Alors que des concepts inédits comme l'attachement, l'affection et la peur faisaient sauter le verrou de sa programmation de jouet sexuel servile, elle s'était exercée à être impitoyable et même cruelle. Elle ne désirait rien tant que  devenir un symbole de mort  pour ceux qui l'approchait, pas pour jouir d'un pouvoir morbide mais pour mieux se protéger. Et jusqu'à maintenant elle y avait réussi. Le Grand Concepteur seul savait pourquoi elle en était là à présent.

Elle programma la fréquence du comlink de Vega sur le sien (Garreck, qui bossait de temps en temps pour Terrick la lui avait refilé moyennant un coup de pince). Avec un peu de chance les systèmes de brouillage avaient dû être configurés pour empêcher les transmissions vers l'extérieur mais les communications internes étaient sans doute possibles.

Rien.

Le turbolift atteignit les niveaux inférieurs. Zia pointa son blaster sur la porte, prête à expédier n'importe qui dans le Grand Tout universel. Ses senseurs ne lui indiquèrent rien d'autre que quelques dégagements d'énergie générés par les systèmes environnementaux du destroyer. La coursive se perdait au loin dans un halo jaune.

Elle reprit sa course de plus belle, martelant le sol de duracier de tout le poids de son lourd endosquelette. Jaillissant d'un couloir perpendiculaire juste sous son nez, un trooper, surpris autant qu'elle, leva son arme pour faire feu. Plus rapide, Zia le frappa sèchement au plexus, broyant la cuirasse blanche et chassant l'air des poumons du clone. Instinctivement il se plia en deux, juste pour encaisser un uppercut qui lui écrasa le larynx. Il s'effondra aux pieds de l'androïde.

— Désolé vieux, jeta Zia.

C'est alors qu'elle capta des bruits de combat, dont les échos résonnaient dans l'infrastructure du sol et n'avaient pas échappés à ses capteurs. Elle focalisa ses senseurs sur la zone et son cerveau électronique déroula une liste de signaux et d'émissions en tous genres, parmi lesquels il parvint en quelques dixièmes de seconde à isoler les signatures particulières de quatre sabrelasers. Sans s'appesantir sur le nombre elle s'approcha de la paroi, et repéra un conduit d'évacuation des gaz ioniques relâchés par les appareils au décollage. Les bruits s'engouffraient dans le mince boyau.

Sans effort, elle arracha la grille et se glissa à l'intérieur. La pente était raide mais elle cala ses pieds contre la tôle épaisse et contrôla ainsi sa glissade, jusqu'à atteindre les pales d'un énorme ventilateur qui charriait vers le haut un souffle chaud chargé d'électricité statique. Immobile au-dessus de l'hélice, elle bascula en infrarouge pour essayer de percer la semi-obscurité qui recouvrait la scène.

Dans un chaos de containers renversés ou disloqués, le Maître Jedi Sidh Vega dansait avec la Mort, incarnée dans deux petites silhouettes féminines qui tournoyaient autour de lui en poussant des cris de rage aigus.

Bon, pensa Zia, comment je la joue, là ?

 

*  *

*

           

Lentement, Terrick amena son speeder de sport jusqu'au bord du quai non sans laisser sa main posée sur la crosse de son blaster. L'esquif se cala contre les tampons magnétiques d'amarrage et s'immobilisa. Terrick sortit de sa poche un petit boîtier et pianota pendant quelques secondes. 

– Voyons si cette camelote vaut bien les six cents crédits que j'ai lâchés, marmonna le caïd de Capital City en appuyant sur un dernier bouton.

Les tampons d'amarrage relâchèrent leur prise, libérant le speeder. Terrick sourit largement. Maintenant qu'il avait assuré ses arrières, il lui restait à trouver les bureaux d'Estariol dans ce dédale administratif. Il sauta sur le quai et courut jusqu'au sas le plus proche. L'affaire se présentait sous de bons auspices. Un de ses contacts bien placé dans les services techniques du bâtiment du Sénat – un technicien de maintenance quelconque, il ne se souvenait plus – lui avait lâché quelques renseignements sur des zones abandonnées par les patrouilles de la garde. L'édifice était si monumental que certains endroits, notamment les strates basses du complexe, n'étaient plus hantés que par les fonctionnaires des services les moins essentiels, sorte d'oubliés du corps administratif républicain. Ainsi, il était relativement facile pour quelqu'un de particulièrement discret de se glisser dans le saint des saints sans se faire remarquer.

Terrick sentait poindre une excitation juvénile, comme à l'époque de ses premiers larcins, où il faisait l'apprentissage dangereux mais exaltant du cambriolage dans les planques de Nar Shaada. Arrivé au sommet, patron d'une organisation aux ramifications inter-sectorielles, ces menus plaisirs lui avaient été interdits par la force des choses. Des tas de types plus jeunes s'en chargeaient pour lui.

Il s'était composé une trogne de scribouillard sans relief, histoire de n'attirer l'attention de personne. Un vieux costume mal taillé et un datapad dépassé complétaient la parure. Ainsi attifé, il avait de bonnes chances de se fondre dans la foule des employés.

Il lui fallut tout de même une bonne demi-heure pour trouver les bureaux du seigneur d'Expansion, une suite de pièces luxueuses qui n'avaient rien à envier à ses appartements princiers dans lesquels il sirotait un cru mémorable quelques heures auparavant. Cependant, l'endroit paraissait vide. Là où auraient dû s'agiter une armée de collaborateurs, de secrétaires et de serviteurs, Terrick ne découvrit qu'une enfilade de pièces silencieuses. On dirait qu'ils viennent de prendre le large tous en même temps, pensa-t-il. Les ordinateurs ronronnaient et plusieurs droïdes de nettoyage parcouraient les tapis de grand prix, indifférents aux changements.

