[Sommaire]<< Chapitre précédentChapitre 2 – Sales répercussions
Jinta Baskos était ce qu’on pouvait appeler une arpenteuse des bas-fonds – bien qu’elle préférait le terme de chasseuse de trésors. La plupart du temps, son travail consistait à chercher des objets de valeur dans les parties abandonnées de Coruscant et à les revendre au plus offrant. Ayant parcouru les ruelles obscures du Niveau 1313 et de ceux en-dessous depuis son enfance, peu de gens connaissaient aussi bien les bas-fonds que Jinta Baskos – sauf peut-être le vieux Marvid, un arpenteur qui avait pris sa retraite après avoir survécu étonnamment longtemps pour quelqu’un du métier. Une chose était sûre, Jinta avait exploré les niveaux inférieurs plus loin et plus longtemps que n’importe qui de raisonnable ; elle en connaissait les lieux importants, les plus marquants, mais aussi bien d’autres moins connus mais néanmoins dignes d’intérêt. L’endroit où elle passait le plus clair de son temps quand elle ne travaillait pas était le Blackspot, où elle faisait le tour des acheteurs potentiels et, de temps en temps, passait prendre un verre bien mérité au bar des frères Torkan. Non pas que le quartier lui plaisait particulièrement, mais c’est souvent là qu’elle pouvait tirer le meilleur prix des objets qu’elle rapportait.
Le Niveau 1313, ou "le 13-13" pour les intimes, était un lieu qu’elle ne connaissait que trop bien. Livrée à elle-même depuis l’âge de 8 ans quand ses parents furent assassinés par un gang pour créances impayées, elle avait dû apprendre à survivre seule dans les rues du niveau le plus malfamé de la planète. Les premières années, elle avait essayé de venger la mort de ses parents. Mais le temps et les efforts qu’elle mit à fomenter cette vengeance se révélèrent inutiles le jour où elle apprit que le gang en question avait été éliminé par le Soleil Noir. Ça lui avait procuré un certain soulagement, de savoir qu’ils étaient morts, mais sa soif de vengeance restait inassouvie. Elle en voulait à ses parents, qui n’avaient pas fait le nécessaire pour survivre et la garder en sécurité. Elle en voulait au gouvernement planétaire, qui laissait ce genre de crime se produire impunément. Elle en voulait à tous ces vauriens des bas-fonds, aux habitants de la surface qui restaient indifférents à leur sort, à tous ces égoïstes qui piétinaient les plus faibles pour préserver leurs maigres privilèges. Mais surtout, elle s’en voulait à elle-même. Elle s’en voulait d’être faible, d’échouer sans cesse. Mis à part le fait d’avoir survécu, il fallait se rendre à l’évidence : sa vie n’était qu’un vaste échec.
Jinta avait maintenant 23 ans, et son objectif était simple : trouver et revendre un maximum d’artefacts enfouis dans les niveaux abandonnés, et amasser suffisamment de crédits pour quitter la capitale une bonne fois pour toutes. Elle se sentait chez elle ici, mais elle n’avait jamais rien connu d’autre. Et la galaxie était vaste. Elle voulait changer d'air, voir de nouveaux horizons. Même voir l’horizon tout court. Elle aurait pu pour cela sauter dans le premier transport comme passager clandestin, mais ici, sur la capitale, les risques étaient bien trop élevés : les nouvelles lois Impériales réduisaient les voyages interplanétaires au strict nécessaire et soumettait tous les voyageurs à des contrôles approfondis, si bien qu’il était quasiment impossible de frauder. Avoir des papiers en règle impliquait un processus long et fastidieux, organisé d’une façon qui le rendait inaccessible aux personnes sans emploi ou n’ayant pas de statut légal. La société Impériale s’était faite toujours plus élitiste et exclusive ; tout ce qui n’en faisait pas partie était soit détruit, soit exploité. Au sein de l’Empire, la place de Jinta serait vite trouvée : en prison ou dans un camp de travail. Elle avait bien trop de passif pour pouvoir montrer patte blanche. Elle avait bien songé à se cacher dans une soute, ni vue ni connue. Mais là encore, le risque était trop grand. Les bagages et les soutes étaient passés au crible par des senseurs détectant toute présence de forme de vie, et si on en croyait les rumeurs, les passagers clandestins surpris en vol étaient directement éjectés dans l’espace – ou pire, dans l’hyperespace. Il était aussi bon à savoir que certaines soutes n’étaient pas pressurisées. Peut-être pour faire des économies en réparations, peut-être par mesure de sécurité. Impossible d’en être sûr, en tout cas.
