Le premier détail frappant lorsqu'on compare les approches du passé des univers Officiel et Legends, c'est l'échelle chronologique in-universe sur laquelle s'étendent les publications : environ vingt-six millénaires pour le Legends, entre les Guerres de la Force (roman L'Aube des Jedi et comics La Genèse des Jedi) et la formation du Triumvirat de la Fédération Galactique à l'issue de la Seconde Guerre Civile Impériale (comics Legacy et Legacy Volume II). Pour l'univers Officiel, en revanche, on est pour l'heure (mi-2023) sur un laps de temps bien plus restreint d'un peu plus de 500 ans, entre la Haute République (phase 2) (La Quête des Jedi) et la chute du Premier/Dernier Ordre.

Certes, ces deux univers n'ont pas la même ancienneté, pas le même nombre d'ouvrages publiés... Mais cette différence d'échelle est avant tout le résultat de choix éditioriaux dictés par des contextes bien différents.

Parmi les premiers ouvrages de l’univers Legends à évoquer le passé, on retrouve L’Héritier de l’Empire de Timothy Zahn, ouvrage publié en 1991. Dans sa trilogie Thrawn, l'auteur a intégré de nombreuses références à une histoire récente : la flotte Katana, les cuves de clonage Spaarti, la biographie de Jorus C’Baoth, le Vol vers l’Infini, la dévastation de Honoghr... La plupart de ces éléments, inspirés par Obi-Wan parlant de la Guerre des Clones dans Un Nouvel Espoir (ou de la Guerre Noire pour les VFistes), renvoyaient vers un passé récent, des événements ayant eu lieu entre un siècle et un demi-siècle plus tôt. Ce sont des détails immersifs ; ils jouent le rôle qu'ont dans notre univers les événements de notre Seconde guerre mondiale, qui reviennent très facilement dans les conversations parce que le souvenir en est encore bien présent.

Mais une telle stratégie peut s'avérer très risquée, et ce qui s'est passé avec ces références en est la preuve. Partant de vagues indications données par George Lucas, Timothy Zahn avait placé la Guerre des Clones une cinquantaine d'années avant la bataille de Yavin ; la prélogie a finalement montré que l'écart avait été réduit à une vingtaine d'années. Par conséquent, beaucoup d'éléments ont été bouleversés dans leur placement chronologique, du plus évident comme l'avènement de l'Empire au plus anecdotique comme la dévastation de Honoghr. Et ce n'est pas tout ! La planète Kamino et ses clones génétiquement modifiés sont venus remplacer les cylindres de clonage Spaarti ; pis, les clones sont passés d'ennemis à armée de la République... Il y a bien eu quelques retcons (récits et infos visant à redonner une cohérence à un tout) publiés pour tenter d'arranger ça ; les cylindres Spaarti, par exemple, ont eu droit à une nouvelle écrite par Zahn lui-même, ouvrant une intrigue qui sera poursuivie par Karen Traviss dans les tomes 3 et 4 de sa série Republic Commando... L'intrigue de l'arc de la série Republic Le siège de Saleucami sert également en partie de retcon aux histoires de clones ennemis de la République. Mais dans l'ensemble, ces rattrapages restent un peu artificiels.

Or, dans la foulée dans la trilogie Thrawn, un autre arc narratif apparaît et va vraiment poser les jalons de l'histoire Star Wars. Il s'agit de L'Empire des Ténèbres, série comics qui met en scène la résurrection de l'Empereur Palpatine et ses tentatives pour reprendre le pouvoir. Quoi que l'on pense de ce scénario controversé, ces comics ont donné naissance à un incroyable « lore », un matériau de base essentiel pour la suite de l’univers. Ce sont les premiers récits explorant Ossus et mettant en scène l’ancien Ordre Jedi, mais aussi Korriban et les Seigneurs Sith. Ils renvoient vers des temps très anciens : quatre millénaires plus tôt !