Un bruit de pas l'alerta. Après un rapide tour d'horizon des cachettes possibles, il opta pour un réduit destiné au stockage des droïds de service. Il parvint, malgré l'exiguïté, à s'accroupir entre deux modèles TJ-6 à peine sorti des chaînes de montage, et qui ressemblaient plus à des unités protocolaires qu'à de simples ramasse-miettes. Qu'est-ce que je fous dans ce placard alors que je devrais voguer pépère vers la Bordure ? se demanda-t-il, sincèrement étonné.

Des voix se firent entendre. Trois estima-t-il malgré l'épaisseur du panneau. Il fut tenté de faire glisser la porte pour se ménager un point de vue mais ne sachant pas à qui il avait à faire, il hésita.

— Hé vous ! cria une des trois voix. Vous faites partie du bureau du Sénateur Estariol ?

— Je suis le secrétaire personnel du Sénateur, fit une seconde voix, plus hésitante. Que me voulez-vous ?

— Sur ordre du Chancelier Palpatine, vous êtes en état d'arrestation, lâcha l'autre. Veuillez nous suivre.

— Puis-je m'enquérir du chef d'inculpation ? questionna hardiment le secrétaire dont le ton avait des accents aristocratiques.

— Vous êtes accusé de complicité dans le vol d'informations touchant à la sécurité de la République.

— C'est absurde ! se défendit le fonctionnaire.

— Les tribunaux en jugeront, laissa tomber l'autre, de toute évidence un soldat. Suivez-nous sans faire d'histoires.

Il y eut un peu de confusion, des piétinements et une nuée de protestations de la part du secrétaire qui semblait décidé à se défendre.

— Lieutenant, dit une troisième voix. Ce salaud essayait d'effacer des données ! Jetez un oeil là-dessus.

Silence pesant. Terrick se risqua à tirer le panneau. Dans la pièce se tenaient trois soldats vêtus de robe rouge, le visage caché sous de hauts casques inquiétants. Deux d'entre eux observaient l'écran d'un terminal alors que le troisième maintenait fermement par les épaules un homme grand et sec, drapé dans une élégante cape de brocart rouge sombre.

— Que cherches-tu à cacher, salopard ? grogna le lieutenant en fondant sur le secrétaire.

Un violent coup de crosse atteignit le nobliau au creux du ventre et l'envoya au tapis dans un râle de douleur.

— Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, parvint à articuler le fonctionnaire non sans ajouter un soupçon de mépris dans ses paroles.

— Tu sais qu'on peut te faire cracher, le menaça le lieutenant. On a la Loi pour nous.

— Étrange que je n'ai pas entendu parler de celle qui autorise la torture pour le bien commun. Dix ans de droit civil pour rien !

Terrick admira le sang-froid et l'esprit du secrétaire.

— Pauvre fou, cracha le lieutenant.

Il écrasa sous sa botte la nuque de son prisonnier, dégaina son blaster et lui tira dans la tête. Surpris, Terrick faillit lâcher une bordée de jurons. 

— Sergent, envoyez des patrouilles jusqu'à la demeure du sénateur et récupérez les fuyards. Ramenez-moi ces traîtres.

— Bien Lieutenant.

Les deux soldats quittèrent la pièce au pas de course, abandonnant leur officier avec sa victime. Terrick ne respirait qu'avec parcimonie, craignant qu'un souffle, même ténu, ne le trahisse. Le lieutenant saisit le cadavre par les cheveux et tourna la face du mort vers lui.

— Fini le temps des parlotes, des vetos et des magouilles, cracha-t-il. Vous allez tous apprendre l'obéissance.

Il lâcha prise et la tête cogna le sol avec un sinistre bruit mat. Terrick observa le lieutenant immobile, qui offrait inconsciemment son dos comme cible. Putain ce serait si facile, pensa-t-il. Mais le caïd sentait confusément que ces types en rouge étaient d'une trempe peu commune, du genre à avoir des yeux dans le dos. Ou peut-être un pack senseur portatif ? Il fit jouer son arme dans son holster mais n'eut pas l'occasion de s'inquiéter davantage. Le lieutenant quitta la pièce sans crier gare, le laissant en compagnie d'un cadavre.

Terrick compta une minute avant de sortir de sa planque. Il s'approcha de la dépouille du secrétaire dont le crâne s'ornait d'une trace noirâtre qui fumait encore, remplissant l’air d’une odeur de chair calcinée qui mit ses entrailles à l'épreuve. Où donc est  passé le sénateur ? se demanda-t-il. Est-ce qu'ils lui ont réservé le même sort qu'à ce pauvre bougre ? Ou est-ce qu'il croupit déjà dans une cellule ?

Pas possible, pensa-t-il. Estariol est un gros morceau, même pour Palpatine. Pas le genre d'homme qu'on peut faire disparaître facilement. Ils vont lui coller la pression. Peut-être même lui proposer un marché. Terrick essayait de comprendre pourquoi il restait planté là, à s'inquiéter du sort d'un mort en sursis.

 

*  *

*

             

Sidh roula pour éviter une taillade horizontale, plongeant sous les lames de ses deux adversaires et se redressant aussitôt afin de parer une série d'estocades rageuses. Pour l'heure il s'appliquait à contenir les assauts furieux du duo dont le principal point fort était ce synchronisme ahurissant qui donnait l'impression au Maître Jedi d'affronter une abomination à quatre bras. Agiles et apparemment infatigables, les deux adeptes du Côté Obscur s'efforçaient de maintenir Sidh au centre d'un cercle que leurs déplacements incessants dessinaient autour de lui. Sidh devait jouer sur son sens tactique pour ne pas se retrouver avec l'une de ces deux diablesses dans le dos.

Même si aucune ne représentaient un danger pour le maître d'armes, elles formaient néanmoins une paire de tueuses redoutables, répétant un numéro parfaitement rôdé et assurément fatal. Sidh se demanda combien de Jedi avaient trouvé la mort sous leurs coups.

