StarWars-Universe.com utilise des cookies pour faciliter votre navigation sur le site, et à des fins de publicité, statistiques, et boutons sociaux. En poursuivant votre navigation sur SWU, vous acceptez l'utilisation des cookies ou technologies similaires. Pour plus d’informations, cliquez ici.  
Chapitre VII
 

Après quelques dizaines de minutes de lente progression, portant toujours péniblement Valdie, Safera se sentit revenir sous le joug de la peur ; il n'y avait toujours rien d'autre que l'obscurité devant elle, elle ne savait absolument pas où elle allait, et son esprit percevait de plus en plus la haine qui habitait ces lieux... Les Ômus allaient-ils surgir dans le noir pour la tuer ? Dans ce cas, elle serait bien incapable de se défendre... Mais elle devait continuer.
Brusquement, Safera émergea de l'étroit passage et des ténèbres ; elle venait de déboucher dans une sorte d'immense salle, étrangement éclairée de bleu comme par un soleil sous-marin si bien que son casque n'avait plus besoin d'éclairer pour elle. Les dimensions de l'endroit étaient réellement stupéfiantes, on aurait pu loger un village ici, et il serait encore resté beaucoup de place... D'où pouvait venir l'éclairage ?
Mais avant même qu'elle n'ait achevé son examen des lieux, elle sentit sa peur disparaître soudainement, lui laissant l'impression qu'on lui ôtait le poids d'un Orenaye-II de la poitrine... Sans savoir pourquoi, elle eut l'impression que le plus dur était fait, elle se sentit légère et sereine... Peut-être les Ômus avaient-ils tout simplement fini de la mettre à l'épreuve ? C'était difficile à dire, et de toute façon, elle le saurait bien assez tôt...
Reportant son attention sur la salle, elle vit combien l'endroit était étrange... Le sol noir, probablement de la même matière que celle dont se servaient les Hynors pour construire leurs bâtiments, était recouvert d'algues à peine plus hautes que de l'herbe ; il y en avait des vertes, des bleues, des violettes, pour autant que put en juger Safera dans cette lumière bleue, et toutes poussaient ensemble, mélangées... D'autres, plus grandes et moins nombreuses, semblaient faire office d'arbres ; c'étaient des algues rouges, mais elles n'avaient rien à voir avec celles de la forêt dehors, au contraire, elles respiraient la vie... L'endroit dans son ensemble respirait la vie, Safera avait l'impression de renaître après son passage dans la forêt...
Émerveillée, elle vit de petits poissons rayés passer entre les algues... Il y avait probablement beaucoup d'autres animaux de ce type ici... Une oasis de paix et de lumière au cœur de la forêt de l'effroi et des ténèbres... Le temps semblait ne plus exister ici... Pour la première fois depuis ce qui lui semblait déjà être une autre vie, Safera se sentit bien, vraiment bien, satisfaite, insouciante... Ce n'était pas un bonheur indicible qui montait en elle, juste le sentiment que l'épreuve était terminée, que l'heure du soulagement après l'effort était venue et qu'elle n'avait à se préoccuper de rien pour le moment... La conscience qu'elle n'avait besoin de rien en cet instant précis... Tout ce qu'elle et ses compagnons avaient traversé au cours des précédentes heures, la peur de voir mourir Valdie, les terrifiantes hallucinations, le doute, tout cela lui semblait déjà bien lointain... Elle ne sentait plus la fatigue de ses muscles qui avaient pourtant dû porter Valdie, elle ne sentait plus l'humidité de sa combinaison, elle ne ressentait plus rien d'autre que le besoin de faire comme si tout cela n'avait jamais existé... Elle eut envie, l'espace d'un instant, de s'allonger dans les algues et de s'endormir ici...
Non.
Plus tard, peut-être, mais pour l'instant, elle avait une mission, Valdie pouvait mourir d'une minute à l'autre ; avançant dans la salle, Safera vit... comment avait-elle pu ne pas les remarquer plus tôt ? Elle vit d'immenses marches de pierres parcourues de veines bleues et vertes qui partaient des deux côtés de la salle... Un troisième escalier était au fond...
Saisissant à nouveau Valdie, Safera commença à avancer dans la salle, décidant qu'elle commencerait par l'escalier à sa gauche... Néanmoins, elle s'arrêta net en voyant une sorte de masse de lumière haute comme un homme traverser la salle dans sa direction... non ? Non, ce n'était pas l'un de ces spectres qui avaient persécutés les Chiss alors qu'ils traversaient la forêt... La chose y ressemblait pourtant beaucoup outre le fait qu'elle était du blanc le plus pur et non de la teinte cadavérique des spectres, mais Safera n'éprouvait pas la peur sans nom qui l'envahissait lorsqu'elle voyait les fantômes des profondeurs... Elle n'osa tout de même pas bouger avant que la chose soit juste en face d'elle.
Suivez-moi, je vais vous mener au Seigneur des Abysses. 
Safera mit un instant à admettre ce qui venait de se passer ; elle venait d'entendre la voix dans sa tête ! Ce n'était pas comme les éclats de rire irréels des spectres, elle avait vraiment perçu une pensée qui n'était pas sienne... La conclusion était simple, les Ômus et leurs suivants pouvaient effectivement lire dans les pensées, et se faire comprendre par la pensée...
-J'arrive, répondit-elle à voix haute.
Le Suivant n'avait probablement pas entendu ses paroles, seulement les pensées qui les accompagnaient, mais Safera trouvait vraiment trop difficile d'émettre une pensée dans le but qu'elle soit entendue par autrui, des pensées parasites l'empêchaient de se concentrer ; parler à voix haute lui permettait de fixer ses pensées sur quelque chose.
Le Suivant se détourna et commença à traverser la salle, suivi par Safera qui portait toujours difficilement Valdie.
La jeune femme se demanda vaguement si elle n'était pas devenue folle pour de bon, mais si c'était le cas, elle n'avait pas à s'en préoccuper ; si sa folie allait jusque-là, elle ne retrouverait jamais la raison, de toute façon.
Ils marchèrent à travers toute la salle, le Suivant menant clairement Safera vers l'escalier du fond. Elle se demanda si elle aurait la force de porter Valdie jusqu'en haut, mais il le faudrait bien... Lorsqu'ils furent parvenus à l'escalier, Safera vit que d'autres suivants se trouvaient dessus, ainsi que des Chayerda, les petites créatures lumineuses qu'ils avaient rencontrées avec le docteur Iblir... Peut-être les Suivants et les spectres n'étaient-ils finalement que de très grosses Chayerda ? Quoi qu'il en fut, Safera commença à gravir les marches une à une sous l'œil des Suivants, chaque pas se révélant plus difficile que le précédent... Elle crut mourir à la troisième marche et elle dut s'arrêter quelques minutes, mais elle parvint à reprendre jusqu'à... oui, elle arrivait en haut...
Sa Majesté Wogorn, Seigneur des Abysses de Fayg, annonça mentalement le Suivant qui escortait Safera.
Alors, Safera le vit... Même après tout ce qu'elle avait enduré pour le rencontrer, elle recula instinctivement. Une énorme masse de tentacules bleus sombres probablement longs de plusieurs mètres se tenait en haut des marches, surmontée de multiples yeux noirs... Le corps de la créature se prolongeait ensuite, peut-être sur une bonne dizaine de mètres.
La chose était tout simplement épouvantable, tant par son aspect que ses dimensions... Safera sentit émaner d'elle la noirceur même qu'elle percevait depuis son entrée dans la forêt... Néanmoins, pour la première fois, elle eut la certitude que cette haine ne lui était pas destinée.
Safera vit avec horreur l'un des titanesques tentacules s'allonger vers elle, et elle sentit la peur et la révulsion l'envahir lorsque le tentacule l'attrapa par la taille et l'emmena jusqu'à l'Ômu... Toutefois, elle ne se laissa pas dominer par ces émotions, elle ne tenta ni de se débattre ni de s'enfuir... Ce n'était pas parce que les Ômus étaient horribles et effrayants suivant les critères des Chiss qu'elle devait se méfier de cet être, alors elle le laissa l'entraîner juste au-dessous des yeux noirs de la créature, qui ne la relâcha pas pour autant.
