Une nouvelle ancienne, que j'ai remanié en version Star Wars, non plus dans un futur lointain, mais dans un passé non moins lointain...
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— J’ai vu. Pas moyen de leur échapper. Dans moins de deux heures, ils seront sur nous.
Soong se tourna vers le navigateur, un Jedi Bothan, penché sur son écran.
— Quelque chose d’encourageant ?
— Pas vraiment. Une planète pas loin, inhabitée, apparemment. Mais en limite du territoire Chiss.
Tamara Soong, Jedi d’origine tholotienne à la peau hâlée, fronça les sourcils. Une planète inhabitée comme il y en avait tant aux alentours des anciens districts familiaux Chiss. Un de ces mondes déserté depuis des siècles, sûrement.
— C’est mieux que rien, dit-elle. Mettons le cap sur ce système. Peut-on s’y poser sans risques ?
— Certainement. Si cette planète figure dans les bases de données chiss, c’est qu’elle a été habitée, autrefois.
— Exécution ! dit Soong, bien plus autoritaire que sa frêle silhouette ne pouvait le laisser penser.
Elle n’était pas bien grande, sans ces formes arrondies qui rendent les femmes généralement séduisantes. Elle avait la poitrine plate, un visage quelconque, des membres maigres mais noueux d’une musculature solide. Même ses appendices crâniens n’avaient pas ce vague aspect de chevelure habituel des tholotiens. Clairement, elle n’avait rien d’attirant. Mais elle était Maître Jedi, et ça lui suffisait largement.
Le Zaphénath prit un large virage et se laissa glisser dans l’immensité noire de l’espace interstellaire. Il était mal en point ; plusieurs impacts étaient visibles sur l’avant de sa coque et des morceaux de métal déchiqueté se détachaient régulièrement de la superstructure. Soong afficha sur son écran de contrôle le diagnostic des avaries et siffla entre ses dents. Les Chiss ne les avaient pas ratés. D’ailleurs comment auraient-ils pu ? Dix vaisseaux d’interception contre un seul vaisseau Jedi et ils n’étaient même pas parvenu à le stopper. Soit ils ne savaient pas du tout viser ni manœuvrer, soit ils les avaient laissés s’échapper sciemment. Et la dernière option ne pouvait être retenue . Si le Zaphénath parvenait à quitter le territoire Chiss sans encombre, il serait le premier vaisseau Jedi à réussir cet exploit : entrer chez les Chiss malgré leur isolationnisme forcené, puiser et ramener des informations de première main sur cet empire des régions inconnues au Conseil Jedi.
Pour la tholotienne, peu importait, cependant, les éventuelles victoires qui découleraient de leur opération. Sa principale préoccupation était de parvenir entière hors du district juridictionnel de Csilla, ou, au pire, de réussir à transmettre les informations au conseil Jedi avant que la flotte Chiss ne détruise complètement le Zaphénath. Une gageure dans les deux cas. Rasval, le Seigneur Chiss, allait certainement mettre à leurs trousses non plus de simples intercepteurs orbitaux mais un de ses nouveaux cuirassés d’attaque. La poisse !
— J’ai d’autres informations, dit Gor’entz le Bothan, toujours penché sur son écran de navigation. Atmosphère respirable, présence de constructions, mais aucune source d’énergie active, du moins rien qui soit suffisant pour nos senseurs.
Le vaisseau fut violemment secoué par une explosion. Le métal de la coque, torturé par les charges protoniques, perdait encore peu à peu sa cohésion et partait en morceaux. S’ils n’atterrissaient pas, le Zaphénath finirait en un nuage de pièces informes. Plus le temps de se poser de questions sur ce monde désert, il valait dans tous les cas bien mieux que le vide spatial. Soong entra dans l’ordinateur de pilotage les coordonnées fournies par le navigateur et lança la procédure automatique. Il était temps de faire ses bagages.
