Owned par le bug, désolé
Bon, sweet^^
« Ça va, Valdie ? Comment te sens-tu ? demanda anxieusement Telin.
- Ça… Pourrait… Je pourrais aller mieux !
Le tir avait atteint Valdie quelque part près de l’abdomen, et la douleur qu’elle semblait éprouver était telle que cela en faisait mal à voir, en tous cas aux yeux de Safera.
-Vous en pensez quoi, Voorth ? Vous connaissez mieux les dégâts de ces fusils que nous…
-J’en pense qu’elle a de la chance qu’il lui soit resté assez d’armure pour atténuer un peu l’impact ! Pour un peu, elle se serait retrouvé transpercée de part en part… Mais non, ça pourrait être pire. Elle vivra, en tous cas. Pour ce qui est de marcher, par contre, je…
-Non… Non ! Pas maintenant, en tous cas ! déclara Valdie avec une fermeté qui flirtait avec l'auto-dérision.
-Très bien, s’inclina Telin. Alors… Il faudrait que nous sachions dans quel état est maintenant la base, en ce cas ; si les Hynors sont déjà passés à l’attaque, je serais étonné qu’il reste beaucoup de Kryshzlas à même de nous nuire, à l'heure qu'il est, vu qu’ils étaient déjà très occupés à s’entretuer, tout à l’heure… Nous pourrions te porter ?
-Oui… Voorth ? Pourquoi… Pourquoi est-ce que finalement, vous vous êtes retourné contre le commandant et ses hommes ?
La question aurait sans aucun doute brûlé les lèvres de Safera en d’autres circonstances, mais malgré son soulagement de voir que Valdie n’avait pas été tuée, elle se sentait encore trop assommée par la mort de… De…
Voorth parut un instant ne pas vouloir répondre ; puis, avec un léger soupir, il s’expliqua :
-Je… Je ne pouvais pas faire autrement. Je ne pouvais plus. A vrai dire… J’ai essayé, dans le sous-marin, de me raccrocher à la haine des Chiss, de rester un soldat Lanshrul au moins en apparence, quitte à parler à mes geôliers ; mais… Mais même là, je n’aurais pas pu vous regarder mourir sans rien faire. C’est l’Ômu… Wogorn… (Voorth se tourna vers Safera, prenant celle-ci totalement au dépourvu) Cette chose m’a parlé de vous, elle m’a montré des choses qu’elle avait trouvées dans votre mémoire, j’ai vu à travers quelques-uns de vos souvenirs la Galaxie par vos yeux ; j’étais déjà complètement abasourdi par les pouvoirs de cette horrible créature, mais ça, j’ai eu encore plus de mal à m’en remettre… Je ne sais pas si tous les Chiss sont comme vous, je ne sais pas si vous avez raison de nous combattre, mais ce que je peux vous dire, c’est que vous, vous êtes plus courageuse et plus généreuse qu’aucun Lanshrul que j’ai connu. Et tous les quatre, je vous ai vu prendre plus de risques pour aider un peuple qui n’était pas le vôtre qu’aucun des miens ne le fera jamais de lui-même pour mon peuple… Je ne savais pas très bien quoi faire, je ne voulais pas trahir mon peuple, alors j’ai essayé de vous faire prendre vivants ; mais… Enfin, vous avez vu comment a réagi le Commandant… Il vous aurait tous fait tuer, et il aurait violé Safera et Valdie avant; alors… Que faire, quand son propre peuple est représenté par un type pareil tandis que l’ennemi est constitué par des gens comme vous quatre ?
Telin hocha la tête.
-Bienvenue dans l’équipe, alors… Enfin, à supposer qu'il nous reste encore quelque chose à faire ?
Safera haussa les épaules.
-J’imagine que nous allons aider le Général Fayg-Jehd à vaincre ce qui reste des Kryshzlas… En espérant qu’il n’en reste pas trop de prêts à combattre…
Autour d’eux subsistait la calme lumière des Vooltherga, implantées tout en haut des murs derrière des vitres de transparacier… Bon nombre d’entre elles avaient été détruites, et cela n’avait rien d’étonnant compte tenu du nombre de grenades qu’ils avaient employé… C’était pour ces petites sphères de lumière qu'ils avaient dû tuer tant de gens, c'était pour elles que Wyntar venait de tomber…
Safera s’avança dans la pièce, revenant vers l’endroit d’où était partie la bataille... Il était là.
Elle retira son casque.
Oui, c’était bien Wyntar qui était tombé là, portant l’armure maudite…
Elle ne pouvait plus le nier, plus avec son visage sous les yeux.
Wyntar, Wyntar le nouveau était mort, le corps criblé d'impacts noircis.
« Eh, on est l'Escadron Main Bleue !
-Nous sommes l'escadron Main Bleue, toi, tu es juste un nouveau !
-Oh. Accueillants, en plus... »
« Tu as de la chance qu'on ai réussi à te repêcher, tu sais? »
« C'est pas vrai, tout ce qui nous arrive depuis vingt-quatre heures est complètement dingue... Les chasseurs Kryshzlas sortis de nul part, nous qui retournons chercher Valdie... Et maintenant, ces gens qui vivent au fond des mers... Pas fâché que ça se calme un peu pour le moment. Au fait, quelqu'un sait pourquoi nous ne sommes pas écrasés par la pression de l'eau? Et tant qu'à faire, pourquoi les Hynors ne le sont pas? En principe, il n'y a que des animaux gigantesques à ces profondeurs, non? »
« Euh, réponds si tu le veux, mais... Tu l'aimais... Comme une amie? Ou...
-Non... Pas comme une amie, non.
-Dommage. Parce que tu seras la seule femme Chiss de la planète si Valdie meurt, et à priori, nous sommes coincés ici jusqu'à la fin de nos jours... »Safera interrompit le flot de ses pensées désespérantes ; se remémorer tout ce qu’ils avaient traversé avec Wyntar dans un tel moment relèverait du masochisme pur et simple… Ils avaient été quatre, elle, Valdie, Telin et Wyntar, et avec eux, Safera avait cessé d’être seule même sans Sev’rance ; ensemble, ils avaient découvert Fayg et la civilisation Hynor, ensemble, ils avaient traversé des aventures extraordinaires, ensemble ils avaient fait de leur mieux pour sauver Valdie puis aider les Hynors à se libérer, pour se donner la possibilité de revenir dans le monde des êtres de la surface… Mais maintenant, c’était fini. Tout était fini.
Safera se revit parlant avec Valdie mourante, terrifiée à l’idée de la perdre… Cette fois, c’était fait, l’un d’eux les avait quitté pour de bon.
Safera laissa les doigts griffus de la douleur se saisir de son cœur et le déchirer en deux avec un craquement sec… Elle souffrait plus qu'elle n'aurait su l'exprimer, mais tant pis; aussi grande que soit la douleur, rien ne serait pire que de rester insensible à la mort d'un ami et compagnon d'armes, celui qui y parviendrait ne serait plus qu'un mort-vivant... Elle n’avait pas fini de regretter celui qui avait partagé avec eux les espoirs et les peines de leur vie dans ce monde, elle le savait, mais elle devait vivre malgré la tristesse, parce qu’il lui restait miraculeusement Valdie et Telin qui ne voudraient pas la voir partir à son tour, parce que tout cela n’aurait pas été vain si Hautemer était libérée une fois pour toutes et si elle pouvait enfin retrouver Sev’rance...