Comme elle avait peur, elle sentait bien qu'elle n'était qu'un insecte pour cet être... Mais elle devait l'affronter.
Qui êtes-vous ? Et que voulez-vous, qu'est-ce qui vous a poussé à braver votre peur des spectres, votre besoin d'avoir l'impression d'aider vos semblables et la tentation de cesser vos efforts pour demeurer ici ?
Safera frissonna lorsque la voix grave et profonde retentit dans son esprit...
-Je m'appelle Hess'afer'ajaldo, je suis une femelle Chiss ; je suis venue vous demander humblement de sauver mon amie, Seigneur des Abysses, elle a été blessée au cours d'un combat contre les Kryshzlas, et elle est maintenant gravement malade... C'est pour elle que j'ai traversé tout cela, les médecins Hynors n'arrivent pas à la sauver, je vous supplie de m'aider.
Je connais les Chiss, et je connais leur langue. Toute la connaissance des Hynors de la cité de Fayg est mienne... Pourquoi vous aiderais-je, Hess'afer'ajaldo ? Ne serait-ce pas prendre parti dans les guerres que se livrent les êtres de la surface ? 
-Sauf votre respect, Seigneur des Abysses... mes amis et moi ne sommes plus vraiment des êtres de la surface. Nous sommes venus implorer votre clémence pour sauver Valdie, et nous n'aspirons qu'à vivre paisiblement à Fayg... 
Vraiment ? Si vous aviez un moyen de chasser les Kryshzlas d'ici, ne le feriez-vous pas ? 
Safera sut tout de suite que mentir au céphalopode la desservirait...
-Si, nous le ferions. Nous le ferions parce que cela aidera nos compatriotes restés dans le monde des êtres de la surface, nous le ferions pour libérer les Hynors de l'occupation... 
Alors vous êtes toujours des êtres de la surface... Presque tout ce que vous avez pu voir de la vie animale dans les océans depuis votre arrivée, du plus humble poisson jusqu'à la plus imposante des Pashagas en passant par les Hynors, ce sont moi et mes frères Ômus qui l'avons modelé ; les êtres que nous avons créés n'éprouvent pas la haine, ils n'éprouvent pas la soif du sang et de la destruction... Même les Hynors, les seules de nos créations auxquelles nous avons accordé la conscience et donc la possibilité d'agir plus loin que ne le leur commande leur instinct ou même contre lui, nous les avons prévenus que si jamais ils tuaient plus que nécessaire, nous les laisserions mourir jusqu'au dernier... Vous n'avez pas besoin de chasser les Kryshzlas, mais vous poursuivez des chimères, comme les autres êtres de la surface, vous pensez avoir raison et vous croyez que cela justifie tout... Pour rétablir l'équilibre après l'invasion Kryshzla, moi et mes frères avons permis aux Hynors qui voulaient s'affranchir de la domination Kryshzla de s'établir à Fayg, nous leur avons remis les Voolthergas nécessaires à la construction et à l'organisation de leur cité ; mais nous leur avons aussi dit que si jamais ils osaient s'attaquer aux Kryshzlas sans que ceux-ci ne s'en soient d'abord pris à Fayg, ce serait la fin de leur peuple. Pour cette raison, ils n'essaieront jamais de chasser les Kryshzlas de Hautemer et les Kryshzlas ne seront jamais assez fous pour chercher Fayg.
Le pouls de Safera s'accéléra, il fallait impérativement qu'elle trouve quelque chose à répondre à cela...
-Seigneur Wogorn... les Kryshzlas ne sont pas comme nous, ni comme les Hynors. Il existe bien d'autres planètes et d'autres peuples dans le monde de la surface, ni pires ni meilleurs que nous ; mais les Kryshzlas détruisent tout cela, ce sont des conquérants sans pitié qui tuent et réduisent en esclavage sans autre but que de conquérir plus... Vous voulez protéger la vie sur Hautemer, mais Hautemer n'est qu'une planète parmi d'autres, et sur les autres planètes, les Kryshzlas ne cesseront pas leurs ravages avant longtemps si mon peuple ne les arrête pas, ils plieront la vie à leur volonté pour encore des années, parce que comme tous les êtres pensants, ils sont capables du meilleur comme du pire, mais pour eux, il n'existe pas d'Ômus pour les remettre dans le droit chemin... Nous, les Chiss, sommes pacifistes ; nous ne nous en prenons jamais à un peuple qui ne nous a rien fait même si nous avons de bonnes raisons de croire qu'il est nocif, c'est notre principe le plus fondamental. Peut-être avons-nous tort, bien sûr, mais je ne pense pas, et nous essayons de bien faire. À présent, les Kryshzlas se sont assez étendus pendant que nous n'agissions pas contre eux ; ils ont commis l'erreur de nous attaquer sur Farza, alors oui, nous voulons les forcer à plier et à ne plus jamais menacer personne, parce que nous leur avons largement laissé leur chance. J'ajoute que personnellement, je n'ai jamais essayé de me justifier et je n'ai jamais méprisé les Kryshzlas. Je pense agir dans l'intérêt général en les combattants, mais je peux me tromper, alors je sais que cela ne justifiera jamais de tuer des civils de leur peuple, ni même des prisonniers inoffensifs... Peut-être même que cela ne justifie pas mon engagement dans l'armée Chiss et la mort de tous ceux que j'ai tué dans des batailles, j'admets que c'est une possibilité et je n'en suis pas fière. 
-L'Ômu resta un long instant sans rien dire, et son silence fut une véritable torture pour Safera... Si Valdie mourrait, ce serait de sa faute... Finalement, Safera entendit de nouveau la voix du titan dans son esprit :
Si ce que vous dites est vrai, alors votre peuple est noble, Hess'afer'ajaldo, vous savez vous conduire avec sagesse sans qu'une entité supérieure n'exerce un contrôle direct sur vous ; et les Kryshzlas doivent être arrêtés... Mais je veux avoir la preuve que c'est la vérité, et pour cela, vous devez me laisser fouiller dans votre esprit, vous devez me laisser explorer le monde des êtres de la surface par vos yeux, vous devez me laisser explorer votre personnalité pour m'assurer que vous êtes bien celle que vous prétendez être; si les Chiss et les Kryshzlas sont vraiment tels que vous me les décrivez et si vous-même êtes quelqu'un de bien, je sauverais votre amie et peut-être que je laisserais les Hynors tenter de détruire les Kryshzlas... Mais vous devez me laisser faire cela. Je vous montrerai quels souvenirs et quelles pensées j'étudie.
Quelque part dans l'esprit de la jeune femme prisonnière des tentacules de l'Ômu, une voix hurla que c'était impensable, qu'elle ne pouvait pas laisser son esprit sans résistance à ce monstre... Mais il était trop tard pour reculer. Toute sa vie, elle avait voulu faire en sorte de n'avoir rien à se reprocher par la suite, c'était le moment de voir si cela avait servi à quelque chose...
-Allez-y, je n'opposerai pas de résistance quoi que vous fassiez... 
Ces mots étaient à peine sortis de la bouche de Safera qu'elle sentit que son esprit ne lui appartenait plus, le céphalopode géant partait fouiller le fond de son âme et elle le suivait... La jeune femme était mortifiée à l'idée de cet esprit gigantesque qui fouillait au plus profond d'elle, mais quelque chose lui disait qu'elle n'avait pas à s'inquiéter...
Elle ferma les yeux, et le torrent de ses souvenirs se déversa soudain dans son esprit, des souvenirs choisis dans l'ensemble de sa vie, des souvenirs dont elle croyait avoir oublié certains... Les uns étaient très personnels et n'avaient probablement aucun intérêt pour l'Ômu, d'autres l'embarrassaient parce qu'elle et ses congénères y faisaient usage de violence, d'autres encore, heureusement, appuieraient probablement ses dires aux yeux de l'Ômu... La plupart passèrent trop vite pour qu'elle comprenne de quoi il retournait exactement, mais certains lui apparurent aussi clairement que s'ils se jouaient en ce moment même...