Quittant la salle de contrôle, elle se rendit à sa cabine à travers les coursives envahies par la fumée. Les alarmes hurlaient, les cloisons étanches se refermaient les unes après les autres, et une odeur piquante se répandait dans l’air ambiant. Une canalisation d’hyperfréon avait certainement sauté, là-derrière. Rien de très prometteur. Une nouvelle secousse, deux, les alarmes se turent et la lumière s’éteignit. Plus d’énergie. Le dernier micro-saut hyperspatial qui les avait amenés à proximité de la planète avait pompé toutes les ressources du générateur principal déjà mal en point.
Debout dans les ténèbres de la coursive, Soong retint son souffle. Un sifflement. Les champs de force retenant l’atmosphère dans les compartiments sinistrés venaient de céder. Après quelques secondes de noir total, les batteries de secours fournirent péniblement les unités de puissance nécessaires et les coursives furent plongées dans une pénombre inquiétante. On y voyait assez pour se déplacer et ça suffisait à Soong. Elle reprit sa marche rapide vers sa cabine. Là, elle fourra au plus vite dans son large sac à dos quelques vêtements, un médipack, des rations de survie, de l’eau. Et le datapad où étaient mémorisés les informations dérobées sur l’Ascendance Chiss. Il ne s’agissait pas de le laisser là, après tous les efforts qu’ils avaient faits pour s’en emparer. Trois Jedi avaient donné leur vie pour ces informations, et des douzaines de Chiss l’avaient perdue en cherchant à empêcher qu’on ne les vole. Quelques secondes durant, elle considéra le datapad et un doute affreux naquit en elle. Qu’adviendrait-il si ces informations se révélaient fausses ? Elle fut stoppée dans ses réflexions par la voix de Starke dans les haut-parleurs du vaisseau :
— Nous sommes en orbite, capitaine. Tout le monde aux postes d’urgence.
Le petit escorteur, arborant toujours l’écusson de la flotte seigneuriale mais aux mains des Jedi, glissa en spirale vers la surface de la planète. Un peu trop vite, toutefois, pour se poser sans dommages. Le peu d’énergie qui restait fut dérivé vers les moteurs conventionnels et le Zaphénath fut pour quelques minutes empli d’une vie nouvelle. Ce temps fut mis à profit pour régler les derniers détails de navigation et la procédure d’atterrissage démarra.
L’escorteur n’était pas conçu pour planer. Ce n’était qu’un gros cigare de métal noir sans la moindre voilure pour le maintenir en l’air. Mais, péniblement, les répulseurs suffirent à le faire s’écraser sans trop de casse dans une plaine recouverte de sable ocre, quelque part à la surface d’un monde déserté depuis des générations, dont on avait même oublié le nom. Sous le choc de la rencontre avec le sol, la coque acheva de se désagréger et s’effrita en milliers de morceaux qui volèrent dans toutes les directions. Le calme revint, finalement, le sable retomba doucement, recouvrant les structure internes du vaisseau littéralement dépouillé. Un dernier gémissement métallique, une explosion, de la fumée s’échappant de toutes les brèches de l’appareil, puis le silence. Le Zaphénath avait vécu.
Les postes d’atterrissage d’urgence étaient conçus pour protéger les passagers, envers et contre tout. Une fois installés dans les niches murales, Soong et ce qui restait de son équipage furent littéralement noyés dans une mousse compacte qui avait la propriété d’absorber l’énergie cinétique. Ils sentirent à peine le choc de l’écrasement, mais il leur fallut plusieurs dizaines de minutes pour s’arracher de là. Un pulvérisateur automatique, en principe, devait diffuser un solvant qui faisait fondre rapidement la mousse protectrice, mais le dispositif n’avait certainement pas survécu au crash. Les passagers n’avaient que pour quelques minutes d’oxygène, juste assez pour trancher dans le vif à l’aide de leurs sabres laser et sortir de leur gangue de mousse puante. En silence, endoloris de partout, Soong, Starke et Gor’entz s’extirpèrent de la carcasse de l’escorteur. Starke avait particulièrement souffert. Le séjour dans la mousse l’avait presque tué.
