Les deux premiers gros scénarios publiés pour SW. Aux confins de l'Empire, Par delà la Bordure et le Joyau de Yavin, avaient laissé un très bon souvenir de partie à mes joueurs. J'espère qu'il en sera de même pour Le masque de la Reine pirate et je vais m'y efforcer. Mais il me faudra du travail, beaucoup sans doute. Car, les 96 pages qui constituent ce scénario forment ce qu'il y a de plus faible parmi les scénarios publiés par FFG pour Star Wars jusqu'à ce jour. Malgré les qualités habituelles de la présentation et les belles illustrations auxquelles FFG nous a habitué, les bras m'en sont souvent tombés en parcourant le livre.
Une amorce intéressante
Je n'avais pourtant aucun a priori négatif envers ce scénario : après une chasse au trésor technologique (Par delà la Bordure) et un casse de haute volée (Le Joyau de Yavin), nous avons ici un boulot de chasseur de primes. Le Consortium de Zann embauche les personnages pour qu'ils le débarrassent de la chef de la Sororité Voilée, un groupe de pirate arraisonnant ses vaisseaux. Il s'agit de lui ramener la Reine pirate ou, à défaut, le célèbre masque qui dissimule en permanence son mystérieux visage. Voilà une amorce intéressante qui ravira le chasseur de primes de votre groupe, une carrière assez courue dans SW. Aux confins de l'Empire. Cette traque sera l'occasion de visiter des planètes plutôt inspirantes comme Saleucami voire célèbres, comme Ord Mantell. Ord Mantell fait l'objet d'une description bienvenue, tant elle est importante, même dans l'Univers canon actuel. Il est toutefois dommageable que l'on manque d'un plan de sa capitale, Worlport, tout comme d'ailleurs d'autres lieux clés de l'histoire, comme le Cratère de Sombrevent ou le repaire de la Reine. Ces absences sont tout à fait critiquables à propos du travail d'un éditeur professionnel et réputé. Mais le pire est à venir.
Une médiocrité à tous les étages
Les points négatifs s'accumulent très vite au fil des pages. Les personnages non joueurs sont d'une fadeur extrême et la mystérieuse Reine perd tout relief une fois rencontrée. Je sais qu'il faut parfois « casser » les modèles et prendre à contrepied les attentes des joueurs, mais là on ne peut se dire qu'il s'agit d'un piètre antagoniste. De même l'étrange Sororité voilée, au nom si poétique, ne s'avère pas intéressante. La question de son matriarcat n'est pas traitée du tout et le traitement de son organisation, qui aurait pu être un enjeu narratif important, bâclé.
En outre, la trame scénaristique est d'une linéarité confondante : les personnages doivent forcément être trompés par la Sororité à la fin de la première partie, pour aller sur Ord Mantell, où ils rencontreront un magnat des jeux d'argent qui leur confiera une mission à remplir, qui leur permettra de contacter la bonne personne et ainsi de suite. À la fin de la seconde partie, le même principe est employé : il faut repartir en quête de la Reine qui se trouve en fait dans l'espace, ce qui se fera dans la troisième partie. Il est inutile de dire que des joueurs expérimentés seront agacés par ce dirigisme lourdaud qu'ils repèreront très vite. Il est d'ailleurs vraisemblable qu'à un moment, ils anticipent ces retournements de situation dignes d'un mauvais film de série B.
On a fréquemment l'impression ici que les auteurs n'ont pas pensé à une trame narrative globale avec ses enjeux personnels, moraux etc. pour les personnes, mais ont imaginé des « scènes cool » (parlons à l'américain). « Tiens si l'on mettait une scène de bagarre avec une lutteuse invaincue », « tiens, si l'on mettait un abordage, comme dans les films de corsaires »… Le tout est maladroitement cousu par de grosses ficelles narratives.
Que reste-t-il, au milieu de tout cela, à tirer du Masque de la Reine pirate ? Quelques scènes effectivement sympathiques voire inspirantes. Des noms ou des objets évocateurs comme le fameux masque. De jolies illustrations aussi. Quant au reste, un maitre du jeu va devoir beaucoup travailler pour casser la linéarité et pour créer des enjeux intéressants.
MJ only : Quelques modestes pistes pour essayer de transformer en or le vil métal
Si cela ne vous intéresse pas et que les personnages sont amenés à faire leur sale travail sans problème de conscience, il faut alors surenchérir quant aux agissements de la Sororité Voilée : qu'elle apparaisse comme d'une malveillance indicible (mutilation sur les prisonniers, empoissonnement des gens qui enquêtent sur elle, représailles sur les familles etc.). Vos vauriens n'auront aucun remord pour la frapper à la tête et cela pourrait se justifier. La scène de la cour de la Reine (p. 68), franchement ridicule avec ses danseurs et ses toasts, doit être revue dans ce sens.
Par ailleurs, il faut vraisemblablement retravailler la question des relations amoureuses de la Reine qui n'ont franchement ni queue ni tête. Il y a peut-être de quoi créer une situation aux grands enjeux mélodramatiques : qui est le plus sincère par rapport à l'autre, l'amant ou la Reine ? Pourquoi serait-il menacé par cette dernière ?
Pour finir, il faudra revoir la chaîne logique des événements pour éviter que les joueurs en viennent à suivre les cailloux du petit Poucet. Peut-être que l'accès à la base de données du cratère de Sombrevent pourrait devenir la base de l'enquête des personnages ? Cela permettrait de mettre au second plan le Consortium de Zann qui les laisserait ainsi en autonomie. Cela engendrerait moins de frustrations.
Le Masque de la Reine pirate s'adresse donc à deux types de maitre du jeu. Un maitre du jeu réunissant des débutants pourrait peut-être tirer son épingle du jeu en suivant la trame générale. Mais comme le scénario est relativement long quand même, on peut douter que des joueurs totalement inexpérimentés soient le « public cible » et ce d'autant plus que les défis ne sont pas toujours faciles en terme de seuil de difficulté. Le plus vraisemblable est que le maitre du jeu ait une équipe de joueurs qui soient des habitués de ses parties. Pour qu'ils apprécient le tout, il faudra qu'il se retrousse les manches au point de transformer voire bazarder sans doute la moitié de l'histoire. Avis aux plus courageux !