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Le Fils de Gilead - version finie en pdf + prequel.

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Messagepar Uttini » Sam 09 Avr 2022 - 12:21   Sujet: Le Fils de Gilead - version finie en pdf + prequel.

Bon, tiens, tout ça m'a donné envie de partager à nouveau un truc autre que de la BD. Là, il s'agit d'un long texte dont je vous livre le premier chapitre.
Comment présenter cette histoire ?
C'est un texte de presque 160000 mots que j'ai écrit il y a plusieurs années, mais qui au départ n'a rien à voir avec Star Wars. Je l'ai simplement adapté. Avant de poster le chapitre 1, je dois présenter un peu le contexte, qui sera précisé bien plus en détails au cours des chapitres suivants.

Dix mille ans environ sont passés depuis la fin du Premier Ordre. Après la mort de Palpatine, une trop courte période de calme s'est achevée par l'arrivée sur la scène galactique d'une nouvelle puissance, adepte du Coté Obscur. Cette puissance, baptisée les Seigneurs Noirs, héritiers de anciens Sith, ont réussi, à anéantir non seulement tous les Jedi, mais, du moins le pensaient-ils, toutes les espèces et individus sensibles à la Force. Restés seuls capables de manipuler la Force, dotés d'armes très avancées et d'un gigantesque système informatique capable d'enregistrer toutes les connaissances de toutes les espèces, ils plongèrent la galaxie dans une guerre universelle, qui vit la destruction de milliers de systèmes, la disparitions de plusieurs races, l'effondrement de la civilisation, et l'arrivée de l'Ère des Ténèbres qui dura presque cinq mille ans. Durant cette période, la galaxie fut plongée dans la barbarie. Aidés des Guerriers Noirs, une race crée spécialement par eux pour leur servir de troupes de choc, les Seigneurs Noirs dominèrent tout pendant des millénaires. Mais même eux, avec le temps, dans cette galaxie dévastée, finirent par dépérir. Et c'est alors que se levèrent les Néo-Jedi, dont l'origine sera expliquée dans le récit également. Ils rebâtirent la civilisation galactique, en tentant d'éviter les erreurs passées, et en utilisant le système informatique des Seigneur Noirs baptisé la Mémoire, ils établirent un Plan pour mener la galaxie vers un nouvel âge d'or.
Mais ce plan est sur le point, lui aussi, de s'effondrer…

À noter que dans le texte, on rencontre le terme de "mentaliste"; il n'est pas à prendre au sens de maître trompeur, comme dans la série télé, mais dans le sens de "personne ayant des pouvoirs mentaux". J'ai rédigé ce texte bien avant la série télé, et je n'ai pas trouvé de terme correct, donc j'en reste à "mentalistes".

Partie 1 : Chapitre 2 - Chapitre 3 - Chapitre 4 - Chapitre 5 - Chapitre 6 - Chapitre 7 - Chapitre 8 - Chapitre 9 - Chapitre 10
Partie 2 : Chapitre 11 - Chapitre 12 (part 1) - Chapitre 12 (part 2)


Le Fils De Gilead
(Le cycle des Néo-jedi - troisième époque)

1ère partie : Le Millénaire

"Le temps vint où Garyan Spell tint sa cour en son fief de Telmadus, devant tous les pairs du royaume. Et face à tous les bons chevaliers Jedi, il tira son sabre laser et fit de son fils l'un d'eux par le saint adoubement…"

Il est difficile de faire le tri entre ce qui relève de la légende et les évènements réels, mais nous avons maintenant acquit la conviction profonde qu'une bonne partie de ces textes sont en fait de l'Histoire déguisée. De simples contes pour enfants, des légendes chevaleresques, des récits épiques plus ou moins fantastiques dissimulent une chronique précise et détaillée des actions de ces chevaliers Jedi. Nous pensons que les curieux dessins chimériques qui accompagnent le texte dans toutes les marges servent de repères pour le lecteur initié, différentiant les passages fantaisistes des informations crédibles. Face au passage de l'adoubement du fils de Spell figure un pictogramme (שּׂ) désignant à coup sûr une vérité fiable.
(Contes et légendes de l'Ère Neo-Jedi — 12ème édition, par Gilboân Chlorto)



Chapitre 1 — Suréna

Henlaân tira de son jeu une carte portant quatre symboles de la comète et la posa sur la table. Avec un sourire satisfait, il annonça :
— Réeckla !
Il prit les deux cartes recouvertes par la sienne, laissant la table de jeu vierge. Tenant encore leurs dernières cartes, ses trois adversaires échangèrent un regard interloqué. Sans mot dire, le bothan qui jouait après Henlaân posa un sept galactique.
Henlaân savourait ce moment. Depuis une heure, il avait amassé plusieurs centaines de crédits, relançant le jeu chaque fois qu'il le pouvait, jouant sur l'orgueil et la faiblesse morale de ses adversaires. Il était pourtant conscient du danger, de la véritable folie que représentait pour lui cette partie de cartes, mais pour une fois, il était le maître de quelque chose. Il se sentait fort, redoutable, malgré sa stature rabougrie et son teint de cire. Il les battait tous, bien qu'il ne fût que l'un de ces mersons faibles et débiles. Ses membres tremblaient légèrement alors qu'il posait encore quelques cartes, plus à cause de l'excitation du jeu qu'en raison de la déficience de sa musculature.
Car Henlaân était un merson. Un "avorton", comme on disait dans l'argot de la galaxie, et comme tous les mersons, il était petit, chétif et marchait avec le dos voûté. Vraiment, il faisait peine à voir, les cheveux noirs hirsutes qu'aucun peigne ne savait mettre en ordre, des traits d'oiseau de proie, des yeux perçants profondément enfoncés dans leurs orbites, comme poussés en arrière par une gravité inhabituelle, surmontés d'une arcade sourcilière saillante. On disait dans certains mondes : "T'as l'air d'un merson, ce matin !", tant ces créatures étaient devenues myhtiques. C'était un être terne : teint terne, cheveux ternes, vêtements ternes, yeux gris souris, ternes. La seule touche de couleur sur sa personne était la bague qu'il portait, un objet incongru ornée d'une pierre rouge vif.
Henlaân tenait nerveusement ses cartes entre ses doigts décharnés et se mouvait lentement, un peu incommodé par la gravité qui régnait dans le vaisseau à bord duquel il voyageait. Non qu'elle fût anormalement élevée mais pour un Merson, habitué à la gravité affaiblie de sa planète, elle représentait une gêne dans chaque mouvement.
Malgré tout, Henlaân jouait. Et gagnait ! C'était si rare qu'un merson puisse afficher une quelconque supériorité vis à vis des autres peuples de la galaxie qu'il se sentait comme enivré, léger, libéré de la gravité qui l'écrasait. Le gros trigon joufflu et rougeaud qui jouait avant lui posa un quatre à côté du six restant sur le tapis. Henlaân jubilait intérieurement : il en était sûr, il l'avait "vu" avant même que le trigon ne tire la carte de son jeu. Et le merson, avec un sang-froid impressionnant, posa une carte portant le symbole du commandant d'astronef et ramassa les trois cartes.
— Réeckla ! dit-il une fois de plus en lançant un regard farouche à ses adversaires.
Le bothan assit à côté de lui se tortilla sur son siège, mal à l'aise, et ne put s'empêcher de maugréer :
— Quel prodige ! Sept parties d'affilée ! C'est assez curieux, ne trouvez-vous pas ?
Les autres ne pipèrent pas mot. Le jeu était régulier et la tricherie non seulement impossible, mais sévèrement réprimée dans le cercle de jeu du vaisseau.
— J'ai seulement de la chance, dit lentement Henlaân en empochant ses gains.
Visiblement irrité, le chiss assis en face de Henlaân se raidit. Il était persuadé que le merson trichait, sans bien sûr pouvoir le prouver. En principe, il n'existait aucun moyen de tricher au réecklamo; les cartes étaient neuves à chaque nouvelle partie et on en ouvrait l'emballage avant de distribuer.
— J'aimerais faire une pause, si vous le voulez bien, dit le trigon qui semblait cuire littéralement dans son jus.
Henlaân posa sur lui ses yeux perçants.
— Volontiers. Un verre d'alcool nous fera du bien à tous et apaisera les esprits.
Les quatre hommes se levèrent, et le merson attendit que les trois autres se soient éloignés de la table de jeu pour se rasseoir. Il était seul, à présent. A cette heure-ci, tous les passagers désertaient les salles de jeu pour rejoindre les restaurants. Pour sa part, Henlaân préférait se passer de manger plutôt que de paraître en public. Depuis des millénaires, les mersons, ne quittaient jamais leur monde d'origine, sur lequel ils vivaient isolés du reste de cette galaxie. Peu à peu, au fil de centaines de générations, ils s'étaient adaptés à la faible gravité de leur monde; leurs muscles et leur morphologie s'étaient atrophiés, isolant ainsi un peu plus les mersons du reste de leurs semblables humains tant sur le plan de l'apparence que sur celui de la résistance physique. La pesanteur normale d'une planète de type 1 était pour eux très difficile à supporter.
Henlaân compta ses gains : plus de cinq cents crédits d'or, frappés du soleil Impérial. Plus qu'il n'en avait jamais possédé. Non qu'il fût pauvre sur Mersa, loin de là, mais l'argent, tel qu'on le concevait dans le reste de la galaxie, n'y avait pas cours. Il émit un petit rire de satisfaction et empocha la bourse pleine à craquer, après quoi il attendit, sans bouger, tassé, écrasé sur son fauteuil. C'était ainsi qu'il se trouvait le mieux : assis, sans faire le moindre geste.
Il ferma les yeux, attentif aux bruits caractéristiques de l'énorme croiseur à bord duquel il voyageait. Le ronronnement du conditionnement d'air, les habituels sifflements des réseaux d'énergie, les craquements du métal… En un éclair, il se revit sur Mersa, dans ses champs de fleurs, son paradis qu'il avait dû quitter. Une mission pour laquelle le Grand Conducteur vous désignait personnellement ne se refusait pas, même si celle-ci devait vous mener dans le monde des Pesants.
Soudain aux aguets, il frissonna et songea :
Non ! Je ne dois même pas y penser !
Il rouvrit ses petits yeux noirs et inspecta la salle de jeu déserte : des tables rondes, alignées, une atmosphère feutrée, très 30ème dynastie, une décoration tapageuse un rien désuète. Il était seul. Pourtant, à travers la Force, Henlaân percevait mentalement une présence, quelque part, discrète mais évidente. Un autre esprit, puissant, très puissant.
La porte de la salle de jeu glissa doucement sur son rail et les trois adversaires du merson entrèrent. Ils se rassirent et ouvrirent l'emballage d'un nouveau paquet de cartes. Le chiss, avant de distribuer, adressa un regard indéchiffrable à Henlaân.
— A combien la mise, cette fois ?
— Cent crédits, ça vous va ?
Le trigon se redressa et s'épongea le front.
— Cent crédits la partie ? Alors sans moi, messieurs.
— Soit, dit Henlaân. Vingt crédits par main, plus vingt par réeckla. Est-ce raisonnable ?
Cela revenait strictement au même, si Henlaân gagnait encore la partie. Les trois autres se consultèrent du regard. C'était une somme, vingt crédits par main, mais ils n'en déposèrent pas moins leur argent sur la table, puis le chiss donna lentement les quatre premières cartes à chaque joueur.
Henlaân n'avait pas l'avantage. Son jeu était déplorable, cette fois : pas d'atouts et aucune carte habillée. Pourtant, le feu du jeu brûlait en lui : il fallait qu'il gagne encore au moins cette partie, qu'il leur montre de quoi un souffreteux de merson était capable. Il fit un effort mental et, suivant le flux de la Force, mit son esprit à l'unisson de celui de ses adversaires : leurs impressions, leurs sentiments, leurs mémoires mêmes devinrent pour lui lisibles aussi clairement que dans un livre. Après deux tours, il faisait déjà "réeckla".
La porte de la salle de jeu glissa de nouveau sur ses rails, et trois hommes apparurent dans l'encadrement. Henlaân tressaillit et lâcha ses cartes, qui s’étalèrent sur la moquette. L'esprit, la présence psychique qu'il avait sentie était là. Péniblement, sans qu'aucun de ses adversaires ne fasse le moindre geste pour lui venir en aide, il se pencha pour ramasser les rectangles de carton, mais fut devancé par l'un des nouveaux venus, un grand jeune homme paraissant une vingtaine d'années. Il se précipita pour récupérer les cartes et les tendit au merson.
— Pardonnez-moi de vous avoir impressionné, dit-il, alors que Henlaân bredouillait un remerciement essoufflé.
Le jeune homme portait un uniforme bleu et une longue cape. A son côté pendait un cylindre de métal noir. Suffisant pour l’identifier sans ambiguïté : c'était un Jedi, et Henlaân savait parfaitement ce que cela signifiait. Comment pouvait-il encore s'en tirer ?
Alors que les trois nouveaux venus s'asseyaient à une table voisine, le trigon grogna :
— Vous jouez ?
Henlaân revint donc au jeu. Maladroitement, il posa une mauvaise carte sur le cinq du chiss, et il perdit la main. Les autres sourirent, échangèrent un regard complice et poursuivirent le jeu. Du coin de l'œil, Henlaân observait les trois hommes : trois Jedi, il en était certain, dont deux semblaient d'un âge indéfinissable. Le troisième, celui-là même qui avait ramassé ses cartes, avait l'air curieusement jeune pour un Jedi. Un instant, il fut tenté de lancer un sondage psychique mais un doute l’arrêta. Les Jedi sont de puissants mentalistes, et ce jeune homme paraissait plus puisant que les autres.
— Vous n'êtes pas très au jeu, dit le chiss alors qu'il venait de redistribuer les cartes.
— Ce n'est rien, dit Henlaân, un peu de fatigue, sans doute.
La partie de cartes prit un tour étrange depuis l'arrivée des trois Jedi, et le merson semblait anormalement nerveux. Le chiss joua, suivit du bothan, mais Henlaân, qui n'avait pas encore osé reprendre contact avec l'esprit des autres, joua n'importe quoi.
— Réeckla! dit le trigon en posant sa dernière carte. Voilà une main intéressante, messieurs.
Il rafla les pièces d'or qui s'empilaient à côté des autres joueurs, après quoi le chiss distribua les dernières cartes du jeu. Toute la partie dépendait de cette dernière main.
Henlaân se reprit un peu et se concentra sur le jeu. Surtout, ne pas se laisser impressionner par ces Jedi dont la présence n'était peut-être que fortuite. Quoique… Ceux-ci, debout devant le comptoir du bar, semblaient ne s'intéresser que de loin à la partie tout en devisant avec nonchalance. Il ne restait aux joueurs que deux cartes chacun. C'était le tournant de la partie et si Henlaân ne voulait pas perdre pratiquement tout ce qu'il avait gagné dans les manches précédentes, le moment était venu de réagir sérieusement. Il s'ouvrit donc tout grand à la Force et capta les ondes sensorielles de celui qui jouait avant lui. Il pouvait ainsi voir par ses yeux, entendre par ses oreilles et contrôler en partie sa volonté en trafiquant le contenu de sa mémoire. Il força le trigon à jouer un six. Alors que la carte glissait sur le tapis, les deux autres adversaires du merson se raidirent, stupéfaits, mais ne dirent rien. Henlaân, fort de son pouvoir mental, fit le pli, prit la main et gagna la partie de justesse. Il compta les points et empocha les deux cents crédits qui restaient sur la table.
Un froid tomba sur la salle de jeu. Le malaise qui émanait des joueurs était presque palpable. Le trigon s'épongea le front et, sans mot dire, sortit de sa poche vingt autres crédits puis redistribua les cartes. Bien décidé à ne plus perdre un instant, Henlaân se lança à nouveau dans l'esprit de ses adversaires pour observer leur jeu à loisir. Il lui serait facile de gagner, cette fois-ci.
Soudain, avec une violence qui le fit vaciller, un éclair de Force traversa l'esprit du merson et tout cessa. Il ne captait plus rien. Quelque chose faisait écran à son pouvoir mental et inhibait ses facultés. Il laissa échapper un gémissement plaintif et, son tour arrivant, il joua une mauvaise carte. Ses adversaires se regardèrent discrètement, interloqués, comprenant bien que quelque chose n’allait pas, mais ils n’en poursuivirent pas moins la partie.
Ils ignoraient le pire : sous l’effet du choc psychique, Henlaân était pratiquement aveugle, à présent. Il ne distinguait plus qu'un rideau de lumière floue. Sa combativité, pourtant, reprit le dessus et, bien décidé à lutter contre cette force qui s'opposait à lui, il lança son esprit aiguisé vers ce qu'il pensait en être la source. Alors qu'il s'en approchait, il sentit se brouiller plus encore ses perceptions, et la lumière elle-même faiblit.
— C'est à vous de jouer, Henlaân, dit le trigon, un peu inquiet de l'air paniqué du merson.
— Heu… Oui, voilà.
Henlaân posa un sept sur la table, aussitôt ramassé par le bothan. Comment aurait-il pu en être autrement ?
Ne paniquez pas, merson. Et ne vous retournez pas.
La voix venait de résonner dans l'esprit d'Henlaân, à l'intérieur même de son cerveau. Un télépathe était présent dans la salle, un puissant !
Je dois avouer que je suis surpris d'apprendre qu'un merson est capable de développer un tel pouvoir mental. Relâchez votre lien psychique avec les autres joueurs si vous désirez retrouver la vue.
Henlaân, transpirant à grosses gouttes, obtempéra. La vue lui revint peu à peu mais plus moyen d'entrer en contact avec les autres. Tout en continuant à jouer, le merson tenta de communiquer :
Qui êtes-vous ?
Je m'appelle Suréna. Je suis l'un des Jedi assis non loin de vous. J'ai surpris dans un couloir l'étrange conversation de vos adversaires qui sont, à juste titre, persuadés que vous trichez et j'ai voulu me faire ma propre opinion sur vous.
Henlaân se sentit soudain comme pris au piège. Assis derrière lui, le Jedi épiait la moindre de ses pensées, le moindre de ses élans mentaux et verrouillait ses pouvoirs. Privé de ceux-ci, il redevenait un personnage faible, squelettique, méprisable. Et il perdait.
Je vous en prie, supplia-t-il mentalement, vous ne savez pas à quel genre de torture vous me soumettez.
Le Jedi ne répondit pas. Il n’ignorait certes pas ce que pouvait ressentir le merson, il pouvait percevoir aussi clairement que s'il le lisait dans un vidéo livre le complexe d'infériorité qui tourmentait son intellect. Débarrassé de ce qui le rendait supérieur, Henlaân semblait se racornir, se tasser sur lui-même, et son teint devint plus blafard que jamais. Les cartes étaient contre lui et, privé de sa possibilité de tricher, il perdit les sept cents crédits qu'il avait gagnés en deux fois moins de temps.
Une fois que Henlaân n'eut plus rien en poche, ses trois adversaires se regardèrent, visiblement satisfaits. Lorsque le Jedi, représentant de l'autorité impériale, les avait abordés dans le couloir, ils n'avaient pas résisté au plaisir de le voir intervenir dans cette bien curieuse affaire. Les évènements leur avaient donné raison. D'un même mouvement, les trois hommes se levèrent, saluèrent Henlaân et quittèrent la salle, hilares. Passant à côté des Jedi, le chiss dit :
— J'espère que vous prendrez bien soin de lui.
— Oui. Ne vous en faites pas, dit celui qui paraissait plus jeune que les autres.
Était-ce lui qui communiquait avec Henlaân ? Sa voix physique n'avait rien à voir avec la "texture" de sa voix mentale. Elle était plus jeune, aiguë, presque juvénile. C'était surprenant d'entendre un Jedi parler avec une voix si jeune mais pourtant si autoritaire. Le merson l'observa un peu plus attentivement, maintenant que les autres étaient partis : Il était vraiment jeune. Son visage était noble, sa tête couverte d'une chevelure argentée, et son port inflexible trahissait une extraordinaire maîtrise de soi. Et ses yeux ! Perçants, gris métal, presque luisants dans l'éclairage tamisé de la salle de jeu. Henlaân resta assis à attendre la suite des évènements, semblable à un squelette décrépi perdu dans un fauteuil trop grand. Ce fut le jeune Jedi qui fit le premier mouvement. Il quitta le comptoir et vint s'asseoir à côté du merson.
— J'aimerais vous poser quelques questions, monsieur. Je suis chef de la sécurité des passagers de ce vaisseau, vous n'avez donc rien à craindre concernant la confidentialité de cette conversation.
— Je ne mets pas en doute vos attributions, jeune homme, dit Henlaân sans relever la tête, tant le moindre mouvement lui était pénible.
Suréna passa une longue minute à le regarder, songeur, puis il dit :
— Fascinant. Ainsi vous êtes sensible à la Force ? J'étais persuadé qu'à part les Anzat et les Jedi, plus personne ne possédait de tels pouvoirs dans cette galaxie.
Henlaân émit un petit rire.
— Vous penser bien que nous n'allions pas le clamer bien haut. Notre vie est déjà assez difficile comme ça. Et puis, cette galaxie est loin d'avoir révélé tous ses secrets.
— Oui, bien sûr, acquiesça Suréna. Mais pourquoi êtes-vous à bord de ce navire ? D'habitude les mersons ne quittent jamais leur planète natale à cause de la gravité.
Henlaân sentit que sa mission était mise en péril par son avidité et son imprudence. Mobilisant sa puissance psychique, il s'enferma dans un mutisme total, bloquant du même coup tout accès à son esprit. Suréna, lui aussi mentaliste de premier plan, le sentit bien et, au bout de quelques instants d'un silence agaçant, il dit :
— Voyons, merson ! Je trouve curieux que quelques jours à peine avant les festivités du Millénaire, on découvre dans un navire à destination d'Oruséa un puissant mentaliste aux intentions imprécises. Quelle est la raison de votre voyage ?
— Les affaires, lâcha Henlaân. Je m'occupe d'import-export en pièces détachées pour les usines protoalimentaires.
— C'est ce que j'ai lu dans les registres du vaisseau. Mais cela ne me satisfait pas. Plus maintenant, en tous cas, pas avec vos pouvoirs. Vos intentions ne sont certainement pas aussi innocentes.
Suréna lança un regard pénétrant au merson. L'autre se taisait toujours, sans faire le moindre geste. Excédé, le Jedi tenta une autre stratégie.
— J'ai été amical jusque là, monsieur Henlaân. Mais je peux vous faire arrêter sur le champ, dit-il d'un ton ferme. A moins que je ne vous soumette à un sondage mental poussé à l'aide d'une de nos machines. Certes il serait dommage de vous abîmer, vous et vos pouvoirs, mais la fin justifie les moyens.
Henlaân tressaillit et pâlit un peu plus. Son teint devint presque transparent. Un sondage psychique à l'aide d'un analyseur mentalique révèlerait immédiatement le but de sa mission et laisserait son esprit ravagé, le réduisant à l'état de légume sans âme. Il devait surtout éviter de se retrouver dans cette machine implacable.
— Je… Je vais tout vous dire, commença-t-il d'une voix faible, à peine audible. Le sondage ne sera pas nécessaire. J'ai été sélectionné parmi les meilleurs éléments de mon monde et ma mission est de me rendre au siège impérial afin profiter des festivités pour influencer des personnes haut placées.
Visiblement intéressé, Suréna s'accouda sur la table de jeu et posa son menton dans le creux de sa main.
— Poursuivez, dit-il en fronçant les sourcils. Dans quel but voulez-vous influencer des gens haut placés ?
— Notre planète, Mersa, est un monde habité doté d'une faible gravité. Nous, mersons, vivons très à l'aise dans cette pesanteur affaiblie mais de plus en plus, notre monde est envahi de Pesants, qui débarquent en nombre de toute la galaxie pour des "vacances" sur Mersa. Ils viennent s'enivrer de la sensation de ne plus rien peser et de nos paysages sauvages. Mais ils dégradent, ils détruisent un monde que nous, mersons, avons mit des siècles à aménager afin qu'il soit agréable à notre race.
Suréna secoua la tête et avoua :
— Le tourisme pose souvent certains problèmes, c'est vrai.
— Mais ce n'est pas tout. Non seulement les Pesants polluent notre monde mais ils nous traitent comme des inférieurs, ils nous méprisent, nous, mersons, sous prétexte que notre apparence physique leur déplait. Nous ne récoltons qu'insultes et brimades, et nous supportons cela alors que nous pourrions les foudroyer d'une simple décharge de Force. Nous avons enduré tout cela sans broncher, en nous enfermant dans nos domaines réservés durant des siècles, mais les choses vont trop loin, à présent.
Suréna était ennuyé. En effet, Henlaân avait raison; Mersa était considéré comme un monde idyllique où l'on passait des vacances de rêve, et des milliers de touristes y débarquaient journellement des quatre coins de l'Empire, afin de goûter à l'exaltation de ne plus peser que la moitié de son poids. Il était exact aussi qu'on méprisait les mersons, sans trop savoir pourquoi, d'ailleurs. Outre leur apparence, il y avait quelque chose en eux de naturellement repoussant, de vaguement abject.
— Que revendiquez-vous ? s'enquit Suréna.
— Nous voulons une place au Sénat Galactique et un gouverneur merson, ainsi que la limitation des implantations de complexes touristiques sur Mersa. C'est tout.
— Pourquoi ne pas avoir déposé un recours par la voie normale ? Envoyez donc une pétition aux bureaux des affaires touristiques impériales.
— Vous pensez bien que nous l'avons déjà fait, une bonne vingtaine de fois. Mais nous sommes sous gouvernement lathanien et nous n'avons pas droit à une représentation au Sénat. Et puis, les préjugés vont bon train : comment pourrait-on accorder de tels privilèges à ces souffreteux de mersons ! Ils vont s'effondrer, tomber en miettes sous la gravité d'Oruséa Prime. Pour finir, plusieurs entreprises de divertissement voient d’un mauvais oeil qu'on menace les profits énormes qu'elles font avec les villages de vacances sur Mersa. Alors, nous, mersons, avons décidé d'agir : les dix meilleurs mentalistes d'entre nous sont en route vers Oruséa afin d'influencer les membres du Sénat pour qu'ils nous écoutent.
Suréna fronça les sourcils. C'était plus grave qu'il ne l'avait imaginé. Depuis plusieurs siècles, les chevaliers Jedi avaient fait disparaître toutes les armes mentales utilisées autrefois par leurs ennemis, mais voilà qu'elles ressurgissaient sous une forme bien plus dangereuse. De plus, les Jedi contrôlaient pratiquement tout ce qui se disait au Sénat Galactique, mais étaient incapables de contrôler les états d'esprit, les idéologies racistes qui se répandaient dans la galaxie. Pas encore…
— Je vais devoir vous mettre sous surveillance jusqu'à notre arrivée sur Oruséa, monsieur Henlaân. Ensuite, après les festivités, nous demanderons ensemble une audience à l'Empereur afin de lui exposer votre cas.
Le merson releva la tête dans un effort soudain.
— Nous, mersons, nous savons parfaitement que votre Empereur n'a aucun pouvoir, sinon celui que lui donnent les Jedi. C'est vous autres les Jedi, grâce à la Force, qui tenez les rênes de toute cette galaxie et qui gérez les destinées de huit cents milliards d'être humains. Ne nous prenez pas pour des demeurés, s'il vous plait.
S’il était pris de colère, Suréna n’en montra rien. Il contrôlait parfaitement ses émotions et c’est d’une voix de marbre qu’il répondit :
— Ne redites jamais cela, merson. Nous ne dirigeons rien.
— Mais ceux qui dirigent dépendent de vous, dit Henlaân en se dressant sur son siège, de vous et de la Vieille Science et de ses merveilles technologiques. Ne me mentez pas, Jedi, nous savons tout cela. Je m'étais préparé à me heurter à vous autres un jour ou l'autre, car vous êtes partout, et sous prétexte de religion, vous contrôlez, vous manipulez le peuple qui à son tour fait pression selon vos désirs sur le Sénat Galactique.
Suréna ne manifestait aucune émotion. Quelle perspicacité extraordinaire, songea-t-il. Comment les mersons avaient-ils pu réaliser cela, sans prendre part à la vie de la galaxie ? Était-ce leur isolement qui leur avait permis de comprendre, d'interpréter ce qu'ils voyaient autour de leur monde ? Comment, d'ailleurs, avaient-ils pu maintenir un tel isolement ? Henlaân avait aussi mentionné la Vieille Science, dont personne n'avait entendu parler hors des milieux autorisés. Ces mersons, visiblement, étaient devenus dangereux, très dangereux, et ce n'était que maintenant, par un pur hasard, que quelqu'un s'en rendait compte.
La première chose à faire consistait à isoler le merson du reste des passagers du croiseur. Le Wandering Nova faisait pour l'instant route vers sa dernière escale avant Oruséa Prime, où allaient se dérouler les célébrations du Millénaire de l'Empire des Six Provinces. Suivrait l'intronisation du trente-sixième empereur de la dynastie Mokran, cérémonie qu'il était vital de ne pas voir troublée. Des foules impressionnantes venues des quatre coins de L'Empire convergeaient en ce moment vers Oruséa, foules qu'il serait difficile de contrôler en cas de difficulté. Même la Mémoire, l'ordinateur utlime crée autrefois par les Seigneurs Noirs, et aujourd'hui au service des Néo-Jedi, malgré toutes ses possibilités, ne pouvait prévoir les mouvements et les réactions d'une foule en furie.
Il était donc impératif de mettre le merson au secret, voire de l'éliminer s'il tentait quoi que ce soit. La sécurité du Plan Mnémonique passait avant la vie d'un merson. Avant la vie de tous les mersons. Après les festivités, le Conseil Jedi prendrait les choses en main.
Suréna se leva, le visage froid.
— Suivez-nous, monsieur. Je vais vous conduire à une cabine où vous resterez enfermé durant le reste du voyage. Vous serez ensuite transféré sur un vaisseau Jedi et conduit en lieu sûr.
Henlaân ne répondit pas. Voûté, rabougri sur son siège, écrasé par la pesanteur, il ne trouvait même plus la force de parler. En lieu sûr, cela signifiait certainement sur Coruscant, dans un cachot quelconque, en attendant que les Jedi prennent des mesures contre les pouvoirs mentaux des mersons. Quelle imprudence de sa part d'avoir ainsi révélé un des secrets les mieux gardés de la galaxie ! En temps normal, contre quelqu'un d'autre, il s'en serait tiré en usant de la Force, mais Suréna était un mentaliste parfaitement entraîné. Le merson sentait toujours peser sur son cerveau l'emprise mentale du Jedi, comme une chape de plomb, neutralisant la moindre attaque. Péniblement, il se mit debout et réussit à articuler :
— Je vous suis, Jedi.
Le couloir était encombré et bruyant. Les passagers avaient quitté les salles à manger et se pressaient vers leurs cabines ou les salles de spectacle et une foule compacte emplissait maintenant les coursives du croiseur spatial. Suréna tendit la main vers Henlaân pour barrer le passage et stopper le petit groupe qui quittait la salle de jeu. Trop de monde, songea Suréna. S'il le voulait, le merson n'aurait aucune difficulté à les semer dans la foule. Tout excellent mentaliste qu'il fût, Suréna avait des difficultés à maintenir son emprise sur un cerveau particulier au milieu d'une foule, alors que des centaines d'autres présences interféraient dans la Force selon des motifs aléatoires, des intensités variables et des schémas toujours différents.
Seulement, plus tôt le merson serait au secret, mieux ça vaudrait pour tout le monde. Suréna se tourna vers les deux officiers de sécurité qui l'accompagnaient :
— Restez derrière le merson. S'il tente quoi que ce soit pour nous fausser compagnie, tuez-le.
Les deux autres firent un signe de tête. Les Néo-Jedi n'étaient guère causants, en général, jamais plus qu'il n'était nécessaire. Particulièrement lorsqu'ils s'exprimaient dans leur propre langue, le nombre de mots était limité. Ils privilégiaient les inflexions, les accentuations pour se faire comprendre. Peu de mortels pouvaient assimiler la langue maternelle des Jedi, que ceux-ci pratiquaient depuis des millénaires en l'améliorant toujours vers un minimalisme absolu et une redoutable efficacité. L'introduction des techniques mentalistes chez les Néo-Jedi, autorisant un contrôle strict sur les muscles du visage, avait limité un peu plus les mots au profit de mouvements et d'expressions faciales qui pouvaient exprimer bien plus qu'il n'y paraissait.
Suréna et son groupe s'engagèrent dans le flot humain remontant le large couloir puissamment éclairé. Celui-ci longeait tout le croiseur, sur toute sa longueur, dans sa partie la plus profonde. Des centaines de personnes empruntaient cette coursive pour se rendre d'une partie du vaisseau à une autre, toutes origines confondues : des trigons joufflus, des Quarrens en robe traditionnelles, des Chisss au regard grave, et des humains, beaucoup d'humains… L’Empire des Six Provinces dans toute sa splendeur, avec ses costumes, ses cultures diverses, mais aussi sa langue unique imposée par l'Imperium, le gouvernement qui présidait aux destinées de trente millions de mondes habités. L’Empire, la plus grande puissance de la galaxie. La plus fragile, aussi.
Tout ce beau monde convergeait vers Oruséa Prime, actuelle capitale, ville tentaculaire qui s'élevait en lieu et place de l'ancienne Tribune galactique détruite au début de l'Ère des Ténèbres. On allait y couronner le trente-sixième empereur, potentat idolâtré par des milliards de gens, en fait une marionnette des Jedi, désignée selon des critères stricts par la Mémoire après analyse de centaines de milliers de profils mentaux. La Mémoire choisissait toujours la meilleure personne pour le rôle.
En temps normal, Oruséa Prime n'était pas un monde très peuplé, seulement occupé par quelques millions de fonctionnaires et techniciens. Mais dans quelques jours, la capitale de l'Empire verrait la plus grande foule jamais rassemblée depuis la fin des dernières guerres : cinquante millions de personnes étaient attendues. On avait affrété pour l'occasion cinq nouveaux super croiseurs et ouvert dix nouvelles lignes régulières transgalactiques desservant les secteurs les plus populeux.
Qu'est-ce qui les poussait tous vers Oruséa ? Le fait de voir l'Empereur ? D'assister aux fêtes les plus fastueuses que l'histoire galactique ait connu ? Qui pouvait comprendre à fond les réactions de cette populace ? La Mémoire n’avait pas pour vocation de comprendre la psychologie de toutes ces créatures intelligentes si différentes les unes des autres. Elle se contentait de traiter des informations et d'en tirer des probabilités. Le cas échéant, elle recommandait un ajustement, le plus simple possible, pour rester dans le cadre du Plan. Mais devant un événement d'une ampleur jamais enregistrée, il lui était difficile d’établir des hypothèses fiables.
Suréna et son groupe remontèrent la promenade en direction des quartiers d'habitation. L'endroit le plus sûr pour enfermer le merson était encore la cabine de Suréna. Elle se trouvait dans des quartiers réservés, et personne ne se serait risqué à pénétrer dans les appartements d'un chevalier Jedi durant son absence. Henlaân suivait passivement. Il était parvenu à enfermer son esprit derrière un bouclier mental que même un Anzat n'était capable de percer, mais qui ne lui servait qu'à préserver l’intimité de ses pensées. Physiquement, il allait de plus en plus mal et chaque pas lui était plus pénible que le précédent. Tôt ou tard, il devrait se reposer. Alors qu'il manquait de trébucher, Suréna le soutint doucement par le coude. Les regards des deux hommes se croisèrent : nulle bienveillance dans les yeux du Jedi, nul sentiment, mais un soupçon de reconnaissance dans ceux du merson. Bien qu'ils soient de farouches et implacables guerriers, les Jedi respectaient, en général, la dignité de leurs ennemis.
Alors que Suréna et les autres attendaient l'ascenseur qui devait les conduire dans les quartiers d'habitation, un groupe de miliciens bothans s'avança en riant fort le long de la promenade. Du coin de l'œil, Suréna les observa et se tint sur ses gardes. Des brutes, ces miliciens. Titubants un peu, ils étaient franchement éméchés et parcouraient la coursive aux bras de plusieurs jolies filles appartenant à l'équipage. Ils riaient bruyamment, chantaient des refrains paillards dans leur langue maternelle, sans se préoccuper des autres passagers qu'ils bousculaient allègrement.
Lorsque le groupe fut à la hauteur de Suréna, l'un des miliciens heurta brutalement le Jedi. L'esprit sous l'influence du vin d'épice, il ne savait pas ce qu'il faisait, visiblement, et Suréna se contenta d'épousseter ostensiblement son uniforme.
L'affaire aurait dû en rester là. En général, un simple regard suffisait aux chevaliers Jedi pour se faire respecter même par le plus costaud des bothans. Mais avant que Suréna m'aie le temps de réagir, le milicien heurtait violemment Henlaân qui, déséquilibré par le bothan pourtant à peine plus grand que lui, s'écroula sur le sol comme un pantin désarticulé.
Le milicien tourna la tête. Voyant le merson effondré à ses pieds, il éclata d'un rire puissant et grave.
— Alors, merson ! On ne s'excuse pas lorsqu'on bouscule un milicien ?
Péniblement, Henlaân parvint à se redresser. Terrifié, livide, il regardait fixement l'individu poilu puant l'alcool qui s'agitait devant lui. Les autres miliciens ne s'étaient même pas aperçus de l'incident et poursuivaient leur chemin en rigolant. Alors que le bothan s'approchait un peu plus de lui, Henlaân tenta instinctivement de le foudroyer mentalement, technique radicale fréquemment utilisée sur Mersa contre les personnes de ce genre. Cependant, ses pouvoirs étaient toujours verrouillés par Suréna, et c'est avec impuissance qu'il vit le milicien poser sa grosse patte velue sur son épaule chétive.
— Pauvre petit merson. Je vais t'apprendre le respect !
Il leva un poing aussi massif qu'une enclume malkite. Avant qu'il n'ait le temps de frapper, Suréna fondit sur le milicien et s'interposa.
— Cela suffit, bothan. Restons-en là, s'il vous plaît.
L'esprit complètement embrumé par l'alcool, le milicien grogna et fit face au Jedi. Prenant une position de défense, Suréna chercha d'abord à éviter le combat physique : usant de son pouvoir mental, il s'insinua dans le cerveau du bothan afin d'inhiber ses tendances agressives. En vain. La brute était trop imbibée. L'alcool et les techniques mentaliques ne faisaient jamais bon ménage.
— Tient ? brailla le milicien d'une voix pâteuse. Un Jedi qui prend la défense d'un avorton ! Tout fout le camp dans cette galaxie.
— Laissez cet homme tranquille, bothan. Je n'ai aucune envie de vous y contraindre par la force. Peut-être que quelques mois de garnison à la frontière Malkite vous éclairciront les idées.
Cette menace aurait fait trembler n'importe quel milicien. La frontière Malkite était le dernier endroit où un impérial aurait voulu se trouver. Niché au cœur de la Bordure Extérieure, le royaume de Malkus, l’un des derniers bastions des anciens empires d'autrefois, résistait farouchement à l'annexion depuis près d'un millénaire, et même si l’Empire était officiellement en paix, les escarmouches avec les unités malkites étaient monnaie courante. Mais le bothan était trop grisé pour réaliser ce qu'il faisait ou disait. L'alcool d'épice, à forte dose, excitait l'agressivité naturelle et les frustrations jusqu'à changer le buveur en animal sauvage. L'Imperium avait vainement tenté d'en interdire la consommation, mais la production était si répandue sur plusieurs millions de mondes qu'il s'était avéré impossible de la contrôler.
Le milicien poussa quelques grognements inintelligibles, et le rouge lui monta au front. Une veine saillante se mit à battre sur sa tempe. Curieusement, dès que les premiers cris de rage du bothan s'étaient fait entendrent, cette portion du couloir était devenue brusquement déserte, et les quelques passagers qui restaient se tenaient à une distance respectable de la scène. La violence de la colère des bothans était proverbiale dans toute la galaxie.
— Ne m'obligez pas à employer la Force, milicien, dit Suréna. Nous avons besoin de vous sur Oruséa pour…
Mais le bothan n'entendait plus rien. Dans son cerveau, Suréna ne distinguait que de la haine et de la fureur. Tant de fureur ! D'où pouvait provenir une telle haine incontrôlée ? Ce n'était pas le moment de méditer : le milicien tira de sa ceinture une dague neuronique et se rua vers Suréna. Dans un ample mouvement du bras, le Jedi saisit son sabre laser. La lame bleue s'illumina presque instantanément, et Suréna se campa en position de défense. Pour atteindre Henlaân, il faudrait d'abord lui passer sur le corps, ce qui était loin d'être facile.
Poussé par la fureur, aveuglé par une haine amplifiée par l'alcool, le milicien frappa de toutes ses forces en direction du Jedi. Suréna esquiva le coup sans difficultés; le vin ne facilitait pas la coordination des mouvements de son agresseur, qui frappa de nouveau. Nouvelle parade de Suréna, esquive de côté, et le bothan se retrouva face au mur. Le Jedi s'était glissé derrière lui. Il pouvait à ce moment le tuer d'un coup s'il le voulait, mais ce n'était pas dans ses intentions. Les arts du combat défensif, appris avec Maître Mérodac alors qu'il savait à peine marcher, prévoyaient très rarement la mort de l'adversaire.
Rendu plus furieux encore par l'habileté du Jedi à esquiver ses assauts, le milicien devint presque bestial et, soufflant comme un taureau, poussa un hurlement abominable. Henlaân, qui assistait impuissant à toute la scène, sentit son sang se glacer.
Dans les secondes qui suivirent, Suréna fit preuve d'une adresse incomparable. Il se contenta d'esquiver systématiquement tous les assauts et les coups de son adversaire. Par quatre fois, la dague neuronique s'approcha de lui dangereusement, mais sans même le frôler. Une dague de cette espèce était dangereuse même si elle ne pénétrait pas la chair; un simple contact brûlait les cellules nerveuses et provoquait une douleur terrible.
Suréna prit presque goût à ce petit jeu. C'était même trop facile : le bothan commençait à se fatiguer et ses assauts faiblissaient à chaque fois. Quant aux deux compagnons de Suréna, ils s'étaient écartés et contenaient la foule des curieux qui s'amassait dans la coursive. Ils ne faisaient même pas mine de vouloir intervenir : Suréna était largement plus fort que le milicien. Au bout de quelques minutes, le Jedi décida que le jeu avait assez duré. Vif comme l'éclair, il esquiva une attaque de front du Bothan et porta un coup rude et précis. Avec un sifflement, trop vite pour que l'œil le perçoive, son sabre laser fendit l'air et trancha net la dague neuronique du milicien en son point faible, à la base de la lame. Semblant soudain dégrisé, l'autre contempla d'un air stupide le manche de son arme désormais inutilisable.
— Au nom de l'Imperium, dit Suréna, vous êtes en état d'arrestation, milicien. Ne tentez rien, s'il vous plaît, sans quoi je serai dans l'obligation de…
Méprisant le conseil de Suréna, le bothan, soudain beaucoup plus rapide, plongea la main sous le pan de sa tunique et en tira un autre objet : une arme de forme oblongue avec une crosse.
— Un blaster ! hurla l'un des compagnons de Suréna. Une arme prohibée !
Suréna tressaillit intérieurement. La loi impériale interdisait le port des armes à énergie, même pour les miliciens qui faisaient office de police dans les provinces. Personne ne portait plus de blaster depuis des siècles, et beaucoup de gens ne savaient même plus à quoi cela ressemblait. Où donc un simple milicien avait-il pu s'en procurer un ? Une grande clameur monta parmi les passagers qui emplissaient la coursive. Il y avait bien vingt ou trente personnes à proximité, à présent, maintenues à distance par les Jedi. Si le milicien faisait feu, il risquait fort de tuer ou de blesser pas mal de monde.
Le bothan, hors de lui, tenait convulsivement son arme à bout de bras, le canon pointé vers Suréna. Son front était noyé de transpiration et ses joues se plissaient sous un terrible rictus, révélant ses crocs jaunis.
— Alors Jedi ? Surpris, hein ? Ton sabre ne pourra pas te sauver, cette fois.
Son doigt pressa sur la détente du blaster. Un rayon d'énergie concentrée jaillit du canon en direction du Jedi.
On ne vit pas bouger Suréna. Un instant, il était face au canon, l'instant suivant, il était à côté. Son mouvement fut si rapide qu'il avait frappé le milicien avant que le rayon de particules n'ait atteint l'endroit où il se trouvait auparavant. Le rayon fit un trou dans une paroi, net, grand comme une pièce de vingt crédits, et le milicien s'effondra, mort. Le sabre laser l'avait percé de part en part, en plein cœur.
Suréna eut une grimace dégoûtée. Enlever une vie, même pour en sauver d'autres était un acte terrible pour un Néo-Jedi. Mais la loi était formelle, et la vie de nombreux passagers était en jeu. Au moins le milicien n'avait-il pas souffert.
Suréna se retourna vers la foule, son sabre à la main, et ordonna d'une voix glacée :
— Que tout le monde retourne dans sa cabine ! Jusqu'à nouvel ordre, personne ne doit se trouver dans les couloirs ! Et que cela serve de leçon à ceux qui boivent un peu trop.
Mais intérieurement, malgré son apparente assurance, Suréna tremblait comme une feuille. Ce n'était pas la première fois qu'il était contraint de tuer son adversaire dans un combat singulier, mais cette fois, il avait senti quelque chose dans l'esprit du milicien, une haine furieuse, alors qu'il tirait son blaster. La menace d'une arrestation l'avait fait réagir d'une manière inattendue, et Suréna était persuadé qu'il préférait mourir plutôt que de subir l'interrogatoire des Jedi. Pour quelle raison quelqu'un aurait-il préféré la mort à une arrestation en règle ?
L'un des autres Jedi s'approcha de Suréna alors que la foule se dispersait :
— Un blaster ! dit-il. Vous auriez dû…
— Silence, monsieur Seyd, dit Suréna. Il était en état d'arrestation et portait une arme interdite.
Tous se turent. Suréna se servait de la loi impériale comme bouclier pour justifier ce qu'il venait de faire. Mais il aurait pu simplement neutraliser le milicien sans le tuer. Il l'avait éliminé parce qu'il avait lu quelque chose en lui, quelque chose d'effroyable, de si terrible qu'il n'osait même pas le mentionner.
— C'est un cas de légitime défense, de toute façon, dit Seyd. Et vous avez l'autorité pour appliquer la loi impériale. C'est ce que dira mon rapport.
Suréna ne répondit pas. Extérieurement, il restait de glace devant ce qui venait de se produire, mais son esprit était rempli d'horreur. Même le contrôle psychique strict que les Jedi imposaient à leurs sentiments ne suffisait plus à endiguer la peur qui naissait dans le cœur de Suréna. Il ressentit un besoin incoercible de donner libre court à ses sentiments, à sa colère contre lui-même : c'était la peur qui l'avait fait tuer le milicien, la peur et rien d'autre. La peur de… Non, songea-t-il. Il ne faut pas. Il était un Chevalier Jedi de classe supérieure, il ne pouvait pas avoir peur de quoi que ce fut. Et il ne devait jamais laisser ses émotions filtrer, encore moins le submerger, surtout pas en public. Jamais !
Il se tourna vers les autres. Henlaân, toujours assit par terre, ne pouvait détacher ses yeux du cadavre du bothan. Le Jedi avait prit sa défense. L'avait-il fait par principe ou par sympathie envers lui ? Par principe, certainement, et pourtant une étrange gratitude naturelle montait dans le cœur du merson, un sentiment qui l'effrayait. S'il se prenait de sympathie pour Suréna cela risquait de compromettre sa mission.
— Que doit-on faire du corps ?
— Fouillez-le, monsieur Seyd. Trouvez ses papiers et demandez son dossier. Nous informerons sa famille en temps utile. Il n'est pas indispensable qu'on sache qu'il détenait une arme interdite. D'ailleurs…
Suréna ramassa l'arme qui traînait toujours par terre à côté du cadavre et l'examina attentivement; c'était une vieillerie, un blaster d'avant l'Ère des Ténèbres. Celui qui l'avait remise en état et rechargée devait être un expert ; on ne trouvait plus depuis bien longtemps les matrices énergétiques pour ce type d'arme de poing. La difficulté était de savoir qui l'avait procurée à un milicien bothan. Et comment elle avait pu être introduite dans le croiseur sans être détectée par les scanners.
Seyd, qui fouillait les poches du défunt, se figea soudain. Il tenait une carte magnétique.
— Maître ! Regardez !
Suréna saisit la carte de plastique noir que Seyd venait d'extraire du portefeuille; elle portait le nom du milicien, sa photo holographique, un code-barre compliqué représentant sans doute son empreinte génétique. Mais au verso, sur le fond noir, était imprimé un vieux symbole doré. Un symbole qui en lui-même ne signifiait rien, mais qui autrefois, avait représenté l'horreur.
— C'est ce que je crois ? demanda Seyd, en prenant soin de s'exprimer en langue Jedi.
— J'en ai bien peur, dit Suréna. Il faut immédiatement prévenir mon père, c'est de la plus haute importance.
Suréna fit disparaître dans le pan de sa tunique et l'arme et la carte, puis resta un instant figé, au milieu de la coursive. Pour la première fois de sa vie, il était confronté à une situation à laquelle rien ne l'avait jamais préparé, à laquelle aucun Jedi n'était plus préparé.
Les Seigneurs Noirs. Les derniers descendants des anciens Sith, adeptes du Côté Obscur, qui avaient provoqué la guerre universelle dans toute la galaxie, et plongé des millions de mondes dans l'Ère des Ténèbres. Les Seigneurs Noirs qu'on croyait disparus à jamais grâce à l'intervention du premier Néo-Jedi Gilead, plus de trois millénaires auparavant. D'un geste, Suréna fit venir les deux autres vers lui et dit :
— Ne parlez à personne de ce que nous avons découvert. Si les Seigneurs Noirs existent encore, personne ne peut dire de quoi ils sont capables. Je vais contacter mon père, même si je dois réquisitionner la moitié des circuits de la Mémoire. C'est peut-être déjà trop tard… Et épluchez le dossier de ce milicien; il nous mènera peut-être à quelqu'un d'autre. Je les trouverai, ou je ne m'appelle plus Suréna Spell.
Modifié en dernier par Uttini le Mar 22 Nov 2022 - 20:17, modifié 31 fois.
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Messagepar L2-D2 » Sam 09 Avr 2022 - 14:11   Sujet: Re: Le Retour Du Mal

Uttini qui nous propose un texte en FFics?