« Avoir fait tant de chemin avec nous pour succomber avant d’en avoir vu la fin… murmura tristement Telin, qui avait rejoint Safera auprès de Wyntar. Mais c’est fini, maintenant. Nous sommes vivants, et nous avons beaucoup de chance de l’être… C’est terrible que Wyntar n’ait pas pu voir cela… Mais nous savions tous que cela pourrait nous arriver.
-Ça aurait pu arriver dès l’instant où ces chasseurs Kryshzlas nous ont attaqués, rappela sombrement Safera. Nous avons échappé à la guerre et à la mort pour quelques jours, parmi les Hynors… Mais c’est fini, parce que le monde des êtres de la surface a repris ses droits, il nous a poursuivi jusqu’au fond des mers…
Les deux Chiss gardèrent le silence un court moment. Finalement, ce fut Telin qui reprit la parole le premier :
-Nous allons essayer de prendre les Vooltherga… dit-il doucement. Peut-être même pourrons-nous nous en servir pour détruire à nous seuls la base Kryshzla, puisque c’est une ancienne cité Hynor; ou au moins, nous pourrions prévenir Fayg-Jehd que nous avons réussi… Tu essayeras, d’accord ? Tu as plus d’expérience que moi avec ces trucs-là…
-D’accord… Euh, tu as entendu ?
-Non, quoi ?
Safera était sûre d’avoir entendu quelque chose, un son vivant…
-Aaah... appelait quelqu'un...
-Là-bas, indiqua Voorth. Je crois que c'est le Commandant... Il est toujours vivant...
-Venez, supplia la voix en Sy Bisti.
En effet, Safera vit que l'un des Kryshzlas au moins se raccrochait encore à la vie, adossé au mur, un mourant à l'armure blanche noircie, impossible à distinguer des morts environnants; il n'en avait clairement plus pour longtemps, à en juger par les impacts qui s'étalaient sur son armure, et il était manifestement incapable d'esquisser un seul geste.
Safera aurait juré qu'il allait succomber dans la minute, mais il trouva encore la force de prendre la parole et de murmurer quelque chose lorsque la jeune femme s'approcha de lui avec Voorth et Telin.
-Promettez-moi que vous... L'arrêterez. Le Général... Le Général Hassano...
-Votre Général? Pourquoi, que fait-il? demanda Safera, intriguée.
-Il... Il veut... Essayer détruire les Ômus. Il... Rassemblé les sous-marins. Devenu fou ! S'il va... S'il va trop loin... Et échoue... Jamais les Ômus ne laisser un seul d'entre nous quitter la planète... Vivant, non? Non? Je ne voulais pas... Obéir. Resté ici. Voolthergas... Certains, certains d'entre nous essayé l'arrêter, mais... Faites-le, vous. Empêchez-le de provoquer la colère des Ômus. Je sais que vous... Mais je vous en prie...
Il sembla un instant sur le point de mourir pour de bon, mais sa respiration se maintint finalement pour le moment. Safera regarda le Commandant mourant... Cet homme était l'ennemi des Chiss, il avait combattu au service de la soif de conquête du Seigneur Heckara, il était l'un de ces monstres qui semaient la terreur dans les Régions Inconnues, Safera savait qu'il avait certainement commis bien des crimes; en tous cas, elle l'avait vu ordonner sans remords l'exécution de quatre prisonniers sans défense, et elle savait qu'il allait la violer en découvrant qu'elle était une femelle, l'effroi lui coupait encore le souffle à l'idée de ce qui aurait pu se passer si Voorth n'était pas intervenu... Sur Hautemer, le peuple de Saur Thar avait oppressé les Hynors pendant un demi-siècle, réduisant leurs magnifiques cités à une base dont ils se servaient pour mener leurs raids meurtriers; les Kryshzlas avaient semé la mort et la destruction au sein même de ce que les Ômus avaient voulu un monde de vie et de paix, ils incarnaient tout ce pourquoi Safera avait toujours cherché refuge dans l'espace, au fond des océans... Dans les bras de Sev'rance.
-Bien sûr, assura-t-elle sous les yeux ronds de Telin. Je l'arrêterais, et je sauverais les vôtres. »
L'heure approchait, l'heure approchait où Varulg ne pourrait plus attendre et devrait ordonner l'assaut de la base Kryshzla quelles que soient les pertes encourues; il ne pouvait cesser de tourner et de retourner cette idée dans sa tête... Ils allaient devoir combattre à l'air, et cette absence totale de réaction des Kryshzlas continuait à le tourmenter... On disait qu'avec leurs armes, ils pourraient anéantir l'intégralité d'une cité Hynor comme Fayg et qu'il leur resterait encore de quoi réchauffer le fond des océans...
Allons, d'après le délai qu'il s'était fixé, il laisserait encore une demi-heure aux Chiss pour atteindre leur objectif; il s'efforça de ne pas imaginer les quatre précieux alliés des Hynors agonisants quelque part dans les horribles salles tout en métal des Hynors, les Kryshzlas victorieux préparant quelque diablerie à l'intention des troupes de Varulg...
« Général, regardez!
-Qu'y-t-il? »
Mais Varulg, reportant son attention sur ce qui avait été une cité Hynor avant que les Kryshzlas n'en fassent cette abomination, vit lui-même ce qu'il se passait; la lumière... La lumière concentrée, prisonnière au milieu des tours noires, la lumière bleutée des Vooltherga vacillait! La base Kryshzla était en train de se retrouver entièrement plongée dans la pénombre...
« Vous pensez que ce sont les Chiss?
-C'est bien possible... Ils ne peuvent probablement pas détruire eux-mêmes la base, les Kryshzlas ont dû redessiner le réseau des Vooltherga afin d'éviter cela, alors ils nous font signe que nous pouvons attaquer... Et même si ce ne sont pas eux, il faudra bien que nous nous décidions à lancer cette offensive à un moment ou à un autre... Allez, dites à toutes les forces d'assaut d'attaquer suivant le plan prévu; espérons que la chance continue à nous accompagner... »
C'était maintenant que tout allait se jouer, songea-t-il; c'était maintenant que devraient s'affronter le monde des êtres de la surface, le monde des machines, le monde de la soif du sang et des biens matériels, et le monde des abysses, le monde de l'océan, de la vie, de la liberté, de la diversité et de la simplicité... Au fond, Varulg se voyait moins comme le libérateur de son peuple que de sa planète; les Hynors devraient représenter toutes les espèces vivantes d'Hautemer face à l'invasion... Ils ne pouvaient pas se permettre d'échouer, pas cette fois, pas maintenant que son peuple savait de quoi les Kryshzlas étaient capables.
Il fallait faire quelque chose. Il fallait faire quelque chose! Assis dans son fauteuil sur le pont de commandement du sous-marin
Dragon d'Acier, le Général Hassano sentait son sang brûler du désir d'agir! Ils ne pouvaient pas... Ils ne pouvaient pas simplement rester là à attendre que ces monstrueux indigènes et leurs fourbes alliés Chiss passent à l'attaque! Ils ne pouvaient pas!
Hassano le savait, oui, il le savait.