Elle avait quatre ans, elle était toute petite, entourée de Chiss adultes... L'une d'eux la tenait sur ses genoux, sa mère... Ils étaient dans un endroit qui ressemblait à l'intérieur d'un bâtiment, mais le paysage défilait à toute allure par les fenêtres au lieu de rester en place, elle avait peur mais elle aimait cela... La pièce-qui-bougeait s'arrêta soudain, et la mère de Safera l'emmena près d'une fenêtre... Ils étaient tout en haut, dans les airs, elle avait l'impression d'être grande, très grande ! Et au-dessous de la pièce-qui-bougeait, elle voyait maintenant d'infinies étendues du blanc le plus pur ; les glaciers de Csilla, les immenses choses blanches qui entouraient Ac'siel, elle les voyait d'au-dessus comme elle voyait ses parents d'au-dessus lorsqu'ils la soulevaient... Ces glaciers avaient toujours été là, elle le savait, Ac'siel et les autres villes de Csilla étaient creusées sous eux, ils étaient infinis, immortels, meurtriers pour quiconque s'aventurait à leur surface, et... magnifiques, ils étaient magnifiques... On disait qu'il existait d'autres mondes dans la toile noire du cosmos où les Chiss pouvaient vivre à la surface sans équipement et sans mourir de froid ; mais quelle importance cela avait-il s'il fallait vivre loin des glaciers ? En observant la surface de ce que les adultes appelaient la planète, Safera la trouvait... idéale. Les glaciers étaient beaux et immortels, il paraissait impossible à la minuscule Safera du minuscule peuple des Chiss qu'ils puissent être altérés d'une façon ou d'une autre... Safera savait que ceux qui s'aventuraient trop près d'eux sans équipement finissait par en mourir, mais étrangement, cela ne faisait qu'ajouter à leur charme... Il existait donc quelque chose de bien plus important que Safera et même que les adultes, quelque chose qu'elle voulait à tout prix préserver, son cerveau d'enfant ne pouvant imaginer plus noble tâche...