Vivement que je trouve le temps de m'y mettre!!!! :cute:
Que Monsieur m'excuse, mais cette unité D2 est en parfait état. Une affaire en or. C-3PO à Luke Skywalker

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Messagepar xximus » Sam 09 Avr 2022 - 14:25   Sujet: Re: Le Retour Du Mal

Oh la la tu nous a créé une galaxie dans la galaxie !
Excellente scène d'intro, où beaucoup de choses sont dévoilées... Tu as une belle plume en passant, la narration est posée comme il faut je trouve. :oui:

Uttini a écrit:C'est un texte de presque 160000 mots

Wow. Ah oué. :paf:
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Messagepar LL-8 » Sam 09 Avr 2022 - 16:19   Sujet: Re: Le Retour Du Mal

Une histoire qui a lieu 10 000 ans après Star Wars ? Intéressant !
L'intro est très bien ficelée et nous plonge directement dans ton monde. Je trouve qu'il y a presque un petit côté Asimov dans ton style, j'aime beaucoup !
J'attends de pouvoir découvrir la suite !
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Messagepar Uttini » Sam 09 Avr 2022 - 19:02   Sujet: Re: Le Retour Du Mal

LL-8 a écrit:Je trouve qu'il y a presque un petit côté Asimov

Pas surprenant. Je suis un grand fan d'Asimov, c'est une grande influence.
Content que ça se remarque.
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Messagepar mat-vador » Sam 09 Avr 2022 - 21:09   Sujet: Re: Le Retour Du Mal

Hohoho, ca m'a l'air de toute beauté, cette fan fic !

J'ai lu le premier chapitre ! Très belle maîtrise de l'écriture et de l'intrigue, à n'en pas douter ! Ca promet d'être original et de sortir des sentiers battus !

En terme de créativité, tu as du te régaler, non :wink: ?

Je viens de remarquer que ton histoire se déroule 10000 ans après Endor tandis que ma saga Pius Dea sur laquelle je planche se déroule 10000 ans avant :lol: !!

En tout cas, j'attends la suite :oui: :oui: !!
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Messagepar Jahdi » Dim 10 Avr 2022 - 11:41   Sujet: Re: Le Retour Du Mal

Ou quand la psychohistoire rencontre Starwars... :jap:
Pourquoi ne suis-je pas surpris venant de ta part ?!
En tous cas, on sent bien la patte Asimov, y compris dans l'intro, mais comme j'ai aussi été formé à cette école-là, j'ai hâte de découvrir la suite.

(et même s'il y a quelques petites fautes d'orthographe la lecture est très plaisante, j'ai souri intérieurement à l'image de néo-jedi lapons tenant les rennes de toute la galaxie :lol: )
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Messagepar Uttini » Lun 11 Avr 2022 - 14:39   Sujet: Re: Le Retour Du Mal

Jahdi a écrit:Ou quand la psychohistoire rencontre Starwars... :jap:

Oui, en effet y'a de ça, ça se précisera dans les chapitres suivants, mais pas vraiment comme dans Fondation.
Jahdi a écrit:j'ai souri intérieurement à l'image de néo-jedi lapons tenant les rennes de toute la galaxie :lol: )

Pas faux, erreur de frappe bien excusable... Je vais corriger.
mat-vador a écrit:Je viens de remarquer que ton histoire se déroule 10000 ans après Endor tandis que ma saga Pius Dea sur laquelle je planche se déroule 10000 ans avant

Je me suis dit ; pourquoi pas ? Après tout, on explore très souvent un lointain passé, pourquoi pas un lointain futur ?

J'ai corrigé les "rênes". Et si vous regardez bien, j'ai utilisé une nouvelle fonction du forum, il y a un alinéa en début de paragraphe, ça fait plus littéraire, la balise est toute nouvelle, à côté de la balise "youtube".
Il suffit de sélectionner le texte et de l'entourer de la balise pour qu'il soit en forme.
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Messagepar Uttini » Mar 12 Avr 2022 - 14:45   Sujet: Re: Le Retour Du Mal

Je me rends compte, en corrigeant le texte déjà prêt, qu'il manque pas mal de background. Ce texte est la troisième époque d'une saga fleuve en cinq parties, dont quatre sont déjà écrites. Les deux premières sont nettement plus faibles, écrites voilà des dizaines d'années. Pour que le lecteur saisissent le monde dans lequel se passe mon récit, j'ai fait un résumé des époques précédentes. Bien entendu, l'histoire déjà écrite il y a longtemps est adaptée à Star Wars.


Palpatine est vaincu, sur Exegol. Mais avant cette défaite, il a formé secrètement des disciples, dotés de technologies très avancées, capable de détruire des planètes entières. Un siècle après la défaite de Palpatine, ces héritiers des Sith et du Côté Obscur, se faisant appeler les Seigneurs Noirs, déclarent une guerre universelle à toutes les puissances de la Galaxie. Pour se faire, ils créèrent une armée de soldats génétiquement modifiés, sensibles à la Force, doté de pouvoirs psychiques, qu'ils lancèrent à l'assaut de tous les systèmes habités. Leurs seuls véritables adversaires furent les derniers Jedi, qui tentent d'unir la galaxie face à cet adversaire implacable et puissant.

Mais Palpatine avait tout prévu : durant des années passées sur Exegol, il avait mis au point une arme ultime, un moyen de détruire les midichloriens, les interfaces biologiques entre la Force et les êtres vivants. A travers la Force, les Seigneurs Noirs infusèrent un poison énergétique qui anéantit les midichloriens, tout en s'isolant eux-mêmes de cette arme formidable. Les Jedi perdirent leurs pouvoirs, et furent écrasés, ainsi que toute résistance. C'est ainsi que débuta l'Ere des Ténèbres, durant laquelle les Seigneurs Noirs étendirent leur pouvoir sur la galaxie entière. Usant d'armes redoutables, les bases Starkiller, réparties tout autour de la galaxie, mais aussi de flottes de super-stardestroyers, ils pouvaient détruire des mondes entiers, ravager des planètes.

C'est ainsi que furent anéantis les systèmes qui résistèrent, Mandalore, Ord Mantell, Corellia, Mon Calamari, et tant d'autres. Coruscant, choisie par les Seigneurs Noirs comme leur nouvelle capitale, fut rasée, changée en un immense champ de ruine, sur lequel ils construisirent un gigantesque palais d'où ils dominèrent la galaxie.
Là, ils administrèrent la construction du dernier rêve de Palpatine : la Mémoire, gigantesque complexe informatique bio-cybernétique lié à la Force, pouvant stocker toutes les connaissances possibles, qui leur permettait de contrôler à distance leurs armes ultimes. Ils mirent au point les armes mentales, machines fonctionnant à travers la Force et servant à influencer l'esprit des individus ou des masses entières de population, à laver les cerveaux, à modifier les sentiments et les émotions. A travers ces armes, ils semèrent le désespoir, la peur, la terreur dans toute la galaxie, brisant la résistance, le moral même de tous ceux qui avaient encore le désir de résister.

Mais une fois tous les systèmes conquis, les races assujetties, les résistants écrasés, une fois qu'ils eurent le pouvoir absolu sur toute la galaxie, les Seigneurs Noirs finirent par comprendre que leur pouvoir corrompu ne menait à rien. Après 4000 ans de domination, n'ayant plus rien à conquérir et à détruire, ils finirent par se combattre entre eux et s'entretuèrent. Le Côté Obscur réclamait toujours son flot de sang, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que quelques-uns d'entre eux, en fuite, aux quatre coins de la galaxie. Leur pouvoir s'effondra, laissant une galaxie replongée dans une barbarie primaire.

Durant les derniers siècles de l'Ere des Ténèbres, plusieurs peuples reprirent vie, un peu partout dans la galaxie, se mirent à sortir peu à peu de la barbarie, laborieusement. Parmi eux, les habitants humains d'un système alors appelé Telmadus. Ils furent parmi les premiers à redécouvrir le moyen de voyager à travers les étoiles. L'un de ces telmadiens, Gilead Atrewen, découvrit le palais abandonné des Seigneurs Noirs sur Coruscant. Il consacra sa vie à l'étude de ce qu'il avait découvert, pris contact avec la Mémoire, et eut ainsi accès à des connaissances immenses, dépassant de très loin tout ce qu'on imaginait à l'époque. Il découvrit aussi l'histoire des Seigneurs Noirs, leurs pouvoirs, les horreurs qu'ils avaient commis. Mais il découvrit aussi que les Seigneurs Noirs, ou du moins leurs descendants, n'avaient pas complètement disparu, qu'il restait certains d'entre eux tapis dans la galaxie. Utilisant la même technique qui avait permis aux Seigneurs de créer leur armée, Gilead manipula génétiquement les habitants de Telmadus, inséra en eux l'ADN des midichloriens, dont des échantillons étaient encore stockés sur Coruscant. Il créa ainsi les Néo-Jedi.
Ces Néo-Jedi étaient loin d'avoir les pouvoirs des antiques Jedi, en effet, leur contact avec la Force était beaucoup plus limité. Mais ils bénéficiaient d'une longévité accrue, plusieurs centaines d'années, de capacités de régénération cellulaire et de capacités psychiques. Gilead les dota des sabres laser, les armes rituelles des anciens Jedi. Cependant, ces Néo-Jedi ne possédaient pas les pouvoirs télékinésiques de leurs prédécesseurs, ni leur capacité à voir l'avenir. L'ADN des midichloriens avait ses limites, et ne remplaçait pas les créatures symbiotiques que les Seigneurs Noirs avaient, du moins le pensaient-ils, éliminés.
Les Néo-Jedi se lancèrent dans l'exploration, lors d'une période qu'on nomma la "Grande Conquête", reprirent contact avec de nombreux systèmes habités. Certains avaient déjà établi de nouvelles hégémonies, conquis des planètes, il y eut des guerres inévitables, mais les Néo-Jedi ne cherchaient pas à établir un pouvoir, juste à réveiller la galaxie vers la civilisation.

Mais même Gilead était mortel. Et la mort l'effrayait, tant il restait à faire pour reconstruire la galaxie. Aussi il trouve le moyen de fusionner avec la Mémoire, de stocker dans celle-ci son esprit et de demeurer en vie. Il établit un Plan, baptisé le Plan Mnémonique, afin de guider les Néo-Jedi dans leur mission de reconstruction de la civilisation vers un nouvel âge d'or, objectif qui ne serait pas atteint avant de nombreux millénaires. Et il confia le Plan aux Jedi, avec à leur tête un administrateur nommé Garyan Spell. Ses descendants prendraient la suite et administreraient le Plan. Puis Gilead disparut, laissant les Néo-Jedi seuls avec le Plan pour les guider.

Des siècles passèrent, alors que les civilisations se reconstruisaient doucement, redécouvraient les voyages interstellaires, le commerce galactique, les guerres, aussi, tout cela sous la direction vigilante des Néo-Jedi. 9000 ans s'étaient écoulés depuis la mort de Palpatine, et enfin les mondes habités s'unirent à nouveau sous la bannière d'un nouvel empire, l'Imperium, construit patiemment et soutenu par les Néo-Jedi.
Vers l'an 500 de l'Imperium naquit Arkon Spell, le descendant de Garyan, qui devait hériter de l'administration de la Mémoire. Mais curieusement, des dissidences apparaissaient doucement chez les Néo-Jedi, des courants de pensée déviantes. Profitant de cette situation mettant en péril le Plan Mnémonique, un descendant des Seigneurs Noirs, investit des pouvoirs du côté obscur, sortit de sa tanière pour semer la division dans la galaxie. Pour ce faire, il utilisa le peuple chiss, installé depuis plus de 9500 ans sur Wolda, et devenu belliqueux et isolationniste. Les chiss, qui s'étaient heurtés aux Néo-Jedi au début de la "Grande Conquête", s'étaient enfermés dans leur empire, refusant tout contact avec le reste de la galaxie. Sous l'impulsion du Seigneur Noir, les chiss quittèrent leur territoire et entrèrent en guerre contre les Jedi, en utilisant des armes mentales fournies secrètement par le Seigneur Noir. La galaxie était sur le point de replonger dans la guerre totale, mais ce fut le coup de théâtre : Gilead n'avait pas disparu. il existait toujours, quelque part dans le complexe de la mémoire, en sommeil. Réveillé par des alarmes internes, il découvrit la situation dans laquelle se trouvait la galaxie et il décida d'agir pour remettre les choses en ordre et rétablir le Plan. Pour ce faire, il emprunta le corps physique de Arkon Spell, échangeant son esprit avec celui du Jedi, qui se trouva fusionné dans la Mémoire pendant un temps. Spell en fut changé pour toujours.
Gilead, usant des connaissances à sa disposition et du pouvoir de la Force, mit fin au conflit en révélant le rôle du Seigneur Noir et en l'anéantissant, lui et ses partisans. Après quoi, Gilead disparut, il ne réintégra pas la Mémoire alors que Spell retrouvait son corps.

Ce fut à cette même époque que Spell, sous l'impulsion de Gilead, prit contact avec les Anzat, un ancien peuple resté isolé jusque là, sensible à la Force. Quelques-uns d'entre eux avaient échappé de justesse à la destruction des midichloriens, et s'étaient cachés pendant des millénaires aux confins de la galaxie. Ils développèrent avec le temps des techniques dites "mentaliques" qui leur ont permis de résister aux armes mentales des Seigneurs Noirs, ainsi que toute une philosophie et une discipline stricte, qui allait aider les Néo-Jedi à mieux contrôler leurs pouvoirs, à mieux administrer le Plan afin de le mener à son terme. Spell et la plupart des Néo-Jedi devinrent les disciples des Anzat, et retrouvèrent un pouvoir régénéré, un meilleur contact avec la Force.

Un peu plus de 400 ans plus tard naquit Suréna Spell, un Néo-Jedi de nouvelle génération, fruit de nouvelles manipulations résultant des travaux de Gilead, doté de pouvoirs remarquables, d'un contact étroit avec la Force. C'est à cette époque que se déroule le récit du "Retour du Mal"…
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Messagepar Uttini » Mar 12 Avr 2022 - 18:39   Sujet: Re: Le Retour Du Mal

Ceci dit...


Chapitre 2 — Arkon Spell


Brewster tremblait de tous ses membres. Il n'avait pourtant aucune raison de trembler, mais c'était plus fort que lui. Il allait rencontrer en personne Arkon Spell, l'administrateur du Conseil Jedi, et cela l'excitait tant qu'il en perdait une partie de ses moyens. Il tenta une fois de plus de se discipliner, de dompter son esprit afin d'agir, de penser, de regarder même en vrai professionnel, impartial, objectif. Mais comment rester impartial quand on va rencontrer une légende ?
Hari Brewster, jeune journaliste trigon, semblait renier la tradition de sa race; il n'était pas gras, ne pesait pas deux cents kilos et n'avait pas tendance à transpirer au moindre effort. Non, il était plutôt maigre et petit, et la redingote à la mode qu’il portait, trop grande pour lui, taillée suivant les normes d'élégance en vigueur dans les mondes centraux de la province de Trigon, ne lui allait pas du tout. Il avait l'air d'être vêtu d'un sac. Pourtant, son beau visage et ses superbes cheveux roux frisés le rendaient immédiatement sympathique. Il devait avoir à peine plus de vingt-deux ans galactiques.
Le jeune journaliste constata qu'il n'avait plus d'ongles à ronger, et il renonça à s'attaquer à la peau de ses doigts. Il fourra donc ses mains dans ses poches et examina à nouveau la pièce où il attendait depuis un peu moins d'une heure. C'était une sorte d'antichambre, contiguë au bureau du grand homme, plutôt petite, en fait. Il se sentait un rien déçu. On pouvait s’attendre à plus d'ostentation, à plus de faste lorsqu'il s’agissait de l'un des personnages les plus puissants de cette galaxie, mais ce n'était qu'une petite pièce sans fenêtre recouverte de moquette turquoise. Sur le mur opposé, un meuble bas à tiroirs sur lequel reposait un vieil appareil holographique. La seule lumière venait des photolithes incrustées dans le plafond selon un motif compliqué, qui provoquait des reflets curieux sur le cadre se trouvant au mur.
Hari posa les yeux sur la surface vitrifiée du tableau : il représentait un ancien temple semblant dater de la nuit des temps. Hari savait pour l'avoir déjà vu qu'il s'agissait du temple de Gilead, sur Thessal, là où le chiss Kooram et Arkon Spell s'étaient rencontré. C'était à présent un haut lieu du Culte, fréquenté par des millions de pèlerins chaque année.
Brewster se sentait tendu et s'efforça de remettre un peu d'ordre dans son esprit, sans parvenir à retrouver la joie qui l'habitait lorsqu'il avait mit le pied sur Coruscant. Joie d'être là, seul galactique non-Jedi venu ici depuis des siècles. Joie aussi d'avoir été choisi parmi des centaines d'autres pour venir ici préparer cette biographie d'Arkon Spell.
Cette joie était toujours présente, il la sentait, mais étouffée par un débordement d'émotions inattendues. Il avala sa salive et rajusta son col. Palpant la toile de sa redingote, il s'assura de la présence de son mémoquartz. Il l'avait déjà fait une bonne centaine de fois depuis son arrivée, et il poussa un soupir de soulagement en sentant le renflement que faisait l'appareil dans sa poche. Il l'en tira, vérifia les réglages de la minuscule mémoire holographique et la présence de la pile neuve dans le logement, pour la centième fois. Tout était en ordre.
Ne pouvant rester assis plus longtemps, il se leva et se mit à arpenter la pièce. L'attente lui brisait les nerfs et le trac l'envahissait peu à peu. Qu'allait-il dire ? Qu'allait-il faire devant cet homme qui était presque un mythe vivant pour des milliards d'habitants de la galaxie? Il tenta de se raisonner, de se dire que ce n'était après tout pas son premier boulot de ce genre, ni le plus difficile. Mais rien n'y faisait. Le fait d'être le premier à écrire une biographie de ce Jedi le rendait terriblement nerveux. Comment s'adresse-t-on à un homme vieux de près d'un demi-millier d'années ?
Il fut arrêté net dans ses réflexions : un glissement discret derrière lui indiquait que la porte du bureau d'Arkon Spell venait de s'ouvrir…

— — — — — — —


L'homme le plus puissant de la galaxie, il l’était certainement, mais sans nul doute était-il aussi le plus solitaire. Il regardait cette idée de biographie d'un œil méfiant. Assis dans un grand fauteuil noir, les bras croisés sur son large bureau en véritable bois, il contemplait une énorme projection holographique de la galaxie qui flottait paresseusement, suspendue au milieu de la pièce. La galaxie, des milliards de petits points lumineux sur fond noir, des bras laiteux s'enroulant sur eux-mêmes, indéfiniment; il la tenait presque au creux de sa main. Cette galaxie entière, trois cent quinze mille années lumières de circonférence, trente millions de mondes habités, lui appartenait. D'un seul mot, il pouvait détruire un milliard d'étoiles, anéantir un million de mondes, réduire en particules des civilisations entières jusqu'à en faire disparaître la moindre trace.
Et cette pensée l'écœura. Jamais il n'avait voulu cela ! Cinq cent ans plus tôt, sur Telmadus, il était né parmi les Néo-Jedi, capable de sentir la Force, le champ d'énergie produit par tout ce qui vit. Et comme tous les siens, l'entrainement qu'il avait subi avait fait de lui un Jedi, doté grâce à la Force d'une parfaite maîtrise de son corps, d'une constitution solide lui assurant une longévité bien au-delà de la normale, et de l'habileté nécessaire au maniement de l'arme traditionnelle, dont l'origine remontait à des temps oubliés, le sabre-laser. Spell n'était pas différent des autres telmadiens, tout aussi pathologiquement frustré que les autres, un vieillard dans un corps en pleine force de l'âge. Il ressemblait à tous les autres, plutôt grand, bien bâti, le teint buriné et mat, les cheveux argentés. Il était l'héritier de la lignée des Spell, descendant direct de Garyan, l'un des fondateurs du nouvel ordre. Une partie de sa vie passée dans les temples lui avait fait découvrir tout son potentiel psychique et, pétrit de la culture et de la philosophie des Anzat, il était devenu une sorte de sage, dont la seule aspiration était la sérénité, ne faire qu'un avec l'espace et le temps.
Sur le plus grand mur de son bureau était pendu le traditionnel portrait stylisé de Gilead, le premier des Néo-Jedi. Gilead. Un humain qui, par le biais d'une prodigieuse technologie, était devenu une sorte d'être suprême. Utilisant la technique et le pouvoir des derniers des Seigneurs Noirs, il avait engendré une nouvelle race de Jedi, sensibles eux aussi à la Force, qui se lancèrent à l'assaut d'une galaxie dévastée par des millénaires de déchéance.
Fort cette technologie abandonnée par les Seigneurs Noirs, grâce aussi à la Mémoire, l'ordinateur le plus complexe, le plus grand qui fut jamais construit, Gilead s'était mis en tête de conduire la galaxie vers une nouvelle ère de paix, vers un nouvel âge d'or de joie et de tranquillité. Pauvre Gilead. Il n'était, après tout, qu'un humain, imparfait et mortel. Même si sa perception s'étendait jusqu'aux limites de la galaxie, même si son pouvoir lui permettait de détruire des civilisations entières, même si son corps physique avait depuis longtemps disparu, ne laissant que son esprit, délivré de la matière, fondu dans une machinerie titanesque, il restait fondamentalement un humain. Mortel. Même un esprit désincarné peut mourir. Heureusement, il avait prévu de transmettre son héritage à des successeurs : les Néo-Jedi. Pauvre Gilead !
Peu avant de disparaître, il confia sa Mémoire et la somme de connaissance qu'elle contenait aux Jedi. Il leur confia aussi le Plan, l'ensemble de schémas sociologiques et politiques qui devaient mener la galaxie vers l'Age d'or.
La Mémoire. Des milliers d'années d'histoire oubliée, des connaissances technologiques dont seules quelques miettes pouvaient être exploitées, des armes, aussi. La Mémoire et le Plan devaient suffire, correctement interprétés, à amener les habitants de la galaxie vers un empire universel qui établirait la paix et l’unité. Un beau rêve. Toujours est-il que, depuis plusieurs millénaires, les Jedi prenaient leur rôle à cœur; ils avaient un but, savaient pourquoi ils existaient et se donnaient corps et âme dans cette œuvre à long terme pour laquelle ils avaient, semblait-il, été créés.
La première phase du Plan s'achevait après presque cinq mille ans, avec le Millénaire de l'Imperium, réunissant soixante-dix pour cent des mondes habités de la galaxie sous un pouvoir centralisé. Un empereur dirigeait cette puissance, ou du moins le pensait-il. Les Jedi étaient en fait derrière toute nouvelle action politique, assurant le bon déroulement du Plan. Sous le couvert du Culte de Gilead, une façade permettant d'être partout et de tout surveiller discrètement, les Jedi étaient là. Ce pouvoir n'avait pas que des mauvais côtés, d'ailleurs. Hormis les escarmouches de la frontière Malkite et le grand conflit heureusement avorté contre les chiss, quelques cinq cent ans auparavant, la guerre avait été pratiquement éliminée dans l'Empire depuis un millénaire, et le besoin même de combattre disparaissait peu à peu, au fur et à mesure que les Jedi corrigeaient les esprits à l'aide des techniques mentales et de la Force, appliquées à très grande échelle.
Il restait bien quelques royaumes libres, indépendants, rebelles à l'instauration de l'Imperium, mais Spell savait que tôt ou tard ceux-ci se rallieraient inévitablement à l'Imperium. Il ne faisait qu'entrevoir l'accomplissement du projet, menant à la disparition de tous les instincts agressifs des individus, à la réforme du cœur même des gens, la paix et l’unité suprêmes, définitives, universelles, la pleine réalisation des désirs les plus profonds de tous les êtres intelligents et pensants. Ils en étaient loin, très loin; c'était une œuvre de très longue haleine, encore, mais Spell ne désespérait pas. Il ne désespérerait jamais. Un peu de Gilead était en lui, et il avait vu en vision, à travers la Force, la réalisation du Plan.
Il sortit de sa torpeur, comme s’il émergeait d’un profond sommeil. Il avait oublié, perdu dans ses méditations, qu’un visiteur l’attendait et que son départ pour Oruséa Prime était imminent. Le jour venait de se lever sur le Temple Jedi, mais l'épaisse couche de nuages qui enserrait en permanence la planète laissait à peine filtrer la lumière, maintenant dans un crépuscule permanent la surface chaotique et ravagée qui entourait le Temple, seul bâtiment encore debout dans un immense champ de ruines décrépites. La planète-ville, qui autrefois abritait la capitale galactique, avait en effet été réduite à un tas de décombres vidé de ses habitants, avant que les Seigneurs Noirs n'en fassent leur antre. C'était là aussi que Gilead avait installé le Temple des Néo-Jedi, une fois le dernier Seigneur Noir vaincu. Depuis, seuls quelques Jedi vivaient encore sur Coruscant, dans le temple-palais qui abritait les terminaux de la Mémoire.
Spell se leva et éteignit la projection holographique. L’image de la galaxie disparut, et la lumière revint dans le bureau. Puis, se dirigeant vers la porte, il s’arrêta devant la baie vitrée qui donnait sur l’extérieur. Ses yeux s’accrochèrent sur le décor désolé de Coruscant, en ruine depuis des millénaires. Plus rien ne restait de son faste d'antan, plus rien de vivant.
Inconsciemment, il se reprit à méditer gravement sur le passé : le chiss Kooram, celui qu'il avait eu le courage d'appeler son ami, était mort de vieillesse depuis des siècles. Miri, sa propre femme, était morte, elle aussi, non sans lui avoir donné tout l'amour dont elle était capable, ainsi qu'un fils. Elle n'était pas Jedi, bien sûr, bien que telmadienne.
Ce fils, baptisé Suréna, était lui aussi un chevalier Néo-Jedi, un guerrier qui n'avait pas tardé à quitter son père pour parcourir la galaxie. Et une fois de plus, Spell était resté seul. Désespérément seul dans le mausolée ténébreux qu'était devenu Coruscant. Il y avait là bien d'autres Jedi, évidemment, mais aucun ami. Les telmadiens n'étaient pas les être les plus sociables de la galaxie, peu s'en faut. Il ne lui restait plus que la Mémoire, et un travail colossal auquel rien ne l'avait jamais préparé : administrer la gigantesque banque d'information, et surveiller le déroulement du Plan, auquel personne n’avait accès en intégralité. Un cadeau de Gilead fait à sa lignée. Un cadeau empoisonné.
Spell se sentait très las, pas de cette lassitude satisfaisante qui engourdit après une bonne journée de travail, mais d'une fatigue profonde, un abîme d'épuisement, conséquence d'une vie trop longue. A quoi bon vivre si longtemps si rien ne vient remplir vraiment la vie ? Depuis plus d'un siècle, il vivait en reclus, s'accrochait au Plan, à la Mémoire, se persuadant lui-même qu'il avait enfin trouvé sa place dans ce système de choses, qu'il avait trouvé son rôle dans la tragi-comédie perpétuelle de l'existence. Sa place dans le schéma historique de la galaxie. Il désirait y croire plus ardemment que toute autre chose.
Une fois de plus, il s'aperçut qu'il se perdait dans ses pensées. Cela lui arrivait de plus en plus souvent… Son attention revint vers son visiteur; il avait en effet accepté de rencontrer un jeune trigon qui s'était vu confier la rude tâche d'écrire sa biographie. Encore un mensonge : s'il avait accepté cette proposition inepte, c'était surtout pour ne plus être seul, pour quitter la routine dans laquelle il était enfermé depuis des années, pour pouvoir évoquer de vieux souvenirs, libre de toute contrainte. Une nouvelle hypocrisie : il ne lui était pas possible de raconter sa vie à un simple être humain, incapable de comprendre la nature profonde d'un Jedi, encore moins de lui révéler tout ce qu'il avait apprit grâce à la Mémoire. Cinq cent ans de vie à proprement parler, c'est déjà long, très long. Arkon Spell, au cœur de la Mémoire, avait vécu des centaines de millénaires, des milliards de milliards de vies humaines et non-humaines, connu plus de choses qu'aucune créature vivante n'était capable d'en imaginer. Il avait compris ce que personne avant lui n'avait jamais saisi : la vacuité de l'existence.
Il poussa un bouton et la porte de son bureau glissa doucement sur son rail.

— — — — — — —


Même s'il le rencontrait pour la première fois, Spell connaissait tout de Hari Brewster. Il avait passé en revue toutes les informations disponibles sur lui, sa carrière, son caractère, ses ambitions secrètes, ses vices cachés.
Brewster non plus n'était pas en présence d'un inconnu. Lui aussi avait étudié le personnage qu'il allait rencontrer, du moins avait-il consulté le peu d'informations disponibles dans les banques de données journalistiques. Alors que la porte s'ouvrait, il se leva et fit face à son hôte, un peu tremblant.
Examinant la tenue grotesque du journaliste, Spell ne put réprimer un sourire en songeant à l'évolution étrange des goûts en matière vestimentaire. Lui-même portait un simple uniforme bleu nuit, démodé, dépourvu de toute décoration, qui avait toujours l'air d'être deux fois trop petit. L'uniforme Jedi d'autrefois, qui n'avait guère changé depuis la fin de l'Ère des Ténèbres.
— Bienvenue, monsieur Brewster, dit-il simplement.
L'autre, figé dans une expression mitigée entre crainte morbide et profond respect, réussit à bredouiller :
— C'est une joie pour moi de vous rencontrer, Archicenturion.
Spell, relâchant le contrôle mental qu'il exerçait sur ses sentiments, sourit un peu plus. Un titre absurde imposé par l'Imperium, parmi beaucoup d'autres qui n'avaient guère plus de sens.
— Appelez-moi simplement monsieur, s'il vous plaît. Archicenturion, ce n'est que du protocole pour les réunions officielles.
— Bien, monsieur, dit Brewster, qui n'en était plus à une gaffe près.
Le jeune journaliste restait planté dans l'antichambre, les bras serrés le long du corps. Presque sans en avoir conscience, Spell effleura son esprit et calma un peu la tension qui paralysait le jeune trigon. Voilà bien longtemps qu'il ne s'était plus servi de ses facultés de mentaliste. Le jeune homme se détendit un peu et fit quelques pas vers le bureau, à la grande satisfaction du Jedi.
— Je vous en prie, jeune homme, insista doucement Spell, ne soyez pas si ému. Je ne suis qu'un homme comme vous.
Brewster ne put s'empêcher de penser : il ment.
— Je vais faire de mon mieux, monsieur Spell. Je suis heureux de pouvoir vous rencontrer et conscient de l'honneur que représente…
— S'il vous plaît ! dit Spell. Laissez le protocole de côté, oubliez les honneurs, les privilèges et le baratin habituel. Considérons-nous comme entre amis, voulez-vous ? Je suis fichtrement heureux de pouvoir converser avec quelqu'un de normal.
Puis, comme le jeune trigon ne faisait pas mine de bouger, il ajouta en se retournant :
— Vous entrez ou vous attendez de pourrir sur pieds ?
Brewster entra. Il ne s'attendait pas à une telle familiarité de la part de celui qui était considéré, et à juste titre, comme l'un des personnages les plus puissants de la galaxie. Mais il admit qu'après des siècles de politesse de convenance, on devait finir par se lasser un peu.
Spell eut ensuite toutes les peines du monde à faire asseoir son invité : le jeune homme restait pétrifié par la présence imposante du Jedi, par la simple pensée que la personne qu'il avait en face de lui vivait depuis plus de cinq siècles et ne paraissait pas plus de quarante ans standards. Une fois assis en face du bureau, son émotion se calma et Brewster sentit une certaine méfiance monter en lui, balayant les autres sentiments, la méfiance naturelle du journaliste. Il retrouve ses instincts, songeait Spell, qui lisait dans l'esprit du jeune homme comme dans un livre ouvert. D'un coup de pouce mental, il amplifia doucement cette attitude, et Brewster retrouva son aplomb et son sang-froid.
— Vous allez m'accompagner durant mon voyage vers Oruséa Prime, dit Spell. Nous aurons tout le temps de causer à bord de mon vaisseau. Cela ne vous dérange pas?
Brewster s'autorisa un sourire.
— Personnellement, non, mais je ne possède aucune accréditation pour m'y rendre, surtout pas durant les festivités du Millénaire.
Spell haussa les sourcils. Évidemment, le jeune homme ne possédait pas le visa pour poser le pied sur Oruséa. Normal. La capitale de l'Imperium était un domaine réservé et ceux qui y étaient invités devaient satisfaire à des conditions strictes, plus encore lors des cérémonies officielles.
— Je vais régler cela, dit Spell.
Il s'approcha d'un terminal holographique et pressa un petit bouton. D'une voix assurée, il dit :
— Mémoire ?
Le projecteur holographique réagit au son de sa voix et au mot clé prononcé. Un écran holographique apparut en suspension au-dessus du bureau.
— Tous les circuits prioritaires sont disponibles, monsieur Spell, dit une voix féminine très douce. Que désirez-vous ?
— Donnez-moi le registre des autorisations de séjour sur Oruséa Prime durant les festivités du Millénaire.
L'écran clignota un court instant, puis une liste apparut, défilant à grande vitesse : plusieurs millions de noms y étaient répertoriés.
— Nouvelle entrée, dit Spell. Brewster, Hari Loodwig Elmett, journaliste indépendant, Trigon IV. Sa fiche d'identification se trouve dans le dossier journalier.
— Inscription confirmée, dit suavement la machine.
— Merci, ajouta Spell avant de couper le contact.
Poli, même avec une machine qu'il contrôle, nota Brewster. Mais il ne réalisa que quelques secondes plus tard le sens de ce qu'il venait de voir. Arkon Spell était vraiment tout-puissant dans les affaires de l'Empire. L'obtention d'un passeport pour les festivités n'était possible qu'après de fort longues tracasseries administratives et force justificatifs divers. Mais un mot de Spell suffisait à lui en procurer un. Jamais le jeune journaliste n'aurait soupçonné cela.
— Nous y allons, à présent ? dit Spell. Mon vaisseau est prêt.
A peine arrivé, voilà déjà venu le moment de quitter Coruscant, songea Brewster. Mais d'après ce qu'il avait pu en voir, ce n'était pas le monde idéal pour passer des vacances. Rien que des ruines déchiquetées, battues par des vents violents qui soufflaient en permanence. Difficile d'imaginer aujourd'hui que ce système avait abrité des milliards d'habitants, et qu'il avait été en son temps la capitale d'un ancien empire. C'était maintenant un monde parfaitement inhospitalier, mort, effrayant. Comment avait-on pu y construire cette cité titanesque au centre de laquelle se dressait le Temple Jedi ?
— Nous allons sortir du Temple, dit Spell. Il fait sûrement un peu froid à l'extérieur.
— Ce n'est rien, dit Brewster, trop confiant.
Dès que le sas fut ouvert, le jeune trigon comprit ce que Spell entendait par "un peu froid"… Frigorifié par le vent glacial qui balayait la surface dégagée de l'astroport, il garda pourtant contenance et se força à sourire.
— Il ne fait jamais jour, ici ?
— Il fait jour, dit Spell, en désignant un petit cercle pâle, un peu au-dessus de l'horizon, à peine visible à travers la couche de nuages. Les nuages sont trop épais pour que le soleil perce, et c'est presque toujours ainsi depuis que la planète à été ravagée. Mais ne restons pas là, je vois bien que vous êtes glacé.
Ils longèrent les bâtiments de l'astroport et furent bientôt devant un petit vaisseau spatial qui attendait dans son berceau de maintenance. Deux autres Jedi, méprisant le froid, attendaient debout devant l'entrée largement ouverte. Spell fit les présentations :
— Yonnel Arwin, notre pilote et Kloôn Acmo, notre officier en second. Messieurs, dit-il en s'adressant à l'équipage, nous aurons un passager supplémentaire.
— Bien, monsieur, dit Yonnel. Tout est prêt pour le décollage.
Ils entrèrent à tour de rôle par la petite écoutille. Ce vaisseau, constata Brewster, était minuscule et d'un confort très limité. Les Jedi avaient apprit à se passer du superflu même en matière de décoration.
— Ce vaisseau est très petit, risqua-t-il alors qu'il croisait Acmo. Je m'attendais à quelque chose de plus… Enfin… Luxueux ?
— Ce n'est pas un grand navire, c'est vrai, dit amicalement l'officier. Mais il n'y manque rien d'indispensable, ne vous inquiétez pas.
Spell se tourna vers Acmo et dit :
— L'Info est-elle à bord ?
— Oui, monsieur. Vous disposez des circuits prioritaires.
Spell hocha la tête avec satisfaction. Ils emportaient avec eux un droïde-terminal de la Mémoire, l'une de ces unités sphériques reliées directement au gigantesque ordinateur, et qui étaient autrefois les yeux et les oreilles de Gilead dans toute la galaxie. Maintenant, les Infos servaient la cause du Plan Mnémonique, sans qu'on soit vraiment sûr de pouvoir parfaitement les contrôler. Parfois, ces droïdes semblaient agir selon leur propre volonté, selon des motivations indéchiffrables qu'elles étaient les seules à connaître. Avaient-elles un esprit, une intelligence ? Personne, pas même Spell qui travaillait avec elles depuis plusieurs siècles n'aurait pu répondre.
Tout le monde prit place à bord, et Brewster fut installé dans une cabine spartiate, mais dotée de tout le nécessaire : toilettes privées, salle de bain, réplicateur de nourriture, holovision… Il n'eut toutefois pas le temps de visiter les lieux : Spell le conduisit ensuite dans la salle principale de l'appareil, où il s'assit sans plus de cérémonies sur une simple chaise. Tendant le bras, il ouvrit un compartiment dans l'une des parois et en tira une bouteille remplie de liquide sombre. Tout était toujours à portée de main dans un si petit vaisseau.
— Alcool sullustain, dit Spell, aujourd'hui très rare. Vous en voulez ?
Brewster acquiesça et prit le verre que le Jedi lui tendait, après quoi il tira de sa poche son enregistreur mémoquartz et le disposa sur la table devant lui.
— Pouvons-nous commencer, monsieur Spell ?
C'était le moment que le Jedi craignait tout en l'espérant de façon confuse. Le début des mémoires d'un Jedi. Un seul mémoquartz n'y suffirait pas.
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Messagepar Uttini » Sam 16 Avr 2022 - 17:42   Sujet: Re: Le Retour Du Mal (titre provisoire...)