Il savait, oh oui, il savait quelles puissances infernales étaient à l'œuvre derrière l'attaque contre la base Lanshrul... Il avait compris dès qu'on lui avait transmis le commandement de cette base vitale. A l'époque, on lui avait simplement expliqué que l'on ne savait pas très bien de quoi les Hynors étaient capables exactement, et qu'il valait donc mieux respecter la volonté de ce qui leur tenait lieu de divinités... Au cas où. Mais Hassano avait su, oui, il avait si vite su! Contrairement à son prédécesseur qui s'était probablement contenté de manipuler vaguement ces choses avant d'affirmer qu'elles n'avaient aucune importance, Hassano n'avait pas hésité à s'en remettre à ces mystérieuses perles lumineuses, les Vooltherga, il leur avait réellement ouvert son esprit, inquiet que les siens aient pu sous-estimer leur pouvoir... Et il avait vu! Ah, il avait vu à quel point ce monde était horrible! Il avait sentit
avec son esprit le pouvoir de ces horribles masses tentaculaires que vénéraient les Hynors, les Ômus, et il n’avait jamais oublié la terreur qu’il avait ressenti au contact de ces choses dont les pouvoirs échappaient à toute logique, de ces choses si différentes de tout ce qu’il connaissait, des abominations qui auraient pu le tuer d’un simple coup de tentacule ! Et il avait dû échanger avec ces choses, essayer de convaincre ces monstres qu’il ne les menaçait pas… Oh comme il avait eu peur ! Mais cela n’était encore rien comparé à ce qu’il avait ressenti lorsqu’il avait compris que ces démons gluants régnaient en parfaits despotes sur toute la vie d'Hautemer ! Même les Hynors, auxquels ils avaient imposé le refus de la violence et l’adoration de la vie pour s’assurer que jamais ils ne menaceraient leur terrible pouvoir ! Ils avaient coupé les Hynors de tout ce qui pouvait faire la grandeur et la noblesse d’une race ! Ces créatures imbéciles en étaient au point où elles ne voyaient même plus pourquoi elles devraient s’étendre, partir à la conquête de la gloire et de la richesse, elles étaient incapables de se révolter contre l’ordre imposé par les Ômus, et c’était pourquoi elles s’étaient montrées tout aussi incapables d’opposer une résistance convenable à l’invasion Lanshrul !
Elles incarnaient exactement le contraire de la noble race Lanshrul, qui avait au contraire su s’arracher à la tyrannie des idéaux de pacifisme et de soumission pour partir bâtir son empire et imprimer son empreinte au fer rouge à tous les peuples qu’elle rencontrait ! Ils prouvaient leur force et leur noblesse par la guerre ! Hassano savait cependant qu’il n’en avait pas toujours été ainsi… Les Lanshruls avaient eux aussi été autrefois atteints de cette maladie de l’âme qui empêchait un peuple de se tourner vers l’ordre, la conquête et la richesse pour se tourner par dépit vers des valeurs d’esclaves! Mais jamais à ce point-là ! Ils avaient su s’en débarrasser pour se tourner vers la seule véritable civilisation, et jamais cet enlisement n’avait atteint chez eux le blocage monstrueux imposé par les Ômus aux Hynors !
Hassano avait dû, pendant toutes ces années, se plier à tous les caprices des Ômus, renoncer à massacrer ces imbéciles d’indigènes, se comporter comme un esclave pour ne pas déchaîner la colère des démons… Oh, comme il avait honte de ces années ! Il avait eu pendant tout ce temps l’horrible impression de se rabaisser lui-même au niveau des sauvages !
Mais maintenant, c’était terminé ! La terreur et le règne des monstruosités télépathes allaient prendre fin !
Il avait toujours su… Oui, il avait toujours su qu’un jour ou l’autre, les Ômus finiraient par le trahir ! Et c’était arrivé ! Les immondes despotes l’avaient ignoblement trahis une première fois en permettant aux Hynors en exil de sauver des guerriers de la race Chiss ! Oh, les Chiss en eux-mêmes n’étaient plus un tel problème… Plus depuis que Hassano avait posé les pieds sur Hautemer ! Il trouvait toujours leurs principes pacifistes ridicules et naïfs, indignes d’êtres pensants, mais il respectait tout de même la férocité avec laquelle ils combattaient lorsqu’on avait eu l’imprudence de les attaquer ! Mais… Où en était-il ? Oui, les Ômus l’avaient trahi en abritant ces Chiss ! C’était le droit d’Hassano d’envoyer des éclaireurs les trouver pour les tuer ! Cette guerre ne concernait pas des bêtes sauvages, même si elles avaient par malheur des dons de télépathes !
Et maintenant… Haha !
Maintenant, les Ômus révélaient enfin toute l’étendue de leur fourberie ! Maintenant, ils lâchaient sur eux leurs esclaves Hynors, enfreignant leurs sacro-saints principes pacifistes !
Mais…
Mais non messieurs, il ne serait pas dit qu’Hassano ! Il ne serait pas dit que le Général Hassano n’aurait pas fait son devoir d’être pensant ! Il ne serait pas dit qu’Hassano aurait abandonné cette planète aux esclaves et aux monstres marins ! Il ne serait pas dit qu’il n’aurait pas tout fait pour que cette planète monstrueuse garde un semblant de civilisation ! Des bases aux couloirs métalliques bien propres, des guerriers, une exploitation économique efficace ! Voilà ce qu’il voulait voir ici, certainement pas des indigènes sauvages, des tyrans céphalopodes et des monstres marins en tous genres !
Que… A quoi pensait-il, avant de se perdre dans le souvenir de la grotesque monstruosité de cette planète ? Ah oui, tout cela serait bientôt fini !
Ce serait fini parce qu’il allait détruire les fourbes démons qui maintenaient cet enfer en place ! Il allait détruire les Ômus ! Après quoi, il détruirait les Hynors ! Et… Et ! Et après ! Après, il anéantirait toute forme de vie et toute chose naturelle sur Hautemer jusqu’à ce que cette planète devienne un rouage de plus dans la gigantesque machine de guerre et de production Lanshrul ! Les Lanshruls feraient leur cette planète, ils prouveraient une fois de plus qu’ils étaient les plus forts !
Si même les… Oui, si même les puissances surnaturelles ne pouvaient rien contre eux, quelle chance restait aux Chiss ! Oh oui, oui, Hassano ferait de cette planète un exemple pour toute la Galaxie… Un symbole ! Un symbole de la puissance invincible de l’invincible puissance Lanshrul ! Il resterait… Dans la légende… La légende Lanshrul !
Personne ne pouvait voir le sourire qui s’étendait sur son visage, dissimulé par son casque comme celui de tout militaire Lanshrul… Et c’était heureux ! C’était heureux car sinon, il doutait que qui que ce soit lui aurait obéi… Il se serait bien trouvé des imbéciles pour qualifier ce sourire de… De dément ! Oui, dément, c’est ce qu’auraient dit certains…
Il caressa un instant la petite Vooltherga qu’il avait emporté avec lui… Les Ômus… Les monstres l’entendraient, oui, ils verraient leur fin arriver ! Ils la verraient ! Ils la verraient parce que Hassano la leur annoncerait personnellement… Via cette sympathique petite perle, oui, ils sauraient !
« Général ? L’
Épée d’Aurodium au rapport, annonça un officier de pont. Le sous-marin est paré pour l’attaque, ses missiles sont prêts.
-Très bien, commencez l’opération. »
Hassano était surpris lui-même d’entendre à quel point sa propre voix lui paraissait calme, pleine de sang-froid et d'assurance, presque détachée… Personne ne semblait voir l’orage intérieur qui l’agitait ! N’était-ce pas fantastique ? Il bouillait de haine, de terreur et de désespoir et personne ne le voyait !
Personne ! Tout le monde lui obéissait sans discuter, personne ne semblait ne serait-ce que… Oui, ne serait-ce que se poser la question de savoir s’il savait ou non ce qu’il faisait !
