Le début d'une petite fanfiction d'aventures...
Lisez : c'est court. Commentez : c'est gentil.
― Il faut qu'on soit des minables pour qu'on nous envoie sur une mission comme ça, lâcha Ploc.
C'était son truc, à Ploc, de prévenir la moquerie par la dérision. Une méthode mise au point pour survivre à de nombreuses années d'humiliations : l'obésité, qui n'est jamais facile à vivre, devient insupportable à qui est élevé parmi les Jedi dont l’entraînement physique forme des athlètes. Il ne souffrait d'aucune maladie qui eût pu lui valoir la sympathie de ses camarades, mais haïssait l'effort physique de toutes les fibres de son âme et aimait en revanche les nourritures grasses. Ploc conservait encore, à vingt ans, une certaine souplesse, mais ne se faisait aucune illusion sur son avenir : il dépasserait les cent-trente kilos avant dix ans et serait alors irrémédiablement handicapé. Le Conseil, qui ne l'ignorait sans doute pas, avait décidé que l'instruction de Ploc serait menée à terme car il possédait une affinité vraiment profonde avec la Force, ainsi qu'une intelligence assez vive lorsqu'il oubliait de se plaindre.
Mais aucun Maitre n'avait accepté de s'encombrer longtemps d'un empoté qu'ils renvoyaient après quelques mois, quelques semaines, plus rarement un an entier, d’entraînement. Plusieurs de ses Maitres lui avaient imposé des diètes qui s'avéraient inefficaces car il ne les suivait pas. L'un d'eux avait même enfermé et condamné Ploc au pain sec et à l'eau : il avait rapidement atteint un poids normal. Le Maitre avait abandonné son padawan lorsqu'il qu'il s'était aperçu que Ploc avait repris, en cachette, ses habitudes alimentaires. Le Conseil avait certainement longuement débattu avant de le nommer Chevalier, mais Ploc venait, à sa grande surprise, d'être adoubé et de recevoir sa première mission. Mais quelle mission...
Son interlocuteur, qui lisait consciencieusement une holotablette, n'ayant pas réagi, Ploc poursuivit :
― Sérieusement ! On nous envoie sur la piste d'un trésor pirate perdu dont un alcoolique a parlé à un informateur de l'Ordre. Ça te choque pas ?
L'autre leva la tête et regarda Ploc dans les yeux. Il était son ainé d'au moins une décennie et, étant aussi osseux que Ploc était gras, approchait davantage de l'aspect d'un Jedi tel que l'imagine le public : un bourlingueur aux allures de sorcier inquiétant qui ne cherche pas les problèmes, mais se montre capable de les affronter lorsqu'ils surviennent. Cette dégaine impressionnait dans la Galaxie, mais était jugée prétentieuse par les jeunes Chevaliers qui lui préféraient des vêtements civils ou des coupes franchement militaires, laissant le "style Jedi" aux vieillards. Lisol aggravait encore son cas en maintenant ostensiblement les gens à distance. Il passait pour un Chevalier de seconde zone qui se donnait des airs pour dissimuler le fait qu'il n'avait obtenu, en dix ans de service, aucun triomphe éclatant et qu'il appartenait à la masse anonyme des Jedi qui n'obtiennent le statut de Maitre que dans les dernières années de leur vie.
― J'ai consulté les archives avant le départ. Cette mission est moins stupide que vous ne le dites - il fit une pause pour marquer le vouvoiement. Le pirate Gourabeb a bien été en activité, voici un peu plus d'un siècle. Il pillait indécemment un domaine considérable. De nombreuses planètes lui payaient personnellement tribut. Il éliminait ceux de ses lieutenants qui s'enrichissaient trop et confisquait leurs biens : ses équipages étaient si terrorisés qu'ils le laissaient faire. L'Ordre a chargé plusieurs Jedi de mettre un terme à ses activités, ils ont tous échoué. Certains ne sont jamais revenus. Il a disparu un jour et la bande de canailles qu'il dirigeait, privée de chef, a éclaté en bandes rivales.
― Tous les gamins qui lisent des holozines d'aventures savent ça. C'est le problème : ce trésor est une légende. Tous les pilotes prétendent connaitre son emplacement comme ils connaissant la voie de 5 parsec à travers la Passe de Kessel, la localisation de l'étoile de Diamant S'gytejf ou l'hyper...