Elle était dans la cour de récréation d'une école, se demandant ce qu'on attendrait d'elle exactement dans ce lieu mystérieux dont lui avaient tant parlé les adultes... En tout cas, il y avait beaucoup d'enfants comme elle, en train de jouer un peu partout sous la surveillance d'adultes qu'on nommait, elle le savait, les maîtres ou les professeurs... Elle avait envie d'aller parler aux autres enfants, voir s'ils pouvaient s'amuser ensemble, mais elle n'était pas sûre de savoir quoi dire exactement... ils semblaient si sûrs d'eux... Deux filles et un garçon venaient lui parler... Elle leur répondit avec un peu d'hésitation, et ils allèrent jouer ensemble ; ils s'amusèrent, mais elle se ne put s'empêcher de craindre de les décevoir tout le long, et elle pensa que c'était tout de même embêtant de devoir demander l'avis des autres avant de jouer à quelque chose... Elle s'amusait moins toute seule, mais elle le faisait librement ; elle ne savait pas très bien ce qu'elle voulait, au fond...

Jamais ! insistait un professeur alors qu'elle était âgée d'une dizaine d'années. Nous ne devons jamais tolérer ce type d'agissements, et ceux qui commettent ces actes ne sont tout simplement pas Chiss, ils se rabaissent eux-mêmes au niveau des autres peuples... Nous ne devons jamais attaquer un peuple les premiers, ce n'est pas à nous de juger qui est dangereux et qui ne l'est pas ; de toute façon, tout peuple qui se respecte doit se donner un code d'honneur et des règles à respecter aussi dures que puissent être les circonstances... Les imbéciles qui font usage de la violence sans en référer aux Familles Régnantes vous diront peut-être que vous êtes prisonniers de nos lois pour se justifier ; mais en vérité, c'est tout le contraire, car en choisissant d'obéir à une loi, c'est à vous que vous obéissez, tandis que les autres sont esclaves de leurs déterminismes, ils agissent de la façon qui leur semble la plus profitable sans se poser plus de questions... Et si notre pacifisme doit un jour entraîner notre perte, ainsi soit-il... Mieux vaut vivre un an en étant soi-même que cent en étant quelqu'un d'autre, et nous ne serions plus les Chiss sans nos principes... Ce sont eux qui nous permettent de dire que nous sommes différents des autres peuples... 

Elle grandissait vite, trop vite, songeait-elle à présent, à douze ans, observant dans un miroir d'un œil préoccupé sa poitrine qui se développait bien trop rapidement à son goût et les poils qui recouvraient à présent sa féminité, convaincue qu'elle ne s'habituerait jamais aux changements qu'elle observait sur son corps, à se demander si celui-ci lui appartenait toujours...

Elle avait quinze ans, elle était allongée sur son lit dans un appartement de Csilla, et elle réfléchissait sans rien faire d'autre que regarder le plafond... Il fallait se rendre à l'évidence, elle n'était pas faite pour la vie sociale... Les autres la gênaient plus qu'autre chose, et eux ne faisaient pas attention à elle ; elle soupçonnait qu'on lui accordait bien peu d'estime sans jamais en avoir la preuve formelle... Elle n'avait pas à en vouloir à qui que ce soit pour cela, c'était ainsi et elle devait faire avec, c'était tout...

Seize ans, elle avait seize ans maintenant, cela faisait au moins trois ans que la vie de presque toutes les autres filles de son âge à sa connaissance semblait tourner autour des garçons tandis qu'elle y restait fermement indifférente... En revanche, elle ne pouvait plus s'y tromper, elle savait ce qu'elle ressentait en regardant d'autres filles, elle savait ce qu'elle désirait d'elles, elle se doutait qu'elle se sentirait plus à sa place en partageant son existence avec l'une d'elle ; ce n'était pas la première fois qu'elle se faisait cette étrange réflexion, et il aurait été absurde de ne pas l'admettre. Pourquoi pas, après tout ? Devait-elle s'en préoccuper ? Non, c'était étrange, certainement, mais ce n'était pas un sujet d'inquiétude. Il fallait simplement qu'elle se fasse à cette idée, cela ne la rendait ni pire ni meilleure qu'une autre, seulement différente sur ce plan.

-Hess'afer'ajaldo, n°27, annonça sobrement un instructeur deux ans plus tard, et Safera sentit son cœur se gonfler de fierté.
Elle allait intégrer l'académie des pilotes de chasse, et si elle travaillait avec rigueur, elle aurait un métier utile à l'Ascendance Chiss et où elle aurait bien moins à se soucier de relations sociales, elle n'était plus prisonnière de cet enfer qu'était la surface, de toutes ces obligations, de ces mille et un conflits sans une goutte de sang... Elle allait travailler dur à devenir une bonne pilote, c'était sûr... Jusque-là, elle ne s'était jamais vraiment soucié de ses études parce qu'elle ne se sentait pas vraiment concernée, elle travaillait juste assez pour atteindre son objectif, mais à présent, il y allait non seulement de son avenir, mais aussi de sa fierté, elle allait prouver qu'elle pouvait être un atout de valeur pour l'Ascendance Chiss alors que personne ne lui avait jamais accordé la moindre importance.