Il en était toujours allé ainsi, curieusement, tout le monde avait toujours écouté Hassano, aussi n’avait-il jamais hésité à prendre la parole et à imposer son point de vue en toutes occasions, il n’essayait même pas de discuter et tout le monde acceptait néanmoins ses opinions ainsi ! Certes ! Mais il n’aurait pas crû qu’il en irait de même sur Hautemer ! Cette planète l’avait beaucoup changé! Et il savait qu'à présent, plus personne ne l’aurait écouté s’il avait parlé comme il avait pensé !
Mais personne ne voyait ! Personne ne voyait ce qui agitait ses pensées !
Si… Si, il fallait reconnaître ! Il fallait reconnaître que certains avaient vu ! Le Commandant Saur Thar, le Lieutenant Gash, les artilleurs du poste deux, et bien d’autres encore ! Et cet infortuné Colonel qu’il avait dû égorger lui-même parce qu’il n’était pas capable de suivre sa vision !
Ces gens ne comprenaient pas ! Pas! Ils ne comprenaient pas que Hassano avait la vision d’un monde au service des Lanshruls, à son service ! Et qu’il mettait tout en œuvre pour obtenir ce monde ! C’était pour cela qu’une telle tempête tourbillonnait en lui, c’était pour cela qu’il fallait le suivre !
Il put encore se demander vaguement, dans un petit coin de son esprit épargné par l’orage, si Thar et les autres pouvaient… ! S’ils pouvaient avoir raison !
Était-il devenu fou ?
Mais finalement, ça n’avait pas grande importance, parce que la machine était mise en marche, et que rien au monde ne pourrait convaincre Hassano de l’arrêter, de céder face aux monstrueux souverains d’Hautemer.
Cinquième Partie : Mer de SangChapitre XIII
Assise au poste de copilote d'un sous-marin exactement semblable à celui que les Chiss avaient utilisé pour s'introduire dans la base Kryshzla, Safera se sentait écartelée entre des sentiments contradictoires: son corps lui hurlait qu'il n'en pouvait plus, elle avait l'impression que l'épreuve aurait dû être finie, qu'elle avait fait ce qu'elle avait à faire et qu'elle était folle de remettre sa survie en jeu pour aider des gens qui n'avaient jamais fait qu'essayer de la tuer; oui, mais elle savait aussi qu'elle ne pouvait pas laisser ce Général Hassano condamner l'ensemble des Kryshzlas présents sur la planète, elle ne
pouvait pas, pas plus qu'elle n'aurait pu s'arracher le cœur de la poitrine ou faire couler le sang de Sev'rance. Comme toujours, la voix qui lui criait qu'elle ne pouvait pas abandonner ceux qui avaient besoin d'elle quels qu'ils soient était la plus forte, elle répétait avec un calme bruyant les choses terribles qui risquaient encore d'arriver; parce qu'elle savait de quoi les Ômus étaient capables, parce qu'elle savait que tous ceux qui mourraient ne pouvaient pas être mauvais, il était de son devoir d'ignorer son instinct qui la poussait à faire de son mieux pour survivre et le souvenir de ce que les Kryshzlas avaient fait.
Comme d'habitude, elle supposait que Telin et Valdie ne la comprenaient probablement pas, elle avait le sentiment tenace que tout le monde la trouvait ridicule sans jamais pouvoir en être sûre... Mais même si c'était le cas, la jeune femme ne leur en voulait pas. Elle agissait ainsi parce qu'elle savait qu'elle aurait encore moins d'estime pour elle-même si elle laissait mourir des gens qu'elle aurait pu aider, quels qu'ils soient, mais elle ne pouvait pas demander à chacun d'agir de la même façon; ce serait condamner la Galaxie toute entière, ce dont Safera se sentait absolument incapable. Elle se sentait tout de même coupable en voyant que Telin et Valdie la suivaient une fois de plus dans une folie qu'elle les soupçonnait de désapprouver: Telin était assis dans le fauteuil de pilote, et ils avaient installé Valdie à sa gauche; les Hynors avaient donné à celle-ci quelques substances qui devraient calmer sa douleur sans faire de mal à une Chiss, mais elles semblaient insuffisantes. Voorth était également de la partie; lui soutenait pleinement Safera, naturellement, il avait été soldat Kryshzla assez longtemps pour savoir que juger n'était pas si simple...
De toutes façons, l'univers tout entier eut-il été en désaccord avec Safera que cela n'aurait rien changé: Wyntar était mort aujourd'hui, une multitude de guerriers Hynors anonymes étaient certainement morts aujourd'hui, les Kryshzlas s'étaient retrouvés réduits à s'entredéchirer; il fallait mettre un terme à cette hémorragie, qu'importait que ces milliers de combattants Kryshzlas fussent théoriquement l'ennemi, Safera ne pouvait pas laisser des êtres pensants comme elle se faire balayer par la terrible puissance de Wogorn et ses frères parce qu'un imbécile refusait de reconnaître qu'il avait perdu sa bataille... C'était sa mission, au même titre que la libération des Hynors ou la survie de l'Ascendance Chiss...
Et puis... Et puis, un doute horrible rongeait les tréfonds de l'esprit de Safera: et si Hassano réussissait, finalement? Et si son projet fou d'anéantir les Ômus aboutissait? C'était peu probable, certes, mais... Que se passerait-il si cette catastrophe se produisait aujourd'hui? Et si toute la vie sur Hautemer disparaissait avec ses maîtres, gigantesques Pashagas et minuscules Hynors, humbles requins et formidable Bunyip, ne laissant plus qu’un océan mort à jamais? Non, elle ne voulait pas penser qu’une telle horreur était possible, elle ne voulait pas…
Safera chassa l'idée d'un revers mental.
« La flotte ennemie est en vue, annonça solennellement Telin.
En effet, on pouvait difficilement la rater: toute une armada de sous-marins de tailles variées fendaient les eaux noires loin devant le vaisseau des Chiss, telle une monstrueuse caricature d'acier de la vie sous-marine; Safera ne savait pas où la flotte du Général Hassano se rendait exactement, mais ce dont elle était sûre, c'était qu'elle ne cherchait pas à gagner la surface et qu'elle s'éloignait de plus en plus de sa base... La déduction était facile: le Commandant Thar n'avait pas menti, c'était maintenant indéniable, Hassano tentait de gagner un endroit où siégeaient les Ômus, comme la caverne de la forêt près de Fayg... Peut-être même était-ce précisément là qu'il se rendait, Safera avait perdu toute notion du temps et donc de distance, ses pensées incapables de s'écarter du désastre à venir... Et de ce que Telin et Valdie pouvaient penser d'elle en cet instant...
-Fayg-Jehd sait où ils vont, exactement? demanda Telin à Valdie avec une sobriété qui rendait Safera folle.
-Apparemment, commença Valdie, c'est l'endroit où les Hynors venaient trouver les Ômus avant de s'exiler à Fayg... Une gigantesque montagne sous-marine entourée d'une forêt comme celle que nous avons traversé, un autre épicentre de manifestations surnaturelles; ils sont sérieux... Reste à savoir ce que feront les Ômus quand ils s'en apercevront...