Il aspira l’air de la planète avec satisfaction et s’effondra sur le sable, à quelques dizaines de mètres du vaisseau.
— Comment s’appelle cet endroit ? demanda Soong après avoir rejoint ses équipiers.
Gor’entz s’écroula à son tour et posa la tête sur son sac, haletant.
— Pas la moindre idée. Je n’ai pas eu le loisir de consulter les mémoires du vaisseau. Je peux seulement dire qu’il y a une structure architecturale derrière cette chaîne de montagne. Des bâtiments que j’ai aperçus alors que le vaisseau descendait. Un genre de cité abandonnée, peut-être.
Tamara Soong ouvrit son sac et en vérifia le contenu. Rien de cassé, semblait-il. Le datapad était intact. Elle y tenait plus qu’à sa propre vie. Elle examina le ciel, d’un bleu profond parsemé de nuages gris. Pas de soleil en vue. C’était le crépuscule dans cette partie de la planète.
— Bien entendu, dit-elle en faisant une courbette en direction de Gor’entz, aucune information quant au climat, à la température à la latitude où nous nous trouvons ?
Gor’entz soupira et, tout en restant affalé sur son sac, tira de sa poche un petit datapad.
— Nous connaissons notre position d’après les cartes standard, finit-il par dire en hochant la tête. Nous nous trouvons dans une zone désertique. Gros écarts de températures, probablement.
— Il fait bon, à cette heure-ci, apprécia Soong.
— Ça ne durera pas. Dès que la nuit sera tombée, il fera certainement beaucoup plus froid.
Soong hocha la tête. Elle n’avait pris que quelques vêtements légers. Combien de temps faudrait-il pour rejoindre les bâtiments que Gor’entz avait repéré ? Elle tira un blouson du fond de son sac et le jeta sur ses épaules, par-dessus sa tunique Jedi. Gor’entz avait de la fourrure, lui au moins, mais pas la tholotienne.
— Ne restons pas ici, ordonna-t-elle. Il faut marcher durant la nuit. Nous ignorons quelle température il fera durant le jour.
Gor’entz se leva en grommelant et hissa son sac sur son dos. Starke, le seul humain du groupe, fit de même sans mot dire. Alors qu’elle l’interrogeait du regard, Gor’entz indiqua une direction de la main :
— Par là, capitaine. Suivons ce défilé. Je crois avoir vu une route ou une piste au-delà des crêtes.
Soong hocha la tête et le petit groupe s’ébranla. La nuit tombait, mais elle s’annonçait très claire. La Nébuleuse se levait à l’horizon et baignait le paysage nocturne d’une vague lueur rosée.
Hurduk’orva’kogeg, plus prosaïquement nommé Korvak, ajusta le pan de sa tunique stricte et enfonça un peu plus sa casquette à large bord sur son crâne chauve. Il se devait d’être idéalement élégant, propre, toujours tiré à quatre épingles, comme il convenait à un commodore de cuirassé de son Altesse le Seigneur Chiss Hir’asva’lzranu XII. Son uniforme noir parfaitement coupé, rehaussé de quelques galons argentés, lui allait comme un gant. Sur sa poitrine brillait l’emblème de sa Seigneurie, l’étoile d’or et les épées croisées. Il était un Chiss, dans toute sa splendeur ; peau bleu foncé, visage grave, presque maigre, et ses yeux brillaient de ce rouge profond des Chiss de race pure. Il était très fier de lui, très fier de son ascendance, qu’il pouvait faire remonter à l’ancienne époque légendaire.
Le reflet que le miroir de sa cabine lui renvoyait de sa personne le satisfaisant, Korvak saisit son bâton de commandement, le cala sous son aisselle, ajusta son monocle et quitta sa cabine en direction de la salle de pilotage. Il marchait droit, d’un pas rapide et assuré, parfait prototype de l’officier seigneurial.
