Plus qu'un mois ! Du coup, je commence à publier ma nouvelle, qui sera en trois parties.
Quintessence - Partie 1
Le général Sicarr joignit ses deux mains, les coudes appuyés sur son bureau métallique, comme s’il s’apprêtait à prier. Dan le connaissait suffisamment bien pour savoir qu’il s’agissait d’un très mauvais signe ; le commandant de la Base Sarlacc – le surnom donné par ses occupants à la Station de Recherche et Développement Impériale de Jakku – s’impatientait.
— Je ne vous demande pas de comprendre, dit l’officier avec la lenteur exagérée d’un tuteur enseignant le protocole anaxsi à un enfant turbulent. Je vous demande d’obéir. Mes contacts sont formels ; les Rebelles savent que nous sommes ici.
— Vos contacts sont certains qu’ils ont détecté cette installation, et pas seulement les destroyers stationnés en orbite ?
— Cessez d’être tatillon, professeur Tibald. Nous devons prendre un maximum de précautions pour que nos travaux ne tombent pas entre leurs mains.
— Vos travaux ? Les résultats de mes confrères sont minables. Le plus important dans ce complexe, ce sont mes recherches sur l’hyperespace – et vous savez pertinemment que mon matériel est fragile et que nous ne pourrons pas le déplacer aussi facilement que leurs éprouvettes.
— Calmez-vous. Je vous laisse douze heures pour sélectionner le plus important, copier vos données et transférer à bord de ma navette ce qui peut être transporté. Est-ce si compliqué ?
— J’y suis presque, Sicarr !
Vingt années de travail pour le compte de l’Empereur Palpatine – c’était beaucoup trop important pour être « transféré » aussi facilement que le général le suggérait.
Tout allait à vau-l’eau ces derniers temps. Depuis la mort du chef de l’Empire sur Endor, voilà un an tout juste, l’Ordre Nouveau n’était plus qu’un immense désordre où tous les ambitieux tentaient de tirer leur épingle du jeu. C’était un spectacle désolant pour tous les fidèles de la première heure qui voyaient s’effondrer comme une supernova tout ce qu’ils avaient bâti avec leur sueur et leur sang.
Dan Tibald, docteur en astrophysique diplômé de l’Académie Centrale de Commenor, n’était pas de ceux-là. Pour lui, l’Empire et l’Ancienne République se valaient : un immense pouvoir concentré entre les mains d’une minorité. Le principal changement qui l’intéressait était le budget consacré à la recherche. L’Empire aimait le progrès technologique et entendait l’accélérer dans tous les domaines possibles. Et ça, Dan ne pouvait que l’approuver. Très bientôt, il serait en mesure d’apporter sa contribution à cet immense projet – et elle éclipserait toutes les autres ; seulement, l’Empire risquait de ne plus exister à ce moment-là.
À cause d’hommes comme Sicarr, des aveugles incapables de voir de ce qui était en jeu.
— Laissez-moi un an, l’implora Tibald. Un an et j’aurai résolu l’équation de la Quintessence. Un an et mes recherches arriveront à leur terme.
— Vous aurez votre année, promit le général en soupirant. Vous l’aurez. Seulement, ce ne sera pas ici, ni maintenant. Je vais vous faire transférer dans l’Espace Sauvage – et, de là, vous rejoindrez les Régions Inconnues. Là-bas, vous aurez toutes les ressources nécessaires pour poursuivre vos travaux.
— Je ne peux pas m’interrompre maintenant ! Votre déménagement risque de me faire perdre des mois… Non, des années de labeur ! Vous avez des destroyers, non ? Utilisez-les pour protéger cette base ! Repoussez les Rebelles !
— Vous ne croyez pas que c’est ce que nous allons tenter de faire ? répliqua Sicarr en haussant la voix. Seulement, c’est bien plus facile à dire qu’à faire ! Le Grand Moff Randd a peut-être une confiance absolue en ses capacités tactiques, mais je suis loin, très loin même de partager son assurance ! Regardez ce qui s’est passé sur Yavin, regardez ce qui s’est passé sur Endor et vous comprendrez que nous avons sous-estimé nos ennemis depuis bien trop longtemps. Cette fois, nous ne pouvons pas nous le permettre.
Je ne peux pas le permettre. Vous êtes trop précieux pour tomber entre leurs mains.
— Vous pensez m’avoir par les flatteries, Général ?
