Depuis des années, un bouquin prenait la poussière dans ma bibliothèque. Un bouquin que j'étais effrayé d'ouvrir, tant sa réputation était exécrable. Il s'agit bien évidemment, vous l'aurez reconnu, des
enfants du Jedi. Il y a quelques jours, je saute le pas, ayant vaguement à l'esprit un spoil de FOTJ que j'avais lu disant que
Callista y jouerait un rôle et me disant qu'il serait peut-être bon de lire cette fameuse trilogie avant de poursuivre mon voyage à travers FOTJ.
Et là :
what a twist, comme ne disent pas les anglais, j'apprécie ce bouquin. Je l'apprécie même énormément !
Alors, naturellement, je m'interroge sur les raisons qui m'ont fait aimer ce bouquin et surtout sur celles qui lui ont valu une telle réputation.
Hambly est peut-être l'auteur qui a le plus de personnalité de tous ceux qui ont écrit du
SW. Bien sûr, elle s'adapte à l'univers, comme le font tous les auteurs à licence. Mais Hambly se distingue de la masse parce qu'elle ose : elle ose créer des nouvelles espèces, au lieu d’éternellement recycler celles qu'on voit dans les films, comme le font de nombreux autres auteurs de l'
UE trop timorés, oubliant que c'est cette richesse et cette inventivité qui était pour beaucoup dans le souffle de vie qui parcourt les films. Pour autant, Hambly ne crée pas tout, au contraire, elle reprend non seulement tout ce qu'elle peut des films mais encore de nombreux éléments issus de l'
UE : elle parvint ainsi à lier en un tout Vima Da Boa, Thrawn, les Ssi Ruks, Kyp Duron,...
Mais surtout, Hambly ose se comporter en auteur, au sens noble, pas comme un écrivaillon à la ligne : elle ose développer ses propres thèmes. Le premier, et de loin le plus important, le seul que je développerai parce que ça me prendra déjà assez de temps, c'est celui de la double question de l'identité des machines, thème classique de la SF, et celle de leur rapport à la Force, un thème particulièrement adapté à
SW, qui est l'univers où les droïdes ressentent des émotions par excellence. Pourtant, Hambly est l'une des seuls à avoir vraiment exploré cette voie et elle est de loin celle qui est allé le plus loin. En effet, dans ce roman, pêle-mêle :
Un Jedi, Nichoss Marr, a enfermé sa conscience dans un corps cybernétique. Il sait qu'il est un droide mais il pense, agit et aime comme lorsqu'il était vivant. Il a beau aimer plus que sa vie Cray Mingla, ce curieux cyborg est totalement impuissant à la protéger car on lui a imposé un verrou dans sa programmation.
Supplice de Tantale, quand tu nous tiens...Barbara parvient même à nous faire croire l'espace de quelques pages à la mort de R2D2, qui se retrouve dans ce roman pour la seule foie de sa carrière du coté des méchants.
C3P0, quant à lui, un droïde de protocole, montre un des sentiments les plus humains : la condescendances et le mépris, à l'égard des droïdes Tache Unique, qu'il considère comme inférieur à lui. Ce comportement est bien évidemment à rapprocher avec celui des tantes de Leia.
Callista, bien sur, une Jedi devenue immatérielle il y a plusieurs décennies car elle a lié sa conscience à l'ordinateur de l'
Œil de Palpatine pour pouvoir contrer l'implacable intelligence artificielle qui le gouverne. Elle réussit à se réincarner dans le corps de Cray (ouais, j'avoue, dit comme ça c'est assez chelou mais en vrai c'est mignon parce qu'il y a un double sacrifice et tout se tient bien^^) mais au prix de son lien avec la Force !
La Volonté, une intelligence artificielle qui est à l'
Œil de Palpatine, ce que la Force est à la Galaxie.
Quand au rapport à la Force, il est assez évident : les pouvoirs d'Irek, à savoir le contrôle des machines (à noter que la même année paraitront les
Junior Jedi Knights et la
Trilo Corelienne qui, tous deux, développent l'idée d'un rapport entre la technologie par la Force... Je me marre quand on me dit que le problème de l'ère Bantam c'est de n'avoir aucune continuité), les cas de métempsychose développés ci-dessus (
vazy pk t'utilize ds mos conpliké?).
Bon, il y a aussi une thématique de l'identité qui est développée et, même si j'ai dit que j'en parlerais pas, je vous laisse avec cette magnifique citation :
-Luke ?
(...)
Est-ce que je suis vraiment Nichos ? demanda-t-il .
-Je ne sais pas, répondit Luke.
(...)
-J’espérais bien que tu serais capable de me le dire, murmura Nichos. Tu me connais. Enfin... Tu le connaissais. Cray m'a programmé pour... pour connaitre tout ce que Nichos connaissait, pour faire tout ce que Nichos faisait, pour être tout ce que Nichos était et pour penser que je suis bien bien Nichos. Mais le suis-je ?