Malgré son apparente aisance, il était fort déçu. Lui confier à lui une mission aussi enfantine : retrouver les espions Jedi et les exécuter, récupérer les informations qu’ils avaient volées et détruire toute trace de leur existence. Pourquoi mobiliser son cuirassé pour si peu alors que la bataille faisait rage au large de Vollmar ? Un simple intercepteur aurait suffi. Le vaisseau des fuyards était au bord de la désintégration, il n’irait pas loin. Inconcevable ! Sa loyauté, pourtant, lui commandait d’exécuter cette mission comme il les exécutait toutes, avec obéissance, rigueur, inflexibilité.
A son entrée dans la salle de commande, un mousse fit retentir son sifflet et tous se mirent au garde-à-vous. Korvak passa son équipe en revue d’un regard vaguement distrait et fit signe du bout de son bâton. Chacun reprit son activité et le commodore rejoignit son large siège, juste derrière la console de navigation. Il faisait sombre à bord du Modth-Yithra, comme toujours à bord des cuirassés Chiss. Intérieur exigu, lumière minimale, confort spartiate, nourriture rationnée, tout ce qu’il fallait pour ne pas oublier qu’on était en guerre. Le confort nuisait à l’efficacité des hommes, tout comme la nourriture raffinée, les quartiers individuels et les salles de repos pleines de jeux et de divertissement. Pouah ! Tout ça n’était bon qu’à les amollir avant la bataille.
— Navigateur ! aboya Korvak. Du nouveau ?
Il aboyait toujours après ses subalternes. Une des prérogatives du commandant. Plus il aboyait fort, plus il était respecté.
— Nous avons détecté une traînée ionique, commodore. Leur navire est certainement endommagé et ils perdent de l’énergie.
— Bien, dit Korvak d’un ton guindé. Nous les aurons interceptés avant la fin du cycle de veille.
Le navigateur ne dit mot. Il regarda son supérieur d’un œil effrayé et se retourna vers sa console. Quelque chose ne collait pas, songea le commodore. Il leva la main et claqua des doigts. Aussitôt, le commandant en second, un grand gaillard à l’air un peu benêt engoncé lui aussi dans un uniforme noir, vint se placer un peu en retrait du siège de son supérieur.
— Commodore, je suis à vos ordres.
— Lieutenant Dawps, je sens une étrange atmosphère sur ce pont. Que se passe-t-il ?
L’autre craignait la question. Il piétina un instant d’une jambe sur l’autre et finit par lâcher :
— Commodore, les hommes sont effrayés. Moi-même, je suis un peu inquiet.
Korvak sentit monter l’irritation en lui. Rien ne pouvait effrayer ses hommes ! Rien ne devait même les effrayer. Ils servaient à bord du Modth-Yithra, le plus puissant cuirassé de la flotte de ce côté-ci du territoire Chiss, le vaisseau le mieux armé qui soit. Que pouvaient-ils craindre, à part la colère de leur commandant ?
— Qu’est-ce qui effraye mes hommes, lieutenant ? Pas cette poignée de terroristes étrangers ? Ils ne seront bientôt plus qu’un souvenir, une étoile de plus à notre tableau de chasse.
Dawps se signa, les mains jointes droit devant lui, comme une lame, dans un mouvement descendant de son front à sa poitrine. Il se sentait de plus en plus mal à l’aise. La voix légèrement tremblante, il reprit :
— Nous savons où ces Jedi se sont posés, commodore.
Korvak fit la grimace. Il ne doutait pas une seconde qu’il le sache. Ce qu’il ne comprenait pas, c’est pourquoi ils ne les poursuivaient pas déjà de toute la puissance de leurs moteurs. Il se mit à tapoter le bras de son fauteuil du bout de son bâton, ce qui exprimait chez lui le comble de l’agacement. Dawps ne s’y trompa pas et, sans attendre la réplique de son supérieur, il reprit :
— Commodore, c’est… C’est Orcus.