Insistant pour se rendre utile malgré sa blessure, Valdie tenait entre ses mains un objet que le Général Fayg-Jehd leur avait remis à la base; petit et sphérique, émettant une lumière verte à la douceur troublante, il ressemblait à une simple Vooltherga, mais cette Vooltherga-là était en réalité bien plus que celles dont les Hynors s'étaient servis pour bâtir le réseau de communication de leurs cités, elle pouvait non seulement recevoir les pensées de son utilisateur mais aussi les transmettre à ses sœurs sans l'aide d'aucun réseau matériel... Cet objet n'était ni plus ni moins qu'un fragment du pouvoir télépathique des Ômus. Les Hynors n'en possédaient que huit, dont toutes leur avaient servi à coordonner leurs attaques contre les cités aux mains des Kryshzlas, d'après Fayg-Jehd.
Contrairement à Telin et Valdie, le Général avait pris très au sérieux la menace de Hassano lorsque les troupes Hynors avaient rejoint les Chiss dans la base Kryshzla, stupéfaites de la découvrir presque vide; il n'était pas question de prendre le moindre risque, avait-il déclaré, les Ômus eux-mêmes ignoraient de quoi les Kryshzlas et leurs machines de guerre étaient capables, et il n'avait pas la moindre envie de voir Hautemer contrainte de se passer de l'équilibre maintenu par les Seigneurs des Abysses... Si la vie des océans survivait à leur mort, du moins.
Pour Safera, la destruction d'Hautemer serait une tragédie telle qu'elle refusait de l'imaginer tant l'idée qu'elle puisse se produire lui paraissait oppressante, une horreur que même elle ne pourrait peut-être pas pardonner aux Kryshzlas; pour Varulg Fayg-Jehd, ce serait tout simplement sa fin et celle de son peuple.
Et avec lui mourrait le seul monde qu'il ait jamais connu.
Il n'y avait rien d'étonnant à ce que les guerriers Hynors se soient lancés à la poursuite de la flotte Kryshzla en compagnie du sous-marin des Chiss, Safera imaginait sans peine ce qu'elle ressentirait si l'Ascendance Chiss dans son ensemble était menacée...
« J’espère que vous savez que les Kryshzlas ne méritent pas la moitié de la pitié que vous semblez leur accorder ? Que personne n’aurait fait la moitié de ce que vous faites pour des étrangers ? Je comprends maintenant pourquoi les Ômus ont accepté de vous aider, Safera; je vous admire, mais j'ai aussi peur pour vous. » avait encore déclaré Varulg à Safera avant que les Chiss n'embarquent dans ce sous-marin, plongeant sans le vouloir ni le savoir la jeune femme dans une bataille intérieure entre la partie d'elle-même qui se sentait rassurée par les éloges, comme réchauffée après une longue marche dans le froid, et celle qui se sentait au bord d'un abîme, paralysée par la crainte que l'on attende trop d'elle et qu'elle ne puisse plus que décevoir... Il en allait ainsi chaque fois que Safera faisait l'objet de compliments, il en allait ainsi chaque fois que l'on parlait d'elle personnellement; à vingt-six ans, elle ne s'était toujours pas habituée à elle-même. Heureusement, l'un des attraits d'une vie sans cesse confrontée au danger pour soi-même et pour les autres aux yeux de Safera était justement qu'elle pouvait se concentrer sur autre chose qu'elle-même et ses relations sociales, c'était là l'un des aspects que Safera avait vite aimé dans sa vie de pilote... Sev'rance était décidément la seule personne avec laquelle elle pouvait discuter sans la moindre crainte; Safera savait que son amante n'attendait rien de quiconque était prêt à lui faire confiance, encore moins de celle qui l'aimait, c'était au contraire elle qui se sentait responsable d'eux, et elle serait aux côtés de Safera quoi qu'il arrive, ne serait-ce que parce qu'elle savait que Safera serait aux siens quoi qu'il arrive.
Mais Sev'rance n'était pas là, et Safera avait tout de même besoin de parler à Telin et Valdie...
Comme pour se donner du courage, elle observa les algues rouges et vertes qui défilaient en-dessous du sous-marin, éclairées par endroits de lueurs d'un vert pâle qui semblaient s'y déplacer avant de disparaître soudainement; mais elle n'en détacha finalement jamais le regard, fixant obstinément cet étrange paysage comme pour ne pas avoir à se reconnaître à elle-même qu'elle n'avait pas le courage de demander à Telin et Valdie s'ils lui en voulaient de les entraîner là-dedans... Elle apercevait les silhouettes noires des guerriers Hynors qui nageaient autour du sous-marin tels une escorte fantastique...
Finalement, ce fut Telin qui dut briser le silence le premier:
-Je ne sais pas ce que sont ces lumières vertes qui se baladent entre les algues, mais il y en a de plus en plus, et de plus en plus grosses, on dirait... On s'enfonce dans le territoire des Ômus. Tu es sûr que tu veux toujours continuer, Safera? Parce que si les Ômus et leurs serviteurs se sont levés du mauvais tentacule, je ne sais pas s'ils prendront le temps de faire la différence entre nous et les sous-marins Kryshzlas... Les Hynors seront peut-être épargnés, mais...
Safera réussit à contorsionner les traits de son visage en une caricature d'un pâle sourire.
-
Moi, je continue jusqu'à ce que ce Général Hassano soit mis hors d'état de nuire, jusqu'à ce que tout le monde sur Hautemer soit hors de danger... Si tu veux, laisses-moi les commandes et trouves une combinaison pour repartir, tu sais que je ne t'en voudrais pas.
A gauche, Valdie secoua la tête, ou plutôt elle essaya de le faire en retenant tant bien que mal un gémissement de douleur.
-Après tout ça? Arrêtes, Safera, tu sais très bien que nous te suivrions même si tu voulais essayer de ramener une étoile dans ton jardin... Ce qui n'est pas totalement exclu te connaissant, d'ailleurs.
-Exactement, approuva Telin, las. Ne sois pas bête, on ne peut pas lâcher quelqu'un, surtout pas maintenant qu'on a perdu Wyntar, et surtout pas toi alors que nous n'aurions pas fait la moitié du chemin si tu n'avais pas été là... Si tu continues, nous aussi.
Safera se sentit à la fois sur le point d'exploser et de s'effondrer sur place, elle n'en pouvait plus, elle était plus que lasse de cette bataille permanente pour parler... Allez, elle n'en avait peut-être plus pour longtemps, elle devait faire cet effort. La bouche sèche, elle s'expliqua:
-Je sais... Je sais, et je vous en suis reconnaissante. Vraiment. Mais... Si vous m'en voulez de vous emmener là-dedans... Si vous pensez que...
-S'ils vous en veulent, vous n'avez pas à les écouter, coupa Voorth. Vous faites ce qui vous semble juste, non?
-Oui, et quoi qu'il arrive, je continuerais, répondit Safera, avant que Telin et Valdie n'aient pu s'exprimer. Mais c'est quand même de ma faute s'ils sont là, et à part Sev'rance, je crois que je n'ai jamais rencontré personne qui m'ait accordé autant d'attention; alors j'aimerais savoir, vraiment...
Telin sourit tristement.
-Je commence à te connaître un peu trop bien pour penser que tu aurais pu répondre autre chose au Commandant Kryshzla, Safera... Je trouve ça aberrant que tu aies pu promettre quoi que ce soit à quelqu'un qui te voulait tant de mal, et complètement idiot, pour ne rien te cacher; je voudrais repartir immédiatement vers la base Kryshzla, voir s'ils ont laissé des sous-marins qui puissent remonter un chasseur à la surface... Mais t'en vouloir? Non, je ne peux pas, je ne peux vraiment pas reprocher quoi que ce soit à quelqu'un qui fait preuve d'autant de courage... Même si tu risque surtout de te faire tuer bêtement. Et de
nous faire tuer bêtement avec, d'ailleurs, mais nous avons choisi de te suivre...
