J'ai vu Les Derniers Jedi près d'un mois après sa sortie, en connaissant d'avance le scénario et ses rebondissements.
Cette critique est celle d'un adepte du Legends, mais qui a choisi de regarder le film avec passion et indulgence... Vous voilà prévenus !
La réalisation
L'esthétique impulsée par Johnson est efficace. Si l'on excepte l'apparence un peu étrange de Yoda - un mélange entre la marionnette de 1980 et la version numérique de la prélogie - le film garde un aspect visuel convaincant tout au long de son déroulement. Les nouveaux designs aperçus, qu'il s'agisse de ceux des navires de la Résistance, de Canto Bight ou du Premier Ordre.Au niveau du rythme, comme dans le précédent film, il n'y a pas de temps mort, si bien que les 2h30 se font à peine sentir. D'où, parfois, un petit sentiment de précipitation, de surenchère, qui se ressent du côté du scénario.
Aspect largement critiqué du film : l'humour. Pour ma part, je l'ai apprécié, notamment parce qu'il insufflait de la légèreté à un film par ailleurs assez sombre.
Les acteurs
Grande performance des deux "survivants" du Big Three, Mark Hamill et la regrettée Carrie Fisher. Le premier offre un Luke Skywalker aux antipodes du personnage de la Trilogie Originale, mais son évolution s'explique avec les flash-backs. Le personnage apparaît comme tourmenté, presque écrasé par le poids de son héritage et de ses actes passés. Miné par son échec lors de l'apprentissage de son neveu, il a rejeté les dernières paroles de Yoda et attend la mort. Une évolution très éloignée de l'Univers Legends... Mais Luke n'y était-il pas, déjà, tourmenté par le basculement de son neveu Jacen ? Le parcours du personnage pendant le film, et surtout sa fin dantesque, servent au final la légende de Skywalker.
Autre ancienne, Carrie Fisher, qui livre une prestation forcément touchante, surtout lorsqu'elle se retrouve à l'écran avec Mark Hamill dans une scène aux dialogues évocateurs et avec une référence appuyée au grand absent du film, Han. Elle est tellement mise en avant qu'on a du mal à imaginer ce que sera l'Épisode IX sans elle ! Son moment de bravoure dans l'espace a lui aussi été critiqué pour sa vraisemblance, mais Rian Johnson n'est pas le premier à avoir eu cette idée : Timothy Zahn et Walter Jon Williams ont, entre autres, fait vivre des moments similaires à Luke et Jacen dans l'univers Legends.
Le "nouveau trio", à savoir Finn, Rey et Poe, s'en sort très bien. Le rôle d'Oscar Isaac a été clairement étoffé cette fois, et il surprend : alors qu'on pouvait légitimement l'attendre aux commandes des chasseurs pendant les trois quarts du film - c'est ce qu'on retenait de lui dans Le Réveil de la Force, après tout - le voilà plongé dans les intrigues du commandement, tête brûlée ne suivant pas les ordres, leader improvisé d'une petite mutinerie qui avorte, mais figure charismatique de ce qui reste de la Résistance ! Prendra-t-il la suite de Leia dans le prochain opus ?
Rey est peut-être celle qui m'a le moins enthousiasmé. Son apprentissage est trop rapide, son comportement trop "cliché". Sa scène d'introspection est néanmoins intéressante.
Finn, lui, poursuit son évolution. Alors que sa tentative d'évasion du Raddus pouvait passer pour un retour de ses envies d'évasion du film précédent, on comprend bien vite qu'il veut surtout agir pour sauver Rey, cette amie qu'il chérit, en lui évitant de se précipiter dans un piège. La relation entre les deux aurait pu évoluer vers de l'amour, comme en témoigne leurs retrouvailles à la fin du film...
Mais c'était sans compter Rose, la plus valorisée des nouveaux personnages. C'est une Rebelle. Pas une héroïne très douée comme Poe ; juste une mécanicienne, éprouvée par la guerre, par la perte de sa soeur, qui porte en elle les idéaux de l'Alliance des grandes heures, mais aussi une part d'ombre, de haine envers ceux qui sont responsables de son malheur.
Parmi les autres personnages inédits, j'ai particulièrement apprécié la vice-amirale Holdo incarnée par Laura Dern, ses ambiguités et son sort final. En revanche, le personnage de Benicio Del Toro ne m'a pas vraiment intéressé, moins en tout cas que les messages qu'il porte.