-Mais, enfin, qu'est ce que vous racontez ? protesta C3PO. Bien sûr que vous être Nichos. Et qui d'autre ? C'est comme si on demandait si La chute du soleil a bien été écrit par Erwithat ou par un autre Corellien qui porterait le même nom.
-Luke ?
-Est-ce que je suis "un autre Corelien qui porterait le même nom" ?
Les enfants du Jedi, Fleuve Noir, pp. 378-379.
Mais le plus impressionnant c'est de se dire que ce traitement des êtres mécaniques ne se fait pas au détriment des êtres de chair et de sang. L'évolution des personnages et les personnages qu'Hambly crée son parmi les meilleur de l'
UE.
Tout d''abord, le traitement que Hambly offre au
Big Three est somptueux. Honte à qui dira le contraire.
Tout le monde sait que "les gens heureux n'ont pas d'histoire" ! Eh bien, Hambly montre l'erreur du dicton : la relation qu'elle crée entre Han et Léia est émouvante, simple et vivante. Une belle réussite. J'admets volontiers que la présence d'Han dans l'histoire soit totalement inutile mais Hambly se rattrape avec Leia. Une fois encore, Hambly est la seule à s'occuper d'un point essentiel : le deuil que Leia doit faire d'Alderaan, la gestion de sa culpabilité pour avoir "provoqué" et survécu la mort de sa planète natale. Sans rentrer dans les méandres de cette intrigue, il faut reconnaitre qu'elles brillamment menée, mêlant habilement flash-back dans le passé de Leia et l'intrigue autour de Roganda.
En parlant de Roganda, LA méchante principale du bouquin (Hambly le dit elle même : elle élève Irek pour en faire "un nouveau Vador et non un nouveau Palpatine", c'est assez clair il me semble), il est regrettable qu'elle apparaisse si tard et agisse si peu. Elle n'en reste pas moins un personnage assez fascinant, par ses talents de manipulatrice, ses statut de Main et courtisane de l'Empereur, ainsi que par ses liens avec Plett.
Et bien sur, Luke. J'ai vu dans les commentaires précédent que le Luke de Hambly a attiré beaucoup de haine sur lui et pourtant... c'est le Luke dont l'
UE avait besoin. Le Luke de Hambly, c'est un Luke de transition entre le newbie de
ROTJ et le badass du
NOJ, et surtout du post
NOJ. Parce que c'est une chose que de balancer, pour faire bien, une phrase du genre "ces yeux montraient une expérience achetée au prix d'innombrables souffrances" comme l'ont fait quasiment tous les auteurs de LOTF et de FOTJ. C'en est une autre que de le montrer, ce Luke diminué qui pourtant refuse d'abandonner le combat. Ce Luke, blessé, plusieurs fois contraint à fuir, impuissant à empêcher la mort de plusieurs êtres vivants.
Alors, oui, on est d'accord, la raison avancé pour sa diminution est bidon. C'est ce que j’appellerais un "échec de mythe". Le même syndrome est décelable dans la maladie de Mara au début nu
NOJ : oui c'est crédible que Mara tombe malade sans rien pouvoir y faire et sans raison connue, oui c'est crédible que Luke se soit cassé la jambe car il s'est assommé dans son vaisseau. N’empêche que c'est la
loose et au final c'est tout ce qu'on retient.
Cet "échec de mythe" est, je crois, pour beaucoup dans l'échec du roman, mais j'y reviendrai plus tard.
Enfin, un commentaire s'impose sur le style. J'ai pu lire ici et là que Hambly avait un style ennuyeux, pénible, verbeux même. J'accorderai bien volontiers que l’appréciation d'un style soit une chose de totalement subjective mais je défie qui que ce soit de prétendre que celui d'Hambly est bâclé, ou même mauvais. Au contraire, tout chez elle n'est que richesse et inventivité ; elle passe d'une description digne des meilleures envolées de Denning sur l'espace infini :
La Bordure Extérieure. Il y a bien longtemps, Luke avait parlé de Tatooine, sa planète natale en des termes on n e peut plus justes . Si l'univers avait un centre, il définissait ce monde perdu aux confins d'une région très peu peuplée comme le point qui en était le plus éloigné. Il avait entre temps visité des lieux qui faisaient ressembler Tatooine à Coruscant un soir de Carnaval ! Cela dit, Luke tenait toujours à sa description... une description qui pouvait d'ailleurs s'appliquer à l'ensemble de la Bordure Extérieure.
