Après trois jours de digestion, voici ma critique :
Je n'ai pas aimé le film, et pourtant, rarement un blockbuster aura eu autant de qualités et de potentiel. Cependant ses qualités sont atténuées par une grande faiblesse d'écriture et son potentiel, pour une large part, inexploité. Je m'explique.
Les spin-off ne suscitent pas autant d'attentes chez moi que les épisodes de la saga, hormis la volonté d'étendre l'univers, de choisir d'autres approches (ici, le film de guerre) et de faire preuve d'originalité, sinon de culot. Rogue One ne déroge à aucune de ces aspirations : les nouvelles planètes, les nouveaux designs, la réalité de l'Empire dans la galaxie et chez les anonymes sont bienvenus et parfaitement orchestrés ; l'ambiance martiale, entre
Le pont de la rivière Kwai et
Soldat Ryan détonne par rapport aux films de la saga, et le ton désabusé et avare en humour et en fun est assumé ; quant au culot,
terminer un blockbuster par la mort de tous les personnages principaux devrait faire ravaler leur brioche à bon nombre de fans inquiets par la reprise en main de la licence par Disney.
J'avais comme beaucoup applaudi à l'annonce de Gareth Edwards à la caméra : son
Godzilla est une perle au niveau réalisation, et il est indiscutable que Rogue One est un festival visuel. Son jeu d'échelles et la profondeur de ses champs (servis par une 3D de bonne facture), comme la nervosité de ses plans dans les scènes d'actions sont un délices pour les mirettes : l'inventivité et le savoir-faire du bonhomme me font espérer qu'on lui confie un nouveau spin-off. Son attention à respecter le ton visuel d'
ANH, jusqu'à son charme désuet des
seventies (moustaches frétillantes et maquettes stériles) ne tombe pas dans le pathos fanesque béat et ne prend jamais à défaut l'indépendance du film, tant en terme de personnalité que d'authenticité visuelle. Rogue One est l'anti-TFA et ne renie pas le déluge numérique assumé de la prélogie ni les références terriennes de la trilogie : c'est d'autant plus louable que le film aurait pu être l'occasion d'une avalanche de copier-coller nostalgiques que la proximité chronologique avec
ANH aurait plus ou moins justifiée.
Quant à la musique, si l'annonce de Desplat m'avait comblé de chauvinisme, je ne regrette pas son remplacement par Giacchino, bien que ce dernier ait joué la carte de la sécurité : je ne doute pas que les délais d'exécution et/ou les studios lui aient imposé de pasticher Williams, ou du moins de rester dans une tonalité proche, mais de peu originale qu'elle est, la BO est de qualité. Les références aux thèmes de John Williams sont rares et discrètes, on ne peut pas reprocher à Giacchino d'avoir été paresseux, et quelques morceaux (
He's here for us, Your father would be proud) sont très bons.
Vient le grand défaut, selon moi, de ce premier spin-off : l'écriture. Je n'ai pas trouvé comme d'autres le scénario brouillon : certes, les rapides changements d'environnement dans le premier acte peuvent être déroutants, mais le bouillonnement du début a au moins le mérite de cacher la pauvreté du scénario. J'y trouve trois défauts majeurs qui contredisent à eux seuls tout le bien que je pense du film :
- Les personnages sont mal écrits et les dialogues ne mettent pas assez en valeur leur personnalité et leurs motivations. Seule mention positive pour K2, attachant, drôle, mais c'est assez symptomatique de l'échec du film quand l'unique personnage intéressant est un droïde... C'est dommage, car les cinq autres personnages principaux, auxquels je rajoute Krennic, ont un background intéressant et une personnalité complexe, que l'écriture expose paresseusement sans jamais les explorer. Il ne suffit pas de nous dire que la Rébellion est coupée entre deux façons de faire et de penser la guerre, il faut nous le montrer. Je regrette que beaucoup de bonnes idées (l'engagement de Jynn dans la rébellion, l’ambiguïté de Cassian, la frustration de Krennic face à l'aristocratie impériale) ne soit jamais approfondie : tous les ressorts, les motivations des personnages, sont mis en place artificiellement sans que ceux-ci ne prennent jamais corps dans l'intrigue. Le groupe se fonde au petit bonheur la chance, et chacun suit le cours de l'intrigue, ils sont là parce qu'ils sont là, sans même avoir l'utilité scénaristique de personnage-fonction, car ils peinent à être des personnages, et la vacuité du groupe ne leur donne aucune fonction.
- Cela m'amène à une déception face à un film qui se veut un film de bande : les rapports entre les personnages. La relation Chirrut/Baze est assez réussie ; quant à la connexion entre K2 et Jynn, pleine de potentiel, elle est survolée. L'échec émotionnel d'une excellente réplique comme « Vous êtes vraiment une personne surprenante, Jynn Erso » (je cite de mémoire, elle ne doit pas être exacte) montrent la facticité de relations dont le scénariste a saupoudré l'intrigue, en espérant que ça prenne. Mais ça ne prend pas. Quant à Jynn/Gerrera, il ne suffit pas d'une petite dispute artificielle pour que la relation prenne ; ça ne prend pas. La relation Galen/Krennic est aussi survolée, malgré un réel potentiel que
Catalyst se chargera de sauver.
- Enfin, le sous-emploi de quelques personnages, comme le pilote impérial, ou évidemment Dark Vador, dont le rôle dans le film pourrait très bien être coupé au montage sans qu'il y ait d'incidence sur l'intrigue.
L'insignifiance des personnages et la gratuité de leurs relations, surtout à cause d'une écriture pauvre tendant presque au mélo à certains endroits, font qu'à aucun moment du film je n'ai été engagé émotionnellement : il ne m'a pas fallu qu'une réplique (pour Finn) et une scène d'exposition (pour Rey) pour que je m'attache aux nouveaux personnages de
TFA. C'était immédiat, fait avec intelligence, fun, et Rogue One pêche avant tout par son incapacité à nous faire vivre l'intrigue à travers ses personnages. Ainsi, oui, la bataille finale est ce que l'on a vu de mieux dans
Star Wars en terme d'action, mais sans impact émotionnel, il ne peut y avoir de tensions, et sans engagement affectif de la part du spectateur, il ne peut y avoir d'enjeux.
Reste un divertissement efficace, un bon film de guerre, quelques moments d'anthologie inoubliables (Dark Vador au sabre...), une réalisation folle, beaucoup de sincérité dans les intentions, mais dont l'expérience est largement atténuée pour moi par le peu d'intérêt que j'ai eu pour les personnages. Peut-être que ma deuxième vision de film, débarrassé des aspirations incontrôlables que tout bon fan a malgré lui à la sortie d'un nouveau Star Wars, améliorera mon expérience. Maintenant, sus à l'épisode VIII !