Il décida de passer à l'offensive et amorça un enchaînement de coup de tailles rapides, portés aux hanches, obligeant les deux jumelles à se regrouper pour se protéger l'une l'autre. Contraintes d'abandonner leurs positions et à réajuster leur tactique, elles se montrèrent bien moins sûres d'elles. Mais le Côté Obscur leur conférait une vigueur peu commune et elles opposaient au Maître Jedi une résistance opiniâtre.

Les lames furieuses dessinaient sur l'obscure toile de fond des courbes improbables, évoquant des visages surgis de l'ombre et teintés d'un bleu glacial ou d'un rouge ardent, ici des masques de poupées maquillés de blancs et soulignés de minces traits noirs, là un visage de guerrier aux traits sereins. Parfois, une pluie d'étincelles les recouvrait brièvement et illuminait leurs gestes vifs.

Les assauts succédaient aux parades qui succédaient aux feintes dans une sorte de ballet mortel où la moindre faute ne pouvait que signifier une fin brutale. Il y avait dans ce tragique affrontement une beauté poignante. Lancé dans une spirale plongeante, Sidh Vega semblait jeter ses derniers feux alors que dans la Force résonnaient les râles de l'Ordre Jedi assassiné. A chaque seconde qui passait, le Côté Obscur gagnait en vigueur et abreuvait ses tenants d'une énergie nouvelle. Sidh savait à présent que la Force avait atteint un point de déséquilibre extrême, et les pouvoirs du Maître Jedi perdaient de leur efficacité. Nous sommes proches de la victoire des Siths, reconnut-il amèrement. C'est la fin. Déjà, il sentait la fatigue s'accumuler lourdement, plombant son corps. Il ne tarderait pas à commettre une erreur. Ses pensées glissèrent vers Milessa, vers l'enfant qu'elle portait et il comprit qu'il perdait pied. Son détachement guerrier, qui le rendait si redoutable, cédait sous l'afflux des émotions.

Soudain, quelque chose sembla se détacher du plafond. Avec un fracas épouvantable, la chose s'écrasa sur un container, qui s'affaissa dans un hurlement de métal broyé.

Sidh en profita pour s'écarter de Vriiss et Kriss, qui lorgnaient avec méfiance l'amoncellement de tôle. Le Maître Jedi s'épongea le front sur sa manche et s'appliqua à contrôler son souffle.

— Besoin d'aide Vega ? lança une voix moqueuse.

— Je ne sens pas sa présence ! grogna Kriiss à l'adresse de sa soeur.

— Débarrasse-nous de ça, lui intima l'autre, furieuse de cette irruption alors qu'elle pensait pouvoir en terminer avec le Jedi.

Kriiss bondit en direction du container. A peine eut-elle touché terre que des tirs de blaster la prirent pour cible. Elle les détourna négligemment et fondit sur sa proie. Sidh crut distinguer une forme qui se mouvait avec souplesse, droit sur l'adepte du Côté Obscur, une forme élancée qui dégageait une extraordinaire impression de puissance physique. Kriiss bondit une nouvelle fois, tenant haut son sabre qu'elle abattit avec une violence inouïe, comme s'il elle eut voulu ouvrir son adversaire en deux. Mais la lame s'arrêta nette à mi-course. Kriiss lâcha un juron.

Dans l'éclat rouge du sabre, Sidh distingua les traits d'une femme qui se protégeait derrière ses avant-bras, croisés au-dessus de sa tête. La lame grésillante s'était enfoncée dans la chair découvrant une ossature métallique qu'elle n'avait pu traverser. Sidh s'efforça de ressentir cette nouvelle présence dans la Force mais n'y parvint pas. Vriiss choisit ce moment pour l'attaquer et déchaîna sur lui la foudre Sith. Arc-bouté derrière ses sabres, le Jedi parvint à contenir le déferlement et contre-attaqua, fort de la certitude que sa nouvelle alliée pouvait faire pencher la balance en sa faveur.

Zia était parvenu à immobiliser le sabre de Kriiss et les deux jeunes femmes se défiaient du regard. L'androïde lisait tout à la fois la peur et la haine sur le masque blafard de l'adepte, alors que celle-ci devait affronter un visage inexpressif, où rien ne trahissait la moindre angoisse. 

Zia relâcha sa prise et Kriiss attaqua de plus belle mais,  à chaque coup porté, l'arme sans égale se heurtait à l'implacable cortose qui composait l'endosquelette de son adversaire. Zia se fendit et son bras s'abattit comme un marteau sur le poignet de Kriiss qui ne put réprimer un cri de douleur et recula précipitamment de quelques pas. Zia l'accula, la forçant à se mettre sur la défensive, faisant pleuvoir sur elle une grêle de coups que l'adepte parvenait à grande peine à esquiver.

De son côté Sidh s'évertuait à épuiser Vriiss, ne lui laissant pas le moindre répit. La jeune guerrière se démenait, puisant dans ses réserves pour tenir la cadence démentielle que lui imposait le Maître Jedi. Sidh avait laissé passer la fatigue et combattait à nouveau avec ce calme inhumain, qui à lui seul venait à bout de ses adversaires, les poussant au découragement.  Vriiss se crispait au fil des secondes et luttait avec davantage de hargne que de sagesse, portant des coups de plus en plus prévisibles.

Zia toucha Kriiss en pleine poitrine et il fallut à l'autre se pencher en arrière pour accompagner le coup et éviter de se faire enfoncer les côtes. Profitant de ce déséquilibre, Zia la saisit par la ceinture et la tira sèchement vers elle tout en projetant son coude vers la face de l'adepte. Un bref craquement indiqua à l'androïde que l'attaque avait fait mouche, écrasant le nez. Avec un hurlement pathétique, aveuglée par le flot pourpre qui inondait son visage, Kriiss mit un genou à terre et frappa d'estoc, traversant Zia de part en part avec pour seul résultat de se faire briser le poignet par un coup digne d'un wookie. D’un geste négligent, Zia arracha l’arme et la retourna contre son adversaire.