Des soleils écarlates et moribonds autour desquels tournaient des sphères glacées de méthane et d’ammoniaque. Des étoiles chauffées à blanc dont la lumière et la chaleur réduisaient les planètes en cendres. Des pulsars entourés de mondes qui fondaient et gelaient alternativement au rythme de leurs orbites. Des amas stellaires où les corps pouvaient être brulés par les radiations ou disloqués par les trop grandes forces gravitationnelles.
Il y avait dans la galaxie, un grand nombre de planètes désertes. Des boules de roches et de métal bien trop chères à exploiter en raison de la chaleur, de la gravité, des radiations, de la proximité des poches gazeuses ou de tout autre anomalies spatiales. Comme Léia l'avait dit à Cray, les distances d'un point à un autre dans l'espace étaient énormes et il était très facile d'oublier l'existence d'une planète ou d'un système si on avait rien à y faire. Sur la Bordure Extérieure, l'Empire n'avait jamais vraiment cherché à se mêler des législations locales. Le croiseur blindé d'exploration, l'Oiseau de Proie, que les Ithoriens avaient prêté à Luke, sortit de l'hyperespace. Il ralentit sa course à une distance respectable de la zone lumineuse de poussière et de gaz ionisé connue sur les cartes stellaires sous le nom de Nébuleuse Fleur de Lune.
Les enfants du Jedi, Fleuve Noir, pp. 54-55.
A ceci :
Dans l'une des pièces secondaires, Chewbacca trouva une échelle. En la tirant après eux, étage après étage, ils l'utilisèrent pour escalader le reste de la tour. Léia avança avec précaution par les portes défoncées, les embrasures de fenêtres et les marches en ruine d'escalier en colimaçon. De la salle la plus élevée, la vue sur la vallée était époustouflante. La brume semblait remplir la crevasse comme l'eau tumultueuse d'un torrent remplirait un bassin. Les toits de plastique blancs installés comme serre sur certaines plates-formes émergeaient du brouillard, évoquant un curieux alignement d'icebergs. La chaleur jouait avec les nuées à la base de la falaise.
(...)
Debout sur une avancée du dernier étage de la tour, Léia regardait dans le lointain l'écosystème miniature de la vallée : une jungle tropicale nichée au fond d'une crevasse, tirant sa chaleur du noyau d'une planète pourtant entièrement recouverte par les glaces.
Les enfants du Jedi, Fleuve Noir, p.99.
Bordel, les mecs, c'est du romantisme. Barbara Hambly a réussi à opérer une jonction entre la SF et le romantisme. Rien que ça devrait suffire à la rendre cultissime. Hambly, c'est le Lamartine de l'ère Bantam
!
[...] (Passage hors-charte) parfois Hambly se plante. Certaines descriptions de personnages sont foireuses ("grand, les cheveux noirs, blabla, tel était Bail, dernier prince de la Maison Organa") et la narration, surtout lors des scènes d'action, n'est pas toujours très claire ; on est parfois obligé de relire certains passages ou de revenir en arrière pour bien suivre. Je pense que cela s'explique par le fait que ce ne sont pas ce genre de passages qui bottent Hambly, qui les met parce qu'elle le doit mais dont le vrai kiff, ce sont les personnages.
L'autre grosse tare du livre, rassurez-vous, je ne l'ai pas oubliée, c'est l'impression qu'on a, grosso modo de la page 100 à la page 250, que l'histoire fait du sur-place. Si, arrivé au bout du livre, on se rend compte qu'énormément d'éléments essentiels à la résolution de l'intrigue sont introduits à ce moment (comment détruire le vaisseau, procéder à l'évacuation, l'introduction du personnage de Callsita,...), il est certain que durant la lecture, il est assez ennuyeux de suivre Luke qui, avec une jambe cassée, se promener à bord de l'
Œil de Palpatine, tapant la causette avec des gamoréens, des jawas, et C3PO pour ensuite retourner aux Jawas.
Mais, on en revient à ma théorie de l'"échec de mythe" : quand on regarde ces passages avec détachement (c'est à dire : sans rien en attendre), il est difficile de dire qu'ils sont fondamentalement pourri.
Bien sûr, il est frustrant de voir Luke prendre un chapitre pour faire ce qu'il fait normalement en une page mais, comme je le disais plus haut, c'est essentiel pour l'évolution du personnage. A telle enseigne que je me demande même si les chapitres de l'
Œil de Palpatine, à peine modifiés, n'auraient pas été considérés comme géniaux s'ils avaient été écrits dans le cadre du
NOJ, c'est à dire dans un contexte où la diminution de Luke serait non seulement justifiée (par un duel épique, une bataille stellaire,...) mais encore attendue. Après tout, l'idée de faire d'un vaisseau un huis-clos avec plusieurs camps (Castilla, la Volonté, Luke et 3PO, les Kittonaks, les Affytechiens,...), opposé à divers degré suivant des buts changeants (c'est clair ?), est absolument géniale.