Et d’ailleurs, le scénariste de L’Empire des Ténèbres, Tom Veitch, va se voir confier une série de comics se déroulant à cette période. C’est La Légende des Jedi, l’histoire des Jedi déchus Ulic Qel-Droma et Exar Kun (découvert en même temps dans la trilogie de L’Académie Jedi de Kevin J. Anderson). Ce récit pose les bases de ce que seront la plupart des histoires racontées sur l’Ancienne République : un affrontement entre Jedi, Sith avec parfois un troisième « peuple » impliqué : les Mandaloriens. Le préquel de La Légende des Jedi, avec l’histoire de Naga Sadow ? Jedi contre Sith ! Les jeux vidéo KotOR et KotOR II ? Jedi contre Sith ! Le MMO The Old Republic ? Même si beaucoup d’intrigues s’y sont ajoutées parce qu’il fallait bien alimenter le jeu depuis bientôt douze ans, ça reste avant tout Jedi contre Sith ! Les comics racontant l’histoire de Zayne Carrick ? Jedi contre Mandaloriens… Même si l’ombre des Sith n’est jamais bien loin ! 

Pour revenir sur l’histoire proche de la saga, parler des événements et des personnages proches de la prélogie, il faudra attendre la sortie de ces films. Entre 1999 et 2012, la chronologie s’est progressivement étoffée : cela a permis de découvrir la guerre de Stark, un conflit original mettant en scène une confédération de hors-la-loi, ou encore le soulèvement de Yinchorr. La série des Apprentis Jedi a permis d’étoffer l’Ordre Jedi et le passé des deux héros de La Menace Fantôme, Obi-Wan Kenobi et Qui-Gon Jinn. Le roman Dark Plagueis surtout a donné des dates, étoffé le récit de ces années précédant l’Épisode I. Les histoires présentées étaient différentes, davantage politiques, et les Sith n’y étaient pas dépeints comme de puissants guerriers mais jouaient plutôt un rôle dans l’ombre. 

Pour l'Univers Officiel, la situation est bien différente, et pour cause ; la prélogie est sortie une décennie avant sa naissance, le passé immédiat est donc mieux délimité. Pourtant, on sait finalement assez peu de choses sur la période précédant les films, puisque peu d'œuvres ont été publiées. La liste des ouvrages SWU montre bien cette disproportion : sur la dizaine de décennies précédant l'Épisode I, seules dix œuvres sont recensées pour l'Univers Officiel, contre plus de soixante-dix pour l'Univers Legends.

Mais l’Univers Officiel a lancé début 2021 sa première grande saga : l’histoire de la Haute République. C'est une petite révolution : alors que la littérature Star Wars, depuis le rachat par Disney, servait avant tout de complément aux films, séries ou jeux vidéo, la Haute République offrait la promesse de récits dévoilant les coulisses d'un passé lointain, très lointain... Ou pas, puisqu'il explore une période située entre deux cents et quatre cents ans avant les films, loin de ce qu'était l'Ancienne République du Legends.

Mais le « projet Luminous » - c'est son nom de code - a d'autres atouts pour lui. Cette période de la Haute République est à plusieurs égards bien plus dépaysante que l'Ancienne République que nous pouvions voir dans les jeux et comics Knights of the Old Republic où, finalement, il y avait beaucoup de similitudes esthétiques et scénaristiques avec les films. Cette fois, on découvre une République au faîte de sa puissance, sûre d'elle, appréciée, porteuse de projets ambitieux... Quel changement avec le régime corrompu ou au bord de l'effondrement que l'on a bien souvent présenté ! Et ce n'est pas la seule innovation ; l'accident du Legacy Run, qui ouvre La Lumière des Jedi, premier roman de cette nouvelle saga, ses conséquences sur l'hyperespace... On est sur du surprenant, de l'inédit, quelque chose d'assez rafraîchissant !

Cette incursion littéraire dans des temps un peu plus lointains de la saga Star Wars n'est apparemment que le début d'un réinvestissement du passé par de nouvelles œuvres. La série The Acolyte (prévue pour 2024) doit se dérouler dans la période entre la Haute République et l'Épisode I ; quant au film de James Mangold, annoncé à Celebration Londres 2023, il est censé se dérouler... Vingt-cinq mille ans avant l'Épisode IV !

