Il était seul dans sa chambre de méditation, sans témoin. Le Seigneur Noir, la tête nue recouverte de profondes cicatrices, dépourvu de son casque cybernétique, scrutait les remous de la Force. Toujours en mouvement elle était, telles les eaux vives d'un torrent. Il était loin d'égaler la clairvoyance de son maître en la matière, mais pouvait parfois déceler des visions fugaces provenant soit du passé, du présent ou de l'avenir. Discerner la temporalité, là était toute la difficulté. Il se concentra davantage. Un visage commença à se former dans son esprit. Une vieille connaissance… Obi-Wan…
De tous les Jedi qu'il recherchait, c'était lui qui le hantait au plus haut point. Mais Vador savait. Il finirait par le retrouver, prendre sa revanche, le battre, et ainsi boucler la boucle. La prochaine fois, ce serait lui le maître. Alors que le visage barbu du Jedi peinait à se former dans les brumes de la Force que la sonnerie d'un interphone se fit entendre. Agacé, Vador prit néanmoins la communication.
Une voix peu assurée, presque bredouillante, sortit du dispositif sonore.
— Navré de vous déranger Seigneur Vador, mais nous avons des nouvelles qui devraient vous intéresser.
— Ces nouvelles ont intérêt à justifier l'interruption de ma méditation, Amiral.
Bien qu'à peine perceptible, un déglutissement se fit entendre.
— C'est à propos du Jedi renégat Obi-Wan Kenobi.
— Continuez, intima Vador. Vous avez toute mon attention.
— Des indicateurs auraient signalé sa trace dans le système de Trigalis, en Bordure Extérieure.
— Fiabilité de l'information ?
— Fiabilité ? répéta avec hésitation Jhared Montferrat pour se donner le temps de chercher ses mots.
En la présence de Dark Vador, il n'était jamais à l'aise, lui qui pourtant supervisait un équipage de près de 40 000 personnes. Il poursuivit avec prudence :
— Pour le moment, l'information n'a pas été vérifiée à 100%, mais je pensais qu'il était nécessaire de vous tenir…
— Mettez le cap sur Trigalis sans plus attendre, coupa Vador.
— Bien reçu, à vos ordres.
***
Dans la nuit éternelle du vide spatial, aussi promptement qu'il avait disparu des années-lumière plus loin, le sinistre vaisseau de Vador sortit de l'hyperespace dans le système de Trigalis. Un système tout à fait banal dont le seul intérêt était d'être aux abords d'une route commerciale entre Naboo et Christophsis.
Comme à son habitude, le Seigneur Noir se tenait debout sur le pont du croiseur interstellaire, les bras croisés, scrutant l'horizon galactique. L'officier s'approcha de lui, avec toute la déférence et la crainte qui lui était due.
De bonne famille, Jhared Montferrat, épaules carrées, cheveux bruns, avait rapidement gravi les échelons de la Marine Impériale sans pour autant que ce soit totalement immérité. Doté d'un charisme naturel, il savait convaincre et se faire obéir. D'autant que ses faits d'armes durant la Guerre des Clones imposaient le respect. Fait prisonnier puis torturé à l'acide par les Séparatistes sur Cato Neimoidia, ce qui lui valut une large brûlure sur la moitié gauche de son visage, il avait réussi à en réchapper en faisant exploser le quartier général de toute une garnison. Une personne d'expérience, donc, qui savait défendre âprement son point de vue. Sauf en la présence du bras droit de l'Empereur.
— Nous venons de sortir de l'hyperespace, Seigneur Vador. Et comme vous nous l'avez ordonné, nous avons envoyé aussitôt nos droïdes sondes explorer les quatre mondes habitables de ce système.
— Combien de temps avant les premiers retours ?
— Disons, dans une rotation… deux, grand maximum, s'essaya à répondre l'Amiral au front perlé de sueur. Ce qui est sûr, c'est que si un Jedi habite dans ce système, nous le saurons bientôt.