— Non !! hurla Kriiss avant que son propre sabre ne lui détache la tête des épaules.

Aussitôt, Sidh vit la tristesse de Vriiss, l'abandon dans son attitude, mais il ne s'autorisa pas la moindre pitié. Il feinta en  ménageant à son adversaire une ouverture dans sa garde. Vriiss, furieuse et désespérée, plongea droit dans le piège et frappa au coeur. Prêt à esquiver, le Jedi fléchit ses jambes et pivota, laissant passer le sabre de Vriiss. Puis très vite, il porta un coup de haut en bas, tranchant le bras à hauteur du coude et, dans le même mouvement, passa son sabre gauche à travers le ventre de l'adepte, profitant de l’élan mal maîtrisé de la jeune femme. Sans un cri, sans  même un soupir d'agonie, elle s'affala lentement contre Sidh.

Zia vérifia l'état de ses bras. A part un peu de synthéchair fondue et facile à remplacer, pas de dégâts majeurs à signaler. Elle se retourna et vit Maître Vega penché sur le corps du deuxième assassin, comme s'il se recueillait. Il  paraissait absent, absorbé par des souvenirs ou des images.

— Je voudrais pas vous brusquer, Jedi, mais on ferait bien de sortir d'ici maintenant, le brusqua-t-elle. Je crois que vos soldats ont décidé de vous faire la peau.

— Qui vous envoie ?

— Terrick, lâcha-t-elle avec amusement, savourant à l'avance la surprise du Jedi.

— Terrick !

— À la demande du sénateur Estariol, je tiens à le préciser. Terrick ne se serait jamais déplacé pour un Jedi. Question de rentabilité.

— Soit, je vous remercie, dit-il.

— Pas de quoi, c'était amusant.

Sidh se retourna vers R4 qui babillait près de l'accès au terminal des hangars.

— Tu as réussi R4 ?

L'unité astromech émit une courte série bips indignés avant de déclencher l'ouverture des portes dans un concert de chuintements et de sifflements. Avec une lenteur exaspérante, les deux panneaux s'écartèrent pour laisser pénétrer une brise chaude et les bruits de l'astroport. Sidh sauta dans le cockpit du Delta 7 pendant que R4 s'installait dans son logement extérieur. Zia grimpa à la suite du Jedi et jeta un oeil dubitatif à l'habitacle étroit.

— Désolé, mais il va falloir vous faire petite derrière le siège, s'excusa Sidh.

Zia se débarrassa de la caisse de matériel de survie, pas vraiment indispensable en cet instant, et se rencogna tant bien que mal derrière le dossier du pilote. Le petit chasseur s'éleva et quitta le croiseur à pleine vitesse, prenant de court la défense anti-aérienne mise en place à son intention. Les lourdes tourelles crachèrent quelques salves, mais il avait déjà disparu. Alors qu'il  louvoyait entre les sommets des plus hautes tours qui jouxtaient l'astroport, Sidh vit au loin le Temple Jedi que ravageaient les flammes. Il ne ressentait rien de plus qu'une infime nostalgie car il avait, depuis la mort de Maitre Windu, envisagé cette possibilité et, par une sorte d'anticipation cathartique, affronté la douleur. Il hésita à projeter ses sens à travers la Force, sachant très bien qu'il ne trouverait là-bas que mort et désolation. Sa gorge se serra pourtant à la pensée de ces padawans, encore des enfants, avec lesquels il avait échangé quelques mots avant son départ du Temple. Il n'y avait sans doute rien de plus à faire désormais que préserver ce qui pouvait encore l'être, lui, Milessa et tous ceux qui étaient parvenu à fuir le massacre.

— Vous aviez prévu quelque chose pour quitter Coruscant ? demanda-t-il à Zia

— Un des transporteurs de Terrick nous attend sur une piste d'envol discrète dans le district industriel. Vous pourrez cacher votre Delta dans les soutes.

— Bien, laissa-t-il tomber laconique. Mais je dois aller au Temple avant. Je suis le dernier Maître du Conseil.

— Vous êtes surtout un grand malade ! explosa Zia qui en croyait à peine ses capteurs auditifs. On raconte qu'il y a toute une légion de clones là-bas, qui taille en pièces les Jedi, jeunes ou vieux. Vous croyez que j'ai pris autant de risques juste pour vous voir vous jeter à nouveau dans le premier merdier venu ?

— R4, établit une communication sécurisée avec Anakin, dit-il sans prêter attention aux protestations de Zia qui n'en finissait pas de jurer. J'ai besoin de lui au plus vite. A nous deux on peut espérer tirer quelques-uns des nôtres de ce massacre.

Zia n'en revenait pas. Et pourtant elle ne pouvait étouffer un élan d'admiration pour ce Jedi, vaincu mais digne jusqu'au bout. L’idée du Maître Jedi était absurde, bien sûr, mais Zia percevait toute sa force. C'est là qu'elle comprit ce qui lui avait tant manqué toutes ces années : un but, un idéal. Une dignité. C'est pour cela qu'elle n'avait pas hésité lorsqu'il avait fallu se tailler un chemin à l'intérieur d'un croiseur républicain hautement sécurisé. Elle avait senti que ce Jedi lui ressemblait plus qu'elle ne le soupçonnait et qu’il incarnait peut-être ce qu'elle aspirait à devenir. Il était l'humanité qui lui faisait défaut. Elle ne l'abandonnerait pas.

— Voyons ce qu'on peut faire, conclut-elle à haute voix.

Sidh ne répondit pas mais il faillit sourire.