Pourquoi vingt-cinq mille ans ? Pour créer la chronologie de l'Univers Étendu, les différents auteurs et décideurs se sont appuyés sur des références directes faites à un passé lointain et plus ou moins daté dans les films. Il y en a eu très peu. La première arrive dès 1977, et elle provient de Ben Kenobi :

Un millier de générations, donc ; si l'on considère qu'une génération équivaut à environ vingt-cinq ans, on arrive aux vingt-cinq mille ans, référence retenue par l'Univers Legends pour l'apparition de l'Ordre Jedi moderne et la fondation de la République Galactique. C'est ce qui va permettre de positionner les premières sagas Legends dans un passé assez lointain, quatre, cinq mille ans plus tôt, tout en restant dans un contexte où la République et les Jedi sont malgré tout des institutions antiques.

Mais, au moment de la prélogie, un autre repère chronologique apparaît : celui des mille ans, évoqué dans La Menace Fantôme par Ki-Adi Mundi lorsqu’il parle des Sith.

Enfin, dans L’Attaque des Clones, le conseiller de Naboo, Sio Bibble, évoque le fait qu’il n’y a pas eu de « guerre à grande échelle » depuis la création de la République.

La fondation de la République il y a mille ans… ou vingt-cinq mille ? Ben Kenobi ou Ki-Adi Mundi et Sio Bibble ? 

En fait, le choix a été fait de retenir les deux à la fois. Les vingt-cinq mille ans environ ont été considérés pour la fondation de la République, et les mille pour sa refondation. C’est l’un des rares points où les deux chronologies de l’Univers Officiel et de l’Univers Legends se rapprochent - même s'il reste une subtilité qui sera expliquée un peu plus bas. Les deux comportent aussi une même « Année Zéro », celle de la bataille de Yavin - et c’est un repère qui n’existe pas du tout normalement dans notre calendrier, où l’an 1 a directement succédé à l’an -1. 

À partir de ces repères, il était possible de construire une chronologie… Et là encore, entre les univers Legends et Officiel, deux stratégies bien distinctes sont apparues.

Pour le Legends, le choix qui a été fait est celui d’une chronologie très construite. S’il y en a parmi vous qui ont lu Le Seigneur des Anneaux de Tolkien, ils connaissent les Appendices, ces textes insérés à la fin de la trilogie pour détailler le passé, année par année, expliquer les grands événements, les différentes guerres, etc. L’Univers Legends a appliqué cette stratégie. Chaque événement ou presque est donc associé à une année précise : par exemple, on sait que la Grande Révolution Droïde a eu lieu en 4015 avant la bataille de Yavin, alors que cet événement n’est que mentionné dans des guides ou jeux vidéo. Cette chronologie est née dans les guides officiels comme l’Essential Chronology sorti en 2000 puis 2005, elle a permis de ranger les romans dans un ordre bien défini… Et certains auteurs s’en sont même servis directement dans le récit, comme James Luceno dans Dark Plagueis, pour placer chronologiquement les différentes parties de son livre. Parfois, cela a même pu aller plus loin : dans sa série Republic Commando, Karen Traviss avait établi une chronologie de la guerre des Clones au jour près, entre la bataille de Géonosis et l’Ordre 66… Mais The Clone Wars est arrivé, et, soudainement, plus rien ne tenait. 

C’est peut-être la raison pour laquelle l’Univers Officiel a longtemps été bien moins précis dans son placement chronologique. Quelques dates ont bien été révélées, pour placer chronologiquement les films : on sait ainsi que l’Épisode VII prend place trente ans après la fin de la bataille d’Endor, ou que Solo a lieu dix ans avant l’Épisode IV… Mais à part cela, les dates ont été plutôt rares, et la tendance, ces dernières années, était à ce qu’il y en ait de moins en moins. Dans les derniers romans de chez Pocket, le classement chronologique des livres existe toujours… Mais sans les dates. Jusqu’à récemment, il n’y avait plus l’ambition de définir précisément le placement dans l’histoire de tel ou tel événement. Pourquoi ? Il ne me semble pas que Lucasfilm se soit exprimé clairement sur le sujet, mais on peut avancer plusieurs raisons : 