Cette fois, ça y était, elle avait vingt-deux ans, et après quatre ans de formation, elle avait rejoint l'escadron Main Bleue. Elle était plus qu'une simple pilote de chasse, à présent, elle saurait combattre au sol aussi, aborder des vaisseaux ennemis plutôt que de systématiquement détruire... Et maintenant... maintenant, son chasseur fonçait à travers l'espace, il n'y avait personne avec elle, excepté les chasseurs de ses camarades, parmi lesquels Telin et Valdie... Mais peu importait, elle était seule dans son chasseur, l'immensité de l'espace sous les yeux, tant de mondes à explorer, si différents chacun à leur manière de tout ce qu'elle avait connu... Devant ce spectacle, elle n'était plus qu'une minuscule partie de l'univers, tout ce qu'elle avait pu subir et qu'elle subirait n'avait plus d'importance. Et c'était si beau...

Ça y était, la guerre avait commencé... Les Kryshzlas avaient été assez bêtes pour les attaquer sur Farza, les Chiss pouvaient enfin libérer les peuples qui subissaient leur oppression... Ce serait la première bataille d'une telle ampleur de Safera, et elle avait peur, très peur... Pas seulement de mourir, car elle acceptait cette idée avec un étonnant détachement ; elle avait aussi, et même surtout, peur de penser à la responsabilité qui allait maintenant peser sur ses épaules... D'elle et de ses camarades dépendrait la vie de tant de gens... Pire encore, si elle n'était pas immédiatement abattue, elle allait inévitablement devoir tuer, décider arbitrairement qu'elle avait le droit de prendre la vie de pilotes comme elle pour sauver la sienne et celle de ses camarades... Car c'était des pilotes comme elle, elle n'avait pas à juger leurs actions, elle aurait peut-être pu être l'un d'entre eux si elle n'était pas née Chiss... Mais des innocents comptaient sur elle. Cela ne justifierait peut-être pas ce qu'elle allait faire, jamais elle n'en serait fière, et pour cette raison, jamais elle ne se permettrait de juger qui que ce soit... Mais cela lui donnait tout de même la force de faire ce qu'elle devait faire, car il le fallait.
Elle était dans le hangar d'un vaisseau de guerre Chiss, sur le point d'embarquer dans son chasseur, avec les autres membres de l'escadron Main Bleue... Elle regarda brièvement Valdie et les autres, se demandant vaguement comment ils réagiraient si elle était abattue aujourd'hui... Elle n'était pas rejetée et elle ne se privait pas de leur parler de temps à autres, mais elle était cependant indéniablement plus à l'écart que les autres membres de l'escadron...
-Bonne chance, leur dit-elle avant de décoller pour mettre sa vie en jeu...

La guerre s'éternisait, et l'escadron Main Bleue était de plus en plus sollicité pour des missions de ce type. Pour en avoir déjà accompli quelques-unes, Safera avait une bonne idée de ce qu'elle trouverait dans le grand vaisseau gris qui flottait au loin, et cela lui faisait peur...
-Inutile de négocier plus longtemps, Capitaine, martela l'officier Kryshzla dans le canal de communication, sur la fréquence à l'origine destinée au commandant de la force d'assaut Chiss. Vous prenez l'hyperespace sur le champ ou nous faisons sauter ce vaisseau et tous ses passagers... Nous tuerons un civil toutes les cinq minutes. Terminé.
Le cœur de Safera s'emplit de tristesse à l'idée de tous ces gens qui allaient mourir et de ce que les soldats Kryshzlas devraient faire... Tant de vies gâchées, et tant de gens qui devraient vivre avec d'horribles crimes sur la conscience... Elle n'en voulait pas à qui que ce soit, elle était seulement emplie de désespoir en voyant que les choses se passaient ainsi... Maintenant, puisque les Kryshzlas manquaient au devoir de tous les êtres pensants, elle devait faire le sien, et elle ne l'aimait pas...
La voix du Capitaine Chiss remplaça celle de l'officier Kryshzla, cette fois sur la fréquence destinée aux membres de l'escadron Main Bleue :
-Vous avez entendu ? Vous savez ce que vous avez à faire, j'imagine ; ces gens ne seront pas en sécurité tant que les Kryshzlas seront là, de toute façon... Abordez discrètement le vaisseau des réfugiés Nohjlo, et essayez d'en prendre le contrôle avant qu'ils n'en aient tué trop... S'il y a vraiment encore quelqu'un de vivant à bord, bien sûr, mais c'est notre devoir de vérifier... 
-Ici leader Bleu, reçu. Main Bleue, on y va, répondit le commandant de l'escadron.
L'escadron arrivait dans l'ombre de la planète, du côté opposé à la flotte Chiss ; néanmoins, les Kryshzlas finiraient tôt ou tard par les repérer, ils devaient faire vite... Et quoi qu'il en fut, Safera savait qu'ils arriveraient inévitablement trop tard pour certains passagers...
Ils firent pourtant très vite, le fruit d'années d'entraînement intensif et d'une discipline de fer... La formation des Chiss était stricte, très stricte, mais il n'y avait pas besoin pour autant de sanctions particulièrement sévères pour l'imposer, les Chiss savaient que tout cela finirait par les sauver au combat, et tenir le coup leur permettait de montrer leur valeur...
Avec une précision et une coordination typique des militaires Chiss, ils transpercèrent les déflecteurs du vaisseau civil pris en otage pour aller se poser dans le hangar ; ils étaient à peine sortis de leur cockpit que des fantassins Kryshzlas à l'armure d'un blanc sinistre et poussiéreux jaillissaient pour les arrêter, ignorant probablement qu'ils n'avaient pas affaire à des pilotes ordinaires... Les Chiss se dispersèrent aussitôt pour se mettre à l'abri derrière les vaisseaux, et la fusillade commença... Deux fantassins ennemis tombèrent sous les tirs de Safera, et les Chiss eurent raison de leurs ennemis après une tentative de repli paniquée de ceux-ci.
Sans un mot, le commandant leur fit signe de le suivre dans la coursive, et ils se séparèrent en deux groupes... Il ne fallut pas longtemps avant que Safera et ses compagnons ne rencontrent ce que la jeune femme redoutait : des cabines au sol ensanglanté, des réfugiés abattus, égorgés, voir coupés en morceaux, hommes, femmes ou enfants, jeunes ou vieux... Sol, mur ou plafond, rien n'avait échappé aux marques rouges de la violence, tout n'était que rappel flagrant et indélébile dans l'esprit de Safera des vies qui avaient été détruites presque gratuitement ici... Ce n'était pas la première fois qu'elle voyait cela, et ce ne serait pas la dernière...
Le centre de commandement devrait être par-là, normalement, indiqua un Lieutenant, celui-là même que Telin devait plus tard être appelé à remplacer.
Les Chiss poursuivirent leur route, laissant les morts derrière eux pour aller prendre d'autres vies, dans l'espoir qu'il resterait encore quelques civils vivants sur ce maudit vaisseau... Après, ils le quitteraient, ils rejoindraient leur base, ils se reposeraient... Puis ils repartiraient voir d'autres atrocités commises par les Kryshzlas et essayer d'y mettre fin.