Du côté des méchants, le trio est le même que dans le film précédent : Snoke/Ren/Hux. Domnhall Gleeson pousse encore un peu plus loin son côté caricatural, avec ses colères mémorables et sa lâcheté digne des grandes heures de l'État-major impérial ! Mais cette fois la performance sonne différemment : Snoke le qualifie clairement de crétin, justement utile à ce titre. Le chef du Premier Ordre offre également une nouvelle dimension à Kylo Ren, à qui il fait ôter ce "masque ridicule" et dont il devient finalement la dernière victime sur la route du pouvoir. Adam Driver est donc propulsé à la tête du Mal : son personnage achève finalement ce que Vador avait commencé.
La musique
Elle est bonne, se marie bien aux images (surtout lors de la scène d'introduction et lors de la course des fathiers) mais reprend parfois trop de thèmes déjà connus. La BO, en écoute seule, est moins percutante que celle du Réveil de la Force (qui elle ressortait mieux ainsi). John Williams a livré pour Star Wars un travail excellent, inégalé même, mais peut-être est-il temps qu'il passe la main ?
L’histoire
Les bande-annonces laissaient craindre un ersatz de L'Empire contre-attaque ? N'en jetez plus : ces indices étaient de la poudre aux yeux pour dissimuler le fond de l'intrigue. Mis à part quelques parallélismes (l'entraînement Jedi, la poursuite entre gentils et méchants), les bouleversements sont partout ! Le scénario fait la part belle aux combats spatiaux, ce qui manquait largement dans le précédent opus. Pour la Résistance, la situation n'est pas brillante, et pour cause : l'hyperespace ne représente plus aucune sécurité. La situation du Premier Ordre, à la fin du film, n'est guère reluisante non plus (il a perdu sa principale flotte et deux de ses plus puissants vaisseaux). C'est là qu'un petit bémol survient, déjà présent dans le premier film : que se passe-t-il dans le reste de la galaxie ?
Cette fois, on a un début de réponse, à travers la situation de Cantonica et sa principale ville, Canto Blight : la vie poursuit son cours. Oui, le système Hosnien a été détruit, oui, la Nouvelle République est en cendres, mais l'ordre social n'a pas été bouleversé, la société continue sa vie en toute quiétude.
Grande nouveauté, à peine étrennée par Rogue One : les flash-backs, qui donnent ici tout leur sens à l'expression "d'un certain point de vue" !
Ce passage à Canto Blight est intéressant à plus d'un titre. La critique de l'économie de guerre, des dessous peu reluisants de la "haute", apporte une dimension sociale que l'on n'avait pas retrouvée depuis La Menace Fantôme, où l'esclavage pratiqué sur Tatooine ne semblait pas choquer outre-mesure les Jedi... Cette fois, les héros mettent un peu la pagaille, et il faut avouer que ça fait du bien. Beaucoup de bien.
L'autre intérêt de Canto Blight, c'est que la mission qui s'y déroule est un échec. Tout comme la tentative de Rey pour faire revenir Ben Solo. Tout comme la mutinerie de Poe... Luke a échoué dans sa recréation de l'Ordre Jedi, Leia dans le maintien de la Nouvelle République. L'échec est partout, et c'est un point qui est, à mon sens, à l'origine de la réussite du film. Fini les héros à qui tout réussit : leur sort est plus incertain que jamais.
Le sacrifice est aussi présent, par moments, avec notamment les destins de Luke, de la vice-amirale Holdo et d'une poignée de résistants résolus. Cet aspect aussi confère au film sa gravité, et se retrouve magnifiquement contrebalancé par la dernière réplique de Rose.
Dernier point, d'une grande importance à mes yeux : l'émotion, présente de bord en bord. Elle transcende le film, servie par la musique (ou son absence, lors d'une scène mémorable) et les décors. C'est un relai entre les générations ; avec Les Derniers Jedi, nous disons adieu aux héros du passé, avec un passage de témoin désormais achevé (ce que l'Univers Legends, au passage, n'a jamais été capable de faire avec le Big Three). Mais aussi, à travers les malheurs et les défaites, un appel à l'espoir, parfaitement symbolisé par la dernière image : celle d'un enfant levant son regard vers les étoiles.
Pour résumer
J'ai donc eu un coup de coeur inattendu pour Les Derniers Jedi. Je partais avec pas mal de lassitude sur ce film, découragé que je suis par le contenu du nouvel univers étendu... Mais j'ai été complètement accroché par la mécanique bien huilée que déploie Rian Johnson. Sa recette a marché sur moi, et bien qu'objectivement je reconnaisse à ce film quelques défauts (l'absence d'informations sur le passé de Snoke, l'impression de trop grande rapidité du film qui doit tenir sur deux ou trois jours à peine) il m'a globalement séduit.