La seule solution fiable pour elle restait de payer un taxi clandestin qui pourrait la faire passer sous les radars Impériaux, mais ce n’était pas dans ses moyens. Quasiment le prix d’un appareil neuf, le plus souvent. Nombreux étaient les résidents des bas-fonds qui auraient aimé quitter la planète, mais peu pouvaient se le permettre. La plupart ne sortaient jamais de la misère et finissaient souvent tués, morts de faim, ou emportés par la maladie de par le manque d'hygiène et de soins médicaux. Quant à essayer de vivre dans les niveaux supérieurs, ce n’était même pas la peine d’y penser. Aucun habitant des bas-fonds n’avait les moyens de s’offrir un logement dans les quartiers riches de la surface, et les sans-abris surpris à occuper les lieux publics étaient sévèrement punis par la police Impériale. Si Jinta voulait espérer une vie convenable, quitter Coruscant serait un bon début. Ce qu’elle ferait ensuite ? Elle aurait tout le temps d’y penser une fois qu’elle serait loin de cette planète. Mais elle n’en était pas encore là.
Ce soir-là, elle était assise à une table au bar des frères Torkan, devant un verre de crabusta. Le crabusta était un alcool de contrebande qui ressemblait à un liquide noir visqueux, et son goût s’apparentait à celui d’une huître pas fraîche. Ce n’était pas une boisson destinée aux humains à la base, et certaines rumeurs voulaient que la recette contienne une légère dose d’épice pour la rendre plus addictive. Mais ce qui rendait cette boisson intéressante, c’était son prix extrêmement bas et son fort pouvoir enivrant – ce qui, au fond, était tout ce qui intéressait Jinta. La jeune femme avait un corps robuste et élancé, et était vêtue d’une combinaison protectrice agrémentée de quelques pièces d’armure rafistolées. Deux pistolets blasters étaient rangés dans des holsters attachés à ses jambes, tandis qu’une pique de force artisanale et un fusil de précision étaient rangés dans son dos. Des cartouchières remplies de charges énergétiques pendaient à divers endroits de sa tenue, et un masque à gaz couvrant le nez et la bouche pendait sur sa poitrine. Sa peau était d’une pâleur extrême de par l’absence totale d’exposition au soleil, toutefois son visage était parsemé de tâches rouges dues à la mauvaise hygiène et à l’air toxique des niveaux désaffectés. Son expression était quelque peu renfrognée – sans doute un mélange de fatigue, de frustration, et de dégoût pour l’alcool qu’elle buvait. En tout cas, grandir dans les bas-fonds ne lui avait pas appris à sourire. Ses cheveux noirs d’encre étaient coupés courts, et ses yeux gris-vert étaient posés sur le verre qu’elle tenait entre ses mains. Elle buvait seule, comme à son habitude. Elle était restée seule depuis la mort de ses parents, mais la solitude lui convenait très bien. Elle n’avait jamais eu besoin de personne pour s’en sortir, et de toute manière, elle ne pouvait faire confiance à personne. Alors qu’elle ingurgitait les dernières gouttes de sa boisson, elle jeta un œil au barman au plumage terne de l’espèce des Gozzo qui nettoyait le comptoir sans réelle conviction. C’était Tobar Torkan, l’un des deux frères Torkan à qui le bar devait son nom. Son frère, Carby Torkan, s’était fait descendre par un client mécontent il y a des années de cela. Tobar avait conservé le nom de l’établissement en sa mémoire.