-Oui, nous repartons demain, notre travail ici est terminé... 
Elle sentait qu'elle n'oublierait pas ce moment de sitôt, et cela ne devait rien à la chaleur accablante de Tehirahs... Son cœur battait comme il n'avait jamais battu, elle se sentait à la fois euphorique et terrifiée... Elle n'aurait jamais cru qu'elle pouvait éprouver tant de choses à la fois, et cela la faisait se sentir plus vivante que jamais, elle souffrait comme elle n'avait jamais souffert, mais elle aimait aussi comme elle n'avait jamais aimé... Oh, cela avait fini mal tant de fois lorsqu'elle avait essayé de nouer une relation de quelque sorte que ce soit avec quelqu'un, pourvu que ce ne soit pas le cas cette fois-ci, parce qu'elle ne le supporterait pas...
-Je ne veux pas que tu t'en ailles, Safera, vraiment pas, répondit cette femme qu'elle ne connaissait que depuis quelques jours et qui était pourtant devenue le centre de son existence. Tu sais, ça me fait vraiment bizarre de te dire ça, j'ai toujours cru que la seule chose qui m'importait, c'était de servir l'Ascendance Chiss et ceux qui combattent avec moi par tous les moyens, mais depuis quelques jours, depuis que je te connais, ma vie n'est plus la même... et je ne veux pas qu'elle redevienne comme avant. Je veux vraiment te revoir... Je t'aime, Safera.
Safera resta un instant sans rien dire, mille pensées confuses s'entrechoquant dans son esprit pour la laisser paralysée... Quelque chose en elle lui disait qu'elle devait se méfier de Sev'rance Tann, que la jeune femme éprouvait sans s'en rendre compte le besoin de détruire parce que la destruction était tout ce qu'elle-même ressentait, que c'était pour cela qu'elle se sentait obligée d'en faire tant pour la cause qu'elle défendait et pour ses compagnons d'armes ; mais d'un autre côté, elle était irrémédiablement attirée par Sev'rance, et elle sentait qu'au fond, elles n'étaient pas si différentes, toutes les deux... Et puis qu'importait, après tout, Sev'rance l'aimait, elle venait de le dire, et quiconque aimait sincèrement méritait d'être aimé aux yeux de Safera... De toute façon, elle savait qu'elle n'aurait pas la force de revenir à la vie vide qu'elle menait avant de rencontrer Sev'rance. Il y avait enfin quelqu'un qui était de tout cœur à ses côtés, elle avait enfin quelqu'un avec qui être de tout cœur ; face à cela, plus rien ne comptait.
-Nous nous reverrons, Sev'rance, parce que je t'aime aussi. 
Les deux jeunes femmes Chiss restèrent là, en silence, parce qu'elles n'avaient rien de plus à se dire ; elles étaient ensembles, et plus rien de ce qu'elles avaient fait et vécu jusque-là ne comptait, elles n'avaient plus rien à vouloir tant qu'elles seraient ensemble.

Ils avaient réussi une fois de plus, à nouveau une planète avait cédé aux Chiss, et Safera se sentait fière d'elle et de son peuple ; elle revoyait la population reconnaissante acclamant les Chiss alors qu'ils venaient capturer les administrateurs Kryshzlas... La mission avait été dure, très dure, mais elle avait réussi, et l'escadron Main Bleue dans son ensemble avait magnifiquement combattu... Dommage que Safera ait été réquisitionnée d'urgence, mais qu'importait, c'était fini, à présent. Il y avait tout de même une ombre au tableau, et pas des moindres : un pilote qui venait d'intégrer leurs rangs avait été abattu, et bêtement, en plus... Safera ne le connaissait pas vraiment, comme la plupart des membres de l'escadron en fait, car elle éprouvait toujours autant de difficultés à nouer des relations ; mais peu importait, cela ne l'empêchait nullement de ressentir de la peine... C'était même pire, elle ne le connaitrait jamais, et il ne la connaitrait jamais non plus... Cependant, elle avait appris à accepter la douleur de chaque décès, parce qu'elle devait profiter de la chance qu'elle avait d'être en vie, elle.
Et elle avait une bonne raison d'aimer la vie derrière la porte de son appartement sur Csilla, à présent qu'elle pouvait enfin rentrer et finir sa permission... Sev'rance, qui avait également réussi à obtenir une permission pour la retrouver, se jeta dans ses bras dès qu'elle fut entrée et l'embrassa.
Enfin ! Ça a été ?
Oui... On a perdu un pilote, mais les Kryshzlas reculent, et nous avons pu libérer la planète avant qu'ils n'aient fait trop de dégâts... J'étranglerais bien l'amiral qui m'a réquisitionnée malgré la permission, mais bon...
L'important, c'est que tu sois rentrée, et que nous soyons ensemble, maintenant... Tu sais que je ne le supporterais pas, si tu meurs, n'est-ce pas ?
Bien sûr que je le sais, je ressens exactement la même chose... Mais puisque nous sommes vivantes... viens-là. 
Safera ferma la porte et emmena doucement Sev'rance jusqu'à la chambre ; elle l'embrassa et commença à la déshabiller, puis elle ne songea plus qu'à la toucher, à ce qu'elles soient les plus proches possibles l'une de l'autre... Plus tard, elle maudit les Kryshzlas et leur guerre absurde, les Kryshzlas qui les empêchaient d'être réunies plus souvent, elle et Sev'rance, qui les faisaient risquer leurs vies à présent qu'elles s'étaient trouvées quelqu'un avec qui partager ces vies, les Kryshzlas qui détruisaient tant d'êtres à travers les Régions Inconnues, inconscients du mal qu'ils faisaient... Tant qu'ils seraient une menace, Sev'rance Tann et Safera devraient risquer leurs existences pour les combattre, c'était ainsi ; si seulement tout le monde se dévouait autant à la défaite des Kryshzlas, leur empire s'effondrerait dès le lendemain...