Merci pour ta critique détaillée.
En effet, au départ c'est une saga de space opera indépendante de Star Wars, mais j'ai trouvé que certains éléments étaient assez proches pour permettre une adaptation, dans la mesure où au départ (ce texte date de peut-être 20 ans) beaucoup de choses étaient décalquées de Star Wars, mais aussi de Fondation et de certains bouquins de AE Van Vogt. Je reconnais que c'est dense, et ça le restera un peu, avec des passages d'action, une certaine violence, parfois, de la religion, de la politique, mais aussi beaucoup de mystères et de manipulations.
Je publierai un autre chapitre dans les prochains jours, j'ai encore quelques recherches à faire pour des éléments connus qui auraient survécu 10000 ans aprés l'Épisode IX. Ne serait-ce qu'une carte de la galaxie telle qu'elle est 10000 ans plus tard...
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Messagepar mat-vador » Sam 16 Avr 2022 - 20:44   Sujet: Re: Le Retour Du Mal (titre provisoire...)

C'est lu !

Franchement j'adore ce nouvel univers intégré à Star Wars que tu as crée ! Je prends vraiment mon pied :oui: ! J'ai l'impression que plus je lis ton histoire, plus je relis Fondation de ce bon vieux Asimov, ce qui ne me déplait pas du tout :oui: ! Je te l'ai dit, je prends un pied monumental :P :D !

Je note par exemple que Brewster a le même prénom que Hari Seldon et que le Plan de Spell me fait au plan de Seldon qui anticipe la Chute de l'Empire :sournois: ... Très belle description de Coruscant qui a vraiment changé de visage, c'est dépaysant :oui: :oui: !!

Le Culte de Gilead... on sent l'aspect religieux qui va poindre dans ton histoire :diable: ! C'est un thème qui n'est pas assez abordé dans notre univers préféré, je trouve :whistle: !

Vivement la suite :hello: !
Mat: Bonjour, je suis vapodoucheur et masseur de talons! / Dark Krayt: Vous êtes embauché!

Fics: Pius Dea, Jedi corellien, Les Origines de Jedi corellien
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Messagepar Uttini » Dim 17 Avr 2022 - 15:17   Sujet: Re: Le Retour Du Mal (titre provisoire...)

mat-vador a écrit:Franchement j'adore ce nouvel univers intégré à Star Wars que tu as crée ! Je prends vraiment mon pied :oui: ! J'ai l'impression que plus je lis ton histoire, plus je relis Fondation de ce bon vieux Asimov, ce qui ne me déplait pas du tout :oui: ! Je te l'ai dit, je prends un pied monumental :P :D !

Ça fait plaisir, venant d'un auteur prolifique comme toi. Merci !


Chapitre 3 — Système Strenotis

La sphère luisante bourdonna un instant, se stabilisa sur ses répulseurs à une coudée au-dessus du sol caillouteux et braqua son puisant senseur vers la paroi métallique. L'inscription sur le mur était pratiquement effacée et rédigée dans une langue oubliée depuis bien longtemps, aussi le droïde laissa-t-il tomber son verdict:
— Traduction impossible sans un contact avec les mémoires centrales. Données insuffisantes. Dois-je demander l'accès aux bibliothèques de références ?
— Fais donc, dit la femme accroupie devant la paroi, à côté de la boule métallique.
D'une main douce, pleine de dévotion pour une relique d'un autre âge, elle ôta la couche de poussière qui recouvrait le mécanisme de la porte blindée. Elle poussa un soupir de soulagement: le site était vierge ! Elle se redressa et se tourna vers la machine, de l'impatience dans la voix.
— Alors ? Toujours rien ?
— Traduction impossible, s'obstina le droïde. Il ne reste pas assez de caractères lisibles pour obtenir un texte cohérent. Hypothèse: il s'agit d'un panneau d'avertissement.
— Ça, je l'aurais trouvé toute seule.
Elle attendit encore un instant que la machine daigne en dire plus, mais se fit une raison. Même la Mémoire ne pouvait faire de miracle. Elle se tourna à nouveau vers la porte et y posa délicatement ses mains à la peau bleutée. Si l'inscription était usée et illisible, le mécanisme d'ouverture manuelle semblait en bon état. Il aurait suffit de tirer la manette de déverrouillage et la lourde porte, une fois complètement dégagée, pouvait être poussée. Cependant, on lui avait toujours apprit, à l'université, à se méfier de ce qui était trop facile. Elle se tourna vers le droïde et dit:
— Peux-tu faire un sondage de l'intérieur ?
Pour toute réponse, un pan entier, à la surface du droïde, s'escamota et une tige métallique en surgit. La machine bourdonna deux ou trois secondes et dit de sa voix métallique et monocorde:
— Sondage non concluant. Je vais effectuer une analyse gamma. Veuillez patienter.
Elle n'avait pourtant pas tout son temps. L'oxygène commençait à se raréfier dans ce trou… Elle s'assit sur le sol poussiéreux et posa son menton sur ses genoux. C'était une jolie femme, malgré les premières marques de l'âge sur son visage. Elle devait approcher les trente-cinq ans standards mais son regard grave y ajoutait quelques années. Elle était vêtue d'une combinaison dont la couleur primitive dût être le vert, mais qui était imprégnée de poussière rouge. Tout était rouge sur cette planète. La couleur bleu pâle de sa peau contrastait remarquablement avec le rouge profond de son vêtement.
Kandra était une métisse. Son père humain avait épousé une chiss et elle avait hérité du corps mince de sa mère, mais de la robustesse, des sens aiguisés et de l'obstination de son père. Kandra Ilian, enfant des étoiles, apatride, venait aujourd'hui d'atteindre un de ses objectifs.
Durant des mois, l'expédition Jedi avait laborieusement gratté le sol poussiéreux de Strenotis à la recherche des ruines d'anciennes cités bâties par une civilisation éteinte. La Mémoire avait indiqué les emplacements de ces villes autrefois prospères, avant qu'un cataclysme, durant l'Ère des Ténèbres, ne les anéantisse, des millénaires auparavant. Ils espéraient y trouver des artefacts technologiques de la Vieille Science mais avaient jusque là fait face à une amère déception : les sites avaient déjà été fouillés, récemment. Sur les quatre qu'ils avaient exploré, deux avaient été détruits par un acide puissant venu d'on ne sait où, et les deux autres vidés de leur contenu, littéralement pillés.
Mais cette fois-ci, l'Info avait repéré un abri souterrain intact, non loin de vestiges d'une cité enfouie sous des tonnes de rochers. Si les ruines elles-mêmes avaient beaucoup souffert des outrages du temps, l'abri avait résisté. Et ce qu'il contenait s'y trouvait toujours. Les pillards qui s'étaient occupé des autres sites n'avaient pas mis les pieds ici. Après avoir creusé la roche deux jours durant, Kandra avait finalement dégagé l'entrée de cet abri, une paroi et une porte métallique, si anciennes que le métal très dense dont elles étaient faites s'effritait sous les doigts.
Pensivement, elle examina l'inscription gravée dans le métal. Les signes utilisés lui étaient vaguement familiers, mais la manière dont ils étaient arrangés et la graphie lui étaient totalement étrangères.
La boule métallique, en fait un droïde-terminal mobile de la Mémoire, baptisé familièrement "Info", semblait buter sur le sondage gamma. Elle bourdonnait de plus belle et faisait entendre des cliquetis un rien inquiétants. Que pouvait-il se passer dans les circuits de la machine ? Elle était en contact permanent et direct avec la Mémoire, par un moyen encore inconnu, et pouvait accéder à quantité de bases de données en un temps record, sans avoir à passer par les relais hyperfaisceaux de Coruscant. Même là, à des dizaines de mètres de profondeur, alors que les communicateurs hyperfréquence ne fonctionnaient plus et qu'à la surface les tempêtes de poussière magnétique, si fréquentes sur cette planète, limitaient la portée des radios, l'Info fonctionnait toujours. Rien ne semblait pouvoir interférer entre elle et la Mémoire.
Cependant, la machine n'était pas pressée, et Kandra comptait impatiemment les secondes. Elle tenta de se raisonner, se disant que cet abri était là depuis la nuit des temps et qu'il ne s'envolerait pas, mais elle se sentait comme une enfant qui découvre un nouveau jouet. Peut-être était-elle au seuil d'une des plus importante découverte archéologique du moment. La découverte qui lui apporterait la reconnaissance galactique.
— Alors ? dit-elle de nouveau à l'Info qui bourdonnait toujours obstinément à côté d'elle.
Mais le droïde était borné et elle pouvait avoir très mauvais caractère, par moments.
— Estimation de l'âge de cette structure: neuf mille ans, dit l'Info de sa voix neutre. Je procède à l'analyse de l'intérieur.
9000 ans. Autrement dit au début de l'Ère des Ténèbres. C'était pile l'époque de l'âge d'or de la Vieille Science. Kandra sentit plus que jamais l'excitation la gagner: elle tenait là une découverte exceptionnelle. Elle songea déjà à la communication qu'elle ferait au journal galactique d'archéologie sur le sujet.
Le trou de rocher dans lequel se trouvaient la femme et la machine était extrêmement exigu, et Kandra commençait à manquer d'air; elle haletait un peu.
— Sondage effectué, dit placidement l'Info.
— Vite ! Le résultat !
— Métal anormalement résistant d'une épaisseur de deux coudées. Au-delà: atmosphère zéro, température: 3 degrés absolus.
Kandra trépigna soudain dans son trou. Non seulement le site était vierge mais les conditions de stockage étaient encore correctes à l'intérieur. C'était typique des abris de ce genre; les conditions spatiales limitaient la dégradation des matériaux.
L'Info reprit:
— Je détecte une machinerie complexe qui maintient les conditions spatiales à l'intérieur, ainsi qu'une source d'énergie à combustible éonique.
Kandra commençait à suffoquer mais elle ne bougeait pas, les yeux fixés sur la porte blindée qui la séparait du vide maintenu à l'intérieur, comme si la puissance de son regard pouvait percer le métal super dense. Cet abri devait contenir quelque chose de précieux. Des machines, des documents. Des armes, peut-être.
Elle tournait de l'œil. Des étoiles se mirent à danser dans son champ de vision, éclipsant la lumière crue du projecteur. L'Info se mit à vibrer doucement, pivota légèrement sur son axe et lança:
— Alerte ! Les fonctions vitales du sujet Kandra Ilian entrent en phase critique.
En effet, Kandra était sur le point de s'évanouir. Le manque d'oxygène, le confinement et l'émotion finissaient par avoir raison de sa résistance. L'Info abandonna la porte blindée et s'approcha tout contre le corps de la jeune femme à la limite de l'inconscience. L'instant d'après, l'air raréfié sembla crépiter autour d'eux et soudain, ils disparurent. Six cents coudées au-dessus, dans l'atmosphère brûlante du système Strenotis, l'Info et la jeune femme se rematérialisèrent non loin du campement des archéologues. Une minute de plus l'aurait tuée. Mais elle avait enfin trouvé ce qu'elle cherchait.

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— Tu peux te vanter de nous avoir fait peur, jeune écervelée. Qu'est-ce que je vais faire de toi ?
Elle ouvrit les yeux, juste pour s'assurer qu'elle ne rêvait pas et que la voix sévère qui la réprimandait était bien celle de son mari. Il avait l'air fâché. Très fâché. Il ne l'était pas souvent, mais lorsque cela arrivait…
Kandra sortait lentement de sa torpeur. Après que l'Info l'eut remontée du trou, on l'avait conduite à l'infirmerie et soumise aux soins d'urgence. Fort heureusement pour elle, son système respiratoire tenait plus de celui des chiss que de celui des humains et nécessitait moins d'oxygène. Un humain normal serait mort très rapidement, au fond du trou.
Hal Wellet était marié à l'archéologue depuis près de vingt ans mais il n'avait aucun désir de la perdre avant l'heure. Il lui avait interdit de descendre seule dans ce trou à rats, mais elle aimait presque plus son métier que son époux et se montrait prête à braver mille morts pour atteindre son but.
— J'espère que ce que tu as trouvé là-dedans en vaut la peine, dit Wellet, accroupi à côté du lit de camp où elle reposait.
Elle poussa un soupir et se hissa sur les coudes.
— J'en suis sûre. Le site n'a certainement pas été visité depuis neuf mille ans. C'est un abri en conditions spatiales, et je n'ose même pas imaginer ce qu'il peut contenir.
Wellet hocha la tête. Les sites qu'ils avaient explorés précédemment ne contenaient plus rien d'exploitable; on les avait forcés et dépouillés de tout ce qu'ils pouvaient receler d'intéressant. Mais neuf mille ans… Même à l'échelle des Néo-Jedi, c'était une éternité. Et Wellet était un Néo-Jedi.
— Se donner la peine de reproduire des conditions spatiales à une telle profondeur durant neuf mille ans… Qu'est-ce qui peut bien être assez précieux pour justifier cela ?
Kandra secoua la tête d'un mouvement d'ignorance. Elle avait des cernes autour des yeux et la lassitude se lisait sur son visage. Elle avait épuisé toutes ses forces pour descendre et se maintenir dans ce trou assez longtemps pour que l'Info effectue son analyse, mais elle était satisfaite.
— Je n'en sais pas plus que toi, Hal, dit-elle. L'Info ne nous sera plus d'une grande utilité, maintenant. Il faut entrer dans cet abri pour en savoir plus.
— Cette saleté de machine nous gâche tout notre plaisir ! aboya Wellet. Il ne manquerait plus que ça qu'elle l'explore à notre place. C'est elle qui est à notre service, pas l'inverse.
Wellet ne portait pas le droïde sphérique dans son cœur. Il le considérait volontiers comme une vulgaire boîte de boulons, au pire comme un espion au service de la Mémoire. Pourtant, Kandra lui devait la vie.
Il se tourna vers sa femme. Lorsque son regard croisa celui de Kandra, il se souvint du jour de leur rencontre, toujours aussi vivace dans son esprit. Hal Wellet et Koorâm le chiss, l'ancêtre de Kandra, se connaissaient depuis déjà longtemps, en fait depuis la mission Remparts dont le Jedi était l'un des officiers de liaison, près de cinq siècles auparavant. Koorâm avait fini par épouser Milkah, la grande prêtresse de Thessal, laquelle avait, peu après, donné naissance à un enfant à la peau bleu pâle.
Cinq siècles plus tard, Wellet, lors d'une visite à l'université, fût présenté à la descendance de Koorâm, Kandra. Elle était d'une beauté rayonnante, et d'une intelligence hors du commun. Et elle était jeune, fraîche, à peine diplômée de l'université et un stupéfiant magnétisme émanait de sa personne. Wellet, à cette époque, était encore un hédoniste, désireux de jouir de tout ce que sa longévité pouvait lui offrir, et il tomba aussitôt amoureux fou de la jeune fille dès qu'il la vit. Ce fut réciproque, et ils se marièrent dans l'année qui suivit, bien qu'il fut plus âgé qu'elle de près de six cent ans.
Kandra avait vieilli, sa beauté s'était un rien fanée, mais l'amour demeurait toujours. De même que cette fantastique séduction qui avait conquit le cœur du Jedi. Wellet avait quitté l'Ordre et les affaires politiques de l'Empire pour accompagner son épouse dans les recherches archéologiques que leur confiait le Conseil. Vingt ans s'étaient écoulés, et lui n'avait pas vieilli. Il ne vieillirait que très lentement. Il était parfaitement conscient que peu à peu, Kandra lui échappait, que sa vie fragile, éphémère, s'enfuyait, comme du sable qui glisse entre les doigts. Bientôt, il la perdrait pour toujours, et dans quelques siècles elle ne serait qu'un souvenir à demi effacé. Alors il vivait intensément chaque instant passé en sa compagnie, comme si c'était le dernier.
Lorsque le conseil scientifique de l'Imperium avait découvert dans la Mémoire les archives sur l'antique Gloôdan, rebaptisée Strenotis depuis des millénaires, c'est à Kandra qu'on avait confié la mission de découvrir ce qui pouvait subsister de ce monde, autrefois sous la férule des Seigneurs Noirs, dans l'espoir d'y trouver des traces de l'ancienne technologie qu'on nommait la Vieille Science. Bien entendu, comme tous les non-Jedi, Kandra ignorait tout de la véritable histoire, des Seigneurs Noirs et du Côté Obscur de la Force. Personne ne devait rien en connaître et même parmi les Jedi, les héritiers des anciens Sith devenaient, au fil du temps, plus des légendes qu'une cruelle réalité passée.
Ce qu'ils venaient de découvrir, toutefois, c'est ce qu'ils espéraient depuis des années: quelque chose d'antérieur à l'Ère des Ténèbres, bien plus ancien que les cinq mille ans de l'Histoire Mythologique.
— Que peut bien contenir cet abri ?
— Tu es trop faible pour y redescendre, jeune fille, dit Wellet sur un ton qui se voulait autoritaire mais qui ne faisait pas illusion. Je vais m'occuper d'ouvrir cet abri.
Kandra se redressa en haletant. Elle jeta un regard furieux à son époux.
— C'est à moi d'y entrer la première ! Je vais déjà beaucoup mieux.
— Soit, dit Wellet, qui détestait contrarier sa femme. J'ouvrirai la porte, et tu entreras la première. Promis !
Il lui sourit et elle lui rendit son sourire. Wellet ne pouvait lui résister, et ne le voulait pas. Quelque chose chez elle l'en avait toujours empêché. Et il leur restait si peu de temps… Refusant d'aller plus loin dans ces réflexions, il quitta la tente où reposait sa femme et se retrouva dans l'atmosphère étouffante de Strenotis.
Le paysage était désolé, dévasté, presque stérile, depuis des millénaires, et n'avait jamais retrouvé la prospérité que lui prêtait la Mémoire. Autrefois, Gloôdan avait été un monde verdoyant, plein de vie et d'habitants, de mers et de rivières poissonneuses, d'immenses cités aux flèches de verre et d'acier adamantin. La guerre l'avait ravagé voilà des millénaires, et sous les coups d'armes effroyables, Gloôdan était devenue ce monde mort, ce désert de cailloux rouges battu par les vents, auquel s'accrochaient encore quelques millions d'habitants. On l'avait rebaptisé Strenotis, d'après un mot qui, selon les lexiques de la Mémoire, emportait autrefois l'idée de renouveau. Hypothétique renouveau qui n'avait jamais eu lieu.
La région septentrionale de la planète était encore habitable, et là se concentrait l'essentiel de la population, le long de quelques fleuves à demi asséchés, mais dont le limon donnait encore un semblant de fertilité à ce monde moribond. C'était à l'ouest de cette zone fertile, en plein désert rouge, que l'équipe d'archéologue avait installé son cinquième chantier de fouille, sur l'emplacement d'une cité enfouie.
Pour la première fois, ils découvraient quelque chose d'intéressant. Les autres sites, à leur grande surprise, avaient été pillés très récemment, et personne, dans la capitale, ne semblait savoir par qui. Les habitants de Strenotis n'aimaient pas les étrangers et se moquaient éperdument des vestiges de leur passé.
Lorsque Wellet sortit de la tente, il se retrouva face à un groupe de scientifiques venu s'enquérir de l'état de leur collègue.
— Comment va-t-elle ? demanda un jeune étudiant duro.
— Elle s'en sortira, répondit Wellet d'un ton froid. Elle est très résistante et a une volonté de fer.
Puis, dans un rire, il ajouta, pour apaiser l'atmosphère:
— C'est pour cela que je l'ai épousée.
Les autres se détendirent un peu. L'Info les avait avisés de ce qui se trouvait au fond du trou. Un autre étudiant, un pau'an, se risqua à demander :
— Nous y allons ?
— Peut-être, dit Wellet. Mais il nous faut être prudent. Pas question de se lancer là-dedans à l'aveuglette. On ne sait toujours pas ce qui a détruit deux des autres sites que nous avons visités. Peut-être avons-nous affaire à un système de sécurité quelconque…
Il réfléchit un instant et, se tournant vers la tente qu'il venait de quitter, il vit la tête de Kandra qui dépassait entre les pans de tissu de l'entrée, et qui le regardait d'un œil rouge sévère. Il ajouta donc, en secouant la tête :
— Nous allons essayer.
Sa curiosité l'emportait sur sa prudence naturelle. Le groupe s'affaira donc aux préparatifs en vue de la suite des opérations. Quelques heures furent nécessaires pour réunir et préparer le matériel, mettre au point le rôle de chacun et définir une stratégie de repli en cas de difficulté. Kandra, beaucoup plus affaiblie qu'elle ne voulait le laisser paraître, assistait en silence aux préparatifs, faisant quelques suggestions. Bientôt, Wellet fit le point:
— Nous interviendrons d'abord avec des combinaisons spatiales, après avoir dépressurisé l'ensemble du site. Une décompression brutale pourrait endommager ce qui se trouve à l'intérieur, et nous ne pouvons pas prendre ce risque. L'Info sera là en permanence pour surveiller l'environnement et nos constantes vitales. Par contre, nous n'aurons aucun moyen de communiquer avec la surface.
Les autres membres de l'expédition, des étudiants trigons et pau'ans pour la plupart, hochèrent la tête et n'élevèrent aucune objection. Wellet était un meneur et, bien qu'il ne fût pas archéologue de formation, il connaissait toutes les ficelles du métier. Il ne prenait aucun risque avec la vie des hommes dont il était responsable.
— Kandra ne descendra dans le trou que lorsque nous serons certains que tout danger est écarté. C'est compris ?
Il s'était tourné vers sa femme. Elle acquiesça, dépitée de ne pouvoir ouvrir elle-même la porte blindée. Puis ils descendirent dans la cavité. On en verrouilla l'entrée et, à l'aide d'un contrôleur atmosphérique démonté sur l'une des navettes de l'expédition, l'excavation fut soigneusement dépressurisée. Intervenir au fond de ce puits n'était déjà pas une partie de plaisir, mais le port des combinaisons spatiales rendait les choses à peine tenables. Les yeux rivés sur les manomètres, Wellet et les deux hommes qui l'accompagnaient virent la pression descendre lentement, jusqu'à ce que l'Info confirme l'équilibre avec l'intérieur de l'abri.
— Il fait une chaleur terrible dans cette combinaison, dit Ramsey. J'étouffe !
Il suait sang et eau dans son casque, plus à cause de la peur que de la chaleur, cependant. Wellet pouvait fort bien comprendre cette appréhension ; avec la sécurité accrue dans les vaisseaux, on n'utilisait plus de combinaisons spatiales depuis longtemps, sauf dans des cas d'urgence, et réussir à travailler engoncé dans la toile métallisée relevait de l'exploit permanent.
— Dés que nous aurons ouvert la porte, la température tombera très vite, dit Wellet. Tu te sentiras mieux.
— Quand ouvrons-nous ?
Wellet se tourna vers l'Info qui flottait à quelques coudées de là.
— Peut-on y aller ?
— Affirmatif, entendit-il dans les récepteurs de son casque. La pression est équilibrée. Je ne détecte aucun niveau énergétique dangereux à l'intérieur.
Wellet se frotta le bout des doigts, à travers le tissu étanche de la combinaison, puis saisit délicatement la commande d'ouverture manuelle. La prudence s'imposait lorsqu'on osait jouer avec les vénérables mécanismes de la Vieille Science. Neuf mille ans avaient rendu le métal fragile et le moindre geste inconsidéré pouvait ruiner leurs efforts. Wellet tenta d'un geste d'essuyer la sueur sur son front mais sa main gantée se heurta au plastoïde de sa visière. Tant pis.
— J'y vais, dit-il.
Délicatement, avec une lenteur effrayante, sans à-coups, il fit descendre la commande, sans un bruit dans la pression nulle. De son autre main, posée sur le pan métallique, il perçut des vibrations discrètes: le mécanisme de déverrouillage fonctionnait encore parfaitement.
— Ces ingénieurs d'autrefois étaient des as, dit-il. Nous serions bien incapables, aujourd'hui, de concevoir des systèmes qui fonctionnent encore aussi bien après un ou deux millénaires.
Les vibrations cessèrent. L'Info bourdonna dans les récepteurs des casques et dit:
— Système déverrouillé.
— Bon, dit Wellet. Rien d'autre ?
— Aucun indice d'une activité mécanique anormale, dit l'Info. Aucune fluctuation des niveaux d'énergie.
Le Jedi se tourna vers ses deux compagnons et les consulta du regard. Ramsey était terrifié et Mertôn ne lâchait pas ses appareils de contrôle atmosphérique.
— Alors allons-y, dit laconiquement Wellet.
Il posa la main sur la porte, et ses yeux tombèrent sur l'inscription que l'Info n'avait pu traduire, gravée dans le métal. Il avait déjà vu ce genre de caractères, autrefois, dans le grand Temple de Thessal, et il y avait quelque chose de commun entre les deux inscriptions, quelque chose qu'il ne pouvait définir. Il aurait aimé avoir plus de temps pour étudier le sens de ce texte; peut-être, comme semblait le penser l'Info, était-ce un avertissement. Un avertissement contre quoi, contre quel danger, contre quelle manipulation particulière ? Dès lors qu'il s'agissait de technologies avancées, l'archéologie recelait toujours cette énorme part de risque qui en faisait une activité si excitante. L'heure, pourtant, n'était plus aux spéculations.
Wellet fit un signe de tête aux autres. C'était le moment de vérité. Doucement, attentif à la moindre vibration suspecte, il fit glisser la manette d'ouverture et poussa le lourd panneau métallique. Il sentit une résistance et cessa aussitôt sa pression.
— Ça résiste. Je vais pousser un peu plus fort.
Ce qu'il fit, sans ménagement cette fois. Le panneau pivota lourdement sur ses axes et la température chuta brutalement dans le trou. L'Info annonça:
— Température: 5 degrés absolus. En augmentation. L'ouverture de la porte a déconnecté le dispositif environnemental intérieur.
— Je crois que nous y sommes, dit Wellet.
Et il poussa un peu plus le battant. Derrière, il y avait une pièce où régnaient d'épaisses ténèbres, un endroit où nul être vivant n'était entré depuis neuf millénaires…

— — — — — — —


Kandra resta plusieurs minutes debout devant l'entrée de l'abri. La porte était restée grande ouverte, et on avait rétabli doucement une atmosphère normale dans le trou. Il y faisait encore très froid, cependant, et la jeune femme frissonnait. Comme promis, personne n'était entré avant elle, mais les trois autres trépignaient derrière, curieux de voir enfin ce que contenait ce singulier abri. Elle prit une longue inspiration et franchit le seuil, tenant fermement un projecteur au photolithe. Elle pénétrait dans un autre monde, hors du temps, et un nouveau frisson l'envahit. Ce n'était pas le froid, cette fois-ci.
Elle alluma le projecteur et fit de la lumière dans la salle où elle venait d'entrer, et elle regarda autour d'elle. C'était un peu décevant. La pièce était petite, un peu poussiéreuse, et tout y était métallique; des consoles techniques s'alignaient le long des murs, vaguement familières, et tout semblait hors service. A quoi s'attendait-elle ? A un fabuleux trésor, à quelque machinerie complexe et étrange, à des objets inconnus… Mais il n'y avait que ce qui ressemblait à des des consoles informatiques, des écrans éteints, glauques, une sorte de fauteuil abandonné dans un coin.
— Qu'est-ce que c'est ? demanda Ramsey, entré juste derrière Kandra. On dirait des ordinateurs.
— Ne touchez à rien, Ramsey, dit-elle d'une voix autoritaire. Pas avant que je ne vous y autorise.
Pourquoi cette méfiance ? Parce que deux des autres sites avaient été détruits à l'acide, certainement pas un système de sécurité interne à l'abri. Il était inutile de prendre des risques.
— J'ai déjà vu des consoles semblables sur Coruscant, dit Wellet en prenant la main de sa femme. Tout comme celle-ci, elles sont restées en condition spatiales durant des millénaires, et elles étaient toujours fonctionnelles lorsque les Jedi se sont installés dans le Temple. Celles-ci doivent l'être aussi.
Kandra approuva d'un hochement de tête. Il s'approcha d'un panneau et manipula un contact mais rien ne se produisit. Quelques voyants finirent par s'éclairer faiblement, durant une ou deux secondes, mais leur éclat mourut.
— Les appareils restés sur Coruscant étaient auto-entretenus, des droïdes y veillait. Il ne doit plus y avoir assez d'énergie ici pour allumer une lampe électrique.
— Quelque chose alimentait bien le dispositif environnemental ? dit Ramsey.
— Une pile à combustible éonique, dit Kandra, dépitée. Juste assez d'intensité pour maintenir le système sous tension, mais pas assez pour des appareils plus complexes.
Elle passa en revue les consoles éteintes; pas de marques d'usure, ni d'utilisation. Tout semblait neuf, après des millénaires. Ses doigts engourdis par le froid frôlèrent doucement les écrans.
— Fascinant, dit-elle. On dirait un centre de documentation. Ces consoles doivent pouvoir lire des fichiers stockés sur un support quelconque.
— Certainement des mémoires holographiques, dit Wellet, il y en avait également en grand nombre sur Coruscant. Si nous trouvons les enregistrements, il sera possible de les interpréter à bord de notre vaisseau, pour peu qu'elles ne diffèrent pas beaucoup de toutes celles que nous avons retrouvées auparavant.
— Trouvons-les, dit Kandra, emplie d'un nouvel espoir.
Mais elle ne se faisait pas d'illusion. La Mémoire devait savoir tout ce qu'il y avait à savoir sur la Vieille Science, et quelles que soient les informations que renfermait cet abri, elles figuraient certainement déjà dans le grand ordinateur de Gilead. Sans doute non accessibles, à cette période du Plan, mais elles y étaient, elle en était certaine.
Ils fouillèrent prudemment les recoins de la salle, et ce fut Ramsey qui décrocha le gros lot; il ouvrit un panneau mural cachant une étagère remplie d'une trentaine de cylindres de cristal dépoli.
— Venez voir !
— Les mémoires ! dit Wellet. Il nous les faut.
Alors qu'il s'approchait pour examiner les cylindres, un panneau lumineux se mit à clignoter, sur l'une des consoles. Le Jedi se figea.
— Info ! Qu'est-ce qui se passe ?
La sphère métallique venait de faire son entrée dans l'abri et flottait placidement au milieu de la pièce. Elle bourdonna, comme à l'accoutumée et dit:
— Je détecte un flux énergétique, un mécanisme déclenché par l'ouverture du panneau central.
Wellet tressaillit et se figea devant l'étagère. Puis, après quelques secondes d'hésitation, il saisit l'un des cylindres. Le cristal se brisa sous ses doigts en milliers de fragments.
— C'est pas vrai ! dit-il.
Il tenta de prendre un autre cylindre qui se brisa également, puis un autre. Kandra dut se jeter sur lui pour l'arrêter.
— Mais qu'est-ce que tu fais ? Ces cristaux sont trop fragiles après si longtemps, pour qu'on les prenne entre les doigts. Il faut une pince à champ de stase.
— Pas le temps de finasser, dit Wellet, tu as entendu l'Info ?
Mais Kandra se tourna vers Ramsey.
— Donnez-moi une pince de stase. Il y en a une dans l'équipement que nous avons descendu.
Ramsey quitta l'abri et se mit à fouiller fébrilement dans les sacs de matériel archéologique.
— Observation, dit l'Info, laconique. Je détecte une augmentation des niveaux de température dans les parois de l'abri. L'atmosphère présente des traces d'acidité.
— Fichons le camp, dit Wellet. C'est le même système de sécurité qui a détruit les autres sites !
— Non, dit Kandra, qui juste venait de prendre en main le générateur de champ de stase apporté par Ramsey.
C'était à prévoir. Elle n'allait pas abandonner si facilement et resterait là jusqu'à ce qu'elle ait récupéré quelque chose de concret. Les cristaux mémoriels étaient là, devant elle, à portée de main mais aussi inaccessibles que la galaxie de Késil. L'air ambiant se fit un rien piquant; l'acidité augmentait, et bientôt rien de vivant ne pourrait subsister dans ce trou à rats.
Kandra brancha le petit générateur et régla soigneusement le champ de stase de la pince pour qu'il s'enroule parfaitement autour d'un des cylindres. Il fallait encore plusieurs dizaines de secondes pour que le champ soit correctement calibré.
— C'est de la folie, jeune écervelée ! hurla Wellet. Il faut se tirer d'ici immédiatement !
Il voulut la saisir par le bras, la tirer, l'emmener de force hors de ce piège mortel, mais il croisa son regard. L'amour brûlait toujours dans ses yeux, mais l'obstination, la curiosité, le désespoir, même, se lisait en elle. Il sut que sa femme ne changerait pas d'idée. Alors que Ramsey prenait ses jambes à son cou et quittait l'abri, Wellet resta aux côtés de sa femme.
— Info ! Où en est l'acidité ?
— Cinquante serg par unité atmosphérique. Il s'agit d'un acide gazeux dégagé par une réaction chimique.
Elle se concentra sur sa manipulation. Devant elle, sur l'étagère, des dizaines de cylindres de cristal s'alignaient, seulement repérés par des étiquettes illisibles. Il fallait en choisir un. Elle s'arrêta. Lequel ? Lequel ? Elle ne pouvait en prendre qu'un seul, sans quoi elle risquait de briser les cristaux dans le champ de stase. Après une hésitation, ses yeux s'arrêtèrent sur un des cylindres; il n'avait rien de particulier, il reposait au milieu des autres, tous semblables. Mais quelque chose lui disait que c'était celui-là. Alors que l'atmosphère devenait insupportable, elle déploya le champ de stase autour du fragile cylindre de cristal, verrouilla l'appareil et tira l'ensemble hors de l'étagère. Le cylindre quitta sa position sans se briser. Le tour était joué.
— Parfait, dit-elle en suffoquant. Il s'agit de ne pas moisir ici.
Ils quittèrent la pièce en courant. Wellet tira le lourd battant pour refermer le piège sur les trésors qu'il contenait. Bien lui en prit: à peine quelques secondes après leur sortie, l'acidité augmenta brusquement et tous les délicats appareils, les cristaux de mémoire et les lecteurs commencèrent à se désagréger et à tomber en poussière. L'acide inonda toute la pièce et en moins d'une minute, neuf mille ans d'attente s'achevèrent dans une coulée de métal fondu. Quels secrets avaient disparus à jamais ?
Peut-être après tout auraient-ils dû être plus prudents. Leur démarche n'était pas vraiment scientifique, les précautions indispensables n'avaient pas été prises. Mais Kandra était satisfaite. Elle avait au moins arraché l'un de ses secrets à cet abri, et c'était comme si elle avait tendu la main par-delà les millénaires pour saisir cet artéfact qu'elle serrait craintivement contre sa poitrine.
Peut-être aurait-il mieux valu qu'elle ne trouve rien. Ses ennuis ne faisaient que commencer.
La vérité est comme le soleil qu'une éclipse peut obscurcir, mais qu'elle ne saurait éteindre. — Stanislas Leszczynski
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Messagepar mat-vador » Dim 17 Avr 2022 - 19:04   Sujet: Re: Le Retour Du Mal (titre provisoire...) - Chapitre 3

Lu !

Quel est le secret contenu de ce cristal mémoriel :sournois: sauvé de la destruction ? On devine sans mal que cela aura un impact sur la suite de l'histoire :wink: !!

J'ai beaucoup aimé cet aspect découverte archéologique façon Indiana Jones :love: !!!

Vivement la suite!!!
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Messagepar Uttini » Dim 17 Avr 2022 - 19:29   Sujet: Re: Le Retour Du Mal (titre provisoire...) - Chapitre 3

mat-vador a écrit:Quel est le secret contenu de ce cristal mémoriel sauvé de la destruction ? On devine sans mal que cela aura un impact sur la suite de l'histoire !!

Oui, c'est évident sinon on ne s'y arrêterait pas.
Pour tout dire, je distille des tas d'éléments au cours du récit, des détails qui ont l'air insignifiants parfois mais qui au final s'articuleront tous à un moment ou à un autre.
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Messagepar Uttini » Mer 20 Avr 2022 - 11:07   Sujet: Re: Le Retour Du Mal (titre provisoire...) - Chapitre 3

Chapitre 4, qui pose un contexte, résume les époques précédentes et établis aussi des bases pour la suite de l'histoire. C'est dense mais ça distille des points indispensables.


​Chapitre 4 — Mémoires d'un Jedi

— Qui êtes-vous vraiment, monsieur Spell ?
Brewster avait prit un air concentré pour poser cette question, au détour d'une conversation à bâtons rompus. Son enregistreur à mémoquartz sifflait légèrement, posé sur la table de la salle commune du vaisseau spatial.
— Quel est le sens de cette question ? dit Spell, cherchant à gagner du temps.
— Vous le savez aussi bien que moi. Vous êtes un homme étrange. Depuis près d'un siècle, vous vivez reclus dans votre temple sur Coruscant, si bien que vous êtes devenu une sorte de personnage mythique pour la jeune génération galactique. Ceux qui vivaient au temps de la dernière guerre sont tous morts depuis longtemps et l'image qu'ils ont transmit de vous à leurs descendants est une image héroïque, grandiose, qui, j'en suis sûr, est loin de correspondre à la réalité. Alors, qui êtes-vous ?
Spell fit tourner dans le fond de son verre le reste de liqueur sullustaine qui finissait de se réchauffer. Jusque là, la conversation avait porté sur des sujets frivoles et Spell avait soigneusement évité toute réponse personnelle. Mais si ce jeune journaliste devait écrire sa biographie, tôt ou tard, il devrait parler, et les questions difficiles viendraient. Et Spell ne savait comment y répondre.
— Certes, dit-il, il y a longtemps que je n'ai pas quitté Coruscant. De plus, il m'est difficile de vous parler en détail de ce que j'y fais.
— Essayez tout de même.
Spell s'autorisa un sourire un peu gêné, relâchant involontairement le strict contrôle mental qu'il entretenait sur ses émotions. Presque malicieux, il dit:
— Je suis Arkon Elthan Spell. Je suis né sur Telmadus il y a cinq cent dix-huit ans, dans l'ordre Jedi, et de fait, j'ai été initié aux techniques que seuls ceux qui sont sensibles à la Force sont capables de maîtriser.
Brewster fit la moue. Il savait tout cela, c'était dans tous les manuels d'histoire. Pour écrire une biographie digne de ce nom, il allait devoir tirer de ce Jedi un rien taciturne un peu plus que ces généralités.
— Vous ne répondez pas vraiment, dit le journaliste. Expliquez-moi par exemple comment vous en êtes arrivé à être le chef de file des Jedi.
— Je ne suis pas leur chef de file. Les Jedi n'en ont pas besoin. J'ai une certaine autorité, c'est vrai, mais c'est le Conseil Jedi qui dirige Telmadus et ses habitants.
Brewster soupira et coupa son mémoquartz.
— Vous ne voulez pas que j'écrive cette biographie, n'est-ce pas ?
— Pas vraiment, dit Spell. Cela m'est imposé par le Conseil mais je n'en vois pas l'utilité. Je ne suis qu'un vieux soldat fatigué et presque inutile.
L'amertume se lisait sur son visage. En effet, songea Brewster, il paraît vieux, plus vieux que le plus vieil homme qu'il eut jamais vu. Mais ce n'était pas dans son apparence physique; Spell semblait invariablement avoir trente-cinq ou quarante ans. Mais ses yeux avouaient l'âge canonique, la lassitude, la frustration d'un vieillard dont la place, le cœur même sont à une autre époque.
Et si je racontais tout, songea Spell ? Qui croirait les choses fabuleuses qu'il avait vues ? Qui entendrait les récits qu'il était capable de conter ? Qui s'intéresserait aux vies entières qu'il avait croisées lorsqu'il avait fusionné avec la Mémoire ? Qui pourrait vraiment réaliser la puissance qu'il détenait encore ?
— Comment j'en suis arrivé là ? dit-il enfin. Je ne suis que le descendant d'une lignée de Néo-Jedi. Lorsque je n'avais que quelques dizaines d'années, il s'est produit des évènements qui ont changé ma vie et le sens que je lui donnais. J'ai rencontré les Anzat, j'ai appris leurs techniques mentaliques. Puis il y eut la guerre contre Wolda, le monde colonisé par les chiss après la destruction de leur système natal. J'ai connu Koorâm, le chiss, et nous sommes devenus amis, malgré un conflit qui opposait depuis longtemps nos deux peuples. Cette amitié a été une sorte de trait d'union entre nos deux races. Lors de la dernière guerre, je me suis engagé dans la rébellion, un groupe de soldats tant Jedi que chiss qui ne voulaient pas de cette guerre et ont tout fait pour l'arrêter. Nous avons réussi, finalement, et nos deux peuples, pourtant ennemis héréditaires depuis toujours, firent la paix et devinrent même amis.
Il se tut. Il lui était totalement impossible de donner certains détails, en particulier le rôle du dernier Seigneur Noir dans cette dernière guerre. Il ne pouvait pas non plus parler du Cercle Rouge, l'organisation criminelle sous le couvert de laquelle agissait Kra-olîn, le Sith, le Seigneur Noir qui se faisait passer pour un Jedi. Depuis des siècles, les chevaliers Jedi et les "prêtres" de Gilead avaient fait disparaître des mémoires le souvenir des Seigneurs Noirs, du Côté Obscur de la Force, du Cercle Rouge, de leur existence et de leurs buts, grâce aux machines mentaliques dissimulées un peu partout. Leurs noms même n'éveillaient plus rien dans l'esprit des gens, sauf peut-être un écho, une sensation rémanente de déjà entendu. Ce n'était pas le moment, maintenant que le Plan arrivait à la fin de sa première phase, que quelqu'un réveille ces vieux souvenirs.
Brewster se racla ostensiblement la gorge. Spell était perdu dans ses pensées depuis plusieurs minutes déjà et semblait s'enfoncer dans une curieuse torpeur.
— Ensuite ? dit prudemment le journaliste.
— Après la guerre, reprit Spell, j'ai fait partie du premier groupe de Jedi à étudier sérieusement la philosophie mentaliste enseigné par les Anzat, des êtres eux aussi sensibles à la Force. Vous savez, je suppose, ce qu'est la Force ?
— J'en sais ce qu'on enseigne dans les livres : ce serait un fluide produit par tout ce qui vit, qui englobe toute la galaxie, qui nous entoure et nous pénètre tous. Les Anzat et les Jedi sont capables de sentir ce fluide, et de l'utiliser pour influencer les esprits, pour avoir une très grande longévité, pour guérir de leurs blessures et discipliner leurs émotions.
Spell hocha la tête. Il savait parfaitement que le trigon n'en croyait pas un mot. On enseignait dans les universités que la Force n'était que légende, que les Jedi avaient simplement des pouvoirs psychiques naturels, voire qu'ils n'en avaient pas du tout, et usaient habilement des machines mentaliques de la Vieille Science pour faire croire à leurs pouvoirs.
— Les Jedi, poursuivit Spell, avaient des prédispositions du fait de leur lien avec la Force. Lors de la guerre contre Wolda, quand les Jedi ont fait la connaissance des Anzat, ils ont découvert de nouveaux aspects de leurs pouvoirs. De nombreux Jedi ont assimilé les techniques psychiques Anzat très rapidement. C'est aussi à cette période que Gilead est réapparu.
— Qui était-il ?
— Gilead ?
Spell se tut une fois de plus. Comment répondre ? Gilead était moins qu'un dieu, mais bien plus qu'un être humain, une entité que personne ne pouvait concevoir, une intelligence d'une puissance incommensurable.
— Autrefois, Gilead était un humain, comme vous, mortel. Il a découvert une technologie abandonnée depuis bien longtemps, une machinerie gigantesque, dans un ordinateur si grand, si évolué qu'il tenait dans une cité tout entière. Grâce à cette machine, il avait accès à un savoir immense. Et pour échapper à la mort, il a fusionné dans ce système, la Mémoire. Tout ce qui était lui, sa mémoire, son esprit, a été codé dans la machine. Ce faisant, il acquit une intelligence des milliards de fois supérieure à celle d'un être humain et chaque jour ses perceptions s'étendaient de plus en plus, comme des tentacules à travers toute la galaxie. C'était quelque chose de nouveau, quelque chose que nous ne comprenons pas encore, l'intégration de la machine et du biologique, fonctionnant suivant des principes qu'aucun savant n'est à même d'approcher. Dans cette Mémoire, crée par une civilisation éteinte, étaient stockés des milliers d'années de connaissances galactiques, des milliards de milliards de vies, de récits, de livres, de manuels techniques, d'œuvres d'art, de morceaux de musique. Gilead avait désormais accès à tout cela. Tout ce que les êtres intelligents ont pu produire durant des milliers d'années est disponible dans la Mémoire.
— Mais, dit Brewster, Gilead est mort.
— Oui. Même un esprit fusionné à la machine n'est pas éternel. Le temps a eut raison de lui. Après plusieurs millénaires, Gilead sentit qu'il allait disparaître, il comprit qu'il commençait à se dissoudre dans les systèmes électroniques qui le composaient, sa fin était venue. Jusqu'à l'époque de la guerre contre Wolda, nous, Jedi, pensions que Gilead avait disparu depuis longtemps, que le Plan se déroulait sans sa direction, alors qu'il était encore tapi quelque part dans les systèmes, en sommeil. Là, quand Wolda fit la guerre aux Jedi, son grand projet se trouva menacé, il lui fallait agir alors qu'il restait encore un peu de ce qu'il était autrefois. Pour intervenir dans les affaires galactiques, il devait emprunter un corps humain, ce fut le mien. Je me suis trouvé là au bon moment, sans doute, j'ai échangé ma place avec lui, je me suis trouvé fondu dans la Mémoire alors qu'il réglait le conflit entre Jedi et chiss. Quand j'ai réintégré mon corps, je n'étais plus le même. Gilead avait disparu, il n'a pas pu réintégrer les systèmes informatiques, il est réellement mort.
Brewster vida d'un trait son verre de liqueur. Il palpa son mémoquartz comme pour s'assurer qu'il enregistrait chaque mot, puis reprit:
— Pourquoi les Jedi ont-ils été choisis, au départ ?
— Ils n'ont pas été choisis. Lorsque Gilead s'est penché sur la galaxie, voilà cinq mille ans, il comprit que la civilisation était pour ainsi dire anéantie. Une guerre universelle avait fait disparaître de nombreuses cultures et races implantées sur des millions de mondes; les êtres intelligents s'étaient anéantis. C'était l'Ère des Ténèbres. Seuls survivaient quelques-uns d'entre eux, sur quelques mondes, revenus à l'état primitif. Parmi ces mondes survivants était Telmadus, mais ses habitants avaient, comme tous ceux des autres mondes, oublié la gloire d'autrefois. Presque rien ne subsistait du monde très avancé qui avait connu la gloire de la galaxie. Peu à peu, pourtant, chaque système, chaque race avait reprit sa course à la civilisation, se croyant, pour certains, unique dans l'univers jusqu'à ce qu'elles soient capables de se lancer vers les étoiles. Certains restèrent primitifs des millénaires, comme Wolda, et d'autres, comme Telmadus, redécouvrirent rapidement le moyen de voyager en hyperespace, le chemin des étoiles et des conquêtes.
— C'était cela, la "Grande Conquête" ? dit Brewster.
— C'est ainsi qu'on appelle cette période durant laquelle les Jedi se lancèrent dans l'exploration de la galaxie, oui. Grâce à Gilead, nous avons compris ce qui s'était passé autrefois durant l’Ère des Ténèbres. Nous avons réalisé qu'il existait encore des millions de systèmes habités dans la galaxie, et nous avons visité des centaines de mondes. Parmi eux, beaucoup de systèmes habités par d'autres humains et non-humains. Ce fut souvent la guerre, mais Telmadus était une puissance cosmique sans précédent.
Brewster se tortilla sur son siège. Quelque chose ne collait pas dans le récit que Spell lui faisait. L'histoire mythologique évoquait cette période épique durant laquelle les différents mondes de la galaxie se lancèrent vers les étoiles. Chaque planète avait ainsi ses mythes, ses héros, ses récits épiques remontant à des milliers d'années. Mais on chuchotait depuis longtemps dans les couloirs de l'Université que les choses ne pouvaient en être ainsi; beaucoup pensaient qu'une puissance terrible avait plongé autrefois la galaxie dans le chaos, dans l'Ère des Ténèbres, neuf mille ans auparavant, mais que l'histoire n'en avait pas gardé de trace, si ce n'était ce qu'on appelait la Vieille Science, une technologie très avancée aujourd'hui entre les mains des Jedi.
— J'ai du mal à vous croire, je dois l'avouer, monsieur Spell. Des vestiges des anciennes civilisations doivent bien exister, non ? Quelqu'un a bien dû établir des corrélations historiques, archéologiques, culturelles pour rapprocher tous ces mondes les uns des autres ?
— On l'a fait, dit Spell en remplissant de nouveau son verre d'alcool. On continue d'ailleurs de le faire, aujourd'hui encore. Des expéditions Jedi recherchent partout dans la galaxie les témoignages de cette époque, des artefacts, des archives, que sais-je ! Mais neuf mille ans ont passé, mon ami, et même si l'intelligence a réussi à survivre à travers cette éternité de ténèbres, il n'en va pas de même de ses réalisations.
— Et pour ce qui est des Jedi ?
Spell se leva et se mit à faire les cent pas dans la salle de repos. Cet humain commençait à l'agacer sérieusement avec ses questions. Et le voyage vers Oruséa Prime était encore long.
— Les Jedi ? C'est une longue histoire…