Jinta se resservit un verre. Depuis combien de temps essayait-elle de quitter cette vie ? Elle n’aurait su le dire. À chaque fois qu’elle était parvenue à accumuler assez d’argent ou presque pour quitter la planète, il y avait toujours eu un imprévu pour venir ruiner ses plans et l’obliger à repartir à zéro. Un jour, elle s’était fait voler ses crédits par un Jawa qui l’avait ensuite semée dans la foule. Une autre fois, elle avait dû donner tout son argent à un gang pour dédommager une motojet qu’elle avait « empruntée » et qui avait fini encastrée dans un mur au cours d’une course-poursuite. Elle ne s’était jamais découragée, mais c’était toujours frustrant de voir des semaines, des mois de travail partir en fumée à cause d’une erreur idiote. À croire que cette planète était dotée d’une volonté propre et faisait tout pour retenir son départ, comme si des chaînes invisibles la retenaient… Mais non, inutile de se leurrer. Elle était la seule à blâmer pour ses échecs.
Une idée désagréable lui traversa alors l’esprit. Et si elle ne parvenait jamais à quitter cette planète ? Cela valait-il vraiment tout le mal qu’elle se donnait ? Que ferait-elle si ses efforts ne portaient pas leurs fruits ? Et si elle mourrait avant d’avoir vu la lueur du jour ? Elle grimaça et but une autre gorgée. C’était pour ne pas penser à ce genre de chose qu’elle buvait. Le problème, c’est qu’elle avait déjà trop bu.
À cet instant, un individu fit irruption dans le bar et pointa un blaster sur le barman. C’était un Ab’Ugartte.
— Aboule les crédits, le piaf ! La caisse, et vite !
Jinta se contenta de rester assise et d’observer la scène, affalée sur sa chaise. Sans doute était-elle trop soûle pour en avoir quelque chose à faire. De toute façon, elle n’avait pas de raison de s’alarmer tant qu’elle n’était pas directement menacée. Tobar soupira et commença à ouvrir la caisse pour en sortir les jetons de crédits. C’est alors que le braqueur remarqua la présence de Jinta et pointa son arme dans sa direction.
— Et toi, t’attends quoi ? Allez, file-moi tout ce que t’as ou j’repeins les murs avec ton sang !
Jinta fit la moue. Hors de question qu’elle donne son argent durement gagné au premier malfrat venu. Mais avait-elle vraiment le choix ? Avec le barman, ils étaient à deux contre un. Mais si elle ne faisait pas ce que l’Ab’Ugartte disait, il allait sans doute lui tirer dessus. Jinta grinça des dents, prit les crédits dans sa poche et les jeta sur la table. Le voleur s’avança pour les ramasser, mais à peine eut-il fait deux pas qu’un rayon de plasma lui transperça le crâne. C'est le barman qui venait de l'abattre. Celui-ci rangea son blaster et marmonna dans sa barbe.
— Dank farrik, c’est la troisième fois cette semaine…
Il s’approcha du corps pour le fouiller, récupéra son arme et quelques objets de valeur, puis lança un regard à l’adresse de Jinta.
— Hé, la dure à cuire, je t’offre une bouteille si tu me débarrasses le plancher de ce gaillard. C'est d'accord ?
Une bouteille gratuite, ça ne se refusait pas. Elle acquiesça, récupéra ses crédits puis se leva pour accomplir la sale besogne. Elle souleva le corps sans vie par les aisselles et le traîna hors du bar. Le sang poisseux de l’alien laissa une traînée noirâtre sur son passage jusqu’au compacteur à ordures. Jinta balança le corps du malfrat dans le conduit et entreprit de retourner au bar, mais c’est alors qu’elle tomba nez-à-nez avec trois autres Ab’Ugarttes à l’air bien remonté. C’était les Broyeurs de Chevilles, une bande de brigands sans envergure mais néanmoins assez dangereux. Et ils étaient plutôt du genre rancunier.
— Hep hep hep, où tu crois aller comme ça ? aboya l’un deux qui semblait être le chef. C’est notre pote Orbitus que tu viens de jeter dans le compacteur ? Ça, ça va avoir de sales répercussions...
Jinta leva les mains et prit un air indigné.
— Hé ho, c’est même pas moi qui l’ai tué votre pote ! J’ai fait que nettoyer après. Moi, tuer l'un des vôtres ? Jamais de la vie. Par contre, je peux vous mener au type qui a fait ça. À une condition : que vous me laissiez la vie sauve.