 

*  *

*

 

Chapitre VI

 

La brûlure qui irradiait sa poitrine confirma à Zett qu'il n'était pas encore mort. Il serra les dents pour ne pas hurler car il craignait que l'escouade de clones qui l'avait abattu ne traîne encore dans les parages. Avec application il contrôla les battements de son coeur, atténua la sensation de douleur et détendit ses muscles. Pris de nausée, il faillit perdre connaissance. Des images dansaient derrière ses paupières fermées. Les fantômes de son enfance encore verte semblaient se pencher vers lui, inquiets et compatissants.

— Maman, murmura faiblement le petit padawan.

Malgré l'entraînement et en dépit de sa volonté exercée, Zett Jukassa ne pensait qu'à la mort désormais, et la vieille terreur atavique rongeait son esprit. Il aurait voulu pleurer, mais une espèce de fierté têtue ou peut-être un orgueil de garçonnet l'en empêchait. Alors qu'il s'abandonnait à une torpeur réconfortante, des traits familiers envahirent son champ de vision déjà trouble. Il sentit sur sa poitrine une main ferme mais chaleureuse et peu à peu la douleur reflua. Ses paupières se fermèrent lentement. Avant de céder au sommeil, il crut discerner quelques mots.

— Il vit encore, souffla Sidh, soulagé. Louée soit la Force !

 

*  *

*

 

Tout au long du chemin qui l'avait conduit là, encadré par quatre de ces gardes rouges énigmatiques, le sénateur Estariol s'était préparé à la confrontation inévitable qui allait suivre. Froidement, il avait balayé tout le champ des possibles, envisageant jusqu'aux scénarios les plus catastrophiques. Sa logique lui murmurait sans cesse que Palpatine avait sans doute mieux à faire que de se débarrasser de lui et qu'après des menaces voilées, il lui proposerait sans doute de servir les intérêts du nouveau régime, peut-être dans un rôle d'émissaire auprès de ses pairs du secteur Tapani.

La porte recouverte de panneaux de bois sombres s'ouvrit devant lui et il fit avancer son siège à répulseurs dans cette antichambre qu'il connaissait si bien. Plus d'une fois il avait attendu dans cette pièce de pouvoir à son tour solliciter le Chancelier. Aujourd'hui pourtant, il ressentait un certain malaise devant ces fresques murales, aux thèmes dérangeants, qui ornaient les murs que l'esthète Finis Valorum avait jadis tapissé d'oeuvres picturales issues des cultures les plus brillantes de la Galaxie.

Mais hormis ces bouleversements dans la décoration, c'est l'atmosphère pesante des lieux qui troublait le méfiant sénateur. Une chaleur inhabituelle alourdissait l'air, et Estariol ressentit le besoin impérieux de ménager à sa gorge serrée un peu d'espace. Il porta la main à son col et l'ouvrit plus largement. Deux des gardes le précédèrent et franchirent une seconde porte, qui donnait accès au bureau du Chancelier. Un souffle d'air frais sur son visage fit frémir le sénateur. Il se redressa légèrement dans son fauteuil et s'apprêtait à passer le seuil, lorsque ses yeux tombèrent sur trois corps allongés vêtus de bures Jedi.

Il ne fallut à Estariol qu'un coup d'oeil pour identifier Maître Fisto, Maître Kolar et Maître Tiin, tous trois mortellement frappés par un sabre-laser. Le seigneur d'Expansion se tendit imperceptiblement, aiguillonné par la peur. Trois Maîtres Jedi gisaient à ses pieds terrassés par un utilisateur de la Force ou du moins, par un guerrier suffisamment versé dans l'art du sabre pour les affronter tous trois et les vaincre. Ca ne laissait que peu de possibilités, et aucune de celles qui défilaient dans la tête du sénateur n'était de nature à le rassurer.

Avec la même répugnance qu'il aurait eu à écarter les restes d'un chien Kath crevé, un des gardes poussa du pied le cadavre affalé de Kit Fisto. La dépouille roula sur le côté avant de dévaler la volée de marches qui menait au centre de la pièce tel un pantin sordide et désarticulé. Estariol le considéra quelques secondes avec commisération  avant de s'avancer jusqu'au  bureau. Derrière cette étendue intimidante d'un noir d'obsidienne se tenait la silhouette sombre du Chancelier, lui tournant le dos. Estariol remarqua alors dans la pénombre la baie en transpacier brisée, les éclats qui jonchaient le sol, et il eut la certitude qu'il faudrait jouer avec prudence pour sortir en vie de cette pièce. Les gardes rouges se postèrent près des murs, se fondant dans les ténèbres sans un bruit.

— Je suis fort aise de vous voir ici Seigneur Estariol, dit Palpatine sans se retourner.

La voix était inhabituellement sèche, dépouillée de cette affabilité onctueuse qui faisait le charme du Chancelier, et paraissait sortir d'une gorge meurtrie. Estariol essaya de ne rien laisser paraître de sa surprise.

— Me voilà, Chancelier, répondit-il froidement. Venons-en au fait je vous prie.

Il rit. Un éclat tranchant comme du verre.

— Pour un homme accusé de haute trahison, je vous trouve bien impudent, Sénateur.

Haute trahison, pensa Estariol. Malgré une préparation de six mois et un déroulement sans anicroches, cette opération avait été éventée en quelques jours seulement.

— Qu'allez-vous faire de moi et des membres de ma maison ? demanda Estariol sans se démonter. J'aimerais savoir ce que les lois de votre nouveau régime réservent aux traîtres.

— J'ai songé à vous faire exécuter sur le champ, avoua Palpatine. Les serpents de votre espèce doivent être considérés avec la plus grande défiance.

— Vous êtes vous-même un reptile particulièrement sournois, lâcha Estariol. Mais je confesse mon admiration pour votre habile mascarade. Dix ans de mensonges, dix ans à distiller votre venin dans les veines de la République. Tout cela, ce grand oeuvre, touche au sublime.