— — — — — —


Une longue histoire que Arkon Spell n'était pas prêt à raconter, surtout pas… Un jour, peut-être quelqu'un rédigerait un récit de ce qui s'était vraiment passé, après la disparition de Palpatine. Quelqu'un raconterait sans doute comment un certain Darth Tydd, l'un des derniers des Sith, trouva le moyen de détruire les midichloriens, à travers la Force, sans bien sûr que lui-même et ses acolytes en soient affectés. Tous les autres êtres sensibles à la Force se trouvèrent soudain dépouillés de leurs pouvoirs, réduit au rang de simples mortels. Dès lors, le Côté Obscur avait triomphé, les seules créatures capables d'user de la Force étaient celles qui faisaient usage de son côté malfaisant, pour le malheur de toute une galaxie. Le Mal se répandit comme une traînée de poudre, et en à peine plus d'un siècle, les Seigneurs Noirs dominaient tout, utilisant leur technologie pour détruire des systèmes entiers qui avaient le malheur de leur résister, la même technologie qui avait détruit autrefois le système Hosnien, les bases Starkiller.
Les Seigneurs noirs créèrent leur propre race de guerriers, eux aussi sensibles à la Force, et entièrement fidèles à leurs maîtres. Et des armées entières de guerriers sanguinaires dotés de pouvoirs mentaux, déferla sur les mondes habités pour les assujettir au pouvoir des Seigneurs Noirs. Et c'est ainsi que s'effondra la civilisation galactique.
Cinq mille ans de ténèbres, pendant lesquels disparurent des mondes, qui avaient tenté de résister : Mandalore, Ord Mantell, Mon Calamari… Tant d'autres… Et Coruscant, réduite à un champ de ruines sans que personne ne comprenne même d'où venaient les coups. Vers la fin de ces cinq millénaires, les Seigneurs Noirs eux-mêmes, assis sur une galaxie entièrement en leur pouvoir mais dévastée, finirent par s'étioler et disparaître. Seuls subsista leur technologie, dont l'incroyable système informatique stockant toutes leurs connaissances, les armes mentales agissant sur le cerveau des créatures intelligentes, et les bases Starkiller, disséminées un peu partout à la périphérie de la Galaxie. Tout sombra dans l'oubli, même les armées au service du Côté Obscur disparurent.
Et un jour, un telmadien nommé Gilead, un savant, un explorateur, un chercheur, au tout début de ce qu'on appela la "Grande Conquête", découvrit tout cela. Il eut accès à la Mémoire, découvrit comment les guerriers des Seigneurs Noirs avaient obtenu leurs pouvoirs : par une habile manipulation, l'ADN des midichloriens, préservé soigneusement avant qu'ils ne soient anéantis, avait été inséré dans celui de simples humains. Ainsi modifiés, dotés de facultés psychiques un peu semblables à celles des anciens Jedi, dotés également d'une résistance et d'une longévité accrue, ces humains devinrent les troupes de la mort, totalement contrôlés par les Seigneurs Noirs. Oh, certes, ils n'avaient pas les facultés remarquables des antiques Jedi, ils n'étaient pas capables de télékinésie ou de voir l'avenir, mais à travers la Force à laquelle ils étaient reliés, ils agissaient comme des tentacules, des pseudopodes des Seigneurs Noirs.
Après de longues années de recherches, Gilead était parvenu à découvrir les secrets des Seigneurs Noirs : le moyen de régénérer les cellules, autrement dit, d'allonger considérablement la longévité. Mais lui-même était sur le point de mourir, en termes humains. Il décida donc de choisir une race et de lui appliquer ce qu'il avait découvert par des manipulations génétiques savantes. Il créa les Néo-Jedi, en incluant dans le patrimoine génétique des telmadiens l'ADN des midichloriens. Pourquoi les telmadiens et pas les trigons, par exemple ? C'était son peuple, ses frères, et c'était un peuple de guerriers robustes. Les Néo-Jedi se retrouvèrent donc avec une longévité extraordinaire, dotés de pouvoirs semblables à ceux des guerriers noirs, des pouvoirs mentaux, mais sans le contrôle qu'exerçaient sur eux les défunts Seigneurs Noirs. Ils apprirent grâce à la Mémoire l'histoire des antiques Jedi, comment fabriquer les armes rituelles, les sabres lasers, et surtout comment les manier.
Finalement, Gilead choisit une lignée qu'il estima être la plus apte à remplir les fonctions auxquelles il la destinait, les Spell, à cause de leurs capacités psychique remarquables, et il en fit l'élite dirigeante. Gavyan Spell fut le premier des Maîtres Néo-Jedi, et il fonda le nouveau Conseil. Puis Gilead leur confia le Plan, son grand projet qui devait mener la galaxie vers l'âge d'or, avant de disparaître.
— Longue histoire ? Racontez-là-moi, alors, insista clairement Brewster.
— Il vaut parfois mieux que certaines choses restent ignorées, dit fermement Spell.
— Ou reste des légendes ?
— C'est plus ou moins cela, oui.
Les légendes, l'Histoire Mythologique. Seuls des gamins pouvaient croire à tout cela, trop de pièces manquaient dans le puzzle, trop d'incohérences évidentes truffaient le récit décousu qu'elle fournissait. Inutile, songea Spell, de révéler la moindre information sur les Seigneurs Noirs, sur le Côté Obscur, ils avaient fait trop de mal, causé trop de destructions pour qu'on se souvienne même de leur existence. Il aurait été nécessaire d'expliquer ce qu'ils étaient, ce qu'ils avaient fait, et pourquoi ils avaient cessé d'exister. Spell reprit :
— Mais si vous insistez…
Alors Spell lui raconta une version tronquée, maquillée de toute la geste des Néo-Jedi, ni plus ni moins qu'une version réaliste, technique et sans grand intérêt de ce que racontaient les livres de l'Histoire Mythologique.
— Vous connaissez la suite, jeune homme, ajouta Spell.
Brewster se resservit un verre d'alcool. Il ne croyait pas un mot du récit du Jedi. Il ne fallait pas être très intelligent pour mettre le doigt sur les trous et les failles de la saga des Jedi version Spell. Mais plutôt que de ronchonner parce qu'on le prenait pour un niais, il décida d'engranger le plus d'informations possible et de faire le tri ensuite.
— Dites-moi, monsieur Spell: vous avez été marié, vous avez eu un enfant, n'est-ce pas ? Beaucoup pensent que les Jedi sont pour ainsi dire stériles.
Spell se tourna vers le jeune Trigon et lui lança un regard en lame de couteau. C'était un sujet glissant qu'il aurait préféré éviter.
— Vous touchez là à l'un des domaines les plus secrets des Jedi, monsieur Brewster.
— Tout le monde sait que les Jedi ont en horreur les choses qui concernent le sexe et la procréation. Qu'ils pratiquent un contrôle total des naissances. Pourtant vous avez un fils ?
— Oui, avoua Spell. C'est assez compliqué à expliquer : les caractères génétique qui font des telmadiens des Jedi ne sont pas stables, ils ne sont pas naturels, la reproduction ne peut être que strictement contrôlée, étudiée génétiquement avant toute procréation, pour que les Jedi puissent se reproduire en tant que tels. Et cela ne fonctionne qu'avec d'autres telmadiens qui possèdent eux aussi les caractéristiques génétiques nécessaires. Si un ou une Jedi s'accouple avec un ou une non-Jedi, cela ne fonctionne pas, cela n'engendre jamais de nouveaux telmadiens dotés des pouvoirs Jedi. Et comme nous vivons bien plus longtemps que les autres créatures intelligentes, que nous sommes bien plus robustes, que nos cellules se régénèrent, en fait, nous ne nous reproduisons que lorsque c'est nécessaire, et seulement après validation de la procréation par les ordinateurs génétiques.
— Les Jedi ne se marient donc pas ?
— Si, bien sûr, dit encore Spell. Entre eux, et parfois avec d'autres, même des non-humains. L'amour est un sentiment qui ne nous est pas aussi étranger que vous pouvez le penser. Cependant, dans un couple Jedi, l'activité sexuelle est pratiquement nulle, ou quand elle a lieu, ce n'est que pour satisfaire une pulsion physique, comme lorsque vous avez envie de vous gratter, voyez-vous. Cela vous fait du bien, mais vous ne vous grattez pas par plaisir.
— Belle analogie, avoua Brewster avec un sourire. Cependant, il existe des déviants, n'est-ce pas ? Des telmadiens tenant d'une certaine philosophie hédoniste qui pensent que l'éternité qui leur est offerte est faite pour en jouir le plus possible. Eux ont réussi à transcender cette répugnance et à redécouvrir le plaisir pour le plaisir, en particulier dans le domaine sexuel.
Spell fit un peu la moue. Comme Brewster venait de l'affirmer, tous les telmadiens n'étaient pas à proprement parler des Jedi, certains, heureusement une minorité, avaient rejeté cet héritage et s'étaient tourné vers d'autres philosophie de vie.
— C'est vrai, il existe des déviants, comme vous dites. Mais ils sont peu nombreux, et ils ne mettent pas en péril le Plan. Nous y veillons soigneusement. Cela répond-t-il à votre question ?
— Oui et non, dit Brewster en fronçant les sourcils. Parlez-moi de votre fils.
Spell baissa la tête en direction de son verre vide. La chaleur de l'alcool commençait à monter en lui et lui déliait la langue. Il se resservit un autre verre: tant qu'à tout raconter, autant que cela soit dans une bonne ambiance.
— Mon fils, reprit froidement Spell, est en quelque sorte le fils de Gilead.

— — — — — — —


— Le fils de Gilead ?
— En quelque sorte, oui, dit Spell. C'est à dire que je le dois entièrement à Gilead. C'est lui qui m'a permis de procréer sans passer par tous les contrôles génétiques, et m'a permis d'avoir ce fils, l'un des premiers Néo-Jedi de nouvelle génération, avec de nouveaux pouvoirs.
Brewster se leva à son tour et s'approcha du Jedi.
— Pourquoi ? Les Jedi en tant que tels n'étaient pas suffisant ?
— Gilead a prévu le jour où même les Néo-Jedi, avec leur très longue espérance de vie, finiraient par s'étioler, eux aussi. D'autres seraient là pour prendre la relève. Il a induit une modification dans mon ADN pour que j'engendre le premier de cette nouvelle génération.
— Que deviennent les Jedi lorsque leur heure est venue ?
Spell, légèrement contrarié, fronça les sourcils et fit un geste vague. Il n'en savait encore rien lui-même mais était persuadé que Gilead y avait songé. Il avait songé à tout.
— On croit qu'ils se fondent dans la Force, dit Spell en faisant une grimace. Ils deviennent partie intégrante de celle-ci et leur corps physique devient inutile, je pense.
— Mais c'est… Terrible !
— Pas du tout, dit Spell. En se fondant dans la Force, ils ont accès à une connaissance qui nous dépasse tous, à un univers dont nous ne savons encore que très peu de choses, infiniment moins que ce que nous savons sur l'univers physique. Ils atteignent un stade métaphysique que l'esprit ne peut concevoir, d'autres dimensions…
Du moins Spell le pensait-il. Mais secrètement, il espérait que cela signifiait l'oubli final, la dissolution, l'évanouissement définitif dans le grand tout qu'était la Force. Mais un humain normal ne pouvait pas comprendre. On ne pouvait pas le lui demander.
Brewster manipula doucement son mémoquartz. Comment pouvait-il espérer tirer quelque chose de solide de tout cela ? Personne ne voudrait croire un seul mot de ce qu'il écrirait. La plus grande partie des habitants de la galaxie considéraient la Mémoire comme une simple machine, une grande banque de données, et la Force comme rien d'autre une fable.
— Comment a-t-on accès à la Mémoire ? hasarda Brewster.
— La Mémoire en tant que telle est inaccessible. On suppose qu'elle se trouve dans l'hyperespace ou ailleurs, dans une autre galaxie peut-être. Nous ne savons pas, Gilead n'en a rien dit. Elle communique avec nous par l'intermédiaire d'un complexe informatique se trouvant sur Coruscant, mais elle peut très bien s'en passer et tout observer par ses propres moyens. Les ordinateurs nous permettent simplement d'accéder aux informations. Cela vous satisfait-il ?
— Non, mais je suppose que vous ne voulez pas m'en dire plus. J'étais persuadé que vous aviez l'autorité suffisante pour...
— Ce n'est pas une question d'autorité, monsieur Brewster. C'est le Conseil Jedi qui dirige Telmadus et l'Imperium qui dirige l'empire. Mon seul rôle est d'administrer le Plan auquel je suis soumis.
Enfin, Spell abordait un sujet un peu plus intéressant.
— Qu'est-ce que le Plan ?
Spell, une fois de plus, s'autorisa un sourire. Voilà un thème qui le rendait un peu plus optimiste et qu'il connaissait bien. Il s'était bien préparé, d'ailleurs, à répondre à cette question précise. Dans la galaxie, tout le monde savait qu'il y avait un Plan et que les Chevaliers Jedi le faisaient respecter. Mais personne n'en savait plus. Pas besoin.
— Le Plan, dit Spell, est un programme laissé par Gilead voilà cinq mille ans. Seule la Mémoire le connaît dans son intégralité: le rôle des Jedi est de le faire fonctionner. Lorsqu'une des phases du Plan est accomplie, la Mémoire nous expose la phase suivante et nous indique quelles modifications nous devons apporter dans l'ordre galactique pour que les choses soient en conformité avec ce que Gilead avait prévu.
Confusément, Brewster sentit qu'il tenait quelque chose d'intéressant. Si ce qu'il comprenait était juste, alors toute la galaxie était manipulée par les Jedi, et derrière eux par Gilead, qui qu'il fut. Il fallait qu'il en sache encore un peu, et Spell semblait nettement plus bavard depuis son troisième verre.
— Comment la Mémoire est-elle au courant des modifications à apporter ?
— Elle enregistre tous les éléments sociologiques, techniques, religieux, commerciaux, tout au long de l'année. Elle reçoit toutes les informations possibles sur tous les sujets, et par tous les moyens existants. Ensuite, elle compare statistiquement la trame des événements avec le Plan et en guide la progression. Finalement, c'est aux Jedi d'agir, d'effectuer les modifications, les corrections qui s'imposent pour établir la continuité du Plan.
— Et s'ils ne le font pas ?
— La Mémoire n'agit pas elle-même, dit Spell. Peu lui importe que les modifications soient effectuées ou pas. Si nous laissons aller les choses, la situation se dégradera très vite et le Plan n'aura plus de sens.
— Et une fois atteint le point de non-retour ?
Spell soupira une fois de plus en faisant la moue. Gilead avait sans doute prévu cela aussi, mais il n'en avait rien dit. Tout ce que savaient les Jedi est que le Plan devait être suivi et il le serait, coûte que coûte.
Spell se laissa retomber sur son fauteuil. L'euphorie due à l'alcool se calmait très vite et il retrouva son air las et froid, comme si brusquement un masque était retombé sur lui après s'être relevé juste assez pour que le journaliste puisse entrevoir la Vérité. Raté, songea Brewster. Il n'était pourtant pas loin.
Spell reprit d'une voix éteinte:
— Voilà pourquoi le Plan doit être suivi scrupuleusement. Il vise à sauver tous les êtres intelligents, toutes les cultures, à créer une situation galactique où tous vivront enfin en paix…
— Quel délire, dit Brewster. On ne peut pas imposer ainsi la paix et le bonheur aux hommes. C'est… Inhumain.
— Il ne s'agit pas d'imposer, dit Spell d'un ton autoritaire. Il s'agit de faire raisonner les individus, de les éduquer selon des principes qui ont fait leurs preuves et qui ne peuvent que les rendre plus heureux. Comme il est nécessaire d'obliger un peu les enfants, de les discipliner, les êtres intelligents ont besoin d'une discipline. Brewster, les hommes ne sont que des enfants, comparés à Gilead, ils ont besoin d'une direction, et d'un guide pour les encadrer.
— Et vous, les Jedi, êtes ce guide ?
— Certes. On peut le voir ainsi. Regardez ce que nous avons déjà réalisé: plus de guerre depuis un millénaire. L'idée même d'un conflit armé est devenue désagréable pour tout le monde. La galaxie est au deux tiers unie sous un même gouvernement qui gouverne avec justice et équité, et les inégalités sociales ont été gommées. Les citoyens de l'Empire sont égaux et jouissent des mêmes droits.
— Et quelle est la phase suivante ?
— La phase suivante, reprit Spell avec emphase, est plus extraordinaire encore. Grâce à elle, le crime disparaîtra, les racines de la violence et de l'immoralité seront expurgées du cœur des gens, ainsi que tout ce qui empêche les individus de vivre heureux.
Brewster nota soigneusement la réponse de Spell. Il ne pouvait s'empêcher de se sentir dégoûté devant ce projet qui tenait du lavage de cerveau, de l'utopie dictatoriale la plus échevelée. Spell, toutefois, était dans le vrai lorsqu'il parlait de la paix. Mais quelle paix ? Au plus une absence générale de guerre, au sein d'un Empire à peu près unifié. Oui, les conflits avaient disparus, certaines inégalités sociales avaient été gommées, les différentes races humaines et non-humaines avaient un statut égal, la sécurité régnait au niveau planétaire, mais le dernier quart de siècle avait connu un regain de violence localisée, de criminalité, de nouvelles orientations morales, sans précédent dans l'histoire galactique moderne. Les Trigons étaient les plus touchés, et le milieu universitaire offrait à chacun toute une palette de plaisirs et de perversions sans tabous. Brewster lui-même était l'un des fervents défenseurs de la philosophie des trigons, et il se sentit piqué au vif par la remarque de Spell.
— Je sais, dit-il, que les mœurs ne sont plus ce qu'elles étaient autrefois. Mais nous avons évolué. L'homme doit être libre et ce que vous appelez immoralité ou perversion n'est qu'une simple extension de cette liberté et de la sphère de contact de l'être intelligent. Toute cette morale est désuète et prive les gens de nombreuses capacités relationnelles. Prenez l'omnisexualité, par exemple…
Il s'arrêta subitement car Spell le regardait intensément. Le jeune trigon, tout à la défense de son point de vue, avait oublié devant qui il se trouvait: un Jedi à la morale rigide, l'un des plus puissants, doublé d'un grand-prêtre du Culte. Singulièrement, ce n'était pas de la colère qui habitait l'esprit du Jedi, mais une étrange curiosité. Jusqu'où irait ce jeune trigon ? Les règles morales imposées par le Culte de Gilead n'avaient que peu d'impact sur Trigon et ses universités. Mais le moment n'était pas encore venu de s'attaquer plus sérieusement à ce problème. Cela concernait seulement la phase deux du Plan, aussi Spell décida de laisser couler. Bientôt, Brewster et ses pareils disparaîtraient, de toute façon.
— Votre remarque portait sur la philosophie érotique de Smalt Cardel le trigon, n'est-ce pas ?
— Oui, avoua Brewster. Je pense que cette approche des relations entre toutes les créatures, y compris les êtres mécaniques, peut nous…
— Je ne le pense pas, monsieur Brewster, trancha Spell, mais sans aucune animosité. La Mémoire nous a apprit que l'effondrement de toutes les grandes civilisations a débuté par une perte des valeurs morales et familiales. Le Plan se doit de rectifier en temps voulu ces traits négatifs, de gommer ces tendances et de les remplacer.
— Du lavage de cerveau ! dit soudain Brewster, furieux, en se dressant sur ses pieds. Voilà donc ce qu'est le Plan : laver les cerveaux pour qu'ils correspondent à votre conception névrosée de l'existence et de la civilisation. Pourquoi ne pas laisser tous les êtres intelligents se diriger eux-mêmes et décider ce qui est bien et mal ?
Spell ne put réprimer un sourire. La fureur brutale du jeune trigon l'amusait, à sa grande surprise. Mais dans le fond, s'avoua Spell à lui-même, Le trigon avait raison sur au moins un point : d'une certaine façon, on lavait les cerveaux. En douceur, sous couvert du Culte, mais on les lavait, lentement. C'était mal, d'un certain point de vue, cela ne correspondait vraiment pas à la philosophie de base du mentalisme développée par les Anzat, mais les Jedi étouffaient leur conscience en se disant que c'était pour le bien de la galaxie. La première phase de lavage avait prit presque quatre millénaires, le cycle complet prendrait peut-être une éternité, mais ensuite seulement, les être intelligents seraient en mesure de comprendre le sens du Plan et pourraient décider par eux-mêmes comment les choses devaient se poursuivre.
Voyant qu'il s'échauffait dans le vide face à un Spell calme comme un tombeau, Brewster se ressaisit et, se redressant sur son siège, il ouvrit le col de sa tunique.
— Je… Je crois que je me suis laisser emporter, monsieur Spell. Pardonnez-moi.
— J'oublie cet incident, dit Spell. Reprenons, voulez-vous ?
— Nous évoquions la phase deux du Plan, dit Brewster en s'épongeant le front, ressemblant enfin à un vrai trigon.
— En effet, reprit Spell. Alors que la phase un permettait de rétablir un équilibre dans les puissances galactiques, de rendre en principe impossible toute menace de guerre, la phase deux doit permettre d'expurger de leurs esprits tout ce qui nuit aux espèces intelligentes en général, toutes leurs tendances négatives. Ça vous scandalise certainement, Brewster, j'en suis conscient. Mais cela relève de l'œuvre de salubrité publique, de l'éducation des masses. C'est pour…
— Le bien de tous, coupa Brewster avec une certaine brutalité. Je sais. Mais quelles mesures prendrez-vous contre ceux qui refusent de se plier à vos règles, à votre discipline ? Vous imaginez bien que la plupart des gens n'ont aucune envie de suivre ces principes, qu'ils ne veulent pas d'un hypothétique bonheur qui les prive de leur liberté.
Spell, qui détestait qu'on lui coupe la parole, sentit la colère poindre dans son esprit. Il réajusta mentalement ses sentiments et arbora son visage de marbre.
— Je ne peux répondre à cette question, monsieur Brewster. Tout ce que je peux vous dire, c'est que cela prendra le temps nécessaire. Nous éduquerons les gens selon les principes de Gilead, les meilleurs qui soient.
— Par la force ?
Spell hésita un instant avant de répondre à cette question. Confusément, il sentait un piège derrière les derniers mots du trigon.
— Là encore, je ne peux pas vous répondre, fini-t-il par dire. Voyez-vous, nous autres Jedi ne sommes pas limités par le temps, et les échecs ne nous font pas peur. D'ailleurs, le Plan ne peut pas échouer, c'est impossible. J'ai une foi totale dans la capacité qu'avait Gilead à tout prévoir, et une foi tout aussi grande en la Mémoire pour tout observer. Vous ne pouvez pas saisir ce que cela représente, monsieur Brewster. J'ai prêté mon corps à Gilead, en une certaine occasion, j'ai accédé à la totalité de la Mémoire, plus de connaissances, de sagesse, de puissance que personne, pas même un Jedi, ne pourra jamais en accumuler.
— J'ai peur de ne pas partager votre foi, monsieur Spell. Il m'est impossible, personnellement, d'accepter une telle vision des choses.
— Je ne vous le reproche pas, Brewster. Vous avez été élevé selon d'autres principes, que vous croyez bons et avantageux pour les êtres intelligents. L'érotosophie, le rejet de toute norme, de la notion même de moralité, tout cela découle de millénaires d'enseignement de l'erreur. La philosophie hédoniste, le culte du sexe, ce n'est que de la poursuite des vents cosmiques. Raisonnez à long terme, Brewster, et vous comprendrez que tous les êtres intelligents de la galaxie ont besoin d'être guidés selon des principes différents.
— Je vois, dit le journaliste.
Discrètement, il coupa l'enregistrement. Tout cela ne l'intéressait plus; il venait de connaître la première grande désillusion de son existence.
Pourtant, quelque part au fond de lui-même, confusément, naissait la sensation que le Jedi pouvait avoir raison. Les êtres intelligents, l'Histoire était là pour en témoigner, n'avaient pour ainsi dire jamais agi dans leur propre intérêt. Peut-être était-il temps que quelqu'un le fasse pour eux.

— — — — — — — —


— Je crois que nous sommes arrivés, dit Spell en consultant sa montre.
Brewster se leva et rangea son enregistreur. Il discutait avec Arkon Spell depuis déjà trois jours et avait de quoi remplir deux ou trois volumes avec les aventures qu'avait connues le Jedi. Tout n'était pas publiable, loin s'en faut, mais il pourrait certainement tirer quelque chose d'exceptionnel de toute cette matière. D'une certaine façon, il était satisfait, plus encore qu'il ne l'espérait, mais d'autre part, trop de points restaient obscurs en ce qui concernait les motivations des Jedi. Il allait maintenant assister aux festivités du Millénaire, à l'intronisation du trente-sixième Empereur, et là, il aurait l'occasion de vérifier sa théorie selon laquelle les Jedi étaient en fait les véritables maîtres de cette galaxie, sans pour autant avoir un seul des leurs au gouvernement.
Les manœuvres d'approche d'Oruséa Prime se déroulèrent sans heurts et bientôt le petit vaisseau se posa sur l'astroport sud de la cité du Sénat. La porte du sas s'ouvrit dans un sifflement, et, en même temps que l'atmosphère, l'odeur spécifique de la planète s'engouffra dans le vaisseau. Et pour la première fois de son existence, Hari Brewster posa le pied sur la planète-mère de l'Empire Galactique, à quelques centaines d'années lumières à peine du trou noir marquant le centre de la spirale.
— Voilà, dit Spell, nous y sommes. Il y aura bientôt ici près de cinq cents millions de visiteurs pendant les festivités, alors si vous voulez assister à tout, ne me perdez pas, Brewster.
— Je ne vous lâche pas d'une semelle, monsieur Spell.
Ils descendirent la rampe d'accès, et alors qu'il marchait derrière le Jedi, Brewster resta un instant figé au milieu de son parcours. Le spectacle qui s'offrait à lui était sans doute le plus somptueux qu'il lui avait jamais été donné de voir. Il faisait encore nuit, sur la cité du Sénat et dans le ciel, au-dessus de l'astroport, brillait l'éclat ardent des amas centraux de la galaxie, des millions d'étoiles si brillantes qu'elles seules suffisaient à éclairer la surface bitumée de l'astroport. En quelques jours, il avait traversé la moitié de la galaxie.
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Messagepar Uttini » Jeu 21 Avr 2022 - 18:43   Sujet: Re: Le Retour Du Mal (titre provisoire...) - Chapitre 4

Loucass824 a écrit:tu nous donnes une grande quantité d'informations, tout en laissant de belles zones d'ombres, qui à mon sens seront éclaircies plus tard dans le récit, et risquent de bouleverser le paradigme tel que tu viens de l'établir. Si j'ai vu juste, c'est vraiment brillamment exécuté !

C'est ça. Il ne faut rien prendre pour acquis dans cette histoire, les "méchants" ne sont pas du tout ceux qu'on croit. Et tout va basculer dans les prochains chapitres. D'ailleurs c'est assez marrant, maintenant que j'ai terminé la relecture de l'ensemble du texte (300 pages A4 en caractères tahoma 12) je me dis que c'est assez désespéré... Je me suis même surpris à verser une larmiche, dis-donc, alors que je connais l'histoire.
Ton analyse est vraiment intéressante. Tu mets même le doigt sur des trucs que je n'avais pas réalisé moi-même. Ça m'ouvre des horizons.
Merci !
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Messagepar mat-vador » Jeu 21 Avr 2022 - 21:34   Sujet: Re: Le Retour Du Mal (titre provisoire...) - Chapitre 4

Lu !

C'est fascinant, on ressent la patte de Fondation avec le fameux Plan et les origines à travers ces millénaires. L'allusion au plan de Hari Seldon m'a sauté aux yeux ( cette façon de prévoir l'avenir, de corriger les imperfections ) et les manipulations mentales pour contrôler les esprits me font penser au Mulet qui avait temporairement provoqué la Chute de Fondation :sournois: .

L'histoire des Spell et de leur longévité m'a fait penser à une autre saga, celle de Dune de Frank Herbert. et notamment l’Épice qui allonge la longévité de ceux qui en consomment et accentuent leur prescience... Gilead m'a fait pensé au personnage de Leto II Atréides, l'Empereur Dieu de Dune pour sa très longue longévité :wink: !

Bref, à chaud, voilà à quoi ton histoire m'a fait penser et c'est ce que j'adore avec ta fic :jap: !
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Messagepar Uttini » Jeu 21 Avr 2022 - 21:59   Sujet: Re: Le Retour Du Mal (titre provisoire...) - Chapitre 4

Oui, en effet, il y a aussi un peu de Dune, c'est une influence importante.
En ce moment ,je reprends (pour ne pas dire je réecris) la deuxième époque. C'est un peu spoilant, parce plein de trucs sont expliqués dans la 3ème, donc pas de surprise majeure, mais ça me fait plaisir de reprendre un texte dont j'ai rédigé un premier jet vers 1985.
Et pour le tout premier jet de la première époque, je devais être en 5ème ou en 4ème, toute fin des années 70. Mais les manuscrits se sont perdus depuis.
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Messagepar Uttini » Dim 24 Avr 2022 - 8:31   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 4

Chapitre très court, cette fois, presque un interlude.


Chapitre 5 — Dialogue

— Ainsi donc, les mersons possèdent des facultés mentalistes…
— Je ne suis pas certain que cela soit du mentalisme à proprement parler, dit Suréna. Ce sont des capacités psychiques puissantes mais elles n'ont rien de comparables avec celles des Jedi, ni avec celles des Anzati. Chez les mersons, elles semblent innées, naturelles, et je ne suis même pas sûr qu'elles soient en rapport avec la Force, mais c'est probable. Comme les Anzati, il semble que les mersons naissent avec leurs pouvoirs.
— Je vois…
L'endroit où ils se trouvaient tous les deux n'était pas un endroit. C'était vide, incolore, sans substance, mais ils s'y trouvaient. Suréna semblait assis à même un sol inexistant, la tête au creux de son bras reposant sur son genou. L'autre, d'apparence humaine, était debout, derrière le Jedi, si tant est qu'on puisse dire qu'il avait une existence, et une sorte de brouillard cristallin, vaguement scintillant, les séparait. Suréna semblait vêtu d'une sorte d'uniforme qui n'avait aucun équivalent physique, ni même de couleur, qui n'était que la manifestation de sa pudeur naturelle, alors que l'autre, derrière son brouillard, arborait un costume à la coupe insolite et vieillotte, d'une couleur indéfinissable. Il manipulait un instrument en bois qu'il portait à sa bouche, une sorte de pipe qui ne dégageait jamais de fumée, un pur accessoire, dans le seul but de meubler ses mouvements et affirmer sa présence réelle dans la scène.
— C'est assez déconcertant, non ?
— C'est effrayant, dit Suréna, visiblement ébranlé. Personne ne semble au courant, pas même la Mémoire.
— En es-tu certain ? L'as-tu interrogée à ce sujet ?
— Non, avoua le Jedi. Je n'en ai pas eu l'occasion. Les circuits sont encombrés pour le moment, et ce vaisseau de croisière se traîne comme une vieille barge kiatite.
— Rien ne prouve que la Mémoire ignore les pouvoirs des mersons, dans ce cas.
— Pardon ? dit Suréna en se retournant vers l'autre. Elle n'en aurait rien dit ? Je refuse de le croire.
— Qu'est-ce qui te permet d'affirmer que la Mémoire doit tout vous dire ?
Suréna ne répondit pas. Il n'avait pas la réponse, de toute façon. Pour lui, comme pour tous les chevaliers et les prêtres du Culte, la Mémoire était omnisciente, mais elle gardait une certaine latitude d'action propre dans le cadre du Plan. Autrefois, les Jedi n'avaient qu'un accès très limité à la Mémoire, juste assez pour se laisser guider dans les grandes lignes établies par Gilead. Après la dernière guerre, la réactivation des Infos avait élargi leur accès aux informations qu'elle contenait, mais en effet, la Mémoire pouvait fort bien ne pas leur dire tout ce qu'ils devaient savoir. Quelle était la place des mersons dans le Plan ?
— Dès que nous atterrirons quelque part, reprit Suréna, je compte bien contacter mon père pour l'avertir. Les festivités du Millénaire ne commencent que dans deux jours, et d'ici là bien des choses peuvent encore survenir.
— Tu es inquiet, Suréna. Je t'ai rarement vu inquiet depuis le début de nos relations.
— Vous êtes dans mon esprit depuis toujours.
— Et j'ai toujours été là pour t'écouter et te conseiller lorsque tu en avais besoin.
Suréna se leva et s'approcha du nuage de brume cristalline qui le séparait de l'autre. Il plongea son regard dans les yeux de celui-ci, cherchant à y déchiffrer quelque chose, cherchant à pénétrer sa pensée, comme il le ferait avec un humain réel; mais aucune technique mentaliste ne lui était utile. Là, dans cet espace psychique, son pouvoir de Jedi n'avait plus court. Mais celui de l'autre était bien présent, il pouvait en sentir la puissance dans chacune de ses fibres mentales. D'un coup de poing rageur, Suréna frappa la barrière de brume qui s'affirma plus résistante qu'un bloc de métal et résonna d'un tintement sourd. Cet obstacle, à quoi servait-il ? A empêcher l'autre de sortir ou à empêcher les autres de l'atteindre ? Le jeune Jedi l'avait déjà frappé des millions de fois dans un geste d'impuissance, suppliant cet autre esprit présent en lui de l'aider dans les moments critiques. Mais l'autre restait perpétuellement derrière sa barrière, nonchalant, manipulant sa vieille pipe, se contentant le plus souvent de donner des conseils. Suréna ignorait même jusqu'à son nom.
— Que dois-je faire ? Je suis persuadé que ce Henlaân est dangereux, plus dangereux que l'ont été tous les Seigneurs Noirs, mais quelque chose m'empêche de l'éliminer. Il me paraît si… Misérable ! Si pitoyable.
— Pourquoi évoquer les Seigneurs Noirs ?
— Ils sont de retour, vous le savez aussi bien que moi, dit Suréna. Vous partagez mes perceptions.
— Pas tes pensées, jeune Jedi. Il me semble toutefois que si ce sont bien les Seigneurs Noirs, quelle que soit la forme qu'ils revêtent à présent et les buts qu'ils poursuivent, ils sont plus dangereux, plus menaçants que les mersons.
— C'est un conseil ? dit Suréna.
— Une direction, dit l'autre. Écoute ton cœur, jeune Jedi, suis ton instinct. Je vais songer à tout ce qu'impliquent ces nouvelles et je te ferais part de mon impression. D'ici là, n'hésite pas, chaque fois que le besoin s'en fera sentir, à t'adresser à moi. Je ne serais jamais très loin.
— Je le sais. Vous ne l'avez jamais été, depuis mon enfance.
L'autre disparut soudain, comme effacé d'une réalité qui n'en était pas vraiment une. La barrière de brume disparut avec lui, et Suréna se retrouva seul avec lui-même. Était-ce cela qu'on appelait la folie ? Du plus loin qu'il puisse s'en souvenir, il avait toujours senti la présence de l'autre au fond de son esprit. Celui-ci le connaissait intimement, chacune de ses qualités, chacun de ses défauts, chacun de ses souvenirs. Jamais moralisateur, toujours conseiller, Suréna avait trouvé en lui un père pour remplacer le sien si éloigné de lui, un frère pour remplacer ceux qu'il n'aurait jamais, un ami pour partager ses joies et ses désillusions. Jamais il ne se sentait seul.
Mais cette fois, quelque chose avait changé. Jamais l'autre n'avait disparu le premier…


Mercredi, prochain chapitre, l'ambiance va changer.
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Messagepar mat-vador » Dim 24 Avr 2022 - 12:41   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 5

Lu !

Eh pui, cet extrait est très court mais distille quand même quelques mystères : comme par exemple, ce gus qui fume sa pipe, au calme. Genre grand-père installé devant le feu de cheminée :siffle: ! Même s'il est réel sans être réel :shock: .

J'ai remarqué que Suréna porte le même nom que que le général parthe qui a vaincu Crassus en -53 avant JC :wink: .

La suite !
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Messagepar Uttini » Dim 24 Avr 2022 - 13:06   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 5

mat-vador a écrit:J'ai remarqué que Suréna porte le même nom que que le général parthe qui a vaincu Crassus en -53 avant JC :wink: .

Oui, je l'ai piqué à Corneille, en fait. Le destin tragique du personnage m'a inspiré, à l'époque où j'ai écris le premier jet. Cette histoire est une tragédie, essentiellement.
mat-vador a écrit:Eh pui, cet extrait est très court mais distille quand même quelques mystères : comme par exemple, ce gus qui fume sa pipe, au calme. Genre grand-père installé devant le feu de cheminée :siffle: ! Même s'il est réel sans être réel :shock: .

On comprendra tout ça, en temps et heure. Tout sera soigneusement expliqué. :wink:
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Messagepar Uttini » Lun 25 Avr 2022 - 13:12   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 5

Loucass824 a écrit:C'est seulement maintenant que je comprend ton intérêt de ce court chapitre, c'est pour nous laisser en suspend avant le prochain...

J'aime bien de temps à autre intercaler un interlude court. Ça casse le rythme de mes chapitres plutôt longs.
Loucass824 a écrit:Et tu annonces en plus que les choses vont bouger...

Oui, on va commencer à entrer dans le chaos, tout doucement.
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Messagepar L2-D2 » Mar 26 Avr 2022 - 17:11   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 5

Ce très court message Uttini pour te dire que je n'oublie pas de lire ton texte qui m'attire beaucoup... hélas, c'est le temps qui me manque pour m'y lancer !