-Valdie?
L'intéressée haussa les épaules.
-Tu es cinglée, mais ça fait un moment que je le savais; tu es juste encore pire que je le croyais... Mais c'est une cinglée qui m'a portée toute seule dans une forêt d'algues alors que j'étais mourante pour demander à des monstres aux pouvoirs surnaturels de me sauver, alors tu sais très bien que je ne pourrais jamais t'en vouloir. Et puis... Voir que tu as quelque chose qui te tient assez à cœur pour que tu te lances dans des folies pareilles... Paradoxalement, ça me fait trouver ma propre vie bien vide.
-Quoi?
Les algues étaient de plus en plus hautes, Telin était régulièrement obligé de redresser légèrement le sous-marin pour ne pas être entravé; d'étranges choses lumineuses vertes continuaient à poindre pour disparaître aussitôt un peu partout, éphémères fantômes, créant une atmosphère à la fois envoûtante et inquiétante qui aurait sûrement ravie Safera en n'importe quel autre moment... Mais pour l'heure, elle n'en avait cure, son cœur battait à tout rompre; avait-elle bien compris? Comment pouvait-on trouver sa vie vide à côté de celle de quelqu'un qui avait passé la sienne à fuir toute relation avec ses congénères tout en rêvant de s'en rapprocher?
-Je m'en voudrais d'interrompre une passionnante conversation sur les mérites de la folie, intervint Voorth, mais... Il serait peut-être temps de se demander ce que sont toutes ces bestioles au loin, non?
-J'allais poser la même question, admit Telin.
Reportant son attention sur la verrière, Safera vit que de lointaines formes noires aux courbes douces étaient effectivement en train de s'amasser quelque part au-dessus de la forêt d'algues, voilant les lumières vertes; quelque part au loin, elle devinait les bases d'une montagne sombre, probablement immense...
-Peut-être tout simplement des Pashagas? suggéra Valdie au sujet des créatures.
-Je veux bien, mais qu'est-ce qu'elles font là? s'interrogea Telin. D'autant plus qu'elles ne sont pas si loin de la flotte Kryshzla... Si ça continuent, elles vont...
Il préféra ne pas achever sa phrase. Safera eut soudain l'impression que la température à l'intérieur du sous-marin avait chuté de quelques degrés... Elle savait qu'ils pensaient tous à la même chose, que ces créatures étaient là sur ordre des Ômus, appelées par leurs pouvoirs mystiques pour constituer une sorte de rempart vivant...
-Je n'aime pas ça, murmura Voorth avec un frisson.
-Moi non plus, reconnut Telin. Valdie, reprend la Vooltherga, demandes au Général si... Non! Aaaah!»
L'attaque fut brutale, massive, implacable; tous la ressentirent en même temps.
Elle jeta Safera à genoux.
Debout devant la verrière de son vaisseau-amiral, le Général Hassano jubilait; rien ne les arrêtait, ils s'enfonçaient toujours plus loin dans les horribles terres des Ômus, mille crépuscule verdâtres saluant le passage des conquérants quelque part entre les immondes algues de leurs lueurs tremblotantes... Trembler, ça, ils le pouvaient, oui, parce que Hassano ne s'arrêterait pas avant d'avoir atteint son glorieux objectif!
Malgré tout, il sentait que les Ômus n'avaient pas dit leur dernier mot, il sentait que la forêt en contrebas tentait encore vainement de le repousser... Même son équipage qui n'avait qu'une très vague connaissance des Ômus en faisait l'expérience, il le savait; l'air paraissait étrangement lourd, tout en étant insaisissable, comme animé d'une volonté propre... Mystérieux, plein des menaces les plus noires et des promesses les plus monstrueuses...
Hassano ne put s'empêcher de secouer la tête; même ici, à l'intérieur du sous-marin, l'air était littéralement saturé d'esprits, tout dans les environs de cette montagne empestait la sorcellerie et le chaos! Il était grand temps qu'il vienne! Mais que plus glorieuse n'en serait sa tâche, un monument devant lequel s'inclineraient des générations de militaires Lanshruls! Et ce n'était certainement pas ce mur de bestioles qui semblait se constituer devant la flotte Lanshrul qui l'arrêterait, oh que non!
« Général? Plusieurs hommes des postes d'artillerie disent se sentir mal... Et certains contrôleurs de navigation, aussi...
-Dîtes-leur que notre mission ici est bientôt accomplie, si ça peut les rassurer; dites-leur que si nous allons jusqu'au bout, tous ces sacrifices n'auront pas été vains et que nous devons montrer qui sont les Lanshruls... Qui nous sommes, qui ils sont. Leur malaise est compréhensible, mais il est purement psychologique; aucun abandon ne sera toléré, nulle tâche ne viendra salir la gloire de notre épopée. »
Comme c'était rassurant! Comme c'était confortable, comme c'était charmant! Autrefois, avant de toucher une Vooltherga pour rentrer en contact avec l'esprit d'un céphalopode géant, Hassano lui-même aurait pu y croire, y accorder foi, oui! L'équipage y croirait sans doute, mais Hassano savait depuis maintenant bien des années qu'il ne faisait que débiter des mensonges tous plus stupides les uns que les autres, que tout le monde mentait et se mentait en permanence...
N'ayez crainte, braves gens, nous contrôlons la situation! Les Ômus? Ils n'existent pas, une invention de la mythologie Hynor, rien de plus! Mais, nous allons les détruire quand même, on ne sait jamais. Vous vous sentez mal? C'est psychologique, rien de plus; on vous a dit qu'une puissance surnaturelle était à l'œuvre ici, et votre inconscient y croit, voilà tout, psychologie, la psychologie est le maître mot de vos problèmes! Le seul problème, c'est vous, il n'appartient donc qu'à vous de le régler! N'ayez nulle crainte, n'ayez nul espoir, vous voyez déjà tout, vous contrôlez déjà tout! Nous sommes dans un monde bien réel, rationnel, matériel, palpable, compréhensible, comme il y en a tant dans la Galaxie! Tout ici se règle à coups de blaster ou d'argent. Ah, vous voyez des objets se déplacer seuls, vous entendez des voix, vous avez des hallucinations? Je vais mettre mes meilleurs scientifiques sur le coup, promis. On trouvera réponse à vos questions. A toutes
vos questions. Un jour.Hassano sourit sous son casque, désabusé... Peu importait, il allait mettre fin à tout cela! Il allait rétablir l'ordre! Les sous-marins Lanshruls continuaient envers et contre tout à progresser au-dessus de la forêt, se dirigeant inexorablement vers la montagne noire, la source de toute la folie d'Hautemer, de tout ce qu'il y avait de pire dans la Galaxie, le cœur de tout le mal qui empêchait Hautemer d'être un monde simple, rationnel, compréhensible... La source de l'incapacité d'Hassano à voir l'univers comme un endroit où il serait en sécurité tant qu'il serait assez fort pour cela...
Lorsqu'il saisit la Vooltherga qu'il avait emporté, il n'y eut ni homme d'équipage ni officier pour lui lancer un regard emprunt de doute; on continuait à penser qu'il devait y avoir une explication simple à ses agissements, haha! Bande de faibles d'esprits, communiquer avec les Ômus à travers cette innocente perle lumineuse était tout sauf simple, et ça n'avait rien de rationnel, mais le faire rendait Hassano encore plus grand qu'on ne l'imaginait!