— Si vous voulez, on peut tourner ça autrement : vous ne tomberez pas entre leurs mains. Soit vous évacuez la station en temps et en heure, soit vous restez ici – définitivement. Quand ils exploreront les ruines de ce complexe, les Rebelles trouveront votre corps déchiqueté, vos appareils étranges – mais ils ne mettront jamais la main sur les données. Est-ce assez clair pour vous ?
Le professeur Tibald déglutit. Pour un homme n’ayant jamais fait de politique, Sicarr savait se montrer étonnement persuasif.
— Très bien, céda-t-il enfin. Je vais préparer mes équipes pour le départ. Assurez-vous de nous réserver un vaisseau assez vaste pour emporter nos échantillons.
— Vous l’aurez, assura le général. Et il partira en dernier, pour que vous ayez le temps de rassembler le maximum de matériel. Je ne peux rien faire de plus – sinon vous promettre une nouvelle existence, loin de ce caillou sablonneux, où vous pourrez enfin parvenir à votre but.
Tibald prit congé de Sicarr, la mort dans l’âme. Ce « cailloux sablonneux », comme le qualifiait avec dédain le général, était son foyer depuis bientôt vingt ans. C’est sur Jakku qu’il avait accompli ses plus grandes prouesses : la synthétisation et la stabilisation d’une particule d’énergie noire, la détermination de l’équation supra-luminique du tunnel quantique, et autres trouvailles que l’Empereur Palpatine convoitait jadis.
Il y pensait encore quand il entra dans l’aile de la base qui lui était affectée. Comme le reste des installations, elle était profondément enfouie sous le sol du désert aride qui recouvrait la majeure partie de Jakku. Mais les champs de force séparant les laboratoires des quartiers de vie indiquaient clairement que des expériences dangereuses avaient lieu ici. Il entra dans son bureau et y trouva son principal assistant en plein travail.
Phydd Bhaurfain travaillait sous ses ordres depuis six ans. Dan avait personnellement sélectionné ce jeune prodige issu de l’Ecole Cosmologique de Coruscant parmi des milliers de dossiers ; Phydd était la dernière recrue de son équipe, mais il en constituait l’élément le plus brillant après Tibald lui-même. Et le professeur savait qu’à âge équivalent, ils seraient en compétition pour la direction du laboratoire.
— Alors, cette réunion ? demanda Phydd en levant la tête de ses dossiers.
— Une catastrophe, maugréa Dan en approchant de son propre poste. Sicarr veut nous faire évacuer.
— Pas maintenant ! s’indigna le jeune homme.
— Hélas, si. Je lui ai expliqué nos problèmes, mais il n’a rien voulu entendre. Nous devons préparer le déménagement.
— Quelles raisons a-t-il invoquées ?
— Convoque l’équipe, ordonna Tibald en ignorant la question.
Bhaurfain aurait voulu répéter sa demande, mais il se résigna et obéit. Quelques instants plus tard, Tibald se trouva face à ses douze collègues et assistants, tous humains. Des esprits brillants… Et visiblement inquiets.
— Le général Sicarr vient d’ordonner l’évacuation des installations, annonça le professeur avec gravité. C’est une mesure – il éleva la voix pour couvrir les protestations que son annonce venait de soulever – une mesure de précaution nécessaire. Les Rebelles seraient apparemment informés de nos activités ici.
Son regard passait d’un laborantin à l’autre ; il les fixait dans les yeux, pour qu’ils prennent conscience de sa résolution à toute épreuve. Ce déménagement forcé ne lui plaisait pas, mais c’était, selon Sicarr, la seule situation. Il ferait donc avec…
— Ils arrivent, insista-t-il. D’ici à demain, rassemblez tout le matériel nécessaire pour que nous puissions poursuivre nos recherches dans nos futures installations, copiez vos données… Et détruisez le reste. La Rébellion ne doit
jamais mettre la main sur ça, ou avoir le moindre indice sur notre domaine d’étude. Est-ce bien clair ?
Il n’y eut aucune contestation ; ils savaient tous ce que cette décision représentait pour lui et comprenaient donc la gravité de la situation.
Une fois seul, il s’installa derrière son bureau et parcourut les nombreuses notes de flimsiplast qui le jonchaient. Il fit deux tas ; l’un à conserver, l’autre à détruire, et plaça toutes les feuilles dans l’un ou dans l’autre. Il répéta l’opération avec le fatras présent sur les autres meubles, et dans ses tiroirs, pendant de longues heures, jusqu’à ce que le sommeil le prenne à cet endroit même.