A très bientôt ! :cute:
Que Monsieur m'excuse, mais cette unité D2 est en parfait état. Une affaire en or. C-3PO à Luke Skywalker

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Messagepar Uttini » Jeu 28 Avr 2022 - 9:54   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 5

On y retourne, chapitre 6, là c'est plus long.


​ Chapitre 6 — Fallyn

Le palais où Kandra venait d'entrer était tout simplement somptueux. Son style imitait celui des grands châteaux galactiques de la 18ème dynastie Naïjal, mais dans une démesure qu'elle n'avait encore jamais vue. C'était un bâtiment gigantesque, cerné de remparts, aux murs intérieurs recouverts de métaux précieux, de tapisseries immenses, de bois rare venu du fin fond de la galaxie. Un palais digne d'une résidence d'été de l'Empereur, mais bien trop beau, bien trop luxueux pour une simple souveraine de Strenotis. Tout y exprimait la richesse, tant dans les matériaux employés que dans les tentures et œuvres d'art qui ornaient chaque coin de mur, chaque détour de couloir. Strenotis était pourtant un monde misérable, sans grandes ressources, et y trouver de telles possessions avait quelque chose de surprenant.
Une atmosphère singulière régnait dans cet endroit: tout y exprimait la perversité de la souveraine qui y vivait. Pas une statue, pas un meuble, pas un ornement qui ne se passe de symboles du culte d'Arésha. Le centre même du palais consistait en un temple du Poteau Sacré, réservé au seul usage religieux de la Reine Fallyn.
Kandra Ilian, l'archéologue, avait été élevée dans le strict Culte de Gilead et la haute moralité prônée par les chiss qui, seule, avait résisté à la vague de violence et de débauche qui avait déferlé sur la galaxie. Aussi, le simple fait de pénétrer dans le palais de la reine Fallyn lui faisait l'effet d'entrer dans une fosse pleine de serpents venimeux. En un sens, d'ailleurs, elle aurait préféré les serpents.
On l'avait fait attendre dans une sorte d'antichambre d'une taille démesurée, et depuis près de cinq heures, personne ne lui avait donné signe de vie. Ce palais semblait désespérément vide, elle n’avait croisé personne depuis son arrivée. C'était intentionnel, Kandra en était persuadée. L'antichambre contenait une collection de sculptures liées au culte pervers d'Arésha: des hommes et des femmes en train de s'accoupler, des chimères, des démons… Cinq heures à contempler ces choses mettaient les nerfs de l'archéologue à fleur de peau, mais elle était fermement décidée à ne pas craquer. Il fallait qu'elle voie la reine, coûte que coûte.
Quelques jours plus tôt, le chantier de fouilles avait reçu la visite d'un haut fonctionnaire des services de sécurité de Strenotis, muni d'un ordre interdisant aux chercheurs de disposer de tout objet découvert dans les vestiges des anciennes cités. L'ordre portait le sceau de Fallyn, la reine de Strenotis, et était irrévocable, d'après le fonctionnaire. Il avait examiné le cylindre de cristal que les archéologues avaient remonté de l'abri souterrain et avait laissé tomber:
— Cet artefact ne doit pas quitter Strenotis. Aucun artefact ne doit quitter la planète, d'ailleurs.
Wellet avait bien tenté de discuter, de faire valoir son autorité de représentant scientifique de l'Imperium, en vain. Et il n'osait pas faire usage de ses pouvoirs psychiques, il ne les maîtrisait plus assez pour produire l'effet escompté. Il n'était plus à proprement parler un Jedi depuis longtemps. Il avait menacé, brandit son sabre laser, même, tempêté autant qu'il le pouvait, mais le fonctionnaire était resté de marbre, se contentant de débiter, d'un air absent:
— Toute requête devra être présentée devant la reine Fallyn elle-même.
Pas moyen de discuter. Ils auraient pu facilement emporter l’artefact à bord de leur vaisseau illégalement, mais cela signifiait une plainte officielle de Strenotis à l'Imperium et la fin de tous leurs travaux, de tous leurs efforts. Et avec la découverte qu'ils venaient de faire, c'était ce qu'il fallait à tout prix éviter.
Aussi, Kandra était venue au palais de Fallyn, bien décidée à obtenir ce qu'elle souhaitait: la simple autorisation de remonter l’artefact à bord de son vaisseau afin d'en recopier le contenu, après quoi elle le ramènerait aux autorités de Strenotis. Elle avait demandé cette entrevue et depuis, attendait dans cette antichambre. On lui avait pris tout ce qu'elle avait sur elle à l'exception de ses vêtements et un grand gaillard à l'allure de brute l'avait conduite là avant de disparaître. Quelle humiliation, songeait-elle. Devoir s'écraser devant une petite reine prétentieuse, alors que sa découverte avait une portée galactique. Mais c'était le prix à payer.
Kandra examinait le bout de ses chaussures depuis des heures. Elle n'avait aucune envie de lever les yeux vers les statues qui semblaient l'examiner, tant la vieille morale des chiss était encore ancrée en elle. Non qu'elle fût une ingénue en matière de rapports physiques, loin de là; son époux prônait la philosophie hédoniste et l'avait initié à toutes sortes de plaisirs amoureux. Mais il était son époux selon la Loi de Gilead. Et elle l'aimait. La morale chiss exhortait à la fidélité entre époux et le culte de Gilead s'opposait dans son esprit même aux vieilles religions de la Fertilité encore pratiquées dans ces mondes reculés.
Kandra poussa un soupir de soulagement; une porte venait finalement de s'ouvrir dans le fond de l'antichambre, et un grand homme, jeune et superbement bâti, marchait vers l'archéologue. Il ne portait qu'un vêtement symbolique autour de la taille qui semblait devoir choir au moindre de ses mouvements. Arrivé à la hauteur de Kandra, il dit:
— Notre puissante souveraine Fallyn, reine de tout Strenotis, grande prêtresse d'Arésha, accorde audience à Kandra Ilian.
L'archéologue se leva et, le front barré d'un pli sévère, remercia sèchement l'homme qui s'inclina respectueusement. Il tourna les talons et Kandra le suivit à travers les couloirs du palais. Ce qu'elle y découvrit la stupéfiait et l'horrifiait tout autant: des salles dotées de lits immenses, d'instruments de tortures, parfois, tapissées de miroirs, s'alignaient, sans portes, le long du couloir qu'ils empruntaient. Des hommes et des femmes s'y trouvaient quelquefois, se livrant à des activités bruyantes. Des prostitués sacrés, songea Kandra, pratique courante dans les anciens cultes. Il y avait fort à parier que Fallyn elle-même, en tant que grande prêtresse, fut, elle aussi, une prostituée sacrée. Pour les fidèles d'Arésha, l'acte sexuel quelle que soit sa nature était un acte d'adoration, à plus forte raison si c'était avec la grande prêtresse du culte.
A cause de tout ce qui l'entourait, un curieux sentiment commençait doucement à l'habiter, où se mêlait désir passionné et crainte morbide, au fur et à mesure qu'elle s'enfonçait au cœur du palais. Elle n'était qu'une simple chiss, après tout, et, paniquée par ce qu'elle sentait s'insinuer en elle, elle mit à profit les quelques rudiments de techniques mentalistes que Wellet lui avait enseignées. Malheureusement, elle n'avait pas le contact requis avec la Force qui lui aurait permis de les pratiquer sérieusement. Ses capacités n'étaient pas suffisantes pour lui qu'elle puisse agir sur l'esprit des autres, mais assez développées pour lui permettre dresser des remparts psychiques et maîtriser les sensations et les pulsions qui montaient en elle. Ne pas arrêter ses pensées sur ce qu'elle voyait, entendait, sentait, ne pas lier ses perceptions aux organes qui y correspondaient; vider son esprit et le remplir d'idées positives. Elle retrouva ainsi une certaine sérénité, songeant à son époux, au Plan, et à la fabuleuse découverte qu'elle avait faite dans l'abri souterrain.
L'homme qui l'accompagnait, sans prononcer une seule parole, la conduisit d'un pas feutré jusqu'à une grande porte en bois précieux soigneusement polie, devant laquelle étaient postés deux autres gardes, tout aussi peu vêtus. D'une voix forte, celui qui avait guidé l'archéologue dit:
— Kandra Ilian demande audience à sa haute majesté la reine Fallyn.
Les deux gardes réagirent vivement et, tirant sur des cordes, ouvrirent les deux larges battants de bois. Alors que les portes s'ouvraient, Kandra fut soudain prise par une violente odeur de parfum épicé qui lui arracha une grimace. Le garde, nullement incommodé par la puissante odeur, restait de marbre. Bientôt, la salle où devait se dérouler l'audience fut grande ouverte, et Kandra se sentit défaillir.
Cela n'avait rien d'une salle d'audience. Elle entra, suivi du grand gaillard qui l'accompagnait, dans une vaste pièce au plafond transparent, entouré de colonnades, aux murs de pierre nue et au sol carrelé. Quelques sculptures décoraient l'ensemble, dans des niches creusées dans les parois, et le centre de la salle était occupé par un grand bassin plein d'un liquide laiteux, sous une immense verrière déversant à flots les chauds rayons du soleil. Tout autour, derrière les colonnes, des hommes et des femmes nus, étendus sur des lits de pierre ou simplement assis à terre. Des regards absents, fixes et froids. Des thermes, songea Kandra. Immenses ! Derrière la colonnade, on apercevait d'autres salles en enfilade, et des bruits d'eau parvenaient jusqu'à ses oreilles.
Dans le bassin central, immergée jusqu'aux épaules dans le liquide immaculé, il y avait une femme. Belle, rayonnante, la plus belle femme humaine qu'il fut jamais donné à un individu de voir. Et elle barbotait doucement, seule, souriante.
— Entrez, ma chère, lança-t-elle à Kandra, restée plantée comme une flèche à l'entrée de la salle.
L'archéologue fit trois pas à l'intérieur et la porte monumentale se referma derrière elle. Aucun des hommes et femmes présents dans la salle, alanguis sur le carrelage, ne semblait se soucier de sa présence, et il y avait fort à parier que ce fut Fallyn elle-même qui baignait dans le bassin.
— Allons, jeune personne, dit-elle presque malicieusement, approchez-vous, n'ayez pas peur, je ne vous mordrai pas. Enfin, pas tout de suite…
Fallyn n'avait pas plus de vingt-cinq ans. Son énorme masse de cheveux noirs et brillants étaient remontés au sommet de son crâne en un chignon compliqué retenu par des épingles d'or, et elle était terriblement fardée.
— Je vous présente mes respects, ô reine. Puissiez-vous vivre pour des temps indéfinis.
Kandra avait potassé le guide galactique du protocole avant de faire sa démarche. Le moindre impair pouvait avoir de graves conséquences sur la suite de ses recherches. La reine émit un petit rire. Elle était adossée au bord du bassin, à l'opposé de l'entrée, et elle étendait ses superbes bras le long du rebord.
— Voyez-vous ça ? dit la reine. En principe ma relaxation n'admet pas d'inconvenance comme celle-ci. Vous méritez le fouet, petite impertinente.
Elle fit un léger geste de la main et, débouchant de derrière une colonne, un grand type, tenant une longue lanière de cuir fut derrière l'archéologue, avant même qu'elle ne réalise ce que voulait dire Fallyn. Kandra se raidit, mais ne fit pas le moindre geste. Un test, sans aucun doute. Une épreuve de confiance en soi, d'assurance, de détermination. L'archéologue se contenta de répondre d'une voix neutre:
— Si cela peut me permettre d'être entendue, ô reine, j'accepte ce châtiment.
Le sourire de Fallyn se fit plus prononcé. Elle fit un petit mouvement de tête et l'esclave au fouet se retira.
— Vous avez du cran, jeune fille, j'aime ça, dit la reine, nageant dans le bassin. J'accepte de vous recevoir et d'écouter vos doléances.
Kandra la vit s'approcher. Elle s'accouda sur le bord du bassin, juste devant l'archéologue, et posa son menton sur ses avant-bras. Fallyn la dévorait des yeux.
— J'ai rarement vu une créature aussi belle que vous, dit-elle. D'ailleurs, je n'ai jamais rencontré de métisse humain-chiss…
Tant bien que mal, Kandra s'efforçait de mettre de l'ordre dans son esprit, de discipliner ses pensées, de faire abstraction de ce qu'elle voyait. Elle ne devait se concentrer que sur sa requête. Mais curieusement, sans qu'elle sache pourquoi, elle sentait ses défenses s'affaiblir, et chaque effort psychique pour contrôler ses sentiments lui demandait plus d'énergie que le précédent. Était-ce l'odeur entêtante ? Quelque drogue ? Ou autre chose ? La reine examinait Kandra de la tête aux pieds, et dans ses yeux brûlait une lueur que l'archéologue ne connaissait pas, et qu'elle n'espérait jamais revoir. Toute la répugnance naturelle de l'archéologue revint au galop, avec une seule idée dominante: fuir aussi loin que possible de cet endroit.
— Dites-moi, ma chère, qu'est-ce qui vous amène ?
Kandra réussit à articuler:
— Je suis Kandra Ilian, archéologue attachée à l'université de Trigon VII, et vous m'avez autorisée à faire des fouilles dans les ruines des anciennes cités de Gloôdan.
La reine regardait Kandra avec une extrême intensité. Jamais on ne l'avait regardée comme cela.
— Je suis au courant, dit Fallyn d'une voix nonchalante. Je sais tout de vous, Kandra. Vous vous appelez Ilian, vous avez choisi vous-même ce nom. Votre ancêtre était Kooram le chiss. Votre mère, la descendante de Kooram, s'est mariée avec un humain, et vous voilà. Kandra Ilian, enfant des étoiles… Vous avez en vous le sang des trois grandes races de cette galaxie: humains, chiss et Jedi. Et vous êtes aussi princesse, de sang royal, puis que vous descendez de la reine de Thessal. Vous me plaisez décidément beaucoup.
L'archéologue voulut répondre, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Elle sentit son corps se glacer. Cette femme en savait certainement encore plus sur elle et sur sa mission. La reine dût s'apercevoir de l'émoi de sa visiteuse et étouffa un petit rire. Elle s'étendit dans l'eau laiteuse et dit:
— Puisque vous avez eu l'audace de troubler mon bain, je me vois dans l'obligation de vous inviter à le partager. Venez me rejoindre, il y a de la place pour deux, et nous serons plus à l'aise pour bavarder.
Kandra ne pouvait pas refuser. Elle ne pouvait rien refuser à la reine si elle voulait l'autorisation d'emporter l’artefact. Elle voulait cet objet. La mort dans l'âme, elle s'abandonna à deux esclaves qui, avec des gestes d'une grande douceur, lui ôtèrent ses vêtements.
Quoique déjà assez âgée, Kandra était une femme superbe, parfaitement bâtie. Elle avait hérité de la longévité exceptionnelle des chiss et du physique de son ancêtre, prêtresse de Thessal. Pourtant, à côté de Fallyn, sa beauté n'était que médiocre.
Alors qu'on la dévêtait, Fallyn avait rejoint l'autre extrémité du bassin, et elle ne détachait pas les yeux d'elle. Une lueur étrange brillait dans son regard alors que les vêtements tombaient un à un aux pieds de la jeune femme.
— Vous devez beaucoup à vos gènes de chiss, ma chère. Cette couleur de peau est vraiment extraordinaire.
L'archéologue ne se rendait plus compte de ce qui se passait. Elle se sentait comme étourdie, anesthésiée, grisée par le parfum puissant qui émanait du liquide blanc remplissant le bassin, ses mouvements lui échappaient. Son dernier vêtement tomba à ses pieds, puis l'un des esclaves la prit par la main et la conduisit au pied d'un escalier de pierre qui descendait dans le bassin. Elle entra peu à peu dans le liquide, sa peau bleutée éveillant de curieux reflets sur la surface blanche et laiteuse. C'était chaud. Sous l'effet du contact avec le liquide, elle reçut comme un coup de fouet et reprit le contrôle d'elle-même.
Que pouvait bien contenir cet étrange bassin ? Quelles propriétés insolites avait cette substance ? Pourquoi sentait-elle ainsi des sentiments contradictoires monter en elle alors qu'elle s'efforçait de les balayer ? Elle descendit dans l'eau jusqu'aux épaules et goûta avec délice à la douceur du liquide.
A l'autre bout du bassin, la reine n'avait pas détaché ses yeux d'elle. Comme si elle avait deviné les pensées de l'archéologue, elle dit:
— Savez-vous ma chère, que cette eau vient directement du centre de cette planète ? Ce qui lui donne sa couleur, c'est le suc d'almuggim que j'y fais ajouter en grande quantité. J'y passerais des heures entières si ce n'était pas toxique, à la longue.
Se souvenant des conseils de son mari, Kandra avait réussi à pratiquer dans son esprit une inhibition partielle, qui la rendait en principe impénétrable à certaines formes de pensée. Pour le moment, le temps jouait pour elle.
— Puis-je vous exposer ma requête, ô reine ? dit-elle avec assurance.
— Faites donc. Je vous parle plaisir et vous m'accablez avec des futilités qui ne me concernent en rien.
Kandra se sentait mieux, à présent. Il lui semblait qu'elle maîtrisait bien ses pensées et ses émotions et elle avait retrouvé une certaine fermeté. S'exprimant volontairement avec froideur, elle reprit:
— Lors d'une de nos fouilles récentes, dans une ancienne cité du désert rouge, mon équipe et moi avons fait une découverte de première importance. C'est un témoignage archéologique qui devrait révolutionner la conception que nous avons de l'Histoire galactique et de la tradition orale.
De son coin de bassin, la reine arbora soudain un air méfiant. Ses petits yeux sombres scrutaient le regard de l'archéologue avec une insistance qui mettait celle-ci très mal à l'aise. Visiblement, la reine en savait beaucoup plus qu'elle ne voulait le laisser entendre.
— De quoi s'agit-il ?
— Nous avons découvert dans un abri souterrain les plans de ce qui semble être un amplificateur universel.
La reine fit la grimace et se dressa dans le liquide.
— Un quoi ?
— Un amplificateur universel. Une machine capable d'amplifier des milliers de fois toute forme d'énergie.
— Tiens donc ? Et à quoi cela peut-il servir ?
Elle voulait donner le change, avoir l'air intéressée, mais elle ne faisait pas illusion. Kandra voyait dans ses yeux, dans son regard, dans chacun de ses gestes, qu'elle savait parfaitement de quoi il était question. Wellet lui avait enseigné assez de techniques mentalistes pour qu'elle sache déchiffrer une expression faciale non contrôlée. Quel jeu jouait-elle ?
— Cela sert à amplifier l'énergie, ô reine. Une simple petite centrale de fusion équipée de cet appareil pourrait alimenter en électricité toute cette planète.
La reine fit quelques mouvements dans l'eau laiteuse et nagea doucement vers l'archéologue. Arrivée tout près d'elle, Fallyn plongea un regard espiègle dans celui de Kandra. Tentant de rester impassible, l'archéologue poursuivit:
— J'aimerais obtenir de votre majesté l'autorisation d'emmener un artefact, un cylindre de cristal, à bord de mon vaisseau afin d'en copier le contenu dans une banque de mémoire…
Plus près…
— Ne pouvez-vous pas procéder à cette copie sur Strenotis ?
— Nous avons réussi à déchiffrer une partie des données techniques, dit Kandra, d'une voix soudain un peu tremblante, mais l'essentiel nous échappe. Et vous nous avez interdit de faire quitter la planète à cet artefact. Je sollicite de votre bienveillance…
Plus près… Plus près encore…
— …l'autorisation d'emporter cet objet à bord du…
Elle bredouillait. Sa voix devint grinçante. À un peu plus de deux coudées d'elle, nageant entre deux eaux, la reine vrilla son regard sur celui de la jeune métisse. Et soudain, quelque chose de terrifiant, d'incompréhensible se passa dans l'esprit de l'archéologue. Un désir, un désir irrépressible, monta en elle, d'une telle intensité qu'il déborda les barrières psychiques qu'elle avait levées. Un raz-de-marée de désir déferla en elle, si bien qu'il lui sembla qu'elle perdait tout contrôle de son corps. Kandra désirait cette femme plus que tout autre chose dans l'univers, elle désirait la serrer dans ses bras, elle désirait son corps… Une partie de son cerveau, pourtant, restait en éveil, débordé, cherchant à lutter contre ces émotions qui l'envahissait, qui ne lui appartenaient pas, elle en était sûre. Mais en vain.
Sous le liquide, la main de la reine se posa sur la hanche de l'archéologue. Une insondable sensation de douceur l'envahit au contact de cette main, et le désir de s'y abandonner fut plus violent encore. Tout son corps hurlait, chaque cellule nerveuse criait son désir. Elle vacilla un instant, faillit perdre conscience, mais contre toute attente, elle trouva la force de résister.
Une voix. Une voix masculine, vibrante, celle de son mari, résonna dans son esprit, l'appelant par son nom. Son visage buriné, ses yeux gris acier, ses cheveux argentés qui crissent un peu sous la caresse de ses mains. Wellet était là, s'imposait à son cerveau en surimpression et lui enjoignait de tenir bon, renforçant sa détermination à ne pas trahir ses principes, ses croyances, son être même. Elle lui obéit…
Avec une soudaineté ahurissante, la métisse repoussa violemment le corps de la reine qui se pressait presque contre le sien. Dans un jaillissement de liquide blanc, Fallyn fut un instant submergée, et se redressa, couverte d'eau blanchâtre. Stupéfaite. Et furieuse. Mais sa colère ne dura qu'un instant, et elle recula vers le fond du bassin en souriant, comme un prédateur qui renonce pour attendre une meilleure occasion. Comme un animal qui joue avec sa proie.
— Prodigieux, dit-elle en passant la main dans ses cheveux pour en évacuer le liquide blanc. Vous êtes d'une résistance fort peu commune, ma chère.
L'archéologue avait brutalement retrouvé ses esprits, juste à temps pour ne pas sombrer corps et âme dans une espèce de folie, dans le rêve éveillé où la reine cherchait à la plonger. La voix frémissante, elle réussit à articuler:
— J'ignore comment vous faites cela, ô reine, mais je dois vous avertir: je suis en mission pour l'Imperium…
— Ça ne m'impressionne pas, coupa la reine. Je dois vous avouer quelque chose, jeune fille: dès que vous avez posé le pied sur Strenotis, j'ai décidé que vous m'appartiendriez, coûte que coûte. J'étais sûre qu'en interdisant d'emporter les artefacts, vous vous précipiteriez à ce palais pour me supplier.
— Vous appartenir ? dit Kandra d'une voix éteinte.
— Regardez autour de moi, Kandra. Ils sont beaux, forts, virils ou d'une féminité à fleur de peau, mais ce ne sont tous que des esclaves, ils n'ont aucune volonté propre, ils sont décérébrés. Mais vous, vous êtes pure, chaste, belle, et vous allez m'opposer une résistance considérable tant du fait de votre force de caractère qu'à cause des principes religieux qui vous tiennent à cœur. Et j'aime les défis de ce genre. J'aime cette résistance, la frustration délicieuse qu'elle procure, et le plaisir accru lorsque je parviens à la briser.
Kandra se sentit de nouveau vaciller. Elle avait entendu parler du culte pervers du Poteau Sacré, et des actes d'adoration qui s'y rattachaient. Un culte en opposition absolue avec celui de Gilead, son culte, celui que ses ancêtres chiss pratiquaient depuis des centaines de générations. La reine Fallyn l'avait attirée dans un piège pour la sacrifier à son dieu… Mais elle ne céderait pas, elle lutterait jusqu'au bout.
— Pourtant, reprit la reine, il vaudrait mieux que vous ne résistiez pas longtemps, car je serais obligée de vous faire beaucoup souffrir, non que j'aie pitié, mais surtout parce que j'aimerais vous avoir près de moi de votre plein gré, lorsque vous aurez compris qu'il n'y a pas d'alternative. Qui sait, vous y prendrez certainement beaucoup de plaisir, vous aussi.
Kandra regarda derrière elle, vers la porte par laquelle elle était entrée. Deux colosses vêtus de cuir s'étaient postés devant les battants, bras croisés sur leurs pectoraux saillants.
La reine se hissa hors du bassin et lissa sa longue chevelure, qui descendait jusqu'à ses genoux maintenant que l'eau avait défait son lourd chignon. Kandra détourna le regard et disciplina ses pensées. Fallyn s'étendit sur un des bancs de pierre chaude et un esclave vint doucement la sécher à l'aide d'un linge.
— Venez me rejoindre, Kandra, dit-elle. Mes esclaves connaissent des techniques de massages délicieusement relaxantes… Ah, mais j'oubliais vos principes, c'est vrai, ajouta-t-elle en secouant la main.
L'esclave, une fois sa besogne terminée, jeta la serviette et s'étendit auprès de la reine.
— Dommage, ajouta-t-elle.
Prostrée dans un coin du bassin, Kandra tenta de faire le point sur sa situation, et d'envisager quelque chose. Comment la reine avait-elle pu ainsi susciter en elle un désir aussi irrépressible et cependant totalement contraire à sa nature et à ses principes fondamentaux ? Ce n'était pas naturel, pas du tout ! Elle disposait certainement d'un pouvoir quelconque, d'un moyen d'influencer les esprits. Quoi qu'il en soit, la reine avait réussi à la persuader d'une chose au moins: elle ne lui permettrait pas d'emporter l’artefact, elle n'en avait jamais eu l'intention. L'heure n'était plus aux tractations, aussi Kandra décida de passer au niveau supérieur:
— Il me faut vous prévenir, ô reine: je suis accompagnée d'un Jedi, et si je ne suis pas de retour au campement à la nuit tombée, il devra prendre des mesures en conséquence.
Fallyn se redressa et abandonna l'esclave sur le banc de pierre. Elle vint se planter au bord du bassin, à l'opposé de Kandra. Elle était d'une beauté rayonnante, troublante. A son annulaire gauche brillait une grosse pierre rouge montée sur une bague d'or. Sa seule parure.
— Cela ne m'impressionne pas plus que tout le reste, jeune métisse. Vous ignorez quel pouvoir je détiens sur les hommes.
Elle fit un geste en direction d'un des esclaves étendus derrière les colonnes, et un grand jeune homme d'une vingtaine d'années, à la puissante musculature, vint se placer tout à côté d'elle. La reine lui ordonna:
— Plonge, Rambû ! Et ne remonte que lorsque je te le dirai.
L'esclave obtempéra, sans la moindre hésitation, et se jeta dans l'eau blanche où il disparut tout entier. Il ne reparut plus. Pressée par une crainte soudaine contre le bord du bassin, Kandra assista avec horreur à la scène. Il y eut quelques minutes de silence, longues comme des siècles galactiques, pendant lesquelles plus rien ne se passa, puis quelques bulles d'air vinrent crever la surface du bassin. Bientôt, un corps inerte émergea et ne bougea plus.
— Grand Gilead ! glapit Kandra. Vous l'avez tué…
La reine gloussa et s'assit au bord du bassin, poussant du bout du pied le cadavre du jeune homme comme s'il se fut agi d'une simple bouée.
— Le pauvre, dit-elle. Il n'avait pas d'autre volonté que la mienne. Il ne pouvait que m'obéir, ainsi en va-t-il de tous les hommes qui franchissent le seuil de mon palais. Puisse Arésha, fille de El, l'accueillir dans son jardin céleste.
Elle fit un geste d'adoration, les mains jointes, en direction du ciel, à travers la verrière qui baignait la salle des chauds rayons du soleil.
— Mais hélas, poursuivit la reine, si votre chevalier servant vient à moi, je crains bien qu'il ne finisse comme ce pauvre Rambû.
— Vous êtes un monstre ! aboya Kandra, hors d'elle. Jamais je ne me plierai à vos caprices, et jamais mon mari ne tombera entre vos mains. Il vous tuera, plutôt.
— Votre mari ? Tiens donc…
Fallyn éclata de rire. Pourtant, au fond d'elle même, la simple mention d'un chevalier Jedi suffisait à réveiller une crainte sourde, confuse, une terreur remontant à sa tendre enfance…
— Votre menace ne saurait m'effrayer, jeune fille, mentit la reine.
Elle n'ajouta rien. Son visage s'était un peu obscurci et à présent, elle fixait Kandra avec des yeux méprisants. L'archéologue le lui rendait bien; elle savait qu'en mentionnant l'Ordre Jedi, elle touchait à une corde sensible. Les Chevaliers étaient réputés pour ne pas faire de cadeaux, et la perspective d'ennuis, voire d'une mort prématurée et violente faisait réfléchir la souveraine. Elle hésitait: devait-elle prendre la menace au sérieux ? Faire comme si de rien n'était ? Jamais elle n'avait affronté de chevalier Jedi auparavant, et leur réputation de puissants mentalistes n'était plus à faire. Elle n'était pas certaine que son pouvoir soit suffisant.
— Je suis la reine de ce monde, dit-elle. S'attaquer à moi revient à s'attaquer à tout Strenotis et au culte que je représente. Cette planète n'a pas une grande importance commerciale, mais l'Imperium a toujours considéré tous les mondes souverains sur un pied d'égalité. Votre mari prendrait-il le risque de provoquer un incident diplomatique de première importance ? J'en doute. Il n'est pas dans son territoire, ici.
Alors qu'elle faisait ce discours, elle se dressa et lança un regard farouche autour d'elle, comme si tout un auditoire l'écoutait, renforçant l'impression de noblesse, de puissance qui émanait de son corps à la plastique parfaite. Même si cela la répugnait, Kandra ne pouvait détacher ses yeux de la reine, elle restait subjuguée par cette beauté et se surprit à la désirer, encore, toujours.
Fallyn se tut et fit claquer ses doigts. Les deux colosses qui gardaient la porte s'avancèrent de quelques pas vers le bassin.
— Mes chers animaux, dit la reine, vous allez emmener immédiatement cette jeune métisse dans les quartiers d'isolement du palais, en attendant que je décide ce que je vais faire d'elle.
Sans une hésitation, les deux hommes vêtus de cuir saisirent Kandra à bras-le-corps, la tirèrent, dégoulinante, du bassin et, sans même lui laisser le temps de récupérer ses vêtements, la traînèrent hors de la salle d'ablution. L'archéologue se retrouva dans une situation horrible: nue, couverte d'eau blanche et huileuse, elle se mit à hurler et à frapper des poings et des pieds, à mordre et à griffer les deux géants qui ne semblaient pas remarquer la douleur.
Ils traversèrent toute une aile du palais, empruntèrent un ascenseur rapide et aboutirent devant une lourde porte munie de plusieurs verrous. Après quelques minutes, Kandra avait cessé de lutter; elle avait employé toutes ses forces pour tenter de desserrer l'étreinte de fer des deux gardes, et devant l'inutilité de ses efforts, elle avait fondu en sanglots.
Les verrous claquèrent, la lourde porte s'ouvrit et, sans aucun ménagement, l'archéologue fut jetée à l'intérieur, sur la moquette qui tapissait le sol. Elle poussa un dernier cri puis sombra dans une inconscience bienfaisante, qu'elle accueillit presque avec joie. Sa dernière vision fut celle de la porte qui se refermait dans un bruit sourd, l'emprisonnant peut-être pour toujours dans les quartiers d'isolement du palais de Fallyn.


Bonne lecture.
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Messagepar mat-vador » Jeu 28 Avr 2022 - 10:42   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 6

Lu !

Ah oui, dis donc, le culte d'Arésha :shock: !! Ben, c'est du sérieux !! Très bien écrit, le personnage de Fallyn :oui: !! Ca me fait penser à des oeuvres héroic fantasy mais je n'arrive plus à me rappeler comment ça s'appelle :think: !

A mon avis, elle veut tendre un piège au mari de Kandra :sournois: ...

La suite !
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Messagepar Uttini » Ven 29 Avr 2022 - 14:51   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 6

Merci à toi, Loucass.
En fait, je me suis inspiré de cultes réels de l'antiquité.
Loucass824 a écrit:A-t-elle réellement des pouvoirs particuliers, ou bien son pouvoir de séduction est induit par d'autres choses, telles que son environnement, l'eau, le parfum,... J'ai bien ressenti la perplexité de Kandra, le fait d'être intrigué tout en étant légèrement mal à l'aise à l'idée de ce qu'il se passait, complètement perdue, sans repère quant à ce qui allait se passer.

Ah, là, il va falloir lire la suite pour le savoir. Quoi que j'ai inséré un tout petit détail qui doit mettre la puce à l'oreille.
Loucass824 a écrit:On se doute ensuite que son mari finira par venir la chercher, et nous serons fixés sur la nature des pouvoirs de cette reine, face à un néo-Jedi a la retraite.

Là encore, la suite nous en dira plus. On reverra la reine en question un peu plus tard.
Loucass824 a écrit: Et ce que je trouve fort, c'est d'avoir mis en scène ce côté malaisant sans scène de sexe ou de violence explicite, visuel ou vulgaire. C'est l'atmosphère que tu as mis en place qui provoque cet effet, sans tomber dans la vulgarité.

J'ai tendance à ne pas aimer la vulgarité. On peut suggérer des tas de choses sans tomber dans la facilité. Merci de ton appréciation.
Loucass824 a écrit:Une seule remarque cependant, c'est le premier chapitre où je n'ai vraiment pas l'impression de voir du Star Wars. Pas que ce soit un défaut, parce que j'aime beaucoup ce que tu proposes. Mais je n'avais pas cette impression lors des chapitres précédents. Les thèmes abordés peut-être, avec une forte présence de sexualité, de rapports sociaux déviants.qle fameux changement d'ambiance que tu nous avais promis est manifeste.

Ce n'est pas faux. On n'est pas exactement dans le Star Wars qu'on connait, loin de là, mais on sera raccord quand on reviendra à la reine dans quelques chapitres.
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Messagepar Uttini » Dim 01 Mai 2022 - 18:07   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 6

Hop ! Chapitre 7.


Chapitre 7 — Le Wandering Nova

Avec un calme absolu et un regard de glace, Suréna Spell tendit sa carte d’identification au garde en uniforme noir qui veillait à l’entrée du secteur interdit. Le garde salua le Jedi, introduisit la carte dans un lecteur et après avoir vérifié l’affichage, lui rendit le rectangle de plastoïde.
— Je dois voir le capitaine, dit Suréna, et cet homme doit être conduit dans les quartiers de détention.
Du pouce, il désigna, derrière lui, la silhouette décharnée et osseuse de Henlaân, le merson, écrasé par la pesanteur artificielle toujours plus forte dans les entrailles d’un vaisseau.
Le garde hocha la tête et ouvrit à l’aide d’un code magnétique la porte qui menait aux secteurs du Wandering Nova réservés à l’équipage. Suréna, Henlaân, Seyd et un troisième Jedi nommé Rikker entrèrent dans une autre partie de l’immense vaisseau, où aucun passager n’avait jamais accès et qui comprenait outre les quartiers de l’équipage, toutes les installations techniques, les ordinateurs et les salles de commande, ainsi que le centre nerveux du croiseur : la passerelle. Là, le décor changeait. On était loin de l’atmosphère feutrée, des moquettes criardes et des larges coursives puissamment éclairées qu’arpentaient tranquillement les passagers. L’hôtel interstellaire faisait place à la véritable ambiance d’un vaisseau spatial, ses bruits, sifflements, bourdonnements, ses odeurs, ses boyaux austères et mal éclairés, et ce bizarre goût métallique que l’air qu’on y respire laisse dans la bouche. L’essentiel de la place disponible, dans un vaisseau de croisière, était employé pour les passagers et leur bien être, pour leur assurer une aisance absolue, une facilité de déplacement totale, une impression d’espace. Le reste de la masse du vaisseau comprenait en grande partie les gaines techniques qui courraient le long de toutes les coursives, les installations de traitement de l’atmosphère, le recyclage des déchets, les salles des machines et les moteurs hyperspatiaux, énormes, occupant à eux seuls le tiers de la masse totale du vaisseau. Que restait-il pour l’équipage ? Le minimum vital.
Car le Wandering Nova était un beau vaisseau, grand, puissant, fier, l’un des plus luxueux vaisseaux de croisière jamais construit. Et son vol inaugural le conduisait jusqu’à Oruséa Prime pour les festivités du Millénaire. Tout à bord était conçu pour le plaisir des passagers et témoignait de l’opulence et de la prospérité de l’Empire des Six Provinces depuis le début de l’ère impériale. Le Wandering Nova était la fierté des chantiers malkites, l’orgueil de la Compagnie Transgalactique de Trigon, une véritable œuvre d’art, un palace spatial… Sauf pour son équipage.
Au détour d’un couloir, Suréna, traînant toujours le merson, se renseigna sur la direction à prendre. Il connaissait le secteur des passagers sur le bout des doigts mais restait mal familiarisé avec le dédale du secteur équipage. Quelques minutes plus tard, il déboucha dans une vaste salle au plafond bas, illuminée par d’immenses consoles d’ordinateurs. Au milieu, une fosse dans laquelle s’affairaient des techniciens et, surplombant celle-ci, la passerelle proprement dite, où se tenait le capitaine, devant le projecteur holographique principal. L’ambiance y était feutrée, et une lueur fantomatique éclairait l’ensemble, émanant des innombrables écrans et consoles techniques. Depuis des millénaires, l’ambiance était toujours la même sur les passerelles de croiseurs…
Debout dans un coin, les mains jointes dans le dos, un grand homme mince examinait une de ces gigantesques projections holographiques si courantes à bord des vaisseaux, matérialisant la position de l’appareil dans un schéma stellaire. De temps en temps, il donnait quelques ordres à la timonerie et manipulait les contrôles du grand projecteur central.
— Capitaine ? dit Suréna, presque en chuchotant.
L’homme mince se retourna et un sourire se peignit sur son visage raviné.
— Suréna ! dit-il. Je savais que tu étais à bord de ce rafiot mais tu ne m’avais pas fait l’honneur de paraître en ma présence.
Suréna s’autorisa un sourire de circonstance, parfaitement contrôlé, n’exprimant que la politesse et le respect qu’il devait au capitaine.
— Je suis heureux de te revoir, Zeth.
— Tu n’en as pas l’air, dit le capitaine. Laisse un peu tomber le contrôle mental, et redeviens le jeune voyou à qui j’ai enseigné l’art du combat.
Suréna fit un effort et serra chaleureusement la main que le capitaine lui tendait. Contrôler ses sentiments ne signifiait pas ne plus en avoir, lui avait enseigné le vieil anzat Malrath. Contrôler ses sentiments veut dire ne pas les laisser fausser ton jugement lorsque tu dois prendre une décision ou agir. Il était facile d’oublier cette facette du mentalisme et d’occulter le moindre sentiment une fois pour toutes, pour ne devenir qu’une machine froide et redoutablement efficace. Beaucoup de chevaliers, beaucoup de Jedi étaient tombés dans cet extrême. Relâchant son contrôle mental, Suréna retrouva l’amitié qui le liait à Zeth Mérodac et en laissa la douce chaleur l’envahir une fois de plus. Mérodac, c’était son enfance, celui qui l’avait presque élevé, qui l’avait pris en main alors que son père était trop occupé avec la Mémoire. Pour le premier d’une nouvelle génération de Jedi, il fallait un mentor de premier plan, et Zeth Mérodac, le vieux guerrier, la légende vivante, avait été celui-là. Tout ce qu’il savait concernant la maîtrise de la Force, Mérodac l’avait enseigné à Suréna avec un amour dépassant celui d’un père, avec une discipline dépassant celle d’un maître, avec une affection dépassant celle d’un ami. Que ce soit l’art du maniement du sabre laser, les subtilités de l’heptacorde, les raffinements de la préparation d’un cocktail de fleur de Millénia, ou tout simplement comment tricher aux cartes, Suréna le lui devait, et plus encore.
— Qu’est-ce qui t’amène dans mon domaine privé, jeune vaurien ? dit Mérodac avec un franc sourire.
Suréna lui désigna du pouce Henlaân recroquevillé sur lui-même, l’esprit toujours verrouillé par les pouvoirs mentaux des Jedi qui l’accompagnait.
— Quel drôle de tas d’os ! s’exclama Mérodac.
— C’est un merson. Je ne peux pas t’en dire plus sur lui pour le moment.
Mérodac acquiesça d’un signe de tête.
— Je comprends. Il est normal que tu désires garder des choses secrètes.
— Tu as quitté l’ordre Jedi, Zeth. Dès que j’aurais réussi à joindre mon père, je t’en dirai peut-être plus.
Mérodac secoua la tête une fois de plus. En effet, il avait quitté voilà près d’un siècle l’ordre Jedi et les boniments pseudo-religieux du culte de Gilead, dégoûté par l’hypocrisie qu’il y avait trouvé. Il désirait autre chose que le bonheur et la paix galactique décidés par un mégalomane multimillénaire. Lui, il était un baroudeur, un aventurier, pas une sorte de prêtre guerrier, et le Plan lui faisait horreur. Enfermer les humains dans un bonheur forcé, même s’ils n’en ont pas conscience, lui semblait mal, et il refusait de participer à une telle entreprise. Trop de choses il avait vues, trop de guerres depuis sa naissance, trop de larmes et de sang avaient baigné la galaxie depuis des millénaires pour qu’il puisse imaginer qu’une ère de paix universelle soit possible. Il connaissait trop bien la nature des êtres intelligents pour encore croire en elle.
— Que t’as fait ce merson ?
Avant de répondre, Suréna considéra à nouveau la silhouette squelettique d’Henlaân.
— Rien de précis, pour l’instant. C’est surtout ce qu’il peut faire qui m’effraye. J’ai dû abattre un milicien à cause de lui.
Stupéfait, Mérodac fronça les sourcils.
— Tu as fait quoi ? Dans mon vaisseau ?
Suréna prit un air dur et s’exprima en langue Jedi :
— Te souviens-tu du Cercle Rouge ?
— Comment pourrais-je l’oublier ?
— Ce milicien était à leur service.
Mérodac tressaillit. La simple mention du Cercle Rouge, une organisation criminelle au pouvoir du Côté Obscur, qui avait autrefois provoqué la guerre universelle suffisait à emplir d’effroi même le Jedi le plus endurci.
— Ils ont disparu, je l’ai vu de mes propres yeux. Aucun d’entre eux n’a pu survivre.
— C’est ce que je croyais, Zeth. Mais ce milicien portait une carte avec l’emblème du Cercle Rouge.
Mérodac se figea et tressaillit à nouveau.
— Le Cercle Rouge, dit Mérodac, un rien méprisant, n’était rien d’autre qu’un gang de malfrats, manipulé par Kra-Olîn. Il a disparu avec lui, mais il peut fort bien avoir été reconstitué indépendamment du Seigneur Noir.
Même si elle ne pouvait se lire sur son visage, l’inquiétude emplissait Suréna. Une inquiétude glacée, purement technique, mais réelle. Il n’avait jamais connu de Seigneur Noir et ce n’était pour lui qu’une entité abstraite dont plus aucun être intelligent ne gardait le souvenir. Mais il avait eu accès aux archives de la Mémoire et aux souvenirs de son père.
— J’ai un étrange pressentiment, Zeth. Quelque chose de terrible va se passer, très bientôt.
— Quelque chose qui a un rapport avec ce merson ?
— Pas directement. J’ai simplement pu démasquer ce milicien grâce à lui. Les mersons sont un autre problème, bien moins urgent.
Mérodac se tourna, songeur, vers la carte holographique représentant une portion considérable du noyau galactique. Le Wandering Nova croisait au large des premières franges stellaires, dans l’immense vide qui séparait les bras spiraux, attendant le saut hyperspatial qui le mènerait à sa prochaine escale.
— Je suppose que tu ne parles pas à la légère, Suréna. C’était trop beau, n’est-ce pas ? Leur disparition, cinq siècles de paix, une nouvelle ère, et pourtant leur ombre plane toujours au-dessus de nos têtes. Quand, et comment frapperont-ils ?
— Je l’ignore. Mais s’il y a un agent du Cercle Rouge à bord, il peut y en avoir un autre, dix autres, mille autres. Les festivités du Millénaire sont le moment idéal pour tenter quelque chose, frapper un grand coup.
Mérodac retrouva le sourire. Le retour du Cercle Rouge, cela pouvait signifier le retour de la grande époque, des combats et des batailles spatiales, ce qui, d’une certaine manière, n’était pas sans lui déplaire. Toutefois, comme beaucoup d’autres, il s’était embourgeoisé, habitué à cette paix forcée, et l’idée de reprendre les armes l’effrayait un peu.
— Allons, dit-il, pas de mauvais augure. Cependant, si le Plan doit tomber en miettes, ce ne sera pas avant que nous ayons fait une dernière partie de carte.
Suréna sourit. Du coin de l’œil, il considéra une nouvelle fois le merson.
— Ce merson est sans doute le meilleur joueur de réecklamo que j’aie rencontré.
— Bigre, dit Mérodac. Je n’ai jamais perdu aux cartes. Est-ce un défi ?
— Disons que c’est l’occasion pour toi de montrer que les décennies ne t’ont pas rouillées.
Le Capitaine se redressa et dit, le front barré d’un pli sévère :
— D’accord, allons tester les capacités de ton protégé.