Un dernier souvenir traversa distinctement l'esprit de Safera : elle, Telin, Valdie et Wyntar envoyés pour une simple mission de reconnaissance dans le système d'Hautemer qui tombaient dans une embuscade Kryshzla, et tout ce qui avait suivi... Elle eut tout juste le temps de songer que la toile de sa vie aurait été tissée d'horreur et de désespoir autant que d'amour et d'émerveillement avant de basculer dans les ténèbres de l'inconscience.

Lorsqu'elle se réveilla, Safera se demanda une fois de plus où elle était et ce qui était réel parmi les souvenirs confus qui s'entrecroisaient dans son esprit... Elle n'était certainement pas dans un vaisseau de guerre Chiss pour commencer, il serait peut-être temps qu'elle parvienne à accepter cette réalité, elle était prisonnière d'Hautemer... D'ailleurs, sa combinaison était là pour le lui rappeler... Alors, les évènements récents se remirent en place dans la tête de la jeune femme comme un puzzle, mais elle fut si surprise par le résultat qu'elle se demanda si elle n'avait pas mal assemblé certaines pièces ; leur marche surréaliste à travers la gigantesque forêt d'algues, les hallucinations terrifiantes à deux doigts de faire basculer leur santé mentale, l'étrange caverne et les Ômus qui y siégeaient... Wogorn, le titanesque céphalopode télépathe qui avait passé en revue les moindres recoins de son esprit pour savoir à quoi ressemblait le monde des êtres de la surface et déterminer si les Kryshzlas étaient ou non une menace à éradiquer... Savoir si elle et Valdie méritaient d'être sauvées...
Valdie.
Où était-elle ?
Safera ouvrit les yeux. Elle n'était plus dans la caverne des Ômus, non... Elle était sur une colline cernée d'une forêt d'algues géantes, dans ces profondeurs où il faisait toujours nuit ; c'était probablement la colline qui précédait la caverne... oui, l'entrée était là, mais Safera n'avait pas vraiment envie d'y tenter sa chance une deuxième fois.
Valdie était étendue à côté d'elle... Elle était encore inconsciente, mais son pouls battait toujours, et Safera sentit son âme tout entière réchauffée par ce miracle... Tout ce qu'elle avait fait depuis qu'elle avait annoncé à Telin qu'elle retournait chercher Valdie sur Hautemer n'aurait pas été vain...
La combinaison de Valdie avait visiblement été déchirée puis recousue au niveau de sa poitrine et de son ventre ; Safera se demanda qui avait fait cela et qui les avait déposées ici, les Ômus en étant à l'évidence incapables, mais peut-être avaient-ils d'autres serviteurs que les Chayerda... À moins que le mystérieux champ d'énergie qu'ils maîtrisaient ne puisse également compléter leurs tentacules ? Safera ne le saurait vraisemblablement jamais.
Éprouvant soudain le besoin irrépressible de parler de tout cela, elle commença à secouer un peu Valdie dans l'espoir de la réveiller... Plus tard, elle s'occuperait de retrouver Wyntar et Telin...
Elle est réveillée ! 
Non, finalement, ils étaient déjà là... Valdie attendrait encore un peu. Safera sourit comme elle n'avait jamais souri en voyant la silhouette de Wyntar qui montait vers elle, toujours revêtu de sa combinaison qui était devenue la seconde peau des Chiss sous l'océan ; Telin le suivait de peu.
Lorsqu'ils furent parvenus à leur hauteur, ils ne dirent rien, les mots auraient été bien trop réducteurs pour exprimer ce qu'ils ressentaient ; Telin prit Safera dans ses bras quelques minutes, puis Wyntar fit de même, ils s'étreignirent plusieurs minutes en riant comme des enfants, heureux au-delà des mots de voir qu'ils étaient toujours en vie tous les quatre... Que pouvait-il bien leur rester à affronter après tout ce qu'ils avaient traversé ? Ils pouvaient être heureux sans craintes, tout ce qui pouvait encore leur arriver n'était rien comparé à ce qu'ils avaient déjà subi...
Enfin, Wyntar prit la parole:
-Tu ne peux pas savoir à quel point nous sommes heureux de vous retrouver toutes les deux en vie...
-Oui... renchérit Telin. Tu sais, j'ai vraiment cru que nous avions causé votre mort en refusant de t'aider pour poursuivre des hallucinations... et nous t'avons laissée porter Valdie toute seule... c'est ma faute, désolé.
Safera sourit.
-N'importe qui se serait enfui devant les spectres, n'importe qui aurait refusé d'aller rencontrer les Ômus pour sauver Valdie, n'importe qui m'aurait laissée aller chercher Valdie sur Hautemer toute seule... Tant pis si vous n'avez pas pu m'aider à ce moment-là. Nous étions quatre quand nous sommes arrivés sur Hautemer, nous sommes toujours quatre ; c'est tout ce qui compte.
-Les Ômus ont guéri Valdie, alors ?
-Apparemment, oui... Je ne sais pas comment ils s'y sont pris.
Safera leur raconta tout ce qui s'était passé depuis qu'elle les avait laissés ; la grotte obscure, l'immense salle baignant dans la lumière et la vie, la gigantesque masse de tentacules intelligente qui avait fouillé les moindres recoins de son esprit... Wyntar et Telin écarquillaient les yeux.
-Vous pensez qu'ils vont autoriser les Hynors à attaquer les Kryshzlas, alors ? demanda Telin.
-Aucune idée... J'imagine que les Hynors nous le diront à notre retour...
-Eh bien, quand Valdie saura tout ce qu'elle a raté... commenta Wyntar. À propos, on la réveille ?
-Tout de suite. 
Safera recommença à secouer Valdie, dont les yeux s'ouvrirent finalement avec une expression de totale incompréhension.
-Hein ? Qu'est-ce que je... où est-ce que...
-Calme-toi, c'est Safera. C'est bon, tu es vivante... Tu te rappelles de notre dernière mission ?
-Oui... oui, Safera, je me rappelle... mais pourquoi est-ce que nous sommes... nous sommes sous l'eau, c'est ça ? Et qu'est-ce que c'est que ce truc que je respire ?
-Je vais tout t'expliquer, Valdie, mais cela va prendre un peu de temps... 