* *
*
Ce fut un flash de lumière, suivi d’une brève sensation d’étouffement, qui le tirèrent du monde des rêves quelques temps plus tard. Paniqué, il chercha instinctivement à reprendre sa respiration et sentit l’air frais arriver en même temps que le contact avec une sorte de masque qui lui englobait le nez et la bouche.
Un respirateur, comprit-il alors.
— Professeur Tibald ?
La voix de Phydd Bhaurfain, légèrement étouffée, le tira de sa surprise. Il ouvrit les yeux ; son assistant était devant lui et le regardait d’un air inquiet. Il portait le même appareil sur le bas du visage.
— Professeur ? répéta-t-il. Vous m’entendez ? Comment vous sentez-vous ?
— Je… Ça va, assura Dan, désorienté. Que se passe-t-il ?
— Nous avons un prob…
Le bruit sourd du sas du labo l’interrompit, d’autant qu’il était accompagné du concert de pas lourds annonçant l’arrivée d’une escouade de la sécurité.
— Graham ? dit Tibald en reconnaissant le meneur des troupes spéciales, malgré le masque dont il était lui aussi affublé. Que foutez-vous là ?
Le capitaine secondait le général Sicarr pour les questions de contre-espionnage ; son intransigeance en avait fait l’un des militaires les plus détestés par le contingent scientifique de Jakku.
— On nous a contactés sur le canal d’urgence, répondit l’homme d’une voix dure. Qui…
— C’est moi, intervint Bhaurfain. Il y a une fuite de gaz au niveau de l’aération des quartiers de vie du secteur.
— Quel type de gaz ? demanda immédiatement le capitaine.
— L’effet n’est pas fulgurant, apparemment, expliqua le jeune homme. Après avoir repéré le sifflement, j’ai eu le temps d’attraper mon kit de protection bactériologique et de l’installer, sans effets secondaires… J’ai essayé de voir si mes collègues étaient saufs, mais leurs portes sont verrouillées de l’intérieur. Je suis donc venu ici, au labo, pour utiliser le poste d’appel d’urgence. C’est en rejoignant l’entrée que j’ai vu que le professeur Tibald était ici… J’ai fait le nécessaire pour le protéger.
— Un choix judicieux, commenta Graham en partant vers les chambres, les autres sur ses talons.
Une minute plus tard, ils arrivèrent dans la salle commune donnant accès aux quartiers privés de tous les chercheurs travaillant dans ce laboratoire. Exception faite de celle menant au studio de Bhaurfain, les portes étaient solidement verrouillées. Graham approcha du terminal central et entra ses codes d’accès.
— Aucune réponse, annonça-t-il, dépité. Nous allons devoir utiliser la manière forte… ajouta-t-il avec un signe de tête pour ses hommes.
Deux techniciens sortirent du rang et s’attaquèrent à la porte la plus proche avec une petite scie rotative. Quelques instants plus tard, le panneau de métal, privé de ses supports, s’écrasa au sol dans un bruit sourd. Un soldat entra dans la pièce sombre, une lampe accrochée à son casque, et en ressortit quelques instants plus tard en portant dans ses bras une femme d’une quarantaine d’années, inanimée.
— C’est le docteur Ofraïh, annonça Tibald.
— Aucun pouls, annonça le soldat. Signes vitaux négatifs.
— Elle est morte, comprit Bhaurfain, l’air horrifié.
Sans rien dire de plus, le professeur regarda la macabre opération se répéter. Dix fois encore, les techniciens firent tomber des portes, mais sans le moindre résultat positif. Graham s’était isolé pour annoncer la nouvelle au général Sicarr.
— C’est sa faute, marmonna Tibald pour son jeune assistant. Le général. Plutôt que de faire la chasse aux Rebelles, il aurait dû inspecter les installations, mieux entretenir la base. Cette fuite…
— Vous dites n’importe quoi, intervint le capitaine en revenant vers eux.
— Vraiment ? répliqua Dan, piqué au vif. Vous avez une meilleure explication ? Vous savez quelque chose de plus, peut-être ?
— Les deux à la fois, répondit Graham avec une moue dédaigneuse. Le général Sicarr vient de m’informer que les autres laboratoires ont aussi été touchés par cette intoxication… Vous connaissez la structure de cette base, professeur. Vous savez ce que cela signifie.
Un frisson remonta le long de l’échine dorsale de Tibald. Oui, il le savait.
— Ce n’est pas un accident, comprit-il.
La lumière du dortoir se coupa brutalement ; seuls subsistaient les éclairages de sécurité.
— Non. Ce sont des meurtres.