Allez, vas-y, ma grande, je sais que tu es bonne à quelque chose même sans ce foutu réseau... Tu es coupée de tes sœurs, d'accord, mais tu pourras bien parler à ton papa pour moi, non?Oui, oh oui, elle pouvait; Hassano sentit qu'à travers la petite Vooltherga sur laquelle il concentrait son esprit, ses pensées se heurtaient à quelque chose de colossal, d'ancien, de mystérieux... L'obscurité et la sauvagerie incarnées, mais aussi le pouvoir le plus effroyable.
Il souriait maintenant largement sous son casque, et il s'efforça de faire en sorte que ce sourire s'étende à ses pensées, que l'être immonde qui épiait ignoblement sa psyché à travers la perle connaisse son état d'esprit...
« Vous avez échoué! martela-t-il mentalement à l'adresse de la chose extérieure qu'il percevait à la périphérie de son esprit.
Vos esclaves Hynors ont échoué! Vous pouvez détruire ma base! Vous pouvez tuer mes hommes! Mais vous ne pourrez jamais m'arrêter, moi, parce que je sais que vous êtes le seul problème, parce que je ne reculerais devant rien pour vous détruire! Et maintenant, je vais y arriver! Ne me dites pas que vous m'avez crû déjà vaincu? »Hassano eut l'impression que des nuages d'orage s'amassaient quelque part... Ses paroles avaient eu l'effet escompté! Il allait enfin faire ce qu'il avait toujours rêvé de faire depuis qu'il était devenu Général sur cette planète de fous, il irait au bout de ses fantasmes destructeurs les plus insensés! Il quitterait cette planète auréolé d'une gloire sanguinaire, oh, cela lui faisait presque peur de savoir qu'il allait devenir si grand... Que voudrait-il après, que désirerait-il! Renverser le Seigneur Heckara? Régner sur les Lanshruls, les Régions Inconnues, la Galaxie! Devenir aussi puissant que les Ômus, pouvoir contrôler jusqu'à la pensée de ses ennemis, s'introduire dans l'essence même de leur être pour la plier à ses visions! Il n'y avait pas si longtemps que cela, il se serait dit que ces rêves étaient complètement fous, il se serait empêché lui-même d'admettre la magnificence de sa destinée par crainte de ce que d'autres en penseraient, il aurait bridé ses propres ambitions! Mais plus maintenant! Il n'avait plus peur, ce seul fait faisait justement peur à une partie résistante de son esprit, mais c'était aussi cela qui était enivrant!
Ah! Si folie c'était! Quelle merveilleuse folie c'était!
D'ailleurs, même s'il l'avait voulu, se disait la part décroissante de son esprit qui était encore épargnée par les tempêtes pour l'heure, celle qui pouvait encore réfléchir de façon posée (Étriquée! Oppressée! Entravée!), même s'il l'avait voulu, il n'aurait pu revenir en arrière, plus maintenant, plus maintenant qu'il avait choisi de laisser libre cours à ses idées les plus folles... Elles étaient parties courir jusqu'à leur mort ou leur épuisement, il ne pouvait rien faire pour les rattraper...
Et soudain, les nuages lourds d'orage laissèrent éclater leur fureur.
Ce fut un choc, un choc au sens physique du terme! Une explosion brutale de violence et de colère si titanesque qu'un unique être pensant n'aurait su l'émettre, un concentré débordant d'énergie néfaste qui vint frapper le pont de commandement dans son ensemble, renversant irrésistiblement tout l'équipage d'un formidable coup de bélier psychique... Hassano ressentit l'attaque physiquement, oui, il sentit son corps précipité en arrière tel un pantin désarticulé, trahi par ses propres muscles, il sentit sa tête heurter violemment le sol malgré son casque... Subjugué, il vit tous les Lanshruls présents sur le pont jetés au sol comme lui, hurlant de douleur et surtout d'effroi, de surprise face aux coups sourds que tapait un géant sur leurs esprits à tous... Hassano ne pouvait plus penser clairement! Une alarme hurlait en lui que ses propres pensées étaient attaquées! Il avait mal, mais pas physiquement, c'était pire, c'était son esprit que l'on oppressait, que l'on écrasait, que l'on broyait avec une telle sauvagerie mentale qu'il serait bientôt réduit à néant! Son esprit! Son esprit!
La force de l'assaut psychique était telle qu'ils la ressentaient tous physiquement, leurs corps traduisaient la défaillance de leurs esprits!
Non! Il ne voulait pas mourir, pas comme ça!
« ARRÊTEZ! » hurlait une voix dans l'ouragan qui cognait sur l'esprit de Hassano si fort qu'il aurait supplié n'importe quelle divinité, n'importe quel démon même, pour qu'il s'arrête, pour que ses pensées lui appartiennent de nouveau, pour que la seule chose qui aurait dû être sienne à jamais, son âme, aussi misérable soit-elle, ne soit pas détruite maintenant, ne laissant plus qu'un corps inutile vivant sans volonté sur le sol du pont de commandement... Était-ce ainsi qu'il devait échouer, parce qu'il avait été si arrogant qu'il s'était crû de taille à rivaliser avec les Ômus? Mais qu'est-ce qui lui avait pris, qu'est-ce que c'étaient que ces idées absurdes, pourquoi n'avait-il pas simplement présenté sa reddition avant de quitter la planète, pourquoi n'avait-il pas bêtement défendu sa base... C'était trop bête... Et combien de gens avaient-ils entraîné avec lui dans cette fin immonde? La voix reprenait, une tempête qui déchirait le fil de toute pensée, de toute émotion:
« VOUS NE TROUVEREZ RIEN D'AUTRE ICI QUE VOTRE PROPRE MORT, CET ENDROIT EST SACRÉ, LES PETITS ÊTRES N'Y ONT PAS LEUR PLACE ET LES ASSASSINS ENCORE MOINS! REPARTEZ TOUT DE SUITE! RETOURNEZ D'OÙ VOUS ÊTES VENUS ET ALLEZ DIRE Á VOS MAÎTRES DANS LE MONDE DES ÊTRES DE LA SURFACE QUE JAMAIS NOUS NE PLIERONS! LAISSEZ CETTE PLANÈTE EN PAIX OU VOUS SEREZ IMMÉDIATEMENT ANÉANTIS TOUS AUTANT QUE VOUS ÊTES! »A sa grande horreur, Hassano sentit son esprit comme arraché de la mince protection que constituait son corps, comme si celui-ci n'existait plus, comme s'il n'était plus qu'une pauvre petite âme prisonnière, il se retrouva seul face à l'impossible puissance des Ômus...
« Aaaaaaah! »
Il fallut un moment à Safera pour comprendre que l'un de ces cris déchirants qui parvenait à peine à ses oreilles surgissait bien de sa propre gorge, son corps ne lui appartenait plus, c'était son esprit lui-même qui était assailli, pilonné par un étranger qui aurait immédiatement pu l'écraser comme un insecte, elle était tombée à genoux, elle se tenait la tête presque inconsciemment comme pour en arracher le mal, elle hurlait de douleur les yeux fermés, des larmes coulaient sur ses joues...
L'oppression mentale devenait si forte qu'elle avait l'impression que son esprit s'en était déconnecté de son corps, elle ne sentait plus ses mains, elle ne sentait plus rien d'autre que la douleur qui n'existait pas, elle ne pouvait plus bouger, elle ne pouvait pas ouvrir les yeux, il lui semblait qu'elle n'en avait jamais eu, que son corps n'avait jamais existé...