Tout un chacun sur ce vaisseau savait qu'il ne fallait jamais contrarier le Seigneur Noir. Le pont entier était plongé dans le silence, le reste de l'équipage se tenant aussi éloigné que possible de la conversation en s'affairant à leur tâche. Après une longue réflexion, Vador demanda :
— Avez-vous autre chose à ajouter, Amiral Montferrat ?
— Possiblement. Pas que ce soit d'une grande importance, mais nous avons repéré à proximité un vaisseau relativement intriguant.
— C'est-à-dire ?
Montferrat se racla la gorge.
— Eh bien, il s'agirait d'un vaisseau de conception Naboo, vraisemblablement un temple stellaire, dit l'Amiral sur un ton plus assuré.
— Précisez, je vous prie.
— Les temples stellaires sont des vaisseaux de gros tonnage servant de lieu de culte itinérant. Le peuple Naboo en avait construit un nombre important pour permettre à leur diaspora de continuer à honorer leurs divinités et leurs traditions. Ce qui est étrange, c'est qu'à l'issue de la Guerre des Clones, nous pensions que tous avaient été détruits ou pillés. En tout cas, qu'aucun n'était plus en service.
— Car celui-là l'est-il encore ? demanda Vador non sans une pointe de curiosité.
— Tout porte à le croire. Nous avons reçu ses identifiants via son transpondeur. Ses codes sont tout ce qu'il y a de plus valable et à jour. Après un scan électromagnétique, ses systèmes sont actifs. Cependant, nous ne détectons aucune forme de vie à son bord. Il est donc probable que ce soit juste une carcasse laissée à l'abandon il y a peu par des pirates ou des contrebandiers. Rien en tout cas qui ne requiert votre attention, sauf votre respect, bien entendu.
Vador se rapprocha de quelques pas de la grande baie vitrée qui donnait sur le cosmos et regarda en direction du vaisseau à peine plus gros qu'une bille à cette distance. Le bruit de son respirateur artificiel s'intensifia. Malgré le casque opaque qui recouvrait ses yeux, on devinait que son regard se faisait plus intense. Un temple stellaire, encore en état de fonctionnement, sans vie à bord selon les instruments de mesure. Intéressant, se dit-il.
— Une escouade d'inspection est déjà en train de se préparer à l'abordage, ajouta Montferrat.
— Ce ne sera pas nécessaire. Je m'y rendrai en personne.
— Très bien, dans ce cas, dois-je convoquer l'Escadron Noir pour vous escorter ? osa l'Amiral légèrement décontenancé, ne comprenant pas l'intérêt que pouvait porter Vador à ce tas de ferraille.
— J'y vais seul, coupa Vador tout en continuant de fixer le Temple Stellaire.
— Bien sûr. Vos désirs sont des ordres, répondit l'Amiral, baissant la tête et se retirant sur la pointe des pieds.
Il n'y avait pas que de la curiosité. Ce que ressentait Vador c'était aussi et surtout d'étranges perturbations dans la Force autour de ce vaisseau singulier.
Aux commandes de son chasseur TIE, Vador flottait dans l'espace intersidéral telle une bulle de savon orpheline. En face de lui, ce qui n'était qu'une forme indiscernable sur le Dévastateur, devenait de plus en plus imposant au fur et à mesure qu'il s'approchait. Il se dit que ce vaisseau ne serait pas ridicule à côté de son croiseur, pour ce qui est des dimensions en tout cas.
Le Temple Stellaire avait la forme d'un immense dôme métallique surplombé d'un édifice aux lignes élancées. Plus qu'un vaisseau, cette construction atypique avait davantage les allures d'une cité au milieu de l'espace où le temps semblait s'être figé. Soudain, il se prit à entendre quelque chose. Une sorte de chuchotement plongeant dans les graves et montant dans les aigus tout à la fois. Une impression désagréable que ce son inaudible venait des tréfonds de son crâne et dont il ne pouvait se soustraire.