Lisol le coupa sèchement :
― Deux exemples suffisent, merci. Nous verrons. Certains éléments sont troublants. La lune qu'on nous a indiqué, Jyrte-IV'a, se trouve bien située par rapport au champ d'activité de Gourabeb. Cette lune minuscule, qui est pourvue d'une atmosphère, était alors inconnue. Elle l'est, soit dit en passant, à peu près toujours : nous en serons les seconds explorateurs. Seule une mission d'observation commerciale est passée, quand on a découvert la planète, il y a cinquante ans. Elle a pris durant trois mois standards un maximum de photos, de mesures, de relevés, d'échantillons de la faune et de la flore, puis a filé sur un autre caillou. Ils ont repéré une espèce vaguement intelligente, qu'ils ont imaginativement nommé Jyrtequatrasien : ces êtres n'ont développé aucune forme de technologie mais comprennent des mécanismes assez complexes. Le nom du bled indique d'ailleurs bien l'indifférence universelle à son égard : Jyrte, le nom du système n'est que le nom du type qui s'est aperçu qu'une lune du système était habitée, IV indique la quatrième planète, a indique la première - et seule - lune en orbite autour de Jyrte-IV. Cette lune n'avait auparavant droit qu'à un numéro de série... Il est en tout cas plausible qu'un sbire de Gourabeb l'ait découvert : pourquoi n'y aurait-il pas ménagé une discrète base de repli ? Notre mission d'enquête est parfaitement justifiée même si, acheva-t-il sur un ton ironique, personne ne s'attend à ce qu'on découvre un fabuleux trésor.
― C'est stupide. Il existe des millions de corps célestes à l'écart des voies spatiales qui ne présentent aucun intérêt minier et où il serait facile de mettre une station discrète en place. Elle n'aurait aucune chance d'être repérée.
― Qui lit trop d'holozines ? Il est plus agréable et plus facile de vivre sur une petite lune naturellement pourvue d'une atmosphère plutôt que dans une station. Cette conversation ne mène de toute façon à rien, ajouta Lisol, en se replongeant dans sa lecture. Nous verrons sur place, ne me dérangez plus d’ici là.
― Sortie de l'hyperespace dans une minute, annonça une voix synthétique.
Les passagers se rendirent dans le cockpit pour préparer l'alunissage, trop complexe pour être confié au pilote automatique.
Ils jouissaient d'une bonne vue sur le système, Jyrte-4'a restait cachée. Lisol apprit à Ploc que les révolutions de Jyrte-IV'a duraient moins de trois mois standards. La mission d'exploration avait tenté de semer quelques-unes des céréales les plus cultivées dans la Galaxie, mais elles ne s'étaient pas adaptées aux saisons locales. La domestication des plantes indigènes aurait nécessité un investissement de plusieurs années qui ne garantissait aucun succès commercial, l'affrétage d'un vaisseau jusque dans ces régions lointaines étant coûteux. Le système ne contenait aucun métal précieux. Nul ne se soucia donc plus de cette planète où habitait pourtant une espèce qui pensait peut-être. Lisol claqua les doigts, sentant qu'il avait découvert le vrai problème :
― Cette planète est loin de tout, elle est absente de la plupart des cartes stellaires, puisqu'elle n'abrite ni spatioport ni base, absente des almanachs commerciaux, bref, de toutes les données auxquelles le public a accès. Qui connait son existence ? On ne trouve des informations sur elle que dans les archives de quelques grandes institutions et des comptes-rendus parus dans les bulletins de sociétés d'exploration confidentiels, il y a un demi-siècle. Un plaisantin ne nous aurait jamais envoyé ici car un plaisantin n'a aucune chance de connaitre cet endroit. Voilà ce que j'essayais de comprendre tout à l'heure.
Il s'interrompit, content de lui-même, et Ploc répondit après un instant de réflexion :
― Argument tiré par les cheveux mais logique. Il y a autre chose qui me perturbe. Tu ne... Vous ne sentez pas quelque chose dans la Force ? Je sens quelque chose de bizarre depuis que nous sommes sortis de l'hyperespace. Quelque chose que je n'ai jamais éprouvé. Une angoisse, une gêne. Je n'ai pas l'impression que la Force nous envoie un avertissement, comme ça arrive souvent. Plutôt l'impression de sentir quelque chose que je ne suis pas censé sentir, qui ne m'est pas adressé. J'ai presque l'impression... enfin... si c'était possible... Ce n'est pas naturel.