— Épargnez-moi vos ironiques flatteries Estariol, cracha Palpatine. Ne poussez pas ma patience à bout. Je n'en possède que fort peu, tout particulièrement à l'égard des traîtres et des voleurs.

Sa voix avait acquis une autorité incroyable. Elle claquait comme un fouet neuronique et semblait capable de fléchir les volontés à sa guise. Mais Estariol savait comment résister à ces pressions. Il y était entraîné depuis l'enfance. 

— Comment allez-vous justifier l'attaque du Temple Jedi ?

Palpatine se retourna alors et abaissa la profonde capuche qui masquait son visage, révélant un faciès ravagé, enflé jusqu'à en être grotesque. Monstrueux.

— Voilà ma justification, dit-il en désignant son visage d'une main osseuse et aussi jaunâtre que son teint. Les Jedi s'apprêtaient à renverser la République et à prendre le pouvoir. Ils avaient comploté mon assassinat mais ont échoué.                

— Et par conséquent, vous allez pouvoir imposer des changements radicaux à la constitution, conclut Estariol. Afin de rétablir l'ordre.

— Rétablir l'ordre ? Non mon ami, je vais fonder un Ordre Nouveau !

Un dictateur de plus dans la Galaxie, pensa Estariol. Cela n'aurait guère d'importance s'il ne s'apprêtait à prendre le contrôle d'une armée si dramatiquement efficace. Voilà  l'instrument de son pouvoir. Des rêves d'empire Sith...

— Vous n'ignorez pas  que tout ce que vous pourriez tenter contre moi ne ferait que vous aliéner l'ensemble du système Tapani, lança Estariol sur un ton dur. Tuez-moi et vous aurez une guerre de plus sur les bras.

Palpatine grimaça.

— Des menaces ? siffla-t-il entre ses dents.

— Un avertissement Chancelier. Une simple mise en garde.

— On ne gagne rien à me menacer sénateur !

— J'allais vous dire la même ch..., eut-il le temps d'articuler avant que sa gorge ne se serre brutalement sous l'effet d'une étreinte fantomatique.

Il se sentit soulevé de son fauteuil comme par une main d'acier et tiré vers l'avant avec violence. Suspendu à quelques centimètres du sol, il luttait pour inspirer un peu d'air et s'efforçait d'ignorer le bruit angoissant de son oesophage martyrisé.

— Quelle pitié que vous soyez si orgueilleux, si dépourvu de clairvoyance commenta Palpatine laconiquement. J'envisageais un rôle particulier pour vous. Mais peut-être vais-je vous laisser une chance supplémentaire, afin que vous me prouviez que vous n’êtes pas qu'un jeune roquet stupide.

Il desserra son étreinte et Estariol retomba lourdement sur son fauteuil. Le sénateur avala avec avidité une goulée d'air et se massa la gorge tout en considérant avec un intérêt neuf la forme chétive et voûtée du seigneur Sith.

— À présent, vous allez m'écouter sénateur, reprit l'Empereur. Les relations économiques avec les seigneurs d'Expansion constituent une priorité pour moi. La République ne pouvait s'en passer et l'Empire veut les conserver. Cependant, je vais apporter des modifications à notre contrat tacite et c'est vous qui serez chargé de les faire accepter à vos pairs, princes, ducs et comtes du secteur Tapani. Vous avez beaucoup à gagner à souscrire à ce que je vous propose. Et je ne le ferai qu'une fois. Est-ce clair ?

Estariol réalisa alors que la lutte était inutile. Clairement, l'opposition était dans l'impasse. Rien à présent ne pourrait détourner le cours des événements et la marche au pouvoir de Palpatine ne faisait que commencer. Dans quelques heures, il s'érigerait en maître suprême d'une hégémonie militaire et se lancerait dans une purge sanglante, éliminant avec méthode tous ses opposants. Il fallait se préparer à des années de fuite et de compromis avant de pouvoir tenter le moindre mouvement. En cette heure chaude de la nuit, dans cet antre sinistre, Estariol comprit que la République avait rendu son dernier soupir.

— Le Sénat sera saigné afin d'en extraire le poison étranger, continua-t-il comme s'il faisait la leçon à un enfant. Ce mélange de races est le ferment putride de la contestation. Cela prendra des années mais, à terme, seuls les intérêts de l'Empire seront considérés et non plus les doléances de ces systèmes parasites qui affaiblissaient la République. Les Jedi sont désormais des ennemis de l'Empire. Mes ennemis ! Je les traquerai sans relâche et les détruirai jusqu'au dernier.

Estariol savait qu'à présent il devait jouer ses ultimes atouts afin d'échapper à la fosse. Il imposa le silence à son orgueil aristocratique, oublia les scrupules et, en politicien avisé, se résolut à prêter le flanc – du moins en apparence – aux caresses de son nouveau maître. Oui, pensa le jeune seigneur, je me couche devant toi aujourd'hui. Mais je saurai aiguiser mes crocs sur les os que tu me jetteras de ta table et un jour... Prends garde que je ne t'arrache pas la main !

— J'accepte, laissa-t-il tomber

Ce fut dit sans émotion, car il avait retrouvé une bonne part de sa lucidité en acceptant l'inéluctable défaite.

On avait effacé le plateau. De nouveaux pions se mettaient en place.

Une autre partie commençait.

 

*  *

*

 

Des morts partout. Par dizaines, allongés sur le marbre froid, dans les salles de méditations, dans les jardins de repos, les corps des padawans et des chevaliers offraient un spectacle de désolation. Sidh marchait d'un pas lourd au milieu des cadavres, cherchant un visage connu. Ce n'était guère difficile malheureusement. Il les connaissait presque tous.