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Suréna avait tout fait pour détendre l’atmosphère. Mérodac, avec son style inimitable de vieux pirate de l’espace, avait donné quelques ordres puis conduit le petit groupe jusqu’au mess des officiers où il avait déniché un paquet de cartes neuves. Henlaân semblait aussi un peu plus en confiance, bien que Suréna fût encore incapable de percer l’aura de mystère qui entourait le merson. Une bonne partie de carte serait l’occasion d’observer de plus près et d’évaluer ses capacités, tout en maintenant soigneusement son esprit sous contrôle.
Au sujet d’Henlaân, Suréna se sentait maintenant partagé. Certes, il devait avoir une mission, encore mal définie, mais il ne semblait pas avoir le moindre rapport a priori avec les Seigneurs Noirs, ni avec le Cercle Rouge. Qui plus est, l’influence du merson sur les décisions humaines était moindre, pour ne pas dire inexistante. Pour causer des troubles irréparables, il aurait fallu des dizaines de mersons, des milliers groupant leurs capacités, et encore ! Or, un merson seul était rare hors de son monde d’origine, et des milliers de mersons en vadrouille plus rares encore. Suréna laissa donc de côté le problème merson pour se concentrer sur l’autre difficulté du moment, le Cercle Rouge.
Ils avaient disparu, autrefois, et le dernier d’entre eux avait été éliminé cinq cent ans auparavant. Puis les Jedi les avait fait peu à peu disparaître des mémoires grâce aux émetteurs mentaliques dissimulés un peu partout dans la galaxie, dans les temples du culte de Gilead. Des hordes de chevaliers Jedi avaient parcouru les étoiles pour effacer toute trace du Cercle Rouge, et toute archive ne mentionnant ne serait-ce qu’un nom, ne contenant qu’une allusion, un détail, une rumeur était détruite. Comment pouvaient-ils ressurgir après tant d’années ? Le Cercle Rouge n’était qu’une façade, bien entendu, une émanation du dernier Seigneur Noir. Les Seigneurs Noirs, les fidèles du Côté Obscur, l’Ere des Ténèbres. Ces millions de morts, ces souffrances et ces destructions. La guerre universelle, la fin de toute civilisation, et les Seigneurs Noirs pour tout reconstruire selon ses normes.
Leur scénario n’avait qu’une faille : le temps ! Après presque cinq mille ans de règne absolu, sans plus de résistance à affronter, sans véritable but, au final, les Seigneurs Noirs s’étaient éteints, seuls dans leurs palais, ils sont morts d’ennui. Même le côté obscur de la Force n’avait pu les maintenir en vie ; il n’y avait plus rien à conquérir, à dominer, à détruire…
Comment tous les efforts consentis pour oublier et faire oublier les Seigneurs Noirs pouvaient-ils ainsi être réduits à néant ? Cela échappait à la compréhension de Suréna et, selon toute apparence, devait également échapper à la Mémoire. N’était-elle pas omnisciente ? Ne savait-elle pas tout ce qui se passait d’un bout à l’autre de la galaxie ? La confiance du Jedi en ce qu’il avait toujours tenu pour vrai se trouvait sérieusement ébranlée.
Ce soir-là, cependant, à bord du Wandering Nova, Suréna décida de laisser ses réflexions de côté. La liaison avec Telmadus était impossible depuis le vaisseau de croisière, et il n’y avait pas d’Info à bord pour établir un contact avec Coruscant. Dans une journée, le vaisseau ferait escale sur Abregado II, où Suréna pourrait certainement contacter son père. En attendant, la partie de carte dans le mess des officiers lui permettait d’étudier d’un peu plus près le cas Henlaân. Le Jedi avait desserré son étreinte sur l’esprit du merson pour l’autorisé à utiliser son pouvoir durant la partie. Curieusement, l’idée d’enfermer Henlaân dans les quartiers de détention l’avait quitté. Elle était devenue vague puis avait disparu, sans que le Jedi ne puisse s’en rendre compte. Et la partie allait bon train.
La légendaire chance de Zeth Mérodac prit un sérieux coup de vieux. Tant bien que mal il ne gagna que deux parties sur six, et seulement grâce au hasard de la distribution des cartes. Il ne jouait pas mal, pourtant, mais il lui semblait que le merson devinait systématiquement chacun de ses coups.
C’était exactement cela. Le merson avait la faculté de se connecter aux perceptions sensorielles de son adversaire et de voir ainsi son jeu. Il lui suffisait ensuite d’appuyer sur quelque “ressort” psychique qui poussait Mérodac à jouer telle ou telle carte plutôt qu’une autre. Pendant de très courtes périodes, il pouvait presque contrôler totalement la volonté de sa victime. Prodigieusement intéressé, Suréna lâcha un peu la bride sur l’esprit du merson afin d’en découvrir un peu plus ; sa première constatation fut décevante : le pouvoir du merson avait une portée très limitée qui diminuait en raison inverse du carré de la distance. Au-delà de trois ou quatre coudées, l’influence du merson était à peine perceptible. Même si plusieurs autres mersons groupaient leur pouvoir avec celui de Henlaân, l’énergie mentale restait insuffisante pour être efficace. Qui plus est, Suréna ne sentait pas clairement comment la Force agissait à travers Henlaân, bien que son utilisation innée par le merson ne fasse aucun doute. Peut-être le merson ne s’en rendait-il pas compte lui-même…
— Je n’arrive pas à croire ce que je vois, dit Mérodac. J’ai beau essayer de tricher, ça ne marche pas. J’ai le sentiment d’être manipulé.
Suréna fronça les sourcils. Peut-être en avait-il trop fait. Mérodac finissait par se douter de quelque chose.
— Réeckla, dit une fois de plus le merson en ramassant toutes les cartes posées sur la table.
— Il est heureux qu’on ne joue pas pour de l’argent, dit Seyd qui s’était joint à la partie.
— Ce n’est qu’un passage à vide, dit Mérodac d’une voix sifflante, à l’intention du merson. Je vais me refaire, vous allez voir.
Il se mit à battre les cartes avec une dextérité de joueur professionnel et distribua à nouveau. Lorsqu’il eut vu sa main, il laissa échapper un grognement rageur. Il s’apprêtait à poser sa première carte lorsqu’une sonnerie se fit entendre dans le mess. Une sonnerie discordante propre à réveiller même les plus fatigués.
Tous sursautèrent. Seyd lâcha ses cartes et Suréna verrouilla instantanément l’esprit du merson lorsque la sonnerie résonna. L’éclairage s’éteignit et une lumière rouge baigna la salle de détente.
— Grand Gilead ! dit Mérodac. L’alerte rouge !
— Je t’accompagne, dit Suréna. Les autres restent là. Seyd et Rikker, vous surveillez Henlaân.
Suréna et Mérodac se ruèrent hors du mess et furent bientôt sur la passerelle, elle aussi inondée de lumière rouge sang. L’atmosphère feutrée avait cédé la place à un certain affolement, à la limite de la panique. Mérodac aboya à l’intention de son commandant en second :
— Enfin, Smolett, qu’est-ce qui se passe ?
Le commandant en second, un petit malkite un peu rondouillard au crâne dégarni mais au regard sévère tendit la main vers la carte holographique.
— Regardez. Quatre vaisseaux spatiaux approchent, en trajectoire d’interception. Nous avons capté leur signature énergétique dès qu’ils sont sortis de l’hyperespace.
Sur la carte en trois dimensions, deux lignes colorées matérialisaient les trajectoires du Wandering Nova et du groupe de vaisseaux. Tournant lentement sur elle-même, la carte ne laissait pas de place au doute : les lignes se croisaient.
— Bigre ! dit Mérodac. On dirait bien une… non, c’est impossible. Sommes-nous sur une route de transit fréquentée ?
— Non, dit Smolett. Notre transpondeur a émis les signaux d’usage et nous avons manœuvré pour maintenir les distances réglementaires de croisement, mais ils ont corrigé leur cap en conséquence. Ils cherchent à nous rejoindre, c’est clair.
— Pas de communication ?
— Rien. Nous émettons toujours sur les fréquences habituelles, en vain.
Quelques minutes durant, Mérodac manipula les commandes de la carte et donna quelques ordres. La trajectoire du Wandering Nova s’infléchit légèrement, et celle des quatre navires s’infléchit tout autant. Des centaines de milliers de kilomètres séparaient encore les appareils, mais cette distance allait en s’amenuisant de seconde en seconde.
— Qu’est-ce que c’est que ces navires ? dit Mérodac entre ses dents. Nous n’avons aucun signal de reconnaissance.
Le technicien qui surveillait le contrôle de masse, dans la fosse, leva les yeux vers son supérieur et dit :
— Ce sont des vaisseaux de fort tonnage, monsieur. Des cargos lourds, sans doute.
— Non, dit Suréna, c’est improbable. Des cargos lourds ne volent pas en formation de combat. Nous avons affaire à quelque chose de plus grave.
Il ne pouvait pourtant s’empêcher de songer au fait que d’autres choses bien plus improbables encore s’étaient déjà produites durant cette journée.
Quelques minutes s’égrainèrent encore, longues, tendues, alors que les consoles d’observation recueillaient des informations sur les assaillants. Penché sur un écran, Smolett dit enfin :
— Nous avons un contact un peu plus clair, capitaine. Ce sont quatre vaisseaux de grande taille et leur vitesse est à 0,63. Ils volent en formation serrée.
— Pas d’identification ? haleta Mérodac, pas de contact visuel ?
— Pas encore, capitaine. Ils sont sortis de l’hyperespace quelques secondes seulement avant que l’alerte ne soit donnée. Quelque chose me dit qu’ils savent parfaitement où ils sont et ce qu’ils font.
Mérodac fit la grimace. Il se trouvait une fois de plus plongé dans cette vieille ambiance de bataille spatiale, si familière, si terrible aussi. Après tant d’années… Pourtant l’excitation l’emportait sur la crainte dans son esprit, et les vieux mécanismes du combat spatial se réveillèrent en lui.
— Stoppez les moteurs, dit-il et mettez le cap à 45 degrés.
Sur la carte, on vit changer complètement la direction prise par le Wandering Nova. Manœuvre d’évitement classique, songea Suréna dont les connaissances du combat spatial se limitaient aux simulations. Cependant, les quatre assaillants suivirent le mouvement presque instantanément, comme s’ils avaient deviné la manœuvre du paquebot.
— Contact visuel dans quelques secondes, dit un technicien.
Mérodac sentit ses membres trembler un peu. L’excitation ou une crainte sourde montant en lui ? Il n’aurait su le dire. Suréna, détectant son trouble, posa sa main sur l’épaule du capitaine.
— Calme-toi, Zeth. Il y a sans doute une explication. Attendons qu’ils soient à portée.
— Sort de ma tête, Suréna ! dit Mérodac d’une voix grondante. Tout cela n’a pas de sens. Aucun vaisseau ne devrait se trouver dans ce secteur de l’espace sauf s’il voulait nous intercepter.
— Des pirates ? dit Suréna.
— Il n’y a plus de pirates depuis des décennies. L’Ordre Jedi y a veillé.
L’ambiance, dans la passerelle, devenait fébrile. La lumière rouge donnait à l’air une lourdeur oppressante qui semblait chauffer l’atmosphère à outrance. Irrespirable ! Les techniciens, habitués à des vols de routine et mal familiarisés avec l’instrumentation toute neuve du Wandering Nova, semblaient pris de panique et courraient dans tous les sens. S’approchant d’un hublot donnant sur l’espace extérieur, Mérodac scruta le vide, devant le vaisseau. Il ne vit rien. Dans cette portion de la galaxie, entre les bras spiraux, la densité stellaire était très faible, insuffisante pour éclairer quoi que ce soit. Pourtant, les quatre vaisseaux qui approchaient étaient là, quelque part.
— Monsieur, dit une voix paniquée, ils viennent droit sur nous !
— Gardez votre calme, dit Suréna à la cantonade. Il n’y a aucune raison de s’inquiéter pour le moment.
Mais il ne faisait pas illusion. Lui-même sentait une certaine angoisse l’envahir. Son cœur se mit à battre un peu plus vite, et malgré le strict contrôle qu’il exerçait sur lui-même, des perles de sueur apparurent sur son front. Plusieurs minutes s’écoulèrent encore, sans autre bruit que celui des appareils de commande.
La porte de la passerelle s’ouvrit soudain, et un gros bonhomme joufflu entre en trombe. Un Trigon, à en juger pas sa tenue invraisemblable, ses bourrelets de graisse et la forte odeur de transpiration qui l’accompagnait. Il tremblait de tous ses membres.
— Qu’est-ce qui se passe, enfin ? dit-il.
Personne ne prit la peine de lui répondre. Suréna, qui lui aussi scrutait l’espace à travers un hublot, se raidit subitement. Ses perceptions aiguisées lui avaient permis d’entrevoir un bref mouvement dans les ténèbres, comme si quelque chose avait bougé très rapidement, noir sur un noir plus profond encore.
— Gilead nous garde ! laissa-t-il échapper.
Le silence tomba alors sur la passerelle. La carte holographique s’éteignit et laissa place à une image de l’espace provenant des caméras télescopiques. On pouvait y voir plus clairement quatre longs vaisseaux aux lignes triangulaires. La lumière affaiblie et blafarde des étoiles lointaine se réfléchissait sur leurs coques sombres aux superstructures compliquées.
— Ce sont… commença Suréna.
— Oui. Des destroyers stellaires, poursuivit Mérodac. Des vaisseaux de combat cuirassés. Je ne pensais jamais en voir de pareils un jour. Et ils en ont après nous.
Suréna, comme tous les Jedi, n’en avait jamais vu autrement qu’en photographie et dans les simulations. Personne n’en avait jamais vu depuis des millénaires. En principe, seuls les Jedi possédaient encore des navires de guerre, cachés dans des systèmes aux confins de la province de Telmadus. On avait désarmé tous ceux qui avaient pu être retrouvés après la dernière guerre. Les seuls navires armés qui subsistaient étaient ceux des patrouilles de protection rapprochée des planètes, et ceux des chevaliers Jedi, mais aucun d’eux n’avait un tonnage supérieur à celui d’un petit escorteur. En tout cas rien d’aussi massif, d’aussi terriblement menaçant.
Les quatre longs vaisseaux avançaient lentement vers le Wandering Nova, comme s’ils ignoraient sa présence. Il était impossible, pourtant, qu’ils ne l’aient pas repéré. Il était de règle dans toute la galaxie que les vaisseaux se croisant à moins d’une unité planétaire communiquent automatiquement leurs codes transpondeurs. Si les intentions de ces vaisseaux avaient été claires et pacifiques, ils seraient certainement entrés en communication dès leur sortie de l’hyperespace. Là, ils arrivaient tous feux éteints, sans signaux de reconnaissance, sur le même plan que le paquebot chargé de passagers. Un paquebot désarmé.
Suréna ne perdait pas une miette de ce qu’il voyait. C’était sa première confrontation spatiale avec des unités potentiellement hostiles, et il s’en trouvait prodigieusement intéressé. Il remarqua avec stupeur que les canons des navires étaient rentrés derrière les sabords hermétiquement fermés. Seuls quelques canons conventionnels étaient en batterie. Aucune lumière ne brillait à la surface des destroyers.
— Ils ne sortent pas leurs canons, murmura-t-il.
— Pourquoi se donner la peine de nous intercepter ? dit Mérodac. S’ils avaient voulu nous ignorer, ils ne se seraient pas rapprochés volontairement.
— Peut-être veulent-ils simplement qu’on les voie, dit Suréna, toujours entre ses dents. Pour qu’on connaisse leur puissance. Ce serait bien dans leurs habitudes.
Mérodac avait saisi l’avant bras de son compatriote et leurs regards se croisèrent.
— Les habitudes de qui ? Lança naïvement le trigon en s’épongeant le front.
Suréna, pour toute réponse, désigna du doigt les destroyers qui devenaient parfaitement visibles, à présent, à travers les hublots du Wandering Nova. Même les passagers devaient les apercevoir, maintenant.
— Branchez les projecteurs extérieurs, dit Mérodac.
Bientôt, les coques des vaisseaux furent si proches qu’on pensait pouvoir les toucher en tendant la main hors du hublot, et pourtant des centaines de coudées les séparaient encore. Les quatre destroyers stellaires infléchirent leur cap, toutefois, et se glissèrent doucement sur le flanc du paquebot qu’ils longèrent dans toute sa longueur. Ils étaient énormes, bien plus que tous les vaisseaux que Suréna avait jamais vus. Bien plus que le Wandering Nova, qui paraissait insignifiant à côté des lourdes silhouettes sombres qui l’écrasaient. De puissants projecteurs photolithe promenaient leurs faisceaux sur la coque du destroyer le plus proche, révélant une surface grise, dépolie, criblée d’irrégularités et de dépressions. Ils n’étaient pas en bon état, songea Mérodac. Des souvenirs pénibles lui revenaient à l’esprit, des souvenirs de guerre, de rayons d’énergie déchirant l’espace et de coques de navires éventrées, éparpillant humains et débris à travers l’éternité glacée.
Soudain, dans le champ des projecteurs, un emblème apparut sur le flanc du vaisseau. Mérodac fit un geste bref et le faisceau du projecteur suivit le déplacement du cuirassé. C’était l’emblème de Kuat, un ancien système des régions du Noyau, où ces destroyers avaient été construits. Tout au-dessus, plus petit, celui de Malki, identifiant l’origine des vaisseaux. Puis derrière, comme poussant les deux autres, un cercle écarlate dans lequel s’enroulait un idéogramme compliqué. Suréna avait déjà vu ce symbole durant cette journée. Il tira de la poche de sa tunique la carte qu’il avait prise sur le cadavre du milicien et en examina le verso.
— Gilead nous garde, dit-il encore.
Mérodac avait compris, lui aussi. Mais il restait incapable de prononcer un mot, paralysé de stupeur. Les Jedi seuls étaient en mesure de réaliser la signification de ce qu’ils voyaient. Quatre vaisseaux de guerre aux couleurs du Cercle Rouge croisaient dans le territoire de l’Empire. Et cela, c’était impossible, ça ne pouvait pas se produire, Suréna en aurait juré.
— Quelqu’un me dira donc enfin de quoi il s’agit ?
Le trigon venait de troubler la stupéfaction ambiante. Suréna lança à Mérodac un regard interrogateur.
— C’est Cyris Porcius, dit le capitaine, l’armateur du Wandering Nova, le patron de la compagnie Transgalactique de Trigon.
— Mérodac ! reprit le trigon en secouant la manche de l’uniforme du capitaine. Me répondrez-vous donc ?
Le capitaine haussa les épaules et se concentra sur ce qui se passait à l’extérieur. Les quatre vaisseaux volaient en formation serrée, et celui qui était le plus proche du Wandering Nova le dominait de toute sa longueur. Il semblait ne plus en finir tant il était grand. Tous à bord, tant passagers que membres d’équipage, avaient les yeux fixés sur les vaisseaux qui croisaient le paquebot, et tous se surprirent à craindre pour leurs vies. Dans les quartiers des passagers, on s’était agglutiné dans les salles panoramiques et c’est une foule terrifiée qui voyait passer les montagnes volantes. La panique commençait à envahir tout le monde alors que les minutes passaient, lourdes, denses, pesantes d’un péril inconnu.
Dans la passerelle, Smolett réussit à articuler :
— C’est bizarre. Il n’y a aucune lumière, aucun signe de vie à bord de ces vaisseaux.
Mérodac acquiesça. Même en situation de combat, des vaisseaux de guerre portent des feux de navigation, ne serait-ce que pour rester en formation avec leurs partenaires. Mais ceux-ci semblaient morts, glissant silencieusement sur une dernière trajectoire.
— Des vaisseaux fantômes, dit un technicien, le nez rivé à un hublot.
— Certainement pas, trancha Suréna d’un ton glacial, en lui jetant un regard farouche. Quelqu’un contrôle la trajectoire de ces vaisseaux, c’est évident. Il s’agit certainement d’une manœuvre visant à nous impressionner. Nous ne pouvons rien tenter contre de tels monstres, de toute façon. Et ils ne peuvent rien tenter non plus contre nous. Ce serait une violation de…
Suréna n’avait pas encore terminé sa phrase qu’un sabord s’ouvrit à l’arrière d’un des destroyers, et un long tube en sortit. Avant que Mérodac aie pu donner la moindre consigne, un rayon d’énergie jaillit et vint frapper de plein fouet le Wandering Nova. Une explosion sourde parvint aux oreilles de l’équipage massé dans la passerelle, et une sirène irritante se mit à hululer dans tout le vaisseau.
Les vieux réflexes l’emportèrent sur la stupeur, et Mérodac se jeta sur l’une des consoles de commande.
— État d’urgence ! dit-il dans un micro. Nous sommes touchés par le travers bâbord. Isolez tous les ponts et verrouillez les cloisons étanches. Accélération d’un demi point, cap sur 61.
Brutalement électrisés par les ordres énergiques de leur capitaine, les membres de l’équipage bondirent sur leurs consoles et prirent leurs postes d’urgence partout à bord. Le Wandering Nova vira de bord et s’éloigna rapidement des destroyers qui semblaient vouloir poursuivre leur route, cette fois. Dans la passerelle, plusieurs douzaines de cadrans s’affolèrent et nombre de voyants passèrent au rouge. Le paquebot n’était pas fait pour ce genre de manœuvre brutale, et les structures de l’appareil souffraient terriblement sous les efforts qu’on leur demandait. Il y eut quelques secondes de flottement durant lesquelles un silence de mort emplit le navire, puis la vie reprit un peu dans la passerelle.
— Ils s’en vont, dit Smolett. Ils ne nous poursuivent pas.
— Il ne manquerait plus que ça, dit Mérodac d’une voix en lame de couteau. Faites le bilan des dommages, s’il vous plait.
— Ils nous ont touchés par bâbord arrière, près des moteurs principaux. C’est trop tôt pour avoir une évaluation plus précise.
Évidemment, songea Suréna. Le Wandering Nova n’avait rien d’un vaisseau de combat et il ne possédait ni armement, ni bouclier militaire, et encore moins de systèmes de diagnostic immédiat. Ce n’était qu’un superbe vaisseau de croisière délicat et fragile comparé à un de ces navires de guerre.
Sur l’écran holographique, on pouvait voir les destroyers qui disparaissaient déjà, au loin, dans les ténèbres. On ne les voyait déjà plus par les hublots. Au moins, plus de soucis de ce côté-là, se dit Mérodac. Il se concentra sur les rapports qui commençaient à arriver des différentes sections du vaisseau. Bientôt, il se redressa et se tourna vers Smolett, Suréna et Porcius.
— C’est grave, messieurs. Ils ont détruit les circuits des motivateurs hyperspatiaux et une bonne partie des propulseurs conventionnels. Nous nous traînons maintenant comme un fer à repasser dans de la soupe de pois.
Suréna pâlit un peu. Certes, il ne connaissait pas grand-chose au côté technique des immenses vaisseaux de croisière mais l’extrême gravité de la situation ne lui échappait pas. Les motivateurs hyperspatiaux, l’ordinateur compliqué qui calculait les paramètres de saut dans l’hyperespace, était l’élément indispensable au fonctionnement de l’appareil. Sans lui, pas de saut, sans saut, pas de déplacement dans l’espace, si ce n’était qu’avec la propulsion classique. Le Wandering Nova se trouvait donc seul, perdu au milieu de nulle part, et les seuls navires à proximité susceptibles de les aider étaient ceux-là même qui étaient responsables de leur situation désespérée.
Effondré, Mérodac donna quelques ordres sans intérêt au timonier, marmonna quelques directives, puis se tourna vers Smolett :
— Je convoque une réunion d’urgence des chefs de section, dans une heure au mess des officiers. Que tout le monde y soit, et à l’heure.
Smollet secoua la tête et donna des ordres dans le circuit de communication, et chacun retourna à ses occupations, comme si rien ne s’était passé. Mérodac, pourtant, était incapable de se remettre de ce qui venait de se produire. Il avait accepté implicitement l’impossibilité d’une telle situation, en cette fin de premier millénaire de l’ère impériale, et rien ne l’avait préparé à affronter cela. Tout son univers optimiste et égoïste s’effondrait.
— C’était bien le Cercle Rouge, n’est-ce pas ? dit-il en langue Jedi.
— Oui, confirma Suréna d’une voix éteinte. Ces vaisseaux portaient leur emblème.
— Qu’allons-nous faire, à présent ?

— — — — — — — —


Sans trop bien savoir pourquoi, Suréna avait revêtu son uniforme de cérémonie. Ça impressionnerait, c’était sûr. L’équipe de commandement était composée de tous les chefs de section, et au titre de responsable de la sécurité des passagers, il y avait sa place. Non, ce qui l’inquiétait, c’est qu’il n’était pas familiarisé avec ce genre de réunions. La plupart des officiers supérieurs n’étaient pas des Jedi, et dans les cas difficiles, la communication avec les autres peuples de la galaxie ne s’avérait jamais une partie de plaisir. Après avoir soigneusement ajusté sa tunique, il quitta sa cabine et se rendit dans le secteur de l’équipage, au rendez-vous fixé par Zeth Mérodac. Sur son chemin, il croisa des passagers terrifiés qui logeaient les murs des coursives. Son esprit capta des bribes d’effroi, de désespoir, des bouffées d’indignation, des relents de rébellion chez certains. Rien de bien encourageant. Personne n’était resté stoïque devant les derniers événements.
Sans tarder, il fut au mess des officiers. Quatre personnes y attendaient déjà : Mérodac, Smolett, Porcius, qui avait l’air de sortir de la douche tant il était mouillé, et un nikto dénommé Malow, ingénieur en chef. Sans un mot, Suréna tira une chaise et s’assit auprès de Smolett. Nul ne lui adressa la parole, bien que tous les regards aient convergé sur lui. Porcius avait l’air maussade et son teint habituellement rougeaud avait viré au grisâtre. Les replis graisseux qui entouraient ses paupières laissaient entrevoir ses petits yeux perçants et vindicatifs. Mérodac s’était installé confortablement au fond de la salle et, d’un air nonchalant, il manipulait les réglages de son heptacorde. Suréna, pourtant, n’était pas dupe. Sous son apparente désinvolture, son ancien mentor cachait difficilement une humeur des plus moroses. Il se mit à jouer un air typiquement Jedi, aux accords un rien discordants pour une oreille non initiée. Porcius se raidit, visiblement mal à l’aise ; la cohabitation entre les Jedi et les Trigons ne s’était pas toujours déroulée sans heurts.
— Pourriez-vous cesser ces grincements, Mérodac ? Vous me portez sur les nerfs.
Le Jedi n’en fit rien et entama un crescendo furieux. Ses doigts fins et osseux couraient sur les cordes avec une rapidité extraordinaire. Quelle joie d’énerver un peu ce trigon bouffi au propre comme au figuré.
La porte d’entrée s’ouvrit de nouveau, et trois hommes entrèrent dans le mess, puis vinrent, sans mot dire, s’asseoir autour de la table. Tous étant installés, Mérodac cessa de jouer et rangea son heptacorde.
— Bien, dit-il. Nous pouvons ouvrir la séance.
Personne ne se permit le moindre commentaire. Lorsque le capitaine parlait, il était de coutume de ne pas l’interrompre. D’autant qu’il avait retrouvé tout son aplomb et parlait avec une authentique autorité.
— Vous connaissez tous la situation dans laquelle nous nous trouvons. Je vais vous demander d’être concis et précis dans vos rapports.
Il se tourna vers Malow, l’ingénieur, et lui tendit la main pour l’inviter à parler.
— Je vais commencer par les bonnes nouvelles, dit Malow. Ce qui fonctionne : les cinq moteurs hyperspatiaux sont opérationnels. Le contrôle environnemental est en état et aucun des systèmes de survie n’est endommagé. Nous avons maîtrisé les dégâts, dressé un champ de force entre les ponts 17 et 19 et rétabli la pressurisation dans les secteurs touchés. Les générateurs sont eux aussi parfaitement opérationnels.
Murmures d’approbation dans l’assistance. Seul Porcius s’autorisa une remarque :
— Alors ce n’est pas si grave. J’ai craint un instant que les moteurs hyperspatiaux n’aient été touchés.
Le nikto lui jeta un regard agacé. Ce trigon n’y connaissait décidément rien en construction spatiale.
— Maintenant, reprit Malow, les mauvaises nouvelles. La coque est percée d’un énorme trou au niveau des ponts 17 à 19. Le rayon de particule a endommagé plusieurs réseaux informatiques et détruit les systèmes de navigation situés au pont 17. Mes hommes travaillent actuellement au recalibrage des bobines des motivateurs, mais sans support technique. Enfin, le plus grave : les mémoires du système de navigation sont pratiquement toutes brûlées.
Cela jeta un froid. Sans mémoires, le navordinateur, en supposant qu’il puisse être remis en état, était incapable d’effectuer le calcul des paramètres de saut.
— Des solutions ? demanda Mérodac.
— Les mémoires ne sont pas récupérables et l’ordinateur ne peut pas être réparé à bord, dit Malow. Nous allons tenter de démonter un navordinateur sur une de nos navettes et de le brancher sur nos systèmes, mais ça prendra du temps et nécessitera une reprogrammation complète.
Les huit personnes présentes échangèrent des regards lourds, cherchant à évaluer les réactions des autres. Seul Mérodac arborait un air de désinvolture assez hors de propos, ce qui était son habitude lorsque tout allait mal. D’un ton un rien guilleret, il dit :
— Bon. A vous, Loïsius.
L’homme en question, un technicien qui devait à ses racines trigones un physique un peu grassouillet et une propension à la transpiration, pianota sur son datapad et dit d’une voix éteinte :
— Nous avons envoyé les balises de détresse habituelles dans toutes les directions. Elles sauteront automatiquement en hyperespace et devraient se rapprocher suffisamment de systèmes habités pour que nos appels soient relayés. Les communications normales sont impossibles dans ce secteur de la galaxie. Le premier système se trouve à près de deux cents années lumières et sans relais, même nos communicateurs ne portent pas si loin.
— Quelles sont nos chances d’être secourus ?
— Nous avons l’avantage de connaître notre position avec précision, mais même si quelqu’un capte nos messages rapidement… N’espérez rien avant deux, voire trois semaines. Plus, peut-être.
Porcius, se levant de toute sa hauteur, intervint d’une voix flûtée :
— Un instant, messieurs. J’aimerais bien comprendre ce que tout cela signifie. Vous parlez dans un jargon technique auquel je n’entends rien.
Les six responsables de section sourirent simultanément. L’armateur avait tenu à assister à cette petite réunion, malgré le refus de Mérodac. Mais après tout, le Wandering Nova et la compagnie qui l’affrétait lui appartenait. Mérodac fit une sorte de révérence outrancière et dit :
— Je me propose de traduire pour notre invité les quelques informations que nous avons glanées : en fait, monsieur Porcius, nous sommes au milieu de nul part sans possibilité d’effectuer le moindre saut en hyperespace. Ce qui signifie que nous sommes coincés ici jusqu’à ce qu’on vienne nous secourir, peut-être dans deux, trois semaines ou plus. En espérant que d’ici là, nous aurons réussi à bricoler un système à partir du navordinateur d’une navette.
Un voile de panique passa sur le visage du Trigon.
— Perdus ? Coincés ? Mais comment est-ce possible ?
— Nous ne sommes pas perdus ! Nous n’avons plus d’ordinateur de navigation, dit patiemment Malow. C’est cet appareil qui fait les calculs des nombreux paramètres permettant de sauter en hyperespace. Et sans lui, point de saut.
— N’y a-t-il pas un ordinateur de secours ?
— Non, monsieur Porcius. Aucun navire ne possède deux navordinateur. Inutile ! Depuis des siècles les vaisseaux fonctionnent ainsi et personne n’y trouve rien à redire.
Porcius se mit à hurler
— Moi, j’y trouve à redire ! Ceux qui ont conçu ce vaisseau auraient dû envisager cette éventualité. C’est une négligence inacceptable.
Se fut Smolett qui intervint pour calmer un peu l’armateur :
— Mais, monsieur, on ne prévoit plus de navordinateur de secours depuis des siècles. Ces appareils ne tombent jamais en panne, et lorsque cela arrive, très, très rarement, un autre ordinateur peut éventuellement être reprogrammé pour effectuer les calculs.
— Alors faites-le ! aboya Porcius.
— C’est en cours, monsieur, soyez raisonnable. Mais les mémoires contenant les programmes ont été détruites dans le sinistre. Vous imaginez sans peine que nous avons envisagé tout ce qui était possible, en vain.
— Comprenez-nous, reprit Malow. Ce vaisseau est un navire de croisière. Il possède des boucliers standard, mais n’a pas été conçu pour résister à un tir de laser. Il est même très fragile, si on le compare aux énormes cuirassés que nous avons rencontré. Dans des vaisseaux comme ceux-ci, il y a un important blindage, des boucliers de combat. Et vous avez vu leur taille ? Plus ils sont gros et massifs, plus il faut augmenter la taille des moteurs et la puissance des générateurs. Et ces vaisseaux monstrueux ne peuvent accueillir qu’un équipage d’à peine huit cents personnes. Le Wandering Nova, lui, est allégé le plus raisonnablement possible de manière à permettre le confort d’un très grand nombre de passagers sans pour autant devoir recourir à des moteurs très gros. D’où sa fragilité. Et nous n’avons pas été visé au hasard, ils savaient parfaitement où nous atteindre. Un coup aussi bien ajusté n’avait qu’un but : neutraliser ce vaisseau sans faire de dégâts.
Porcius s’épongea le visage, cherchant de nouveaux arguments. Mérodac s’était renversé dans son fauteuil et fixait le plafond, priant pour rester le plus calme possible, le plus longtemps possible. Après quelques minutes de silence, il reprit la parole, se tournant vers Suréna.
— Qu’en est-il des passagers ?
— Les réactions ne se sont pas fait attendre, dit Suréna, d’une voix parfaitement maîtrisée. Tout le monde a pu voir ce qui s’est passé dans les salles panoramiques et les rumeurs se propagent à bord plus vite que l’éclair. L’attaque proprement dite n’a pas fait de blessés, mais dans le mouvement de panique qui a suivi, douze personnes ont perdu la vie dans des bousculades. Nous avons recensé cinq suicides et une centaine de malaises. Nous avons fait notre possible pour rassurer les passagers et leur expliquer que les moteurs sont en parfait état et que le retard n’était dû qu’à des vérifications. Cependant, ces explications ne tiendront pas bien longtemps. Des voix commencent à s’élever et réclament des explications solides : qui nous a attaqué, et pourquoi ?
— Que pourrions-nous bien leur répondre ? dit Smolett.
Suréna et Mérodac échangèrent un regard discret. Eux savaient, mais ils étaient dans l’incapacité de révéler cette information. Pas encore, en tout cas. Leur apprendre simplement que le Cercle Rouge les avait attaqué n’était pas suffisant. Il aurait fallu expliquer ensuite qui ils étaient, comment ils avaient été vaincus et pourquoi les Jedi avaient fait disparaître toute trace de leur existence.
Désireux d’éluder rapidement la question, le capitaine se tourna vers Scoth, un mirialan responsable des ressources, qui s’était tu jusque là.
— Où en sont nos réserves, monsieur Scoth ?
— Les générateurs fonctionnent bien. D’un point de vue électrique, nous pouvons tenir facilement deux, trois ans de façon autonome. Les systèmes de contrôle d’environnement marcheront tant qu’ils auront de l’énergie. Par contre, nous n’avons de réserve de protoaliment que pour un peu plus de deux semaines. Les synthétiseurs fonctionnent bien, mais sans proto, ils deviendront inutiles d’ici quinze jours standards.
— C’est le temps minimum pour espérer un sauvetage, ajouta Loïsius, ou l’adaptation d’un autre ordinateur.
— Et que mangerons-nous, ensuite ? dit Porcius.
— Il reste toujours la nourriture sur pied, dit alors Mérodac, le sourire aux lèvres.
Grognements choqués dans la salle. Le seul à ne pas réagir à la blague de Mérodac fut Suréna. Comment les passagers réagiraient-ils si la nourriture venait à manquer ?
— Ça me rappelle un vieux conte que ma mère nous racontait quand j’étais gamin, reprit Mérodac, d’un ton guilleret. Un vaisseau s’était perdu et ses moteurs hyperspatiaux sont tombés en panne. Petit à petit, les membres de l’équipage ont tiré au sort celui qui allait être mangé, et lorsqu’il n’en est plus resté qu’un, il s’est aperçu qu’ils s’étaient trompés dans les calculs de position et que le vaisseau était tout près d’un monde habité. Bien sûr, on ne racontait cette histoire que lors des grands voyages spatiaux. Mais ça nous faisait frissonner un bon coup…
— Cela suffit, Mérodac ! glapit Porcius. Un mot de plus et je… Je quitte cette salle.
Le capitaine se tut. Porcius s’épongea à nouveau puis dit :
— Je vais prendre cette affaire en main. Il faut trouver une solution. Ne pouvons-nous pas sauter en hyperespace à l’aveuglette ?
Ce fut Smolett qui répondit avec douceur :
— Vous ne vous rendez pas compte, monsieur Porcius, des paramètres qui entrent en jeu dans un saut hyperspatial. Si nous étions à bord d’un petit yacht, je prendrais le risque. Mais ce vaisseau est énorme, et nous transportons plus de huit mille passagers. C’est impossible.
Porcius fronça les sourcils.
— Mais comment faisait-on avant l’invention des ordinateurs de navigation ? Nos lointains ancêtres l’ont fait de tête, sans ces fichues machines, nous devrions pouvoir en faire autant. Faisons marcher nos cerveaux !
— Bien… Commencez, monsieur Porcius, nous vous suivons, dit Mérodac en regardant toujours le plafond.
— Comment le pourrais-je ? Je n’y connais rien.
— Je ne connais pas plus que vous les formules à employer, ni les règles de calcul. Voilà près de six cent ans que je navigue dans l’espace et je n’ai jamais su faire ce genre de chose. C’est vrai, nos ancêtres le faisaient, mais ils connaissaient les formules, eux, et passaient des semaines à plancher avant de tenter le moindre petit saut. Avez-vous idée du nombre de vaisseaux d’exploration qui se sont perdus lors de la Grande Conquête, simplement parce qu’ils n’avaient pas de navordinateurs ?
Le silence retomba sur le mess. Plus personne n’avait rien à ajouter, en fin de compte.
— Bon, dit finalement Mérodac, passons aux suggestions. Quelles options avons-nous, messieurs, hormis les lumineuses propositions de l’honorable monsieur Porcius ?
Silence, à nouveau. Il n’y avait pas d’option, pas de choix. Il ne restait plus qu’à attendre et à espérer un miracle.
— Une chose est certaine, dit Malow. Ceux qui ont fait cela savait parfaitement où tirer, et sous quel angle. Ils connaissaient bien le Wandering Nova. Comment expliquez-vous cela, monsieur Spell ?
Suréna flairait le piège. Malow s’adressait à lui non plus comme à un collègue mais comme à un chevalier Jedi, ceux-là mêmes qui, depuis un millénaire, pensaient avoir éliminé la guerre et les navires de combat.
— Je ne l’explique pas, répondit Suréna, sans manifester la moindre émotion. C’est assez déconcertant. Si je n’en avais pas été témoin oculaire, j’aurais juré que ce fut impossible. Vous savez comme moi qu’il ne devrait plus y avoir de navires de guerre dans cette galaxie, hormis quelques vaisseaux Jedi.
Les membres du conseil de commandement se concertèrent du regard. Les Jedi avaient fait du bon travail dans ce domaine. Depuis des décennies, on n’avait pas vu le moindre vaisseau de guerre croiser dans le territoire de l’Imperium. Il en subsistait ailleurs, dans la frange galactique, dans les royaumes indépendants de la bordure extérieure. Malki en construisait toujours, mais pas des cuirassés de cette taille. Ils devaient tous avoir été détruits, en principe. Les seuls qui avaient échappé, c’était ceux que les Jedi avaient caché un peu partout dans des systèmes de leur province. Au cas où… Suréna sentait l’inquiétude monter en lui. Il était bloqué là, quelque part entre les bras spiraux, alors que le Cercle Rouge, émanation du dernier Seigneur Noir, préparait quelque chose. Peut-être était-il le seul à le savoir. Qui sait ce que le Cercle Rouge où ceux qui étaient derrière lui pouvaient tenter lors des festivités, surtout s’ils possédaient toute une flottille de ces vieux croiseurs. L’inquiétude se mua en crainte. Il se sentait terriblement impuissant, pour la première fois de son existence, il avait la sensation de couler à pic. Pourtant…
— J’ai peut-être une idée, dit-il enfin.
Tous les yeux se tournèrent vers lui, y compris ceux de Mérodac, le visage soudain d’une pâleur effrayante.
— Parlez, dit Smolett. Nous n’avons rien à perdre.
— Pas avant d’y avoir sérieusement réfléchi, répondit Suréna. Ce n’est qu’une idée, pour le moment, je ne veux pas vous donner de faux espoirs. Je dois encore y penser quelques heures.
La réunion s’acheva, et ils se séparèrent donc. Chacun des chefs de service reprit ses activités, comme si de rien n’était, mais le désespoir commençait à se répandre peu à peu. Suréna fut bientôt seul avec Mérodac dans la salle de détente.
— Je voudrais te montrer quelque chose, Suréna.
Le capitaine s’était exprimé en langue Jedi ; la conversation prenait donc un tour confidentiel. Mérodac manipula un projecteur holographique qu’il posa au milieu de la table, et l’image d’un énorme stardestroyer apparut, suspendue au-dessus de la surface vitrifiée.
— C’est une modélisation faite par l’ordinateur d’après les images que nous avons prises. Regarde bien ce vaisseau en détail.
Suréna s’exécuta. Le vaisseau était triangulaire, de couleur gris métal, surmonté d’une tour de commandement et d’énormes sphères génératrices de bouclier. La surface du destroyer était couverte de traces d’impacts. Sous l’image du vaisseau s’affichaient les données techniques, taille, masse estimée… Suréna se souvint qu’il avait vu des appareils de ce genre dans des films historiques racontant les grandes guerres, pendant l’Ère des ténèbres.
— Quelles sont tes conclusions ?
— Ces vaisseaux sont anciens, dit Mérodac. Très anciens. Plusieurs millénaires. Regarde.
Il indiquait plusieurs endroits sur la coque du navire. Manipulant les commandes du projecteur, il agrandit démesurément une portion de l’image.
— Ce vaisseau-là est fort endommagé, reprit le capitaine. Il porte des traces de combats, et sa coque est déchirée en plusieurs endroits. Il ne possède plus de bouclier protecteur. Dans un vrai combat spatial à l’ancienne, ce rafiot ne tiendrait pas une minute.
— Mais son armement est opérationnel, dit Suréna.
— C’est ce qui reste en état le plus longtemps, dans un vaisseau de ce genre. J’ai une théorie : ces vaisseaux doivent provenir d’un cimetière d’épaves.
Suréna, intrigué, examina de plus près l’image du navire. Il semblait en effet en piteux état, pratiquement plus capable de voler, maintenant qu’il avait cessé d’être aussi impressionnant.
— Il existe de tels cimetières ?
— Certainement, dit Mérodac. Autrefois, c’est à dire bien avant la Grande Conquête, on ne détruisait pas les grands vaisseaux lorsqu’ils étaient déclassés. Ils étaient stockés quelque part, très loin dans la Bordure Extérieure, pratiquement hors de la galaxie, dans d’immenses cimetières spatiaux. Regarde ces emblèmes : on y voit clairement l’insigne de Kuat, et ce système à été détruit pendant l’Ère des Ténèbres. Et l’emblème du Cercle Rouge semble très récent. Si ce sont bien les Seigneurs Noirs, ils se sont certainement arrangés pour récupérer quelques-unes de ces épaves et les remettre en état. Quant à former un équipage…
— N’avions-nous pas détruit tous les vaisseaux de combat après la dernière guerre ?
— Tous ceux qui étaient opérationnels à l’époque, oui. Personne n’a dû songer à ces épaves. Je pensais, d’ailleurs, que personne ne savait précisément où se trouvaient ces cimetières spatiaux.
Il éteignit le projecteur holo. Durant quelques minutes, ils restèrent silencieux, assis chacun à un bout de la large table du mess, réfléchissant à ce qu’impliquaient ces informations.
— La grande question demeure, dit finalement Suréna. D’où venaient-ils, où allaient-ils, et surtout, comment ont-ils su que nous étions là à ce moment précis. Les festivités du Millénaire commencent dans moins d’une semaine et nous voilà bloqués ici.
— Ce qui m’intrigue, dit Mérodac, c’est qu’ils auraient pu détruire entièrement le Wandering Nova sans aucune difficulté, mais ils se sont contentés de nous immobiliser.
— Ils ont peut-être l’intention de frapper dans les prochains jours. Peu leur importe donc que nous sachions qui ils sont, nous n’aurons pas la possibilité d’agir avant plusieurs semaines. Tout de même…
Il se tut. Quelque chose lui échappait encore. A quoi pouvait bien rimer cette démonstration de puissance ? Quelle que soit l’identité réelle de leurs assaillants, ils avaient agi comme pour les retarder, simplement, mais assez longtemps pour que le Wandering Nova ne parvienne pas à Oruséa Prime pour les festivités. Quel plan machiavélique avaient-ils donc conçu ?
— Il faut trouver le moyen de joindre Coruscant avant le Millénaire, dit Suréna. C’est indispensable.
— Tu as une idée ?
— Oui. Mais elle risque de ne pas te plaire…
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Messagepar Uttini » Lun 02 Mai 2022 - 17:09   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 7

Merci pour le retour, Loucass.
Dans le prochain chapitre, on reviendra vers Kandra.
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Messagepar mat-vador » Lun 02 Mai 2022 - 21:00   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 7

Lu !