L'obèse s'interrompit, gêné, et regarda son partenaire qui l'écoutait avec une vague curiosité.
― Assez de précautions oratoires. Dites votre idée.
― Il me semble... presque... que cette inquiétude est éprouvée par la Force elle-même. Ce système n'est pas un lieu à forte concentration de Côté Obscur, comme il en existe beaucoup. J'ai visité Ruusan pendant ma formation, c'était différent. Je crois que ce que cette chose que certains philosophes Jedi ont appelé "la Conscience de la Force" est inquiet.
Lisol semblait un peu choqué et très surpris du raisonnement. Il déclara sur le ton de l'évidence :
― Vous venez d’être fait Chevalier et vous avez déjà l'arrogance de développer des opinions qu'un Maitre hésiterait à défendre. Brillants débuts. On considère que la Force est au-delà des sentiments et des passions humaines - qui viennent notamment des soucis du corps dont elle n'est naturellement pas affligée. C'est la base de notre enseignement. C'était même, ajouta-t-il un ton plus bas, la base de l'enseignement Sith. Vous avez pourtant raison sur un point : il se passe ici quelque chose d'anormal dans la Force. Je ne l'ai senti qu'à partir du moment où vous me l'avez fait remarquer. Notre mission ne sera donc pas vaine. Quel rapport avec ce pirate ? J'ai encore découvert des choses sur lui.
Il montra la tablette qu'il avait consulté durant le voyage et ajouta :
― On m'a permis, comme nous n'avons eu que quelques heures pour préparer la mission, de télécharger et d'emporter hors du Temple des données sur Gourabeb et Jyrte-IV'a. Gourabeb était médecin, un grand praticien et un célèbre chercheur, avant de devenir un malfrat. Il a été interdit d'exercer la médecine pour faute éthique. Les documents ne développent pas les raisons exactes : la clinique où il travaillait, une des plus importantes de Coruscant a sans doute étouffé le scandale. Je sais qu'était question de manipulations génétiques et de travaux sur le cerveau. Il a alors travaillé, toujours comme médecin, dans une flotte pirate dont le chef ne regardait sans doute pas l’éthique comme une qualité indispensable. Mal en prit au pirate qui mourut quelques mois plus tard : Gourabeb parvint à occuper sa place. Il a considérablement intensifié la piraterie dans la région et ne tolérait la concurrence d'aucun autre pirate. La suite est dans la légende : dix ans d'activités, un butin faramineux qui ne fut jamais retrouvé. Gourabeb, lui, disparut, du jour au lendemain.
― Sacré parcours. Vous avez dit plus tôt que des Jedi avaient tenté de l’arrêter ?
― Oui, en vain. Peu importe : nous cherchons son trésor et, depuis quelques minutes, ce que ses activités ont pu faire pour perturber la Force à ce point. Gourabeb, lui, était un humain. Il est mort depuis longtemps.
Ils se turent : Jyrte-IV'a était en vue. Les indicateurs signalaient peu d'eau et une intense activité magnétique. Leurs yeux précisaient le diagnostic : ils ne contemplaient pas une de ces hospitalières boules bleues qu'un espace brun ou vert colore ici et là, mais un roc désolé que ravageaient de terribles orages. Là où ces nuages bizarres, qui ne portaient pas de pluie et crachaient des éclairs, n'empêchaient pas de distinguer la surface, des tâches jaunes et noires semblaient les fixer avec l'air vicieux et fatigué d'un vieil Anooba aux yeux vairons.
Ce monde morbide les hypnotisait. Ils devinaient que le silence n'y existait pas, que partout y retentissait le tonnerre. Lisol, enfin, se ranima :
― Où alunissons-nous ? Dans les zones calmes ou dans la tempête ?
Ploc pointa son doigt boudiné, un peu tremblant, vers la zone où la tempête était la plus intense et répondit d'une voix très ferme :
― Au cœur.
La suite.