C'était trop dur, on la torturait, c'était vraiment elle que l'on torturait, comme si une lame rougeoyante de chaleur s'enfonçait inéluctablement dans son esprit, c'était cent fois pire que tout ce que son enveloppe charnelle aurait pu subir, la douleur ne se rattachait à rien de physique, à rien de perceptible, à rien qu'elle aurait pu réduire au silence, elle sentait seulement la haine de l'autre qui l'accablait, elle savait qu'elle allait mourir s'il continuait à l'écraser ainsi, à la broyer, à déchirer son âme, elle ne savait pas comment elle le savait, mais elle le savait... L'autre était fort et il était animé d'une volonté démoniaque, l'âme de Safera était prise dans l'étau de ses doigts griffus, une main de fer qui se resserrerait lentement jusqu'à ce qu'elle ne soit plus rien, la mort serait un soulagement!
Si elle se produisait!
Elle ne savait plus où elle était, elle ne savait plus avec qui elle était, elle ne savait plus qui elle était, chacun de ses pauvre neurones était tout entier mobilisé par l'oppression inimaginable, elle n'était plus qu'un animal survivant sans autre but que de hurler qu'elle voulait qu'on la laisse tranquille...
Son âme hurlant la plus terrible des souffrances, elle entendit le message des Ômus, elle entendit la terrifiante voix lui ordonner de repartir immédiatement, elle vit des images à la fois attrayantes et atroces défiler dans son esprit mourant, sous son œil intérieur, des images de masses de tentacules noirâtres aux innombrables yeux jaunes, des images de dédales sans fins d'algues géantes qui paraissaient à la fois vivantes et mortes, des images de choses interminables pourvues de gueules emplies de crocs, parcourant les ténèbres du fond des mers à la recherche d'une victime, des images d'énormes pattes batraciennes portant un monstre à la gueule fendue d'un large sourire, ou de cuirasses cuivrées protégeant des êtres aux pinces affreusement longues, des images de choses qui n'avaient pas de nom ni même de description possible, des images de formes lumineuses jaunâtres qui se mouvaient seules en éclatant d'un rire qui n'avait pas de raison d'être, un effroi glaçant envahissant quiconque les voyait, la peur que la mort ne vienne finalement pas l'arracher à cet enfer, la peur qu'elle reste prisonnière de l'étreinte brûlante du démon pour l'éternité...
Ça devait s'arrêter, il fallait que tout cela s'arrête! Son esprit, sa volonté, son âme se consumait sous l'assaut ardent, chaque seconde était plus insoutenable que la précédente! Elle ne pouvait pas résister à tant de violence, elle ne le voulait pas!
La sensation d'agression destructrice cessa un instant, mais elle sentait toujours l'énorme chose qui n'existait pas peser de tout son poids sur l'ensemble de son esprit, prête à l'écraser à nouveau sous le joug indescriptible de sa puissance maléfique, refusant de laisser regagner la moindre parcelle de terrain à Safera, lui interdisant le plus court instant de répit... Pourvu qu'elle ne repasse pas à l'attaque, Safera voulait se remettre de ses blessures invisibles avant de ne plus être, elle ne voulait pas partir avec pour dernière expérience l'inexorable écartèlement de son âme...
Et enfin, sans prévenir, l'épreuve cessa, le monstre que Safera n'avait jamais vu ni touché s'évanouit, laissa son esprit en paix, disparut comme s'il n'avait jamais existé.
Mais Safera avait bien peur de ne jamais guérir tout à fait, la peur que la présence démoniaque revienne la hanterait maintenant chaque fois qu'elle fermerait les yeux jusqu'à la fin de ses jours, elle conserverait toujours en elle les marques de la torture qu'elle venait de subir, et elle le savait... Oh, comme elle était heureuse que ce soit fini, comme elle était heureuse d'être toujours en vie; rien ne lui avait jamais fait aussi peur ni aussi mal, pas même les spectres, cela lui paraissait si évident que se poser la question n'avait pas de sens...
Lentement, alors que son esprit terrorisé essayait tant bien que mal de recommencer à fonctionner normalement malgré l'horreur qu'il venait d'affronter, Safera revint à elle, se souvint d'elle-même et du monde physique, elle reprit contact avec son corps abandonné; elle lutta un instant pour ouvrir les yeux, et s'aperçut qu'elle les avait enfouis entre ses mains.
Elle avait beaucoup pleuré, elle ne s'en apercevait que maintenant à la sensation d'humidité sur son visage... Quand était-ce, la dernière fois que des larmes avaient coulées sur ses joues? Quelle taille faisait-elle, la dernière fois qu'elle avait préféré noyer son regard sous l'eau plutôt que de voir l'horreur de ce qu'elle affrontait? Moins visible mais encore plus gênant, ses cuisses et sa culotte étaient également mouillées, elle s'était recroquevillée sur elle-même comme une enfant dans son lit, terrifiée à la pensée des monstres que nourrissaient les ténèbres de sa chambre... Mais ce qu'elle avait vécu était si inhumain qu'il ne lui vint même pas à l'esprit d'avoir honte de s'être à ce point laissée posséder par la peur.
Lorsqu'elle se releva, elle s'aperçut qu'une part d'elle-même se sentait étrangement euphorique, légère, non pas par bonheur d'être toujours en vie, elle était bien trop exténuée mentalement pour éprouver une telle chose, non, euphorique d'avoir subi une telle horreur...
Elle ne chercha même pas à se comprendre.
La seule à ne pas être tombée au sol était Valdie, qui en aurait de toutes façons été bien incapable; elle était pâle, si pâle, elle évoquait une morte sauf que la vie se lisait bien dans l'agitation de ses traits, elle était comme une morte-vivante, comme si elle n'était plus que l'ombre d'elle-même après avoir subi mais une telle chose... Safera supposa qu'elle-même ne devait pas avoir meilleure mine...
Voorth et Telin se relevaient eux aussi, l'air à la fois perdus et terrifiés; le sous-marin était maintenant pris dans des sortes d'algues brunes, Telin le redressa, sans pouvoir empêcher ses mains de trembler. Safera se demanda vaguement combien de temps exactement avait duré l'épreuve...
« Mais qu'est-ce que c'était que ça, par toutes les Galaxies? demanda Voorth, la voix encore plus blanche que son armure.
L'idée s'imposa d'elle-même à Safera...
-Un coup de semonce... Un aperçu de ce qu'ils vont nous faire si nous essayons de les défier plus avant...
-Je ne veux plus
jamais affronter ça, articula lentement Telin, je ne sais pas si c'était réel ou pas, mais ce que je sais, c'est que si ça doit recommencer, je préfère encore m'ouvrir la gorge moi-même que de subir ça à nouveau...
-
Personne ne pourrait être assez dingue pour vouloir retraverser ça, affirma Valdie en frissonnant. Safera?
-Les Kryshzlas vont sans doute comprendre, maintenant, j'imagine que nous allons pouvoir rentrer... J'espère, en tous cas. Essayes de contacter le Général Varulg, qu'on sache si les Hynors s'en sont bien tirés...
-J'y vais... Attends, qu'est-ce que c'est que ça, encore?
Sans être tout à fait sûre de savoir si elle tenait vraiment à en voir davantage, Safera pivota lentement la tête pour regarder par la verrière... Le soleil, la face jaune, éclairait maintenant même le fond des abysses, il éclatait en un millier de rayons dévastateurs au cœur même des ténèbres aquatiques.
-Oh non... » murmura Voorth, atterré.