Beaucoup avaient peiné sous les ordres du jeune maître d'armes ces dernières années et usé la poignée de leur sabre-laser dans des enchaînements cent fois répétés. Ils avaient sacrifié une enfance paisible pour suivre les rudes enseignements Jedi avec l'espoir de servir un jour la République, de protéger ceux qui ne pouvaient se protéger.

Aujourd'hui on les avait assassinés.

Sidh força l'allure, espérant encore découvrir des survivants et quitter ce lieu de mort le coeur moins meurtri. Son existence se délitait, tout ce que le définissait semblait retourner au chaos et lui laissait une sensation d'abandon total. L'Ordre Jedi était toute sa vie. Les valeurs qu'il prônait depuis des millénaires, Sidh les avait fait siennes et s'était battu pour elles, refusant de vivre simplement une vie d'homme. Il aurait pu être  technicien, pilote de transport de fret, simple soldat. Il s'était fait Jedi.

Et cette nuit, on lui avait tout pris. Comme on brûle les champs d'un fermier, on avait fauché les pousses tendres d'une nouvelle génération de Jedi et on ravageait à présent la demeure familiale avec une férocité barbare. Sidh évita plusieurs escouades qui remontaient les larges halls au pas de charge, et qui ne s'arrêtaient que pour achever les blessés qu'elles trouvaient sur leur passage. C'était une minutieuse entreprise d'éradication.

Alors qu'il atteignait un balcon surplombant un amphithéâtre où il avait lui-même dispensé quelques cours sur l'histoire de L'Ordre, Sidh perçut avec acuité la présence d'Anakin, proche mais si altérée qu'il se mit à douter de ses sens.

Ce qu'il sentait par-dessus tout, surpassant même la formidable émanation du Côté Lumineux de la Force qui provenait de l'antique Temple, c'était le Côté Obscur, qui s'avançait avec la lente mais inéluctable pesanteur d'une marée, et paraissait sur le point de tout submerger.

S'avançant entre deux colonnes de la 501éme Légion, Anakin pénétra dans l'amphithéâtre sabre au poing. Aussitôt, Sidh se glissa derrière une statue et plia la Force autour de lui pour masquer sa présence tout en essayant d'étouffer un brusque accès de colère. Était-il possible qu'Anakin soit responsable de cette horreur, s'interrogea le Maître Jedi. Palpatine avait-il réussi à détruire cette âme généreuse ?

Sans doute n'existait-il pas d'autre explication. Sidh aurait tant voulu qu'il en soit autrement et qu'Anakin soit resté Anakin, emprunté mais sincère, brusque mais honnête. Toutes les craintes de Maître Windu et les réserves du Conseil à l'égard du jeune Skywalker avaient été trop tardives. Nous avons manqué de sagesse, admit Sidh en lui-même. 

Son instinct lui commandait maintenant de tuer Anakin et d'empêcher que l'extraordinaire potentiel du jeune homme ne puisse servir les desseins d'un seigneur Sith. Même si sa raison penchait pour une retraite judicieuse, le Maître Jedi ressentait le besoin d'agir selon l'honneur et d'accomplir cette dernière tâche. En dépit de ses doutes et se fiant à son instinct de guerrier, il porta les mains à ses sabres.

 

*  *

*

 

L'effort lui coûtait chaque jour davantage mais Milessa se refusait à rompre avec son rituel matinal. Dés l'aube, elle trottait jusqu'à la rivière et se baignait dans un bassin peu profond que le torrent avait creusé dans la roche. Elle s'allongeait sur la pierre moussue du fond et restait immergée de longues minutes, les yeux clos, faisant appel à des techniques anciennes que sa mère lui avait inculquée dés sa prime enfance et qui lui octroyaient un contrôle presque total sur son métabolisme. Depuis qu'elle portait son enfant, Milessa avait découvert que cette méditation renforçait sa conscience maternelle, et elle sentait avec plus de force la vie grandir dans son ventre. Elle passa une main sur cette rondeur qui s'affirmait au fil des semaines, et se laissa aller à une agréable léthargie.

Soudain elle ouvrit les yeux et cria. D'une poussée, elle s'éleva du fond et creva la surface.

— Non ! hurla-t-elle. Sidh ! Non ! 

 

*  *

*

   

Terrick se faufilait dans la circulation sans trop réfléchir à ce qu'il faisait, une main sur les commandes, l'autre caressant machinalement la minuscule mémoire de masse qu'il tenait entre le pouce et l'index. Le trafic avait la consistance pâteuse qu'il avait chaque jour à la même heure et les lumières des méta-écrans publicitaires vous torturaient toujours autant la rétine.

Las comme jamais, Terrick se laissait flotter dans ce paysage irréel avec une nonchalance triste et essayait de comprendre pourquoi Coruscant semblait ne pas avoir changé. De toute façon, ça ne tardera pas, pensa-t-il, amer. Malgré tout,  il se sentait en paix avec lui-même. Tout ce qu'il pouvait faire, il l'avait fait. Sur une piste d'envol crasseuse du district industriel, un vieux transporteur des chantiers Gallofrey n'attendait que son bon vouloir pour prendre le large et abandonner cette prison. Zia avait ramené le Jedi avec elle et une poignée de ses fidèles avait réussi à rejoindre le vaisseau – ce bon vieux Rodien de Ludo était en vie ! - sans compter que les stocks avaient pu être mis à l'abri avant l'intervention de commandos clones un peu trop bien rencardés. En clair, Terrick avait de quoi se relancer en un clin d'oeil ou presque, dans un coin plus calme de la Galaxie.

Il repensa à Estariol. Soucieux, Terrick l'avait attendu dans ses bureaux, s'attendant à le voir revenir entre deux de ces foutus gardes rouges ou ne pas revenir du tout, balancé dans un compacteur à ordures et expédié en orbite. Pendant presque une heure, le caïd avait joué nerveusement avec son blaster sans réussir à se décider à fuir. Un vieux reste de bon coeur mal nettoyé le collait à son fauteuil.