Il l’avait dit dans une sorte de soupir, dans un chuchotement effrayé, comme s’il prononçait la pire des insanités. En un sens, c’était pire encore. Korvak tressaillit et son teint devint plus foncé. Il n’avait pas entendu parler d’Orcus depuis son enfance, depuis les récits que les mamans racontent à leurs petits enfants pas sages pour les terroriser. Orcus, la Terre Sans Retour. Visiblement touché, le commodore se signa lui aussi discrètement mais n’en perdit pas pour autant sa suffisance.
— Et alors, lieutenant ?
— Monsieur, reprit Dawps, vous savez ce qu’on raconte…
Et oui, il le savait. Orcus, la Terre Sans Retour, le lieu de repos des Esprits. Les anciennes légendes religieuses avaient la vie dure, et même le plus scientifique des hommes ne restait pas insensible aux anciennes croyances ancestrales. Incohérent, soit, mais non moins réel.
— Je n’ai jamais cru à ces histoires, mentit Korvak avec aplomb. Ne soyez donc pas superstitieux, Dawps, que diable ! Vous savez pourtant bien que lorsque nous mourons, nous quittons ce corps de chair et rejoignons les ancêtres dans le Grand Champ spirituel, loin du domaine physique. Orcus n’est qu’un vieux mythe et…
Il se tut. Il avait parlé bien haut, beaucoup plus qu’il ne l’aurait fallu, et tous les hommes de la passerelle, figés comme des statues, avaient leurs yeux rouges fixés sur lui. Et dans leurs regards, il lisait une sourde terreur. Plusieurs se signèrent fébrilement, d’autres replongèrent, en tremblant, le nez dans leurs claviers.
— Cela suffit, aboya Korvak. Tout le monde au travail !
Il s’enfonça un peu plus dans son fauteuil en maugréant. Voilà ce que pouvait bien craindre ses hommes. Quelque chose que les blindages les plus lourds et les rayons de la mort les plus puissants ne parvenaient pas à anéantir : les vieilles croyances.
— Comment ont-ils osé ? reprit doucement le commandant, bien plus impressionné qu’il ne voulait le laisser paraître.
— Ils ne connaissent visiblement pas nos tabous ni nos légendes, commodore. Pour eux, Orcus n’est qu’une planète parmi d’autres.
Il prononçait toujours le nom de cette planète maudite avec le plus grand respect, en le murmurant, en se signant à chaque fois pour conjurer le sort lié à ce monde où, selon les vieilles croyances, se reposaient les esprits des défunts d’autrefois. C’était une vieille doctrine, aussi ancienne que la civilisation chiss : lorsqu’on mourrait, l’esprit immortel quittait le corps pour rejoindre les défunts sur la Terre Sans Retour. Sur Orcus. Cette croyance était si ancienne, disaient les Historiens, qu’elle remontait même avant que les Chiss ne deviennent un peuple civilisé et policé. Orcus brillait dans le ciel nocturne de Csilla, la planète-mère de l’Ascendance Chiss, d’un éclat particulier, presque inquiétant, et personne n’osait regarder de ce côté. On pensait que simplement fixer la planète plus d’une seconde offensait les Esprits, et que ceux-ci pouvaient alors revenir vous hanter, les nuits où l’astre était au zénith. Csilla tournait de telle manière sur son axe qu’on pouvait en toute saison apercevoir Orcus depuis toute sa surface, à un moment ou un autre de la nuit. Bien sûr, les croyances nouvelles liées au culte de la Déesse Araignée niaient l’existence de la Terre Sans Retour, des Esprits et de leur éventuelle influence sur le monde des vivants. Mais les vieilles superstitions d’autrefois avaient la vie dure.
— De plus… Commença Dawps.
— Je sais, lieutenant. Nous approchons du solstice de l’hémisphère nord. Le jour des morts. Il ne serait pas judicieux de fâcher les Esprits si près de…
Il se tut à nouveau, alors que les hommes de la passerelle se tournaient à nouveau vers lui. Ce n’était pas dans ses habitudes, mais là, il se fâcha. Son visage prit une teinte presque noire, signe de grande colère chez les Chiss.