Et ouah, ce chapitre ! ca y est, ça démarre... il y a péril en la demeure :shock: ! Un ennemi que l'on croyait annihilé vient de faire une réapparition fracassante :diable: ! Un grave incident qui intervient alors qu'aura lieu la Fête du Millénaire ! Ca sent pas bon, tout ça :shock: !

La suite :oui: !
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Messagepar LL-8 » Mer 04 Mai 2022 - 22:27   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 7

J'ai rattrapé mon retard! Un chapitre tous les quatre jours, c'est un peu rapide pour moi, j'avoue.

Jusque là, j'aime bien ta fic'. On n'a effectivement pas forcément l'impression de lire du Star Wars, mais les quelques références à la saga principale qui subsistent nous tiennent suffisamment ancrés dans l'univers. Ceci dit, je me demande ce que tu avais prévu en lieu et place des Jedi dans ta fic' originale. On sent quand même qu'à la base, ce n'était pas du Star Wars: je retiens dans un des chapitres la mention des combinaisons spatiales (et je pense que tu ne pensais pas aux combinaisons aperçues dans TCW quand tu l'as écrit).

Je me demande aussi ce qui restera de la période de la saga originale dans ton texte. Aura-t-on droit à un descendant des Skywalker? Incorporeras-tu des éléments du canon, du Legends ou aucun des deux?

Le style est parfaitement maîtrisé (on sent les influences de Fondation, comme j'ai pu le dire, mais c'est plaisant), plus mature tout en restant subtile et plus profond que ce qu'on peut voir dans d'autres œuvres. J'aime bien!
"Mind tricks don't work on me."
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Messagepar Uttini » Jeu 05 Mai 2022 - 7:53   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 7

LL-8 a écrit: Ceci dit, je me demande ce que tu avais prévu en lieu et place des Jedi dans ta fic' originale. On sent quand même qu'à la base, ce n'était pas du Star Wars: je retiens dans un des chapitres la mention des combinaisons spatiales

Merci LL-8 pour la lecture.
En fait, les personages d'origine (le premier jet de ce texte a été écrit vers la fin des années 80) n'étaient pas trés différents des Jedi. L'essentiel de la trame est conservée. Il y a beaucoup plus de Star Wars dans la deuxiéme époque, on y rencontre un sith et les sabre laser sont plus présents. Mais j'ai commencé par la troisième qui est intégralement rédigée, alors que la deuxième (le premier jet date de 1984) n'est que sous forme de synopsis, ce qui facilite l'adaptation. Il existe une quatrième époque, qui se projette encore plusieurs milliers d'années dans l'avenir, mais l'adaptation est plus complexe, il ne resterait que trés peu de ce qu'on a connu.
LL-8 a écrit:Je me demande aussi ce qui restera de la période de la saga originale dans ton texte. Aura-t-on droit à un descendant des Skywalker? Incorporeras-tu des éléments du canon, du Legends ou aucun des deux?

Un descendant des Skywalker, ça serait surprenant, 10000 ans plus tard. On ne définit même pas qui étaient les Telmadiens avant l'Ére des Ténèbres. Une branche humaine réfugiés sur un systéme non loin de Coruscant, c'est tout ce qu'on en sait.
Dans la deuxième époque, on sera nettement plus starwarsien, si je parviens à l'adapter comme je veux.
Je vais espacer la publication, je m'efforce aussi de lire les fics des autres, ça prend du temps aussi.
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Messagepar Uttini » Mar 10 Mai 2022 - 15:18   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 7

J'ai laissé un peu plus de temps cette fois, je suis conscient que lire les fan-fics prends un temps fou, je ne trouve même pas le temps moi-même de lire celles des autres...


Chapitre 8 — Prisca

Lorsqu'elle revint à elle, Kandra éprouva un choc. Elle ne se trouvait plus étendue sur la moquette des quartiers d'isolement mais dans un lit douillet, immense, surmonté d'un baldaquin de satin blanc, et sentait sur son corps glisser des draps de soie. Elle était encore nue mais sa peau ne gardait plus la moindre trace du liquide poisseux dans lequel elle s'était plongée. Soudain saisie d'effroi, elle ferma les yeux et se retourna entre les draps. Qui pouvait bien l'avoir mise dans ce lit ? Pourtant, elle ne ressentait aucune douleur, nulle part. Si on lui avait fait subir des violences quelconques durant son inconscience, en garderait-elle des traces ? Non, songea-t-elle. Elle allait bien et était maîtresse de sa pensée et de sa volonté. Personne n'avait pas profité de la situation pour abuser d'elle.
S'asseyant sur son séant, elle examina la pièce où elle se trouvait : une large chambre aux murs blancs, richement meublée, d'une propreté irréprochable. Le soleil entrait à flot par une grande baie vitrée largement ouverte, et elle sentait sur sa peau bleue la douce caresse du vent venu de la mer. Une porte fermée devait mener à une autre pièce, une autre porte entrouverte laissait voir dans une pièce toute carrelée des installations de toilette. Tout semblait parfaitement calme, et une certaine sérénité l'envahit. Elle ignorait où elle était, mais au moins on s'était occupé d'elle et rien ne semblait la menacer pour le moment.
La jeune archéologue se leva et s'approcha de la fenêtre. Un vertige la saisit soudain, alors qu'elle s'appuyait sur le rebord: cette chambre se situait dans l'une des hautes tours du palais de Fallyn, et la fenêtre donnait sur un à-pic vertigineux. En bas, c'était la forêt qui entourait le château, et un peu plus loin, les premiers faubourgs de la cité. Si elle était prisonnière, comme elle l'imaginait, il n'était pas possible d'espérer s'évader par là.
Le puissant soleil de Strenotis frappait la tour de ses chauds rayons, et, plantée devant la baie, Kandra se sentit revivifiée. Retrouvant son tonus, elle s'abandonna quelques minutes à la caresse des rayons bienfaisants. En même temps, elle remit un peu d'ordre dans ses idées. Plusieurs jours devaient s'être écoulés depuis son entrevue avec Fallyn, à en juger par la faim terrible qui la tenaillait. Wellet, ne la voyant pas revenir au campement, avait certainement réagi, pas de soucis à se faire de ce côté. Pourtant, tout avait l'air fort calme dans le palais. Mauvais signe. Si Wellet était intervenu, il serait certainement auprès d'elle, dans son lit. Mais il n'y avait aucune trace du Jedi.
Un bruit de serrure la tira de ses considérations. Avant qu'elle ne puisse réagir, la porte pivota et une frêle jeune fille entra dans la chambre. Stupéfaite de voir Kandra debout près de la fenêtre, elle laissa échapper un petit cri aigu.
— Pardon, dit-elle, je ne voulais pas…
Kandra constata à la rougeur qui lui montait aux joues que sa nudité gênait la jeune fille. Elle saisit l'un des draps de soie et s'en couvrit soigneusement.
— Je suis désolée si je vous ai choquée, dit Kandra. Je ne me suis pas rendu compte. C'est à cause du soleil…
— Ne vous inquiétez pas, dit la visiteuse. Je suis sotte, c'est tout. Après tout, c'est moi qui me suis occupé de vous; je vous ai lavée et un droïde vous a mise au lit. Je vous apporte des vêtements. J'ignore s'ils vous iront, mais je n'ai guère le choix.
La jeune fille, qui devait avoir à peine vingt ans, posa une robe de toile métallisée sur le lit, et une paire de chaussons en toile écrue sur le sol.
— Je me retire, à présent.
— Non ! glapit Kandra. Attendez ! Je vous en prie, restez et répondez à mes questions.
La jeune fille s'arrêta dans son mouvement vers la porte, puis, après une dizaine de secondes d'hésitation, revint vers le lit. Elle était belle, pas tant que Fallyn, toutefois, mais elle lui ressemblait. Quelque chose dans son regard, dans la forme de son visage, rappelait la souveraine de Strenotis. Elle était vêtue très simplement d'une tunique ample de toile blanche, et ses cheveux noir de jais retenus par un cercle d'or, retombaient sur ses épaules nues.
— Ne craignez, rien, dit-elle. Nous sommes dans les quartiers d'isolement du palais, autrement dit les appartements de l'ancien harem du roi. Il y a longtemps que toutes les autres épouses royales sont parties, et nous sommes seules dans cette partie du palais.
— Sans indiscrétion, dit Kandra en s'approchant doucement de la jeune fille, qui êtes-vous ?
— Je… Je suis la sœur de Fallyn. Je suis la reine de Strenotis.
Stupéfaite, Kandra ouvrit de grands yeux. Aucun son ne sortit de sa bouche largement ouverte. Voyant son trouble, la jeune fille reprit:
— Oui, je veux dire que je suis la reine légale. Je suis la fille de l'épouse légitime de mon défunt père le roi. Fallyn est la fille d'une des concubines du harem.
— Mais que faites-vous ici ?
— Je suis la prisonnière de Fallyn, tout comme vous. Elle a prétendu que j'étais morte et le peuple l'a couronnée reine. Et vous, qui êtes-vous, cela dit sans vous froisser ?
L'archéologue avait passé la robe que la jeune fille lui avait apportée. La toile s'ajusta spontanément à ses mesures, mais elle aurait aimé quelque chose de moins moulant. Et d'un peu plus long. Visiblement, cette robe était conçue pour mettre en valeur la silhouette de celle qui la portait en insistant sur certaines formes. Elle eut un instant l'idée de protester mais se dit que c'était certainement tout ce que la jeune fille avait trouvé.
— Je suis Kandra Ilian, l'archéologue.
— J'ai entendu parler de vous, à l'université, dit la jeune fille avec un grand sourire. Je m'appelle Prisca.
Soudain fascinée par la métisse, elle s'assit sur le lit à ses côtés.
— Je suis tellement heureuse que vous soyez ici. Je suis enfermée seule dans ces appartements depuis si longtemps, seulement servie par des droïdes !
— Mais, dit Kandra, hésitante, pourquoi ? Quel intérêt de vous enfermer dans cette tour ?
Prisca perdit son sourire. Elle baissa la tête et ses chevaux tombant en cascade cachèrent les larmes qui se mettaient à couler sur son jeune visage. Alors que Kandra, bouleversée, la prenait par l'épaule pour la consoler, elle s'effondra et fondit en larmes dans les bras de l'archéologue.
— Aidez-moi, je vous en prie, dit-elle. Je n'en peux plus.
— Racontez-moi ce qui vous tourmente, Prisca. Mais calmez-vous, et séchez vos larmes.
— Fallyn me désire. Elle m'a fait enfermer parce que je ne voulais pas devenir sa shaâra.
Le mot n'était pas inconnu de l'archéologue. Beaucoup de mots très anciens se retrouvaient dans toutes les civilisations galactiques, dans tous les vieux cultes, et n'avaient pas d'équivalent dans la langue officielle. Strenotis avait conservé ses spécificités linguistiques.
— Mais shaâra, c'est la sœur, traduisit l'archéologue. Littéralement, le "frère femelle", ou encore la…
Elle se tut, horrifiée. Fallyn n'aurait donc pas hésité à faire ça à sa propre sœur sous prétexte d'un acte religieux.
— Quelle perversion ! souffla Kandra.
— C'est ce que mon père le roi disait toujours à propos du culte d'Arésha, ajouta Prisca.
Étouffée de colère et de dégoût, Kandra laissa la jeune fille sur le lit et se dressa, les poings serrés. Tous ses muscles tremblaient.
— N'ayez crainte, jeune fille, siffla-t-elle entre ses dents. Je suis là, et très bientôt, mon époux viendra nous tirer de là.
Prisca releva son visage noyé de larmes. Le désespoir se lisait sur ses traits défaits.
— Votre époux ? Mais aucun homme n'est capable de résister à ma sœur. S'il est venu au palais, il a certainement dû finir dans son lit. Comme tous les autres.
L'archéologue tressaillit. Wellet était un Jedi, il possédait un contrôle mental sur ses sentiments et ses émotions… Certes, il était aussi un hédoniste, c'est vrai et appréciait les plaisirs, les plaisirs de la chair en particulier, mais il était son époux, fidèle et digne de confiance. Et surtout il connaissait son devoir en tant que Jedi. Un doute terrible, cependant, emplit le cœur de Kandra.
— Non, dit-elle. Mon mari est un chevalier Jedi. Il est impossible qu'il puisse céder à…
Mais elle cherchait surtout à se convaincre elle-même. Elle secoua la tête résolument.
— Elle en a déjà séduit bien d’autres, dit Prisca. Elle a même réussi à séduire mes deux frères. Elle possède des machines, des appareils qui troublent le cerveau, qui brouillent la volonté et la rendent irrésistible, et personne, aucune créature ne peut lui résister si elle le décide. Vous en avez fait l'expérience, n'est-ce pas ?
Kandra ne répondit pas. En fermant les yeux, elle voyait encore la silhouette de Fallyn s'imprimer dans son esprit, belle, élancée, séduisante. Elle lui tendait la main et murmurait à son oreille.
— Viens, et abreuvons-nous d'amour !
Tout son corps se remit à brûler. Un puissant désir l'envahissait à nouveau alors qu'elle attardait ses pensées sur cette vision, et il lui fallut fournir un effort surhumain pour évacuer de son esprit les sensations qui s'en emparaient. La vision s'enfuit loin d'elle, pourtant Kandra restait convaincue que ces désirs restaient tapis quelque part, dans un recoin de son cerveau, attendant le moment propice pour ressurgir, la plus petite stimulation. Elle se sentait souillée, marquée dans sa mémoire comme au fer rouge. La reine Fallyn avait dévoyé ses pulsions et l'avait transformée en quelque chose qui ne lui inspirait que de l'aversion.
— Je vois bien qu'elle vous a influencée, vous aussi, dit Prisca, déchiffrant le trouble dans le regard de l'archéologue. J'ai déjà vu cela tant de fois. Personne ne peut lui résister, croyez-moi.
— Mais comment est-ce possible ?
— Les machines qu'elle utilise fabriquent les désirs, les pensées, et les mettent dans votre cerveau. Ils deviennent les vôtres et vous finissez par vous y abandonner sans résistance.
Prisca se remit à sangloter silencieusement, étendue sur les draps de soie. Quelles épreuves avait-elle traversées ? Kandra se sentait capable de tout, soudain, même de tuer elle-même Fallyn avec ses ongles. La colère l'emporta en elle sur le dégoût et serrant les poings jusqu'à s'en faire blanchir les jointures, elle affirma:
— Je vais vous aider, Prisca. Je ferais tout mon possible, mais il faut tout me raconter, tout ce que vous savez.
La jeune fille se calma un peu et Kandra l'aida à sécher ses larmes. Quelques minutes plus tard, elle pouvait à nouveau faire un récit cohérent.
— J'ai été élevée par ma mère comme devait l'être une future reine. Tous les jours, j'allais au temple de Gilead pour le culte, et j'ai appris les principes de vie dans l'école religieuse du temple. Un jour, ma demi-sœur Fallyn est revenue de l'université de Trigon III. Elle y avait découvert le culte d'Arésha et ses rituels, qu'elle était désireuse d'imposer sur notre monde. Mon père le roi s'y est opposé et l'a exilée dans l'un de nos palais d'été, loin de la capitale, où elle avait organisé des cérémonies pour le Poteau Sacré. Quelques semaines plus tard, mon père le roi est mort d'un mal mystérieux, et ma mère a assuré la régence jusqu'à ce que je sois en âge de régner. Dans son palais, à l'autre bout de Strenotis, Fallyn reçut la visite de plusieurs hommes étranges qui lui proposèrent de devenir reine et de satisfaire tous ses désirs. Tout ce qu'ils voulaient en échange, c'était l'autorisation d'emporter des machines, des objets qu'ils avaient trouvés dans d'anciennes ruines. Je suppose qu'ils étaient archéologues, eux aussi. Mon père le roi avait toujours refusé de les autoriser à emporter quoi que ce soit hors de Strenotis.
Certainement ceux-là même qui avaient pillé les quatre autres sites, songea Kandra. Les pièces du puzzle s'emboîtaient parfaitement. Prisca poursuivit:
— Un jour, Fallyn est revenue à la capitale à la tête d'une armée de fidèles et s'est proclamée reine de Strenotis. Entre-temps, ma mère est morte, elle aussi, du même mal mystérieux que mon père le roi, et Fallyn m'a fait enfermer ici, et fit circuler parmi le peuple que j'étais morte avec mes parents. Elle amenait avec elle les machines que les hommes du Cercle Rouge lui avaient offertes, qu'elle utilise aujourd'hui pour asservir la volonté de tous et les plier à ses désirs.
Kandra l'interrompit brusquement.
— Le Cercle Rouge ? Qui était-ce au juste ?
— Je l'ignore, avoua Prisca. Mon père le roi les avait appelés ainsi lorsqu'ils étaient venus le voir. Il les détestait, mais il ne m'a jamais dit pourquoi. Je crois qu'il ne voulait pas qu'on pille les tombeaux des ancêtres.
Le Cercle Rouge. Kandra retourna les mots une douzaine de fois dans sa tête, sans parvenir à définir clairement ce qu'ils lui inspiraient. Ce terme avait quelque chose de familier et elle était persuadée l'avoir déjà entendu, sans pouvoir retrouver où et en quelles circonstances. Aucune signification ne lui vint à l'esprit, dans aucune des langues qu'elle connaissait, et pourtant ce terme évoquait quelque chose, quelque chose de terrifiant. Le sens restait bloqué quelque part dans son cerveau, à la lisière de son intelligence, un peu comme si on l'y retenait de force.
— Continue, Prisca, cela devient intéressant.
— C'est presque la fin de l'histoire, dit Prisca, dont les yeux gonflés recommençaient à couler. Fallyn a tout changé sur Strenotis. Elle a attiré de nombreux hommes et femmes au culte du Poteau Sacré, et elle a fait du palais royal un temple en l'honneur de la déesse Arésha. Lors d'une grande fête pour célébrer son intronisation, elle s'est livrée à des actes d'adoration suprêmes avec mes deux demi-frères. Elle prétendait qu'en multipliant ce que les autres considéraient comme des perversions, qu'en rejetant tous les tabous, Arésha bénirait Strenotis d'autant plus. Elle a caché ses machines dans le palais, et depuis…
Elle se remit à sangloter. Kandra la prit par les épaules et la secoua un peu. Elle devait absolument se reprendre et poursuivre son récit.
— C'est tout ? Depuis quand es-tu prisonnière ici ?
— Presque quatre ans, avoua enfin la jeune fille, après avoir retrouvé un peu ses esprits. Fallyn veux que je devienne sa shaâra sans qu'elle soit obligée d'utiliser son pouvoir sur moi. Elle dit que nous pourrions régner ensemble et que je deviendrais prêtresse d'Arésha avec elle, deux sœurs et deux amantes, tout comme Arésha elle-même ne fait qu'une avec sa sœur la déesse Anath.
Prisca s'épancha, et raconta tout à l'archéologue écœurée par tant de souffrance et de perversité. Quatre ans. Quatre ans, enfermée dans ces appartements, sans contact avec l'extérieur, avec juste quelques droïdes de protocole pour la servir. Quatre ans à souffrir, dans la crainte permanente que Fallyn ne perde patience et ne la convertisse de force. Quatre ans pendant lesquels elle s'était occupée des autres prisonniers de la reine, qu'elle envoyait régulièrement dans les quartiers d'isolement avant de les faire céder à ses désirs. Combien en avait-elle vu ? Trente, quarante, peut-être ? Certains ne restaient que quelques jours et demandaient eux-mêmes à retrouver la reine, tant le désir dont elle les avait imprégnés était puissant. D'autres étaient tirés de leur sommeil par les gardes et emmenés sur le champ, sans que Prisca les revoie jamais. Quatre ans à baigner de ses larmes les corps des jeunes hommes et femme que Fallyn lui envoyait, avant de les voir disparaître.
Kandra perdait espoir. Fallyn semblait avoir un pouvoir implacable, incoercible sur ses victimes. Comment résister à une telle emprise, à une telle puissance ? Un mentaliste en était-il capable ? Depuis trois longs jours, l'archéologue était prisonnière dans cette tour, inconsciente. Et à présent, aucune nouvelle de Wellet. Elle se leva et se planta devant la fenêtre largement ouverte sur le vide.
— Que faites-vous ? hurla Prisca. Vous n'allez pas sauter ? D'autres l'ont fait avant vous.
Kandra se retourna vers la jeune fille et la rassura.
— Non, je ne vais pas sauter. Je respecte la vie, Prisca, je suis une fidèle du culte de Gilead, et la vie, la mienne en particulier, est sacrée pour moi. Je réfléchissais simplement à un moyen de sortir d'ici.
— Il n'y en a aucun, dit Prisca en s'essuyant les yeux. D'autres ont cherché longuement. On ne peut pas s'échapper de cet endroit.
Kandra fut bien près de la croire. Pourtant, l'archéologue n'était pas du genre à s'avouer vaincue aussi facilement. Par la fenêtre ouverte, elle regarda au loin, vers le désert rouge, comme si ses pensées pouvaient franchir les larges espaces sauvages de Strenotis à la recherche de son bien-aimé. Elle regardait en vain. Le désert rouge était de l'autre côté de la planète, et même un puissant mentaliste n'est pas capable d'émettre ses pensées aussi loin. Semblant soudain s'affaisser sur elle-même, elle baissa la tête et abandonna la fenêtre. Accablée, désemparée, son regard croisa celui de Prisca. Si elle ne trouvait pas de solution pour elle-même, au moins en trouver une pour la jeune fille. Au moins tenter de la sauver.
Elle se força à sourire timidement, apportant un peu de réconfort à Prisca. Puis elle décida de reprendre le dessus et se dirigea vers la salle de bain. Une douche remettrait certainement de l'ordre dans les idées. Elle quitta sa minuscule robe métallique et entra dans l'enceinte vitrée où l'eau coulait à flot. A peine était-elle mouillée qu'elle entendit un cri perçant qui lui tarauda les oreilles. Elle se raidit et fit un bond dans la cabine.
C'était la voix de Prisca.

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Prenant juste le temps de s'enrouler dans une serviette, Kandra, dégoulinante, ça devenait presque une habitude, sortit en trombe de la salle de bain. Prisca était debout au milieu de la chambre, pétrifiée, blême, les poings serrés contre sa bouche largement ouverte. Devant elle, juste à côté de la porte, l'air semblait vibrer, scintiller autour d'une boule métallique d'environ deux coudées de diamètre, suspendue en l'air un peu au-dessus du sol. La boule vrombissait doucement et émettait des cliquetis mécaniques. Un droïde de la Mémoire.
Tétanisée, Prisca semblait en état de choc. Kandra prit la jeune fille dans ses bras et lui dit quelques mots pour la rassurer, la fit s'asseoir sur le lit encore défait, puis elle se tourna vers la boule flottante.
— Qu'est-ce que tu fais là ? Qui t'a dit que j'étais ici ?
La machine vrombit un peu puis sa voix synthétique se fit entendre, en langue Jedi :
— J'ai capté votre schéma psychique conscient et je vous ai rejointe dès que j'ai réussi à localiser votre position, comme monsieur Wellet m'en avait donné l'ordre.
Alors, songea Kandra, Wellet était venu au palais et il avait emmené le droïde avec lui. Que pouvait-il être advenu de lui ?
— Quand Wellet est-il venu ici ? dit Kandra, s'exprimant elle aussi en langue Jedi.
— Le lendemain de votre départ, reprit la machine. Il m'a laissée à l'extérieur du palais en mode d'alerte permanente. Je devais vous rejoindre aussitôt après avoir capté votre schéma psychique conscient pour vous emmener loin d'ici.
Trois jours. Trois jours que Wellet était venu au palais de Fallyn. Quelque chose lui était arrivé, inévitablement, et Kandra ne pouvait s'empêcher de repenser aux paroles de Prisca: personne ne résiste à Fallyn et à ses machines. Surtout pas les hommes.
Assise sur le lit, sanglotante, les poings toujours bourrés dans la bouche, Prisca s'était mise à trembler. Elle avait déjà vu un droïde de ce genre mais en avait une conception tout autre. Pour elle, un Mémorium était là, au milieu de la chambre. Elle n'en avait entrevu un qu'une seule fois, dans l'une des salles interdites du temple où seuls les prêtres sont admis. La porte de la salle s'était entrouverte, alors qu'elle priait, et Prisca avait pu voir, une seconde durant, la boule métallique reposant dans son berceau. Elle savait ce que c'était que cette chose, le prêtre le lui avait enseigné: l'Œil de Gilead, la main de la déesse Mnémosyne. A travers le Mémorium, le dieu voyait tout, savait tout et rien ne pouvait rester caché à ses yeux. Par lui Mnémosyne n'oubliait rien de la conduite de chacun.
Et elle voyait à présent l'archéologue parler à l'Œil de Gilead, et l'envoyé divin lui répondre, dans la langue sacrée des prêtres. Quittant le lit, elle tomba à genoux devant Kandra et l'Info, et se prosterna. Kandra fronça les sourcils et la releva doucement en la tirant par les bras.
— L'heure n'est pas à la liturgie, petite Prisca.
— C'est un envoyé de Gilead, dit la jeune fille à voix basse.
— Ce n'est qu'une machine, rétorqua Kandra, un droïde comme ceux qui s'occupent de toi. Elle n'a rien de divin, rien de miraculeux. C'est un terminal de la Mémoire…
— Blasphème ! aboya Prisca en sanglotant.
Et elle retomba à genoux devant la boule métallique. Kandra décida de s'en désintéresser pour le moment. Il y avait plus urgent à faire. Elle retourna dans la salle de bain, se rhabilla sans prendre le temps de se sécher, mit à ses pieds les chaussons en toile que Prisca lui avait apporté, puis revint dans la chambre. Prisca était toujours prosternée devant la sphère.
— Info ! dit Kandra. Nous sommes toutes deux dans une situation dangereuse, nos vies sont menacées. Je demande un accès aux dispositifs d'urgence.
— Accès autorisé, dit la machine, placidement. Préparez-vous à quitter cet endroit, s'il vous plaît.
Kandra se tourna vers la jeune fille. Pas question de la laisser enfermée ici, évidement, mais pouvait-elle vraiment se charger d'elle ? Tôt ou tard, Fallyn s'apercevrait de leur disparition à toutes les deux, et elles n'avaient pas d'endroit où se cacher sur Strenotis. La fuite était une chose, mais l'enlèvement d'une princesse de sang royal pouvait passer pour un acte de guerre. Le choix était des plus difficiles, et elle était consciente qu'elle devrait en assumer toutes les conséquences. Après quelques instants d'intense réflexion, elle prit une décision.
— Prisca, relève-toi. Je t'emmène avec moi. Nous quittons ce palais.
La jeune fille se releva et, desserrant les mains, elle parvint à articuler:
— C'est la réponse à toutes mes prières. Depuis des années, je prie Gilead de me délivrer et il vous a envoyé pour me sauver.
— Oui, oui, c'est cela, dit Kandra, un brin agacée, en prenant la jeune fille par les épaules. Info, transmets-nous vite au…
Elle n'acheva pas. Wellet ! Elle ne pouvait pas quitter le palais sans savoir ce qu'il était advenu de Wellet. Elle tendit la main, comme pour arrêter l'info dans sa procédure, et saisit Prisca par les épaules.
— Dis-moi, petite Prisca, si mon mari est venu ici et qu'il a succombé aux… disons aux charmes de ta sœur, où peut-il être à présent ?
La jeune fille réfléchit un instant, sans comprendre le sens de la question. L'Œil de Gilead devait pourtant tout savoir. Il devait connaître ce palais et tout ce qui s'y passait. Mais peut-être était-ce une épreuve à sa foi ?
— Sûrement dans la grande salle des thermes. C'est là que vont tous ses esclaves lorsqu'elle a fini de les… utiliser.
Kandra sentit une fois de plus un profond dégoût l'envahir, en même temps qu'une terreur confuse à l'idée de retourner dans cette fameuse salle. Elle avait résisté une fois à Fallyn, certainement parce que la reine n'utilisait pas ses machines à pleine puissance, et elle en gardait des marques indélébiles dans son esprit. Pourrait-elle résister une seconde fois ? Certes, l'Info l'accompagnait, mais devant ce genre d'armes inconnues, la machine était peut-être impuissante.
— Il faut y aller, murmura-t-elle, surtout pour s'en donner le courage. Je dois savoir ce qui est arrivé à mon mari. Connais-tu le chemin, Prisca ?
La jeune fille secoua la tête affirmativement. La serrant tout contre elle, Kandra dit à voix haute, en langue Jedi :
— Info, transmets-nous au niveau principal, dans la grande salle du temple, s'il te plait.
Un jaillissement de lumière, une vibration dans le substrat même de l'espace, et le trio disparu dans un sifflement. Une fraction de seconde plus tard, ils réapparurent au milieu de la salle principale que Kandra avait déjà visité, devant le colossal Poteau Sacré, la représentation d'Arésha Dame de la Mer, Aïeule des dieux. Personne en vue, et pas un bruit. Kandra considéra l'idole avec répugnance et secoua énergiquement la jeune fille.
— Conduis-nous, maintenant, le plus vite possible !
— Je ne suis pas certaine de me souvenir, dit craintivement Prisca, mais je vais essayer.
Kandra et Prisca, suivies de près par l'Info bourdonnante, s'engouffrèrent dans un couloir désert. Personne n'avait encore remarqué leur évasion, songea l'archéologue, mais cela ne saurait tarder. Ils allaient bien rencontrer quelqu'un dans ces corridors, c'était inévitable.
Elles traversèrent en courant plusieurs centaines de mètres de couloirs, descendirent plusieurs volées de marches. L'archéologue ne se souvenait pas d'avoir emprunté ce chemin lorsqu'on l'avait conduite aux thermes. L'itinéraire que Prisca indiquait semblait éviter les enfilades de salles des plaisirs où s'ébattaient les serviteurs d'Arésha, ce qui n'était pas sans la satisfaire. Tournant brusquement dans un croisement, les deux femmes tombèrent sur un groupe de personnes en toges qui se mirent aussitôt à pousser des cris d'épouvante. Passant rapidement à côté d'eux, Kandra et Prisca poursuivirent leur chemin au pas de course, toujours suivies par l'Info. Peu importait ce que pensaient ces personnes, peu importait ce qu'elles pouvaient faire, Kandra n'avait plus qu'une idée fixe, sur laquelle elle concentrait toute sa volonté, toute son énergie mentale, toutes ses facultés, une idée qu'elle élevait comme un rempart contre tout ce qui pouvait l'agresser: retrouver Wellet. Enfin, Kandra et Prisca se retrouvèrent dans une pièce du château dont la décoration de mauvais goût était familière à l'archéologue; elles n'étaient qu'à quelques dizaines de mètres de l'entrée des thermes.
— Nous y sommes, Prisca. Prépare-toi à affronter ta chère sœur.
— Elle n'est certainement pas là, à cette heure-ci, dit Prisca, essoufflée par la longue course. Le culte public se déroule dans les salles de réception et ma sœur s'y trouve toujours durant l'après-midi.
Voilà qui réglait le problème Fallyn pour le moment. L'affrontement n'aurait pas encore lieu, ce qui n'était pas sans rassurer un peu l'archéologue. Tirant sur l'un des cordons qui pendait à côté d'un des larges battants en bois, Prisca fit pivoter la porte de la grande salle des thermes, là où se trouvait le fameux bassin à l'eau blanche.
L'odeur. C'est ce qui, en premier lieu, frappa Kandra et Prisca de plein fouet. L'archéologue se sentit défaillir un instant, mais parvint à se ressaisir, serrant les dents. Prisca, elle aussi, semblait bouleversée, très affectée par l'effet stupéfiant du suc d'almuggim, mais tenait ferme. Elle avait mit toute sa confiance en Kandra, la considérant comme l'envoyée de son dieu. Impossible de renoncer, maintenant que Gilead avait répondu à ses prières, maintenant qu'elle avait voyagé dans le néant avec l'Œil de Gilead.
Apparemment, Prisca ne s'était pas trompée, Fallyn n'était pas là, mais la salle n'était pas vide pour autant. Elles entrèrent prudemment, toujours suivies de l'Info qui flottait imperturbablement à une demi-coudée au-dessus du carrelage. Dès qu'elle eut passé le seuil, la machine se mit à cliqueter, ce qu'elle faisait toujours avant de parler:
— Alerte, dit-elle. Je détecte dans cet environnement des substances alcaloïdes toxiques en suspension. Cette atmosphère est délétère. Je dois…
— Surtout pas, Info ! aboya Kandra. Tu restes en état d'urgence. Si Wellet est ici, il faut le retrouver.
Abandonnant Prisca et l'Info, Kandra parcourut la salle, derrière les colonnades, là où s'entassaient les esclaves de la reine, étendus, avachis à même le sol ou sur des pierres chaudes, tous privés de volonté, si ce n'était celle de la reine, réduits à l'état d'objets de plaisir. Prenant son courage à deux mains, surmontant l'incoercible envie de fuir qui la torturait, elle enjamba lentement plusieurs corps flasques, hommes et femmes de tous âges, sans réactions mais bien vivants, comme pouvait en témoigner leur respiration. Elle examinait leurs visages, cherchant dans leurs traits ravagés ceux de son époux, mais ne voyait que des regards vides. Dans un déchaînement de rage, serrant une fois de plus ses petits poings, Kandra Ilian jura de ne pas laisser ces crimes impunis. Elle se concentra sur son bouclier mental rudimentaire, afin de tenir, d'endurer devant l'effroyable spectacle qu'elle avait sous les yeux. Soudain, elle sentit son cœur bondir dans sa poitrine. Parmi les esclaves, elle venait d'apercevoir un visage familier.
— Wellet ! hurla-t-elle.
Enjambant plusieurs corps étendus, elle se précipita vers la silhouette prostrée de son mari, assise contre un mur. Lorsqu'elle fut près de lui, elle s'agenouilla et prit sa tête entre ses mains.
— Wellet ! C'est moi, Kandra !
C'était bien lui. Mais ses yeux grands ouverts regardaient le vide, sans expression, d'une fixité morbide. Son corps ne portait pas de traces de violences, mais sur un Jedi, ça ne prouvait pas grand-chose, les blessures guérissaient très vite. Kandra le serra contre elle; il était chaud et flasque, sans réactions, et même s'il le paraissait, il n'avait rien de conscient.
Durant de longues minutes, elle pleura silencieusement sur le corps de son mari. Elle le revit, beau, calme, gentil, prévenant, lors de leur première rencontre, alors qu'elle n'était qu'une jeune étudiante un peu gourde. Elle revit son sourire, son regard, elle sentait encore la caresse de ses mains sur son corps, la puissance presque bestiale, curieusement désespérée, parfois, de son amour, elle entendait sa voix, chaleureuse et ferme, mais assourdie, comme étouffée. Il ne souriait plus, ne parlait plus, ne regardait plus rien d'autre que le vide en face de lui.
— Elle a tué son esprit, dit Prisca.
Elle venait de rejoindre l'archéologue et tentait à son tour de consoler celle qui l'avait aidée. Des larmes coulaient toujours sur ses joues et tous ses membres étaient agités de tremblements mais elle s'efforçait de rester forte, à présent, digne de la reine qu'elle aurait dû être. La jeune fille s'assit à côté de Kandra et la prit par le bras. La chiss poussa un long cri, qui se répercuta contre les murs et les voûtes de marbre des thermes.
— Il ne faut pas rester ici, dit finalement Prisca. Les gardes vont arriver d'une seconde à l'autre.
— Oui, nous allons partir. Info !
La boule métallique qui jusque là était restée près de la porte s'approcha, à travers les colonnades puis s'immobilisa à une coudée de Prisca. La jeune fille pouvait percevoir les légères vibrations des mécanismes internes de la machine, et le stoïcisme dont celle-ci faisait preuve la rassurait. Prisca avait placé toute sa confiance dans la protection que pouvait lui apporter l'Œil de Gilead, convaincue que si le moindre péril surgissait, la machine divine serait là pour la sauver. Fascinée par l'Info, elle ne put réprimer un geste d'adoration.
Kandra parvint à se relever et s'essuya le visage. Ce que Wellet avait subi était surtout psychique, et si les cellules d'un Jedi se régénéraient très rapidement, qu'en était-il son esprit ? Luttant contre son désespoir, elle retrouva un peu de son sang-froid; tout n'était pas perdu. Elle se tourna vers l'Info.
— Peux-tu nous transmettre tous les trois hors des murs de ce palais ?
— Affirmatif, répondit laconiquement la machine.
— Alors, n'attendons pas. Viens, Prisca. L'Info va nous sortir de là.
Prisca tendit un regard inquiet vers l'archéologue.
— Vous l'emmenez avec vous ? Pourtant il est… Il vaudrait mieux qu'il soit mort. Et ma sœur sera furieuse.
— C'est un Jedi, Prisca. Il a la vie dure. Quant à ta sœur, elle aura bien d'autres raisons d'être furieuse quand elle s'apercevra de notre évasion.
Ce fut un nouveau choc pour la jeune Prisca. Cet homme pitoyable, brisé, avili dans tout ce qui faisait de lui un être humain, était bien un Jedi, un Fils de Mnémosyne, un Chevalier de l'ordre. Fallyn avait commit là un crime suprême, et le châtiment ne tarderait pas à s'abattre sur elle, Prisca en était certaine.
— Aide-moi à le mettre debout.
Elles tirèrent chacune un bras du Jedi et le soutinrent tant bien que mal jusqu'à ce qu'il soit à peu près sur ses pieds, puis Kandra se serra contre lui. Elle fit signe à Prisca de faire de même et donna un ordre à l'Info. Un flot de lumière émanant de la boule métallique enveloppa le trio, puis, dans une sorte de crépitement, ils disparurent sans laisser de trace.
Quelques secondes plus tard, Fallyn, avertie par les gardes de l'évasion de sa sœur et de la métisse, faisait irruption dans les thermes, encore vêtue de la robe de soie rituelle. Contournant le bassin, elle vit qu'on avait aussi emporté Wellet. Elle poussa un cri de rage, arracha la délicate robe blanche et se mit à hurler. Elle détestait lorsqu'une proie lui échappait. Quelqu'un allait devoir payer…
Modifié en dernier par Uttini le Jeu 12 Mai 2022 - 20:47, modifié 3 fois.
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Messagepar L2-D2 » Mar 10 Mai 2022 - 15:26   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 8

Déjà 8 Chapitres ! Et je ne suis même pas à jour des récits en cours !!!

Promis, je reviendrai dès que possible ! :oops:
Que Monsieur m'excuse, mais cette unité D2 est en parfait état. Une affaire en or. C-3PO à Luke Skywalker

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Messagepar mat-vador » Mar 10 Mai 2022 - 16:49   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 8

Lu !

Personne ne peut résister à fallyn :shock: :shock: !!! Pas même un Jedi, voilà un adversaire redoutable ! Sandra a réussi à s'échapper avec Prisca et son mari mais pourront-ils se mettre hors d'atteinte :sournois: ?

La suite :oui: !
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Messagepar Uttini » Mer 11 Mai 2022 - 17:55   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 8

Merci poir le retour, tu as bien cerné Fallyn.
Pour Westworld, oui, je connais bien, bonne série. Mais ce récit a été écrit bien avant que la série ne soit créée. Donc ce n'est pas une source d'inspiration.
Tout ce que je peux dire, c'est que je sais exactement où on va. Que toute la trame prendra du sens au fur et à mesure, rien n'est laissé au hasard, tout aura un sens précis.
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Messagepar Uttini » Jeu 12 Mai 2022 - 8:17   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 8

T'inquiéte pas, il en faut plus que ça pour faire enfler mes chevilles. En plus au boulot je porte des rangers toute la journée donc y vaut mieux pas :lol:
Oui, je comprends ce que tu veux dire à propos de Westworld. Pour digresser un peu, je suis un grand fan du film d'origine, Mondwest, mais j'ai eu un peu de mal à accrocher la série. Et la dernière saison m'a laissé un peu déçu, tant le concept d'origine s'éloigne. La première saison m'a plu, le côté "différentes timelines" simultanées est excellent. Mais beaucoup de choses intéressantes sont quand même restées sans explications.
Tout ça me redonne vraiment le goût de l'écriture. J'ai fait un peu le tour des BD, il me semble, et j'ai déjâ de nouvelles idées de textes à l'époque ancienne république, mais là encore avec des liens trés lâches avec ce qu'on connait de la saga.
On verra. Je vais essayer de diviser un peu plus, pour proposer des demi chapitres mais j'ai peur que ça nuise à la dynamique d'ensemble.
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Messagepar Uttini » Lun 16 Mai 2022 - 13:59   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 8

Un petit chapitre 9 ? On change encore d'ambiance, et l'histoire se noue peu à peu.