— Seigneur Vador… La voix de l'Amiral Montferrat résonna dans le casque de Vador. Excusez-moi de vous déranger, mais j'ai de nouvelles informations au sujet de ce vaisseau qui pourrait vous intéresser. Nos analystes ont approfondi leurs investigations et même si les codes d'identification de ce vaisseau sont corrects, ils appartiennent en réalité à un autre vaisseau situé à des centaines de parsecs d'ici. En fait, ce Temple Stellaire ne devrait tout simplement pas exister. Ne souhaitez-vous vraiment pas que nous vous envoyions des renforts ?
Vador ne fit même l'effort de répondre et coupa net le système de communication intégré à son casque. Puis, son chasseur TIE Avancé x1 finit de parcourir la distance qui le séparait de ce vaisseau inconnu et se posa sans encombre sur les quais.
Les premiers pas de Vador sur le sol métallique résonnèrent en canon. Aucun signe de vie autour de lui. Tout semblait vide et inerte. À première vue, ce lieu avait été déserté depuis un bon moment. Cependant, l'intuition de Vador lui suggérait le contraire. Il se sentait observé. Mais par qui ?
Il emprunta un long corridor lumineux, déverrouilla quelques portes automatiques à l'aide de la Force et poursuivit son exploration jusqu'à une grande salle dans la pénombre éclairée par des milliers de bougies posées à même le sol. À en juger par la combustion des mèches et de la cire presque intacte, ces bougies avaient été disposées il y a peu.
Vador pénétra davantage dans cette vaste pièce lorsqu'un bruit sourd mit ses sens en alerte. Malgré les entraves causées par son armure, il parvint à sauter promptement sur le côté pour éviter la chute d'un objet massif. Une carcasse métallique venait de s'abattre sur le sol à l'endroit même où le Seigneur Sith se tenait une fraction de seconde auparavant.
Vador se releva lentement et observa ce monticule de ferraille. Un droïde de combat B1, le même modèle qui constituait le gros de l'infanterie séparatiste durant la Guerre des Clones. Une époque révolue désormais. Néanmoins, sans qu'il ne puisse l'en empêcher, des souvenirs lui revinrent en tête. Des moments, des lieux, des visages. Non ! Non… Il agita sa main devant son casque, comme pour mieux chasser cet encombrant passé, puis leva la tête pour mieux comprendre ce qu'il venait de se produire.
Le droïde qui venait de lui tomber dessus n'était pas un cas isolé. C'est toute une forêt de droïdes qui était suspendue au plafond par des câbles de longueurs diverses. Les principaux modèles de l'armée séparatiste y figuraient, et tout cela n'était pas de nature à faire baisser la vigilance du Seigneur Noir, bien au contraire. Sur le qui-vive, il aperçut à l'autre bout de la pièce une porte. Mieux valait ne pas trainer ici. Puisant dans la Force, il se mit à courir en ligne droite, piétinant au passage les bougies qui jonchaient le sol. Alors qu'il n'était qu'à quelques mètres de la sortie, la lourde porte en duracier se referma en un claquement sonore puissant indiquant que cette dernière venait de se verrouiller et de simples tours de passe-passe avec la Force ne suffiraient pas. Il était désormais pris au piège. Et ce qu'il avait pressenti se produisit. Un à un, les droïdes de combat tombèrent au sol avec fracas. Puis s'allumèrent et se levèrent. Ils dégainèrent leurs armes et pour les terribles droïdes destroyer, activèrent leur bouclier. Vador se retourna pour leur faire face, puis dans un vrombissement caractéristique, dégaina son sabre laser écarlate.
Seul face à des centaines d'opposants, le Seigneur Sith allait devoir déjouer les probabilités et montrer toute l'étendue de sa puissance.