Quand enfin le sénateur était revenu, il l'avait pressé de le suivre, lui avait montré le cadavre de son secrétaire qu'il avait couché sur une table, expliqué le drame qui s'était joué dans cette même pièce où tous deux se tenaient. Le seigneur d'Expansion avait écouté sans rien dire, sans même laisser paraître un peu de chagrin devant cette dépouille et ce visage familier, brûlé d'un coup de blaster arbitraire. Puis il avait levé des yeux froids, durs comme le cristal d'un sabre-laser, des prunelles à vous découper l'âme en fine lamelle, et avait calmement narré à Terrick sa rencontre avec Palpatine, le seigneur Sith enfin révélé. Le caïd n'avait pu qu'approuver les choix du politicien et admettre qu'il n'aurait pas agi différemment face à pareil ennemi.  Puis Estariol s'était redressé, et avec un sourire franc, lui avait serré la main et l'avait invité à quitter au plus vite Coruscant, avant que n'entre en vigueur la nouvelle politique d'intolérance qui se profilait à l'horizon.

— Nous sommes des survivants mon ami, avait lâché le sénateur en prenant place derrière son bureau. Les tyrans s'élèvent et chutent, les Républiques brillent puis s'éteignent, mais toujours demeurent les politiciens et les voleurs. Intéressant non ?

Ce fut une manière d'adieu. Terrick le salua, tourna les talons et s'en fut sans un mot.

Après un quart d'heure de slalom dans le flot des speeders, Terrick posa son petit bijou sur une aire d'envol en terre battue, juste derrière une vieille usine d'assemblage de droïds. Conformément à ses instructions, le transporteur ronronnait déjà et il laissa à Ludo -après un regard entendu qui voulait dire « bien content de te revoir mon pote ! »- le soin de parquer son joujou dans la soute. Puis il grimpa la passerelle d'embarquement et fonça vers les quartiers de l'équipage.

 

*  *

*

 

Sidh caressa le visage apaisé de Damaya, la chétive padawan Miraluka qu'il venait juste de plonger en transe Jedi afin de stabiliser son état. Le biomoniteur confirma ses impressions. La fillette était hors de danger. A l'autre bout de l'infirmerie, Zett flottait paisiblement dans la cuve à bacta que les hommes de Terrick avaient mis à la disposition de Sidh. Ses blessures à la poitrine semblaient moins graves qu'il ne l'avait d'abord craint. Le Maître Jedi sourit et remercia Milessa de l'avoir empêché de commettre sa pire erreur stratégique en se jetant au beau milieu de dizaines de soldats clones pour affronter Anakin.

Une fois encore, le lien qui unissait dans la Force Sidh à Milessa lui avait sauvé la vie, comme lors de son duel contre Ventress sur Alderaan. Milessa l'avait en quelques mots convaincu de l'inutilité de son sacrifice et de la nécessité de survivre pour transmettre son savoir à ceux qui, un jour, pourraient espérer relever l'Ordre Jedi, pour élever l'enfant qui était le sien dans les voies de la Force et pour l'aimer elle qui avait tant besoin de lui.

Milessa s'était exprimé avec cette simplicité naturelle qui la définissait, mais aussi avec cette conviction étonnante à laquelle il était si dur de résister. Sidh s’était laissé fléchir, avait désactivé ses sabres et rejoint Zia. Sur son chemin, il avait eu la bonne fortune de découvrir la petite Damaya encore vivante et, chargé de ce léger fardeau, il avait abandonné derrière lui son existence passée pour se tourner vers l'avenir.

— On décolle, dit Terrick en entrant dans l'infirmerie, interrompant le cours de ses pensées.

 

*  *

*

 

Epilogue

 

Les médecins du Complexe Médical de l'astéroïde de Polis Massa prirent en charge les padawans de Maître Vega dès leur arrivée, et quelques jours suffirent aux deux survivants du massacre du Temple Jedi pour pouvoir à nouveau marcher. Terrick, Zia et sa bande profitèrent peu de l'hospitalité des Polis Massans et se contentèrent d'emprunter du matériel manquant, avant de mettre le cap sur le système Bakura. Sidh ne leur dit pas adieu. Terrick était le genre d'homme dont on pouvait avoir besoin.

Dans les jours qui suivirent, Padmé Amidala mourut en donnant la vie à deux jumeaux malgré les efforts et toute la technologie des Polis Massans. Sidh assista aux derniers instants  de la jeune femme et pria pour qu'elle trouve un peu d'apaisement en retournant à la Force. Anakin était mort des mains d'Obi-Wan et Palpatine avait proclamé l'Empire à un Sénat conquis, enterrant en grande pompe la République Galactique après des millénaires de bons et loyaux services. Obi-Wan, Sidh et Maître Yoda se séparèrent sans espoir de jamais se revoir en ce monde mais avec le rêve partagé d'une renaissance, et porteurs d'un grand secret. A ce moment, l'Ordre Jedi cessa d'exister.

Sidh, Milessa et Bail Organa purent assister à l'achèvement du refuge rêvé par la jeune femme, petite station qui déployait ses installations dans les couches profondes de l'astéroïde. Un an plus tôt, les Polis Massans avaient donné leur accord au projet, séduits – comme tout le monde – par la personnalité de Milessa tandis que Bail avait joué le rôle du généreux mécène. Bientôt des Jedi en rupture de ban  pourraient trouver ici asile. Un lieu de paix et de méditation où seraient préservées les graines d'un futur meilleur.

 

*  *

*

             

Dans un night-club de Coruscant, le commandant clone Delta 303, surnommé Bob, commanda un double whisky Corellien et but à la santé de Sidh Vega. De bons souvenirs dessinèrent un sourire sur ses lèvres.

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