Chapitre 9 — Kraolîn

Songeur, Erg Kraolîn reposa le datapad et leva les yeux. Son regard glacial parcourut l'assistance réunie autour de la grande table ronde. Lui-même, un petit homme trapu au teint olivâtre, malkite de naissance, mais de descendance plus obscure, avait un regard aigu, pénétrant, ses sourires, quand il en avait, semblaient des ricanements.
Il y avait là, autour de lui, onze personnes, chacune représentant l'une des branches locales du mouvement politique connu sous le nom de Parti Rénovateur, majoritaire dans les royaumes indépendants de la Bordure Extérieure. Pourtant, pensait Kraolîn, ils étaient aussi incompétents les uns que les autres. Endormis, prisonniers de vieilles querelles, de traditions et de superstitions sans fondement, incapables de prendre la moindre décision. Et dire que ces larves avaient une réelle volonté politique contre l'Imperium ! Il lui fallait de la maîtrise pour ne pas se lever et aller gifler un par un chacun des onze représentants.
— Messieurs, je vous ai soumis une proposition sérieuse, lors de notre dernière entrevue, dit Kraolîn. Vous avez pu examiner les informations que je vous ai fait parvenir, vous familiariser avec nos idées, considérer nos objectifs. Maintenant, j'aimerais comprendre votre réaction. Vous avez peur ? Ai-je bien compris ?
Un frisson parcourut l'assistance. Les onze hommes et femmes, de races différentes, délégués plénipotentiaires des comités locaux, n'osaient pas regarder le petit homme trapu qui les fixait de ses yeux farouches. Oui, ils avaient considéré le manifeste que Kraolîn leur avait remis. Oui, ils avaient lu les extraits des archives reproduits dans les textes holographiques, vu les images des énormes vaisseaux de guerre stationnés à la lisière de la galaxie. Et ils avaient tous pris peur, en effet, sans exception. Ce Kraolîn était bien plus puissant qu'ils ne l'avaient imaginé.
— J'attends, messieurs, aboya Kraolîn, perdant patience.
— S'il vous plaît, monsieur Kraolîn, je vous prie de ne pas crier, dit un homme d'âge mûr, un Twi'lek qui trouva le courage de parler. Nous ne vous avons rien promis, et vos propositions sont… Assez discutables.
— Alors discutons-en ! grinça Kraolîn en frappant du poing sur la table. Qu'a fait votre parti en presque un siècle d'existence ?
— Lorsque mon ancêtre a créé le Parti Rénovateur, dit Drex, un Hrakien à la peau d’un jaune verdâtre, ce n'était que dans le but d'exercer une pression politique sur l'Imperium et d'assurer une certaine unité dans les royaumes de la périphérie. Les royaumes ne sont pas unis, aujourd'hui, au sens strict du terme, mais nous parvenons à nous serrer les coudes face aux pressions de l'Empire. Bientôt, les quelques mondes autonomes de la Bordure Extérieure nous aurons rejoint, et nous avons des sympathisants dans plusieurs systèmes impériaux. Le temps joue pour nous, monsieur Kraolîn. Nous grignotons petit à petit.
Kraolîn s'esclaffa. Il n'était pas difficile d'unir les royaumes indépendants. La menace sans cesse croissante des provinces de l'Empire les terrifiait plus encore que les conséquences de leurs propres querelles. Et il avait fallu beaucoup de temps pour y parvenir. Plus l'Empire prenait de l'ascendant sur la galaxie, plus le petit Parti Rénovateur prenait de l'importance, se nourrissant de la colère et de la crainte des peuples de la périphérie. Le Parti comptait des milliers de militants dans tous les royaumes, et plusieurs chefs de gouvernements possédaient la précieuse carte. Mais le mouvement s'enlisait. Jamais l'Empire n'avait été aussi puissant, jamais il n'avait tant poussé sur les frontières, tant diffusé de propagande sur les réseaux hyper fréquence pour attiser les divisions entre les systèmes indépendants et antagonistes. Le peuple des royaumes commençait à mordre à l'hameçon et très bientôt, les délégations des Six Provinces seraient accueillies avec les honneurs, en sauveurs de la liberté et de la paix. La seule chose qui assurait encore la cohésion des royaumes indépendants était le Parti, et Erg Kraolîn voulait faire de ce mouvement une puissance militaire afin de lancer une véritable attaque contre l'Empire.
— Comment pouvez-vous rester insensibles aux preuves que je vous ai fournies ? L'Empire ne se contente pas de faire de la propagande, il lave les cerveaux, conditionne la population grâce à des machines mentaliques et utilise la prétendue religion de Gilead pour parvenir à ses fins. Vous avez lu les textes anciens que nous avons retrouvés. J'ai les moyens, à travers l'organisation que j'ai reformée, le Cercle Rouge, de fournir des vaisseaux de guerre, d'énormes destroyers puissamment armés, en assez grand nombre pour nous permettre de frapper un coup magistral contre l'Empire, pour leur faire comprendre que nous ne sommes pas prêts à nous laisser piétiner, anéantir par leur propagande. A la guerre des nerfs, répondons par la guerre tout court.
— Et d'où viennent-ils, ces destroyers stellaires ? dit soudain un Malkite. Nous n'en construisons plus d'aussi gros depuis des siècles et l'Empire a fait détruire tous ceux qui subsistaient après la guerre universelle.
Kraolîn gratifia le Malkite d'un sourire condescendant. Au moins, en voilà un qui se pose les bonnes questions, songea-t-il. Tout espoir n'était donc pas perdu.
— Peu importe d'où ils viennent. Leur position était indiquée dans les archives que nous avons retrouvées dans les ruines d'un avant-poste, aux confins de la galaxie. Ces vaisseaux sont au creux de ma main, et il est en mon pouvoir de les mettre à la disposition de votre parti, pour qu'enfin celui-ci devienne autre chose qu'un ramassis de rechignards aigris.
Les membres du Parti se concertèrent du regard. Ils s'étaient enfermés dans une contestation molle, statique, depuis quelques dizaines d'années, et leur action contre l'Empire se limitait à l'édition de tracts et de pamphlets anti-impériaux. Jamais ils n'avaient envisagé la possibilité de s'attaquer militairement aux Six Provinces, c'était tout bonnement inacceptable pour leurs esprits. La propagande impériale avait déjà fait un bon bout de chemin en eux.
— Et ce nom, que vous nous proposez d'adopter, dit encore Drex, il ne me plaît pas. Le Cercle Rouge, ça sonne mal, ça a quelque chose de maléfique.
— Je ne vous propose pas de l'adopter, objecta Kraolîn. Le Cercle Rouge, c'est mon organisation. Tout ce que je vous propose c'est de mettre mes moyens à votre service. Vous restez Parti rénovateur et le Cercle Rouge sera votre bras armé.
— D'où avez-vous tiré ce nom, Kraolîn ? dit quelqu'un.
— Si l'on en croit les archives, c'est une ancienne organisation qui avait pour objectif de lutter contre l'impérialisme, à l'époque de la Grande Conquête. La dernière mention de cette organisation date d'environ cinq cents ans, à la fin de la guerre entre Telmadus et Wolda. Troublante coïncidence, n'est-ce pas ?
Plusieurs membres de l'assistance firent entendre des murmures approbateurs. Néanmoins, ils n'en étaient pas pour autant convaincus.
— Tout me porte à croire, reprit Kraolîn, que l'on a effacé des archives, des registres, des textes historiques et même des mémoires l'existence de cette organisation. Les archives retrouvées sur Malastare précisent que le chef suprême de ce mouvement était un Jedi appelé Kra-Olîn, qui serait mon ancêtre, et dont il ne subsiste aucune trace aujourd'hui. Je suis persuadé que les Jedi l'ont fait disparaître et se sont débrouillés pour éradiquer totalement le Cercle Rouge.
Les onze hommes et femmes se tordaient sur leurs chaises. En fait, nul ne savait vraiment ce qu'était le Cercle Rouge, ni quels étaient ses buts. Les archives que Kraolîn leur avait soumises n'étaient pas claires à ce sujet, et dans leur esprit, ce nom était chargé de quelque chose de maléfique. Si on avait oblitéré des mémoires le souvenir de cette organisation, ce n'était certainement pas sans raison.
— Alors, hurla Kraolîn, allez-vous encore claudiquer longtemps ?
— Que ferez-vous si nous refusons ? questionna Drex.
— Rien. J'attendrai. Le temps joue pour moi et contre vous. Je suis encore assez jeune pour me permettre dix, douze ans de patience, jusqu'à ce que vos successeurs se montrent un peu plus hardis. A moins que d'ici là, l'Empire n'ait conquis les royaumes indépendants.
Le dilemme était terrible pour les chefs du Parti. Depuis toujours, ils clamaient leur hostilité à l'Empire et à ses méthodes et saisissaient la moindre occasion pour manifester, et à présent qu'ils avaient la preuve formelle que les Jedi manipulaient le peuple et qu'ils avaient à leur disposition les armes pour agir, quelque chose les retenait. Durant les cinq cents dernières années, aucune guerre n'avait déchiré la galaxie, au plus des escarmouches, de petits incidents de frontière, mais pas de vrai conflit. L'idée de lancer à nouveau les systèmes habités dans une guerre ouverte ne leur inspirait qu'une grande répugnance.
— Pensez-vous qu'il soit juste d'en arriver à une agression contre l'Empire ? dit un rodien.
Kraolîn sourit. Encore un peu et…
— Si nous faisions simplement des menaces, l'Empire enverrait contre nous des hordes de chevaliers Jedi dont nous ne viendrions jamais à bout. Et en peu de temps, nos territoires seraient annexés par l'Empire.
— Est-ce une raison pour agir comme des traîtres ? dit un autre.
— Il n'y a pas de traîtrise dans une déclaration de guerre. Les impériaux eux-mêmes ne peuvent pas en dire autant.
— Mais ils ont rétabli la paix dans la galaxie, dit Drex.
— Oui, avoua Kraolîn. Mais à quel prix ? Ils ont privé de leur liberté de pensée des milliards de personnes, ils les ont conditionnées pour qu'ils oublient la guerre, pour que l'idée même de la guerre leur fasse horreur. Et vous êtes comme eux. Peut-être vous ont-ils conditionné, vous aussi.
— Quelle idée révoltante ! s'écria Telmis, d'Adomia.
— Pourriez-vous jurer du contraire ? lui lança Kraolîn.
Personne ne répondit. Ils avaient la guerre en aversion, c'était vrai, sans qu'ils sachent trop pourquoi. Peut-être, après tout, étaient-ils aussi victimes des ruses de l'Empire. Ce fut Drex qui rompit le silence.
— J'aimerais savoir si vous savez ce que représentait ce Cercle Rouge, à l'origine.
Kraolîn toisa le jeune Hrakien en uniforme et dit:
— C'était une organisation, une armée secrète, qui avait pour objectif de secouer les structures en place à l'époque, un mouvement de contestation à l'échelle galactique.
— En êtes-vous sûr ? Et s'il s'agissait d'autre chose, d'une organisation plus dangereuse, plus puissante, qu'on a fait disparaître parce qu'elle faisait courir un grand danger à la galaxie ?
— C'est impossible, dit Kraolîn. Une telle organisation n'aurait pas pu se développer. Je suis certain que vous faites erreur, mon cher Drex.
— Moi pas, dit Drex en haussant le ton. Si quelqu'un a anéanti cette armée, ce n'est pas sans raison. D'après vos archives, ce Cercle Rouge tenait plus d'une association de gangsters que d'une armée. Un syndicat du crime qui contrôlait les activités illégales sur des milliers de mondes. Vous désirez que nous nous battions et sous la bannière d'une organisation criminelle !
Kraolîn se leva et fit le tour de la table pour se retrouver près du Hrakien aux yeux noirs. Il n'était pas bien grand mais fort bien charpenté et musclé. Une fois devant le jeune Drex, il dit:
— Je déteste qu'on me parle sur ce ton, monsieur Drex. D'autant que…
Un murmure parcourut la salle du conseil. Kraolîn venait de tirer de la poche de sa tunique un blaster, un objet rare et prohibé depuis longtemps dans toute la galaxie, et il la pointait sur le jeune Hrakien.
— D'autant que vous n'êtes pas ce que vous prétendez être, dit Kraolîn.
— Je ne comprends pas où vous voulez en venir.
— Messieurs, reprit Kraolîn en s'adressant à l'assemblée, j'ai la preuve que cet homme qui se prétend représentant du parti pour la région supérieure de Hraki IV n'est autre qu'un espion au service de l'Empire.
Une grande clameur monta dans la salle, faite de cris d'effrois mêlés de hurlements de protestation.
— Vous n'êtes pas bien, Kraolîn, dit Telmis en se levant brusquement. Je connais Drex depuis qu'il est en âge de marcher. Il ne peut pas être un espion.
— J'en ai la preuve. Les communicateurs de ses quartiers sont sur écoute, ce qui m'a permis d'enregistrer une conversation entre cet homme et un représentant Impérial. Messieurs, l'Empire s'est infiltré même au sein du comité central de votre parti. Quelle sera l'étape suivant ?
Drex devint blême. Debout devant le canon de l'arme, il se mit à trembler, alors que les autres membres du comité se mirent à protester plus fort encore.
— Maintenant, messieurs, vous comprenez la nécessité d'agir le plus vite possible. Nous devons passer à l'attaque sans délai.
— Ça ne vous mènera à rien, dit Drex. Personne ne vous écoutera. Vous êtes un fou et vous voulez nous précipiter avec vous dans votre perte.
Kraolîn sourit, ses lèvres découvrant ses dents blanches parfaitement alignées, un sourire de carnassier devant une proie. Sans plus ajouter quoi que ce soit, il leva l'arme qu'il tenait et tira sans hésitation sur le jeune Hrakien. Un rayon bleuté baigna le corps du jeune homme et il s'effondra au pied de son fauteuil.
Des cris étouffés se firent entendre. Tous les représentants du Parti étaient debout, effarés, regardant avec des expressions horrifiées le corps de Drex affalé sur le sol métallique.
— Surtout, messieurs, ne vous affolez pas, dit Kraolîn. Ce n'est pas une arme mortelle. Il n'est que paralysé. Vous pensez bien que je ne ferais pas l'erreur de tuer un si précieux prisonnier.
Sur un geste de Kraolîn, deux gardes entrèrent dans la salle du conseil et emportèrent le corps désarticulé du jeune Drex. Satisfait, le kiatite glissa son arme dans sa poche et tapota doucement sur le renflement qu'elle faisait dans le tissu. Cela signifiait clairement qu'il était prêt à s'en servir à nouveau si le besoin s'en faisait sentir. Il regagna sa place et leva les bras pour rétablir le silence.
— S'il vous plaît, messieurs, du calme. Vous avez compris, maintenant ? Nous ne pouvons plus attendre, il faut frapper rapidement.
Le calme revint, en effet, et les délégués se rassirent, un peu choqués d'une telle violence pendant une réunion qui s'annonçait si paisible. Telmis prit la parole dès qu'il eut retrouvé ses esprits. S'épongeant le front, il dit:
— Peut-être avez-vous raison, Kraolîn. Un espion impérial au sein même de notre état-major ! Jamais je n'aurais cru une telle chose possible. Et s'ils avaient déjà infiltré toutes les cellules du Parti ?
— Peu probable, dit Kraolîn. Pas encore, en tout cas.
Il se voulait rassurant. Ce coup d'éclat avait suffi pour faire pencher la balance en sa faveur, il le sentait, et déjà plusieurs délégués lui étaient acquits. Le reste suivrait inévitablement, dès que l'émetteur mentalique miniaturisé dissimulé dans sa serviette agirait à pleine puissance. Le calme était maintenant revenu dans la salle du conseil et tous s'étaient rassis. Un Adomite dit d'une voix timide:
— Qu'attendez-vous de nous, monsieur Kraolîn ? Vous avez des vaisseaux, et vous n'avez pas besoin de notre autorisation pour les utiliser dans votre petite guerre.
— Vrai, dit Kraolîn. Mais ce qu'il me faut, c'est votre appui et quelques dizaines de milliers d'hommes des armées de vos mondes respectifs. Certes j'ai des vaisseaux, mais cela ne suffit pas. Il faut des équipages, il faut débarquer sur les mondes conquis et imposer une administration, faire régner l'ordre au nom des Royaumes.
— Parce que vous pensez que l'Empire nous laissera conquérir des systèmes sous sa juridiction sans broncher ?
— Et que voulez-vous qu'ils fassent ? Ils n'ont plus de flotte de guerre et les chevaliers Jedi sont actuellement presque tous mobilisés par les festivités du Millénaire. C'est le moment idéal pour frapper, le moment où ils s'y attendent le moins. Nous ne rencontrerons pas de résistance.
Arguments implacables, soigneusement préparés longtemps à l'avance. Kraolîn jouait sur l'incident Drex pour les faire mollir. Dans sa sacoche en cuir, l'émetteur mentalique bourdonnait imperceptiblement. Encore un peu de patience…
Un Malkite, qui, jusque là, n'avait rien dit, leva la main et prit la parole, d'une voix douce et grave. Il détachait soigneusement chacun des mots qu'il prononçait ce qui augmentait l'impact de chaque phrase.
— Comment comptez-vous procéder ?
— Nous lancerons un vaisseau lourdement armé sur chacun des postes frontière des secteurs 100 à 110. Le premier objectif, Trigon VI, tombera sans difficulté, puis nous investirons tout le district juridictionnel.
— Ensuite ?
— Nous progresserons jusqu'au centre de la galaxie, et nos quatre cents vaisseaux prendront d'assaut Oruséa Prime, dit Kraolîn avec un rictus terrifiant.
Plusieurs cris étouffés se firent entendre. L'ambition de Kraolîn semblait à présent sans bornes, et seule la haine qu'il éprouvait pour l'Empire, haine dont on ignorait vraiment l'origine, était plus grande que son ambition. Ce qu'il voulait, c'était le pouvoir, et il entendait se servir de Parti et du nouveau Cercle Rouge pour y parvenir, afin de devenir le dictateur d'un nouvel empire galactique.
— C'est effrayant ! dit Telmis. Prendre d'assaut la capitale de l'Empire ? C'est impossible.
— Tous mes agents infiltrés m'indiquent que c'est le moment idéal pour frapper. Une telle occasion ne se représentera plus jamais de notre vivant. Ensuite, nous établirons des gouvernements provisoires qui prépareront le retour à la démocratie. Nous construirons un monde meilleur, nous éliminerons ces machines qui privent les humains de leur libre-arbitre.
Tous se turent. Le piège tendu par Kraolîn se refermait sur eux. Il fallait à présent qu'ils choisissent entre l'action guerrière et l'annexion par l'Empire de leurs précieux royaumes indépendants, annexion inévitable, à plus ou moins long terme.
— Où est votre courage, messieurs ? dit Kraolîn, haranguant le comité, le poing levé. Puisque je vous dis que nous avons le pouvoir, ensemble, de faire mordre la poussière à cet empire prétentieux ? Il me suffit d'un seul mot de vous tous et des milliers d'hommes en armes déferleront sur Oruséa Prime avant dix jours ! Désirez-vous laisser l'empire vous laver le cerveau et vous imposer sa paix et son bonheur écœurant ou voulez-vous prendre l'avenir de la galaxie en main ? Désirez-vous devenir à jamais des pantins impériaux ou voulez-vous rester des hommes libres ?
Son discours, renforcé judicieusement par les émissions mentaliques, électrisa l'auditoire. Les sourcils se froncèrent, les plis sur les fronts se firent déterminés et volontaires, et bientôt, tous furent debout, le poing levé, mêlant leurs voix à celle de Kraolîn. Un méchant sourire se peignit sur le visage du chef du Cercle Rouge. A présent, son autorité ne serait plus contestée. Il devenait le maître absolu. Alors que le calme revenait un peu, Pilnéser le Jaâlonien frappa du poing sur la table et dit:
— Inutile de voter, nous sommes tous avec vous, monsieur Kraolîn. Dites-nous exactement tout ce que vous désirez et nous le ferons.
— A la bonne heure ! dit Kraolîn en ricanant. Vous voilà devenus plus raisonnables. Nous ferons de grandes choses ensemble, messieurs, je vous en fais le serment.
Des acclamations ferventes accompagnèrent la fin de la réunion. Kraolîn exposa la suite de son plan devant un auditoire acquis à sa cause, et obtint tout ce dont il avait besoin, essentiellement des troupes venant des armées des royaumes indépendants. Le Cercle Rouge avait fait fabriquer des armes à énergie en très grand nombre, d'après les plans trouvés dans les archives de Malastare, et elles seraient distribuées à chaque homme qui monterait à bord des vaisseaux conjurés. Puis tous quittèrent la salle du conseil. Seulement quelques minutes après la fin de la séance, les ordres partaient sur les hyperfaisceaux vers tous les systèmes des royaumes indépendants, et la mobilisation générale s'amorça un peu partout.
La guerre reprenait vie.

— — — — — — — —


Kraolîn avait retrouvé son large bureau, dans l'un des bâtiments officiels de la capitale d'Adomia III. Un bureau d'une propreté absolue, d'un ordre parfait, des meubles à dominante noire, gris anthracite, quelques fauteuils de cuir sombre, et un grand projecteur holo dans un coin. L'image tridimensionnelle de la galaxie flottait au-dessus de son bureau, image en fausses couleurs représentant les dominations politiques et les frontières. Les royaumes indépendants se coloraient en dégradés de rouge, tandis que les systèmes impériaux se teintaient d'un camaïeu de bleu. Pour le moment, les bordures extérieures étaient rouges. Les franges de la galaxie. L'énorme masse du centre et la naissance des bras spiraux, ainsi que plusieurs des zones intermédiaires écrasaient l'ensemble de leur bleu froid. Très bientôt, sur cette même carte, le rouge envahirait le bleu, le balaierait, l'effacerait au profit du rouge, la couleur de la révolte. La couleur du Cercle Rouge. Kraolîn ne pouvait détacher ses yeux de la carte en trois dimensions. Il se voyait déjà, maître de toute cette masse stellaire, posant le pied sur Oruséa Prime et destituant l'Empereur, abolissant le lavage de cerveau généralisé. Ou plutôt l'employant à d'autres fins. Ces machines pouvaient certainement être reprogrammées pour assurer la loyauté des masses à un nouveau dirigeant, à un nouvel empereur. Oui, songeait-il, Erg Kraolîn, premier citoyen et chef suprême de toute une galaxie. Alors qu'il se prenait à rêver, il jouait avec la bague qu'il portait à la main gauche, une bague d'or, massive, ornée d'une pierre rouge sang.
Restait la seule inconnue dans l'équation : les Jedi. Ses agents lui avaient assuré qu'une fois l'Empire abattu, les Jedi suivraient, leur sacro-saint Plan réduit à néant.
La porte de son bureau s'ouvrit, le tirant de ses songes de grandeur. Celui qu'il attendait entra dans la pièce.
— Enfin, dit Kraolîn. Personne ne vous a vu entrer, n'est-ce pas ?
— Non, monsieur, personne, dit Arno Drex en veillant à verrouiller la porte du bureau.
— Parfait. Vous m'avez vraiment impressionné, Drex, durant la réunion. C'était criant de vérité. Pas un de ces ballots n'a mit ma parole en doute.
— J'ai fait de mon mieux, monsieur, dit Drex d'une voix servile. J'ai craint même un instant d'en avoir trop fait.
— Non, non. Asseyez-vous, mon ami. Votre prestation était parfaite, même Telmis a avalé cette histoire d'espion. J'étais certain qu'après cet incident, pas un n'oserait refuser de nous soutenir, et je ne me suis pas trompé. Vous êtes bien un espion au sein de ce parti ridicule, mais pas à la solde des impériaux.
Drex s'assit en face du bureau et se versa un verre d'alcool d'épice. Il était un remarquable comédien, à ses heures et ce petit coup monté pour s'assurer l'allégeance du Parti Rénovateur et, par suite logique, des gouvernements des Royaumes Indépendants avait été sa meilleure prestation. Tout semblait se passer exactement comme Kraolîn l'avait prévu. Il dit:
— Demain, vous repartirez pour Hraki, sous bonne escorte et vous attendrez mes ordres. L'un des vaisseaux de la flotte viendra vous prendre avant l'attaque et vous en prendrez le commandement, bien sûr.
— Merci, monsieur, dit Drex.
Merci. Kraolîn sourit intérieurement. Drex prendrait le commandement du vaisseau de tête et se trouverait ainsi en première ligne face aux défenses frontalières de l'Empire. Avec un peu de chance, il disparaîtrait à la première escarmouche, mais inutile de le lui dire.
— Allez, mon cher Drex. Je compte sur vous. Nous avons un empire à conquérir.
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Messagepar LL-8 » Lun 16 Mai 2022 - 20:06   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 9

Chapitres 8 et 9 lus !

J'avoue que toute l'ambiance sur Strenotis me met mal à l'aise. Kandra n'est pas forcément un personnage auquel je me suis attachée et la reine... Elle me fait penser au personnage de la reine dans See, une série Apple. Le même genre de dirigeante démente qui se sert de la religion pour assouvir ses désirs et asservir son peuple. Mouais, pas fan. Heureusement, les filles sont parties.
En revanche, j'aime bien l'idée que Wellet ait le cerveau retourné. Ça peut donner de belles scènes.

J'ai largement préféré le chapitre 9, avec un retour de la politique et un Kraolin manipulateur qui réussit parfaitement son coup. Si j'ai tout suivi comme il faut, le Cercle Rouge est le nom de l'organisation qui a suivi celle des Sith (ou un truc qui s'en rapproche) et donc leur retour et la haine de leur chef envers l'Empire ne présage rien de bon.

Uttini a écrit:Un descendant des Skywalker, ça serait surprenant, 10000 ans plus tard. On ne définit même pas qui étaient les Telmadiens avant l'Ére des Ténèbres. Une branche humaine réfugiés sur un systéme non loin de Coruscant, c'est tout ce qu'on en sait.

On retrouve bien des Dodonna 3 000 ans avant la saga principale... Certes, c'est moins de temps, mais pourquoi pas ?
En tout cas, ça serait intéressant!

Je serai là pour la suite !
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Messagepar mat-vador » Lun 16 Mai 2022 - 20:52   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 9

Lu !

Un antagoniste commence à abattre ses cartes et ses ambitions sont assez claires :sournois: ! Ca semble facile mais quelque chose me dit que cela ne sera si facile que ça... reste à voir à quel point les Jedi sont prêts à y faire face :think: .

La suite :oui: !
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Messagepar Uttini » Mar 17 Mai 2022 - 8:12   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 9

Merci pour les retours.
mat-vador a écrit:Ca semble facile mais quelque chose me dit que cela ne sera si facile que ça...

Beaucoup moins facile. Je ne veux pas spoiler, mais...
LL-8 a écrit:J'avoue que toute l'ambiance sur Strenotis me met mal à l'aise. Kandra n'est pas forcément un personnage auquel je me suis attachée et la reine... Elle me fait penser au personnage de la reine dans See, une série Apple. Le même genre de dirigeante démente qui se sert de la religion pour assouvir ses désirs et asservir son peuple. Mouais, pas fan. Heureusement, les filles sont parties.
En revanche, j'aime bien l'idée que Wellet ait le cerveau retourné. Ça peut donner de belles scènes.

J'ai écrit ces scénes avec la reine il y a longtemps, plus de 25 ans. Elles sont largement édulcorées par rapport aux originales qui étaient bien plus crues. Il restera une scéne de confrontation entre cette reine et un Jedi.
L'idée de la religion pour asservir le peuple et assouvir ses ambitions n'est pas nouvelle du tout, on la trouve encore aujoud'hui dans des sectes, avec des gourous. Je comprends que ça puisse mettre mal à l'aise, mais ça justifiera un certain évènement qui suivra.
LL-8 a écrit:Si j'ai tout suivi comme il faut, le Cercle Rouge est le nom de l'organisation qui a suivi celle des Sith (ou un truc qui s'en rapproche) et donc leur retour et la haine de leur chef envers l'Empire ne présage rien de bon.

C'est a peu prés ça. Mais cette histoire est remplie de faux-semblants.
Sans spoiler la deuxième époque que je posterai plus tard, où il joue un rôle plus important, le Cercle Rouge est à l'origine un syndicat du crime manipulé par un Sith. On en saura plus dans le suite de l'histoire. Là, les Jedi vont comprendre qu'ils sont tout aussi dupes que les autres...
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Messagepar Uttini » Mar 17 Mai 2022 - 14:30   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 9

Merci du retour.
Loucass824 a écrit:Du peu que l'on sait véritablement des motivations de Kraolin, on sait tout de même que, lorsque l'on sait qu'il a un plan complexe en place, il y a encore un second niveau, un plan caché dans le plan caché.

C'est exactement ça.
Loucass824 a écrit: Mais est ce que ce chapitre était celui auquel tu faisais référence dans ma fic en disant que mon traitement t'avais "rendu jaloux" ?

Non, ce n'est pas cette scène, mais merci. Celle-ci était déjà écrite depuis un bail. Non, je parle d'une scène de la deuxième époque que j'étais en train d'écrire à ce moment-là. Je la publierai un de ces quatre.
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Messagepar Mandoad » Mar 17 Mai 2022 - 18:13   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 9

Je me suis enfin lancé dans cette histoire et que dire: C'était surprenant !

Le premier détail est la période, tu vas chercher loin, très loin dans le futur, là où personne (pas même mat) n'a encore mis les pieds et je sentais dès le début que tu voulais d'affranchir de plusieurs contraintes qu'aurait pu te fixer une période plus commune. Et c'est très réussi. En un sens, tu nous proposes du Star Wars sans vraiment proposer du Star Wars et ça fonctionne (pas de blasters ? par tous les saints ? :shock: ) !
On visualise très bien la scène, on ressent à quel point Henlaân est et se sent pitoyable au milieu de ce monde et d'une partie de cartes qui devrait le dépasser. On oublie Star Wars et tu nous rappelles la saga à notre souvenir avec de subtils mentions de la Force, puis l'arrivée de Jedi (qui m'ont donné une certaine impression des Chevaliers Impériaux des comics Legacy tant par leur apparence que par leurs actes) et enfin les Sith.

J'aime bien aussi les thématiques que du développes pour le moment: le faible de corps qui devient fort par l'esprit, l'invasion des plus forts sur un monde paradisiaque, mais peuplé de plus vulnérables, notamment.

En tout cas, tu m'as pris à contre-pied tout du long et je reviendrai pour la suite :cute:
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Messagepar mat-vador » Mar 17 Mai 2022 - 18:45   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 9

Mandoad a écrit:tu vas chercher loin, très loin dans le futur, là où personne (pas même mat) :


Uttini et moi avons passé un accord : à lui l'avenir, à moi le passé :diable: !
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Messagepar Uttini » Mar 17 Mai 2022 - 19:57   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 9

J'ai inséré une référence à Pius Dea dans la deuxième époque. :wink:
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Messagepar mat-vador » Mar 17 Mai 2022 - 20:35   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 9

:love: :love: :love:
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Messagepar Mandoad » Jeu 19 Mai 2022 - 16:52   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 9

Chapitre 2 lu !

Eh bien, eh bien ! Le moins que je puisse dire c'est que cet Imperium donne le tournis tant sa puissance semble démesurée, voir même absolue. Cependant, on sent qu'il y a quand même anguille sous roche. Des Neo-Jedi nés de secrets des Seigneurs Noirs ? Un Empereur d'un âge loin d'être naturel ? Un culte permettant d'être au courant de tout ? Et une admiration sans borne du journaliste. Nul doute qu'il y aura des ennuis plus tard, sans doute de la part des factions rebelles que tu mentionnes.

En tout cas, c'est impressionnant l'univers tout neuf que tu nous présentes, bien que, pour le moment, cette Imperium semble particulièrement intouchable. Je suis curieux de voir ce qu'il se passera une fois que le contexte aura été bien posé.

Je repasserai !
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Messagepar Uttini » Mer 25 Mai 2022 - 13:32   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 9

Chapitre 10. Avec lui se clôt la première partie de cette histoire.


Chapitre 10 — Balshar

Imaginez quatre millions de personnes réunies sur une même place entourée de hautes murailles. Quatre millions de bouches qui crient leur joie, quatre millions de cris, de battements de mains, simultanément. Dans l'immense amphithéâtre, au centre de la cité principale d'Oruséa Prime, devant le titanesque palais de l'empereur à l'architecture compliquée étaient massés des représentants de tous les mondes habités de l'Empire des Six Provinces, des gouverneurs, des dignitaires, des rois. Le soleil brillant d'Oruséa Prime, gigantesque, terriblement lumineux, faisait luire les hautes tours et les flèches de chrome du palais impérial qui dominaient la foule. Face aux interminables gradins de pierre bondés, un immense écran holographique de plus de deux cents coudées de haut montrait l'empereur lui-même, dans un somptueux costume d'apparat. On n'avait construit cet endroit que dans un seul but : contenir les foules pour le couronnement des empereurs. C'était, en outre, un endroit à l'acoustique parfaite, et le moindre mot de celui qui s'exprimait à la terrasse, tout en bas des gradins, pouvait être entendu jusqu'en haut, quel que fut le bruit ambiant.
Et dans ce bruit, tant de voix ! Une foule bigarrée venue de tous les coins de la galaxie, de toute couleur, race et langue, tous réunis sous la même bannière pour acclamer un même homme, pour prononcer un seul nom :
Balshar !
L'homme, sur l'immense écran, attendait encore avant de prendre la parole. Il saluait la foule en souriant. Il avait un visage franc et ouvert, entre deux âges, parfaitement rasé, des cheveux blonds et abondants, des yeux d’un bleu délavé, et il respirait la force et l'assurance. Il avait été un bon empereur durant presque vingt-cinq ans, mais il était temps pour lui de céder la place à celui que la Mémoire avait choisi pour être son successeur. Son règne avait été calme, bon, prospère, comme celui des trente-quatre autres empereurs avant lui. Il avait connu la gloire universelle, les acclamations, la reconnaissance de milliards de sujets, il avait fait le tour de cette galaxie devenue pour lui aussi familière que pouvait l'être le petit village kiatite qui l'avait vu naître. Car il n'était pas de sang royal, pas plus qu'il ne s'appelait vraiment Balshar.
La Mémoire l'avait choisi pour être le futur empereur, avant même qu'il ne soit né, sur la base d'une analyse génétique indiquant qu'il était le meilleur candidat pour ce rôle une fois adulte. Il n'avait jamais rien décidé de sa vie. On l'avait enlevé à sa famille à l'âge de quatre ans et élevé dans un palais, éduqué dans toute la sagesse galactique, dans toute bonne manière et dans toute culture. On l'avait soigné, entouré de droïdes protocolaires, de précepteurs et d'éducateurs dans le plus beau cadre de l'univers connu, et on avait fait de lui un empereur digne de ce nom, fort, beau, séduisant, plein d'humilité, toutefois, sachant qu'il devait son pouvoir aux Jedi, omniprésents dans toute son éducation. Il avait aujourd'hui quarante-cinq ans, et la Mémoire avait ordonné la formation d'un nouvel empereur pour succéder à Balshar II lors du Millénaire de l'Empire des Six Provinces. Son règne touchait à sa fin, et il prolongeait volontairement les acclamations qu'on lui offrait, parfaitement conscient que dans quelques jours elles seraient destinées à un autre, un Balshar III qui lui ressemblait étrangement.
Mais on ne contrariait pas la Mémoire. Les Chevaliers Jedi y veillaient. La fin de son règne avait été paisible, et, dans le splendide palais des anciens Empereurs, sur Alsakan, l'attendaient déjà ses serviteurs, ses concubines et tout ce qu'il avait amassé comme objets d'art, cadeaux de dignitaires impériaux, durant vingt-cinq longues années de plaisir. Toutes les bonnes choses ont une fin, disait la sagesse populaire, et Balshar II ne le savait que trop. Il retomberait en définitive dans un douillet anonymat dès que le nouvel empereur aurait coiffé la couronne rituelle.
Quelque part sur un large balcon dominant l'amphithéâtre noir de monde, Arkon Spell contemplait ce qu'il avait contribué à édifier: l'unité de tant de peuples dans la paix. A l'inverse de l'Empereur, il se complaisait dans l'anonymat; le temps ne lui était pas compté et, pour lui, les honneurs, les fastes et la gloire ne signifiaient rien. Il examinait le visage de Balshar, sur l'écran, et y lisait le regret de devoir céder la place, la frustration qu'il avait ressentie lorsqu'on lui avait appris que la Mémoire lui avait choisi un successeur. Il était temps, songea Spell. Ce renom commençait à lui monter à la tête, et il serait vite devenu incontrôlable si on l'avait laissé sur le trône. Peu d'hommes savaient en fait ce qu'impliquait être empereur des Six Provinces. Ses pouvoirs étaient limités et il ne pouvait agir que dans le cadre du Plan. Les Jedi y veillaient soigneusement. L'empereur, avant d'être un souverain, devait être un exemple pour le peuple, un fervent défenseur de la paix et du Culte de Gilead, mais il ne pouvait dépasser certaines limites. Il ne gouvernait pas, bien qu'il fût lui-même convaincu du contraire. Les émetteurs mentaliques placés un peu partout dans le palais impérial, dirigeaient sa volonté, orientaient ses idées, endiguaient ses élans autocratiques. Petit à petit, il devenait une sorte de marionnette aux mains des Jedi.
Spell avait de bonnes raisons d'être fier, car c'est lui qui avait en grande partie bâti ce système. L'Imperium dirigeait l'Empire, l'empereur le représentait dans le cœur et l'esprit de tous, et les Jedi contrôlaient l'Imperium. L'ordre Jedi veillait ainsi à l'avancement du Plan, au Culte, à la paix galactique et au recensement génétique généralisé. Alors qu'il considérait la foule, étalée sous ses yeux, Spell prit conscience qu'il pouvait tous les détruire en un clin d'œil. Quel pouvoir terrifiant ! Il le prenait très au sérieux et administrait l'Ordre Jedi d'une main de fer. Le Plan était le seul objectif qu'il poursuivait.
Aux côtés de Spell, sur le balcon, Hari Brewster était comme ivre. Ces cris, cette foule multiraciale en délire, ces acclamations, cette ferveur quasi religieuse le fascinait et l'effrayait tout autant. Jamais il ne s'était trouvé en présence d'un tel nombre d'êtres intelligents.
— Je ne peux pas encore croire ce que je vois, confia-t-il à Spell. Jamais je n'aurais imaginé cela de cette façon.
— Comprenez-vous enfin l'ampleur de la tâche que nous avons entreprise ? Cette foule, Brewster, est joyeuse, heureuse, en paix et unie, et c'est grâce à nous. Grâce au Plan. Voilà le résultat d'un millénaire de travail acharné.
Brewster dut bien en convenir. Même si Telmadus était en fait à la tête de l'Empire, comme il l'avait finalement compris, il ne pouvait qu'avouer la réussite totale de ce règne occulte. Lorsqu'il avait saisi le rôle de Telmadus dans les affaires galactiques, il s'en était senti fâché, écœuré, mais à présent plus aucune colère ne l'habitait. L'action des Jedi ne visait que le bonheur de toute créature vivante, la paix universelle et la prospérité. Peu lui importait la manière dont on y parvenait, la paix des Jedi en valant bien une autre. Et peu lui importait qui dirigeait, pourvu que règne la paix universelle. Il ne parvenait même pas à comprendre qu'il ait pu un jour penser autrement.
Sur l'écran géant, Balshar, grand homme mince et élancé, fit signe à la foule de se taire. Il n'avait pas le moins du monde l'allure autoritaire que lui prêtaient les portraits officiels. Non, c'était un homme simple, dans le fond, conscient de son pouvoir mais qui ne pouvait pas s'imaginer l'influence qu'avaient les Jedi sur lui et son règne. La foule se tut, finalement, et dès qu'un silence respectueux s'étendit alors sur l'amphithéâtre, l'empereur prit la parole:
— Mes chers concitoyens, mes amis , dit-il d'une voix presque tendre qui résonna à travers toute la cité, et au-delà, dans des millions de mondes reliés à Oruséa Prime par faisceau hyperspatial, je suis vraiment heureux de vous voir tous rassemblés pour m'acclamer une dernière fois. J'espère avoir été pour vous tous un bon empereur, car, vous le savez, bientôt un autre me remplacera. Je souhaite que tous vous vous souveniez de moi en termes élogieux.
Il poursuivit, et débita un discours fadasse mais qui, venant d'un homme d'un tel charisme, captivait la foule qui l'écoutait. Brewster lui-même, malgré son naturel sceptique et son désir de rester objectif, se trouvait subjugué par le phrasé de l'empereur, par ses mimiques, par ses gesticulations, à tel point que les mots qu'il employait n'avaient plus d'importance. Les puissants émetteurs mentaliques dissimulés sous les gradins de pierre fonctionnaient à merveille.
L'empereur parla de choses et d'autres, évoqua son règne et les divers événements qui l'avaient marqué, commenta l'histoire de l'Empire et cita maints passages des “Paroles de Gilead” à travers un chapitre élogieux sur l'Ordre Jedi. Spell aurait dû trouver cela délicieux, mais non. Ce n'était pas spontané, pas naturel, ce n'était que les mots qu'un conseiller telmadien lui avait écrits. C'était presque abject. Enfin, après le chapitre sur les chevaliers, Balshar termina par le résumé des améliorations apportées durant son règne aux relations avec les royaumes indépendants de la Bordure. Son espoir était que bientôt, tout homme dans cette galaxie, quelle que soit son origine, puisse se réjouir sous une même bannière, sous un même emblème. Sur l'écran, l'image changea et le symbole des Six Provinces apparut, six triangles se touchant par les pointes, sur un fond représentant la spirale galactique.
Les acclamations fusèrent, et persistèrent durant de longues minutes. Lorsque l'empereur revint à l'image, il déclara:
— Et maintenant, que commencent les festivités du Millénaire de notre glorieux Empire !
La foule fut alors prise de délire. Un cri d'une puissance extraordinaire retentit et fit vibrer la structure même des orgueilleux bâtiments du palais impérial. Brewster s'y était joint, sans vraiment s'en rendre compte. Spell, lui, restait silencieux, jugeant l'étendue de la réussite de cette première phase du Plan. Chaque personne, chaque enfant, chaque vieillard garderait un souvenir indélébile de ces festivités, qui voyaient le plus grand rassemblement de foule en liesse des cinq mille dernières années.
A travers toute la galaxie, la joie se propageait à tous les mondes sous la juridiction de l'Empire, à des millions de systèmes répartis sur des milliers d'années lumières cubiques, les deux tiers de la galaxie connue. A l'unisson, avec quelques minutes de décalage pour les systèmes les plus éloignés, tous entonnèrent l'hymne de l'Empire, chant en forme de cantique à la gloire de Gilead, que chaque citoyen impérial connaissait depuis sa tendre enfance.
Dans l'ombre, postés aux endroits stratégiques, des centaines de chevaliers Jedi ne chantaient pas. Ils savaient à quoi s'en tenir quant à l'Empire et à son dirigeant fantoche. Ils maintenaient leur attitude stricte, dénuée de sentiments, la main prête à faire surgir le sabre laser rituel. Toute cette paix était bien fragile, en fin de compte. Trop fragile…



Fin de la première partie.
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Messagepar mat-vador » Mer 25 Mai 2022 - 20:56   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 10

Lu !

Ce dixième chapitre conclut bien cette première partie, qui a introduit de la meilleure des manières ce nouvel univers futuriste :wink: , qui paraît si éloigné de notre univers SW ce qui n'est pas un mal pour autant :cute: !

Une remarque : Balshar => Bashar : grade de commandant dans l'univers de Dune :sournois: ... démasqué, petit coquin :diable: ! Et l'attitude de ces Jedi si détachés et froids me fait évoquer le Bene Gesserit si sûr de son Plan :D !

Hâte de voir la suite :oui: !
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Messagepar Uttini » Mer 25 Mai 2022 - 21:41   Sujet: Re: Le Fils de Gilead - Chapitre 10

mat-vador a écrit:Une remarque : Balshar => Bashar : grade de commandant dans l'univers de Dune ... démasqué, petit coquin ! Et l'attitude de ces Jedi si détachés et froids me fait évoquer le Bene Gesserit si sûr de son Plan

Pas exactement. Dans la version d'origine, l'Empereur s'appelait Balshatsar, un nom vaguement babylonien, que j'ai réduit a Balshar. Je n'ai aucun souvenir de ce terme dans Dune, que je n'ai pas relu depuis plus de 30 ans. Je plaide la coincidence. :lol:
Oui, tout est en place pour la suite. Maintenant commence le chaos.
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