— D'accord, mais grouille-toi. Que ce soit toi ou un autre, quelqu’un doit payer. Et t’as pas intérêt à nous attirer dans un traquenard, sinon crois-moi qu’on te loupera pas une fois qu’on aura éliminé tous tes potes les uns après les autres !
Elle les guida jusqu’au bar, un blaster pointé dans le dos. Dès qu'ils arrivèrent les trois Ab’Ugarttes surgirent de l’entrée tels des chiens enragés, renversant tables et chaises sur leur passage. Tobar fut pris de court et leva en l’air ses mains aux doigts crochus, suppliant les brigands de l’épargner.
— Attendez, intervint la jeune femme, ce Gozzo me doit une bouteille d’alcool. Vous pouvez prendre tout ce qu’il a, mais laissez-moi au moins un flacon de crabusta.
Tobar lui jeta un regard noir.
— Quoi, qu’est-ce que tu veux ? fit-elle d’un air narquois. T’as cru qu’on était potes ? Eh bah non, perdu !
Mais le chef des Broyeurs de Chevilles la coupa dans son élan :
— Une minute, vermine. Qui nous dit que t’es pas en train de nous rouler dans la farine ? Barman, c’est bien toi qui as descendu notre pote ?
— Non, se défendit Torkan, c’est elle ! Regardez-moi, est-ce que j’ai une tête de tueur ? Vous croyez vraiment qu’un simple Gozzo comme moi pourrait descendre un balèze comme vous ?
— Oh, ça alors ! s’exclama Jinta. On tue quelqu’un et on assume pas après ? Comme c’est mignon...
— Espèce de… Je t’ai sauvé la vie, et c’est comme ça que tu me remercies ?
— Ah, vous voyez ? fit Jinta. Il vient d’avouer.
Le chef des brigands sembla perplexe.
— Je ne sais pas à quoi vous jouez, mais j'ai l'impression que vous mentez tous les deux. Préparez-vous à mourir.
— Essaye un peu, fit Jinta.
— Si tu insistes...
Le brigand leva son arme vers elle, mais c’est à ce moment qu’un tir l’atteignit en pleine poitrine. Ses deux acolytes, ne voyant pas d’où le tir provenait, se mirent à canarder au hasard. Tobar et Jinta eurent tout juste le temps de se jeter à terre, et après quelques secondes, les tirs cessèrent. Jinta se releva et vit les trois bandits à terre, morts. Elle vit alors un Bothan entrer dans le bar, un fusil blaster encore fumant dans les mains.
— Ribajo ? fit Tobar, soulagé. On peut dire que tu tombes à pic…
— Hé, je vous reconnais, dit Jinta, vous êtes le chef du fast-food là, le Bury... Toss ? Qu’est-ce que vous foutez ici ?
— Oh, à vrai dire je venais boire un coup, et puis j’ai vu que vous étiez en mauvaise posture. Je me suis dit qu’un coup de main ne serait pas de trop…
Jinta attrapa une bouteille d’alcool sur le comptoir et lui lança un regard féroce.
— Et qui vous a dit que j’avais besoin de votre aide ?
— Oh je sais pas, le blaster braqué sur vous peut-être ? Je voulais avant tout sauver la vie de mon ami, mais il faut dire que vous n’étiez pas non plus en position d’avantage...
— Que ce soit bien clair, dit-elle froidement, je ne vous dois rien. Je m’en serais très bien sortie toute seule. La prochaine fois, mêlez-vous de vos affaires.
Alors qu’elle sortait du bar, le Bothan soupira et rangea son fusil.
— Dure journée, hein ?
— M’en parle pas, fit Tobar. Et pis lui manque une case, à l’autre. Trop de temps passé dans les profondeurs... Rien de bon là-bas, c’est moi qui t’le dis.
— Bah, chacun ses problèmes j’imagine. Envoie la gnôle, je paye ma tournée. Et apporte les cartes de Sabbac. Le perdant nettoie le bar.
-Références utiles-
Gozzo
Ab'Ugartte
Soleil Noir(Les compléments musicaux sont optionnels. Libre à vous de les écouter avant, pendant ou après la lecture.)
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