Safera narra toute l'histoire depuis le début à Valdie : comment elle avait plongé vers Hautemer pour la sauver, Wyntar et Telin qui l'avaient suivie, les Hynors qui avaient saisi Valdie alors que Safera tentait désespérément de l'atteindre en nageant presque nue dans l'océan glacial, le geste désespéré qui avait conduit Safera, Telin et Wyntar à Fayg, la façon dont les Hynors les avaient accueillis et les explications qu'ils leur avaient données, Sev'unt'alani qui s'était établi ici, elle sur le point de mourir tandis qu'ils lui faisaient leurs adieux malgré son inconscience, et finalement, cette expédition désespérée au cœur des légendes Hynors pour la sauver... À mesure qu'elle racontait, Safera prit davantage encore conscience de l'invraisemblance de toute cette aventure, qui était pourtant vraie...
Tandis qu'elle contait cette incroyable histoire, Safera vit le visage de Valdie passer par toutes les expressions ; finalement, sous le regard stupéfait de ses trois compagnons, elle eut un étrange éclat de rire.
-Je suis désolée... dit-t-elle. Mais tout cela est tellement dingue... Vous êtes en train de me dire que nous sommes sous l'océan à jamais, que nous sommes logés par des serpents de mer et que vous venez d'affronter des fantômes et des calmars géants télépathes pour me sauver?
-C'est un bon résumé, admit Wyntar avec un sourire. C'est dingue, oui, et c'est vrai...
-Oh, je vous crois, pour que nous nous retrouvions au fond de l'océan, il faut bien que nous ayons traversé quelque chose de complètement dingue... Mais c'est... désolée, mais c'est hilarant d'entendre des choses pareilles ! En tout cas... le plus fou, c'est que vous ayez fait tout cela pour moi... Je ne sais pas quoi vous dire, je ne pourrais jamais vous remercier assez... vous êtes cinglés, mais je vous suis plus reconnaissante que je ne pourrais jamais le dire...
-Tu voulais te sacrifier pour nous sortir de là... nous ne pouvions pas te laisser, Valdie, vraiment pas, expliqua Safera avec le plus grand sérieux. Tu... tu nous en veux de ne pas avoir fui alors que tu nous en donnais l'occasion ?
-Je devrais peut-être... mais tout ce qui me vient à l'esprit, là, c'est que je suis profondément heureuse d'être en vie, et profondément heureuse d'être avec vous trois ; cinglés ou pas, ça fait vraiment plaisir de savoir qu'il y a des gens comme vous... Dommage pour tous ceux que nous laissons à la surface, mais tant pis, nous n'avons pas le choix...
-Tu verras, tu ne seras pas mal à Fayg, affirma Telin d'un ton rassurant.
-Je n'en doute pas, et de toute façon, nous y serons ensemble... Tiens, à propos... (avec un grand sourire, Valdie adressa un regard entendu à Safera) puisque nous sommes deux hommes et deux femmes ici, dis-moi lequel tu te fais, que je m'occupe de l'autre...
Safera sourit, un peu gênée mais amusée.
Aucun des deux...
-Oh, tu n'es pas marrante...
-Laisse tomber, Wyntar lui a déjà proposé, mais Mademoiselle préfère les femmes...
-Oh... Je suis la seule proie disponible pour vous trois, alors ? Très flattée... Safera, par contre, soit tu arrives à me convertir mais ça m'étonnerait, soit c'est toi qui va devoir changer tes préférences, parce que là ! Mais qu'est-ce que je raconte, je viens de me réveiller après des jours d'inconscience, j'ai frôlé la mort et je... enfin bref, laissez tomber. On peut rentrer, que je découvre cette ville de serpents de mer ?
Safera était du même avis ; à présent que tout cela était fini, elle voulait vite revenir à Fayg et oublier tout cela... et se changer, aussi, ce ne serait pas superflu.
-Euh, pourquoi, on est censé connaitre le chemin pour sortir d'ici ? demanda Wyntar avec un bref éclat de rire.
-Safera ? demanda Telin, plus sérieusement.
-Non, les gars, les Ômus ne m'ont pas laissé de carte de la région, ni de guidage par satellite...
-Ah ? Bah, alors il va falloir espérer que nous finissions par sortir...
-Voilà, et sinon, peut-être que des êtres qui habitent dans le noyau de la planète viendront à notre secours... 
Vivants et heureux de l'être, les quatre Chiss redescendirent dans la forêt, guidés uniquement par la lumière de l'espoir qui réchauffait leurs cœurs à travers le froid et les ténèbres éternels de l'océan... Mais cette fragile lueur suffisait.
<< Page précédente
Page suivante >>