• D’abord, en étant un peu cyniques, on peut supposer que cela donne moins de travail au Story Group que s’il devait créer un tout parfaitement cohérent. Cela n’a rien de simple de tout faire tenir sur un laps de temps donné. Si vous prenez la Guerre des Clones, par exemple, faire tenir l’ensemble sur trois ou quatre ans doit être déjà compliqué. On a aussi l’exemple des séries de comics pendant la Trilogie Originale. Depuis 2015, il y a eu de nombreuses histoires à faire tenir dans ces quelques courtes années, et c’est encore plus vrai depuis qu’on est passés sur l’intervalle entre les Épisodes V et VI… 
• Mais il y a un autre aspect, sans doute plus intéressant parce qu’il est en rapport avec la considération pour l’histoire à l’intérieur de l’univers. C’est quelque chose qui est apparu avec Le Réveil de la Force, qui a été renforcé par la série The Mandalorian : le remplacement de l’histoire par la légende. Rey, lorsqu’elle rencontre Finn, croit que Luke Skywalker est une légende. Din Djarrin n’a jamais entendu parler des Jedi, que l’Armurière lui décrit à travers “les légendes de jadis”... Or on parle de trente ans d’intervalle entre les derniers affrontements Jedi/Mandaloriens et la série ! Chronologiquement, on est sur le même ordre de grandeur chronologique qu'entre aujourd'hui et la chute du Mur de Berlin ; une telle ignorance paraît donc limite aberrante… Mais c’est aussi une façon de raconter le passé qui renvoie vers les origines de Star Wars. Fondamentalement, c’est moins de la science-fiction que du space opera, voire du space fantasy. La phrase d'introduction des films, ce « Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine », n'est-elle pas un rappel du « Il était une fois » des contes de fées ? Cette évocation des légendes, même si elle est sans doute exagérée, est donc une sorte de retour aux sources pour la saga. D'autant que, dans les films d'origine, la temporalité a toujours été floue ! Combien d’années y a-t-il entre l’Épisode IV et l’Épisode V ? Combien de temps Luke passe-t-il sur Dagobah, et Han et Leia sur le Faucon ? Quel laps de temps entre le sauvetage du chancelier Palpatine et sa transformation en Empereur Galactique ? Toutes ces questions, ce sont des livres qui y ont plus ou moins répondu, parce que les auteurs de l’Univers Legends avaient une certaine latitude que n'ont peut-être pas ceux de l'Univers Officiel.
  

Mais la situation a évolué dernièrement. Celebration Londres 2023 a été l'occasion de dévoiler une nouvelle chronologie, comprenant des périodes inédites correspondant pour partie aux nouveaux films annoncés. Celui de Sharmeen Obaid-Chinoy prend place après la postlogie, et inaugurera donc une nouvelle ère, celle du Nouvel Ordre Jedi - un nom familier, avec un logo familier puisqu’il ressemble beaucoup à celui de la période Legacy dans l’Univers Legends. L’Ancienne République récupère elle aussi un logo familier… Et pour l’Aube des Jedi - autre nom familier, le symbole est issu du temple Jedi d’Ahch-To vu dans l’Épisode VIII. C’est durant cette période que doit se dérouler le film de James Mangold… Vingt-cinq mille ans avant la saga Skywalker. On y revient ! 

Par ailleurs, quelques jours après Celebration Londres, un nouvel ouvrage est sorti : Star Wars Timelines. C’est l’équivalent de la New Essential Chronology, un ouvrage qui replace les événements sur une frise chronologique. Le placement demeure néanmoins assez vague. Quand on consulte le résumé des événement pré-Haute République, on les trouve classés dans l'ordre, avec des dates, mais aussi beaucoup de mentions “Estimated” : le flou demeure donc encore la règle, même s’il est moins présent qu’avant. On a quelques informations sur des événements auxquels il est fait référence dans d’autres œuvres, et quelques changements concernant les Jedi et la République. Les vingt-cinq mille ans de l’Ordre Jedi, donc, mais aussi l’âge de la République, environ vingt mille ans - cinq mille de moins que dans le Legends. Le Temple Jedi de Coruscant est beaucoup plus récent que dans le Legends, il date de tout juste mille ans avant l’Épisode I. Quelques petits détails donc, mais qui demeurent bien loin de la richesse, de la profusion d’éléments que connaissait l’Univers Legends. Le but est sans doute de laisser autant de liberté que possible aux films, séries, livres ou jeux vidéo qui viendront combler ces vides.