— Nous sommes une unité d’élite, messieurs, s’écria-t-il en se dressant sur ses pieds et en haranguant ses hommes, nous sommes les meilleurs marins spatiaux de l’univers connu. Nous ne croyons pas le moins du monde à ces sornettes. C’est un ordre, entendez-vous ?
Plusieurs officiers se signèrent une fois de plus et tous se replongèrent dans leur travail. Korvak devait bien se rendre à l’évidence : lui aussi croyait en un monde où les esprits allaient après la mort. Peut-être allaient-ils sur Orcus, peut-être ailleurs. Un vaisseau en perdition s’était posé autrefois sur Orcus, lui avait raconté son grand-père, et les seuls hommes qui en réchappèrent étaient devenus fous. Ils racontèrent comment les esprits des défunts hantaient Orcus dans de vastes cités en ruines. Ce monde était leur dernière demeure, la Terre Sans Retour.
Pourtant, si les Jedi s’y trouvaient, il fallait aussi s’y rendre. L’enjeu était trop important. Le Seigneur Rasval comptait sur ses meilleurs hommes pour mener à bien cette mission. Et s’ils refusaient d’affronter Orcus, il leur faudrait affronter la colère de leur tyran, ce qui n’était guère plus rassurant.
— Qu’allons-nous faire, commodore ?
— Nous mettons le cap sur Orcus, Dawps. Mais avant, je vais consulter l’aumônier et organiser une réunion de prière pour apaiser les Mânes des ancêtres. Il faut à tout prix que nous récupérions les informations volées par les Jedi, lieutenant, sinon notre avenir dans la flotte est sérieusement compromis.
Il se leva et saisit le pan de la tunique de Dawps. Dans un murmure, il dit :
— Je compte sur vous pour maîtriser les hommes. Choisissez : c’est Orcus ou la colère du Seigneur Rasval. Et vous savez ce que cela signifie…
Dawps hocha la tête. Il savait fort bien. Il fallait faire fi de la peur panique liée à Orcus, avancer coûte que coûte, affronter la colère des Esprits… Ou affronter Rasval. Finalement, des deux, la crainte du Seigneur Chiss l’emporta. Si quelques incantations de l’aumônier pouvaient peut-être suffire à calmer les Esprits, aucune prière ne pouvait conjurer la colère de Rasval. Restait à savoir si cette pensée serait suffisante pour tenir en bride les quelque deux cents hommes d’équipage du Modth-Yithra.
— Navigateur, dit Dawps, cap sur Orcus. Donnez-moi une estimation.
Le navigateur frémit, se signa de nouveau et pianota sur son clavier. Quelques secondes plus tard, il lâcha, la voix éteinte :
— Une heure, monsieur, pour être en vue de… la planète.
Une heure. Une heure pour trouver les ressources nécessaires, la force de surmonter les vieilles peurs irrationnelles. Car il ne s’agissait pas simplement de s’approcher de ce monde maudit, mais bien d’y poser les pieds pour mettre la main sur les Jedi. Et ça, ce serait une autre affaire… Il faudrait des volontaires, songea Dawps, mais il n’en trouverait certainement pas. Il restait une solution simple, cependant.
— Sergent, dit-il à son aide de camp, donnez-moi le registre des punis.
— Oui, monsieur, dit l’autre d’une voix rigide en lui tendant un datapad.
Cinq noms étaient en haut de la liste. Des fortes têtes, aux fers depuis quelques jours. Sur un vaisseau tel que le Modth-Yithra, il suffisait d’un rien pour se retrouver aux arrêts de rigueur. Pour une fois, la sévérité du règlement avait du bon. Dawps cocha les cinq premiers noms de la liste et dit au sergent, un brin de satisfaction dans la voix :
— Voilà les cinq volontaires pour la mission d’exploration. Faites le nécessaire.
Le sergent récupéra le datapad, et avala sa salive non sans soulagement. Bien que ceux-ci touchent systématiquement une prime de débarquement en milieu hostile, il n’enviait pas les “volontaires”, cette fois, loin de là.
A suivre...