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L’Éclosion du Mal
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Chapitre 3
 
« L'homme est plus disposé à la domination qu'à la liberté, et la structure de cette autorité ne réjouit pas que l'oeil du maître qui l'élève et la protège, mais jusqu'à ses propres agents, qui sont transportés par la pensée qu'ils sont membres d'un tout, s'élevant haut au-dessus de la vie et de la force des générations individualistes. »

W.Humboldt



Je regardais la foule tout comme elle me regardait.
Mais ni elle, ni moi, ne voyions la même chose.
Elle, elle m'observait d'un oeil inquiet, alors que j'étais engoncé dans cet uniforme rendu luisant par la pluie, griffé de l'insigne impérial au col ainsi que du grade de commandant de la CompForce, à la poitrine.
Elle contemplait mes yeux vert émeraude par dessous ma casquette de cuir ruisselante d'eau. Elle entendait ma voix, mais ne l'écoutait pas.
Elle était hébétée de se trouver là, entourée d'un cordon de soldats armés de blasters à répétition E-Web.
Elle ne comprenait pas tout à fait pourquoi des soldats avaient brusquement pénétré dans la cité, frappant à ses portes et la traînant jusqu'à la grande place de la ville, alors qu'elle était encore en habits de nuit. La réalité de la guerre avait brusquement rattrapé la foule. Elle avait vu le conflit de loin, sur l'Holonet, elle connaissait le sens des mots combat, défaite et occupation. Mais jamais elle n'aurait pensé en faire l'amère expérience.
Après tout, la foule était composée de civils. Certains d'entre eux avaient peut-être fait la Guerre des Clones, mais c'était il y avait longtemps, près de vingt ans. Et ils voyaient ces soldats en armure blanche, aux côtés desquels ils avaient lutté pour une cause qui leur avait semblé juste, s'en prendre à présent à Fyr, leur monde. Sauter depuis l'hyperespace à bord de destroyers stellaires, envoyer une armada d'hommes et de chars au sol, noircir le ciel de chasseurs TIE. Tout ça parce que la foule avait choisi de dire non à la politique impériale, de choisir le camp de la toute jeune Alliance Rebelle, plutôt que celui de l'Empire.
Un groupe de stormtroopers passa derrière elle, fendant les rideaux de pluie au pas de l'oie.
Petit à petit, au fur et à mesure que les gouttes de pluie lui fouettaient le visage, la foule sentit son hébétude se fissurer. Doucement au début, comme du permabéton qui s'effriterait lentement. Puis, les failles s'agrandirent. Elles se lièrent, créant des crevasses. Enfin, la stupeur s'en alla d'un bloc, comme balayée par une vague puissante. Alors la foule comprit la situation.
Et elle eut peur.
La peur. Comment résumer la doctrine du Grand Moff Tarkin en un seul mot.
Le lieutenant-gouverneur d'Eriadu était fermement assuré que la terreur assurerait le contrôle de l'Empire sur la galaxie. Que s'il frappait avec assez de violence, instaurant un climat de paranoïa perpétuelle, poussant à la délation, personne n'oserait relever la tête. Tarkin était persuadé que sa doctrine assurerait la suprématie de l'Empire pour les dix mille ans à venir.
Tarkin était un idiot.
S'il n'avait pas persuadé Palpatine que la peur tiendrait les habitants de la galaxie en laisse comme de bons petits squalls, jamais la Guerre Civile n'aurait éclaté. Des opposants à l'Empire, il y en avait toujours eu. Certains plus virulents que d'autres allant jusqu'à tenter des coups de force contre le régime de Palpatine. Mais ils n'avaient jamais été une menace, du moins, jusqu'à maintenant.
La doctrine Tarkin, qu'on pouvait résumer par "ordonne un Base Delta Zéro, bombarde tout ce qui reste encore debout, fais fusiller tout le monde encore vivant, achève les survivants et pose les questions ensuite", avait poussé les opprimés à se liguer ensemble, contre nous. Les minuscules cellules rebelles s'étaient agglutinées, jusqu'à former l'Alliance pour la Restauration de la République. Inutile de dire à quel point les membres du Comité pour la Préservation de l'Ordre Nouveau haïssaient les rebelles.
Bon nombre de mes collègues avaient le massacre facile, peut-être encore plus que leurs homologues de l'armée régulière. Je devais être une des rares exceptions de tout le COMPORN.
Ce n'était pas tant par souci de moralité que par pragmatisme que je m'opposais aux exactions de notre camp. J'essayais de faire ce que j'avais toujours fait, d'envoyer une image positive à la masse, fut-elle notre ennemie et m'appuyer sur elle.
Tout était une question de mise en scène. Ce n'était pas pour rien que j'avais fait installer la majeure partie de nos troupes en dehors de la ville. Je ne voulais pas voir les TR-TT et les quadripodes déambuler dans les rues. De même, j'avais ordonné à ce que l'on limite les patrouilles aériennes au-dessus de la cité. Tout ceci devait servir à faire comprendre aux habitants de Fyr que, malgré la défaite de leurs troupes, la veille, sur les Plaines de la Félicité, à une centaine de kilomètres à l'ouest de la capitale, nous n'étions pas ici pour les oppresser.
La bataille avait été plus rude que prévu. Nous avions perdu près de cinq mille hommes lors de l'affrontement, ainsi qu'une dizaine de chasseurs TIE. Mais c'était au final peu, comparé aux pertes fyriennes : la moitié de l'armée locale, soit près de huit mille soldats, était tombée face à nos stormtroopers. Le reste s'était rendu et était acheminé en ce moment même vers des navires de détention militaires. Le nombre n'avait pas joué en faveur des locaux. Leur équipement et surtout, leur esprit combatif, ne purent rivaliser avec le fanatisme des troupes impériales. Une victoire de plus à ajouter au palmarès du COMPORN. Un triomphe de plus à mon tableau de chasse.
J'avais été promu commandant de la CompForce deux semaines avant notre arrivée sur Fyr.
Désormais, ce grade n'avait plus rien d'honorifique.
Je n'avais pas gagné ces fonctions le lendemain de la purge. Il m'avait fallu du temps, des relations et abattre une montagne de travail durant près de neuf ans pour parvenir à ce rang.
Ishin Il-Raz aussi avait pris de l'avancement. Comme onze autres hauts dignitaires, il s'était vu octroyer le grade de Grand Amiral Impérial, troquant ses habits habituels pour un splendide uniforme blanc.
Comme ses onze homologues, Il-Raz était donc théoriquement le quatrième homme fort du régime, derrière Pestage, Vador et Palpatine lui-même, bien entendu. Quant à moi, j'étais ni plus ni moins que son subordonné immédiat, ne recevant d'ordres que de Il-Raz en personne.
Pour résumer, à un peu moins de quarante ans, je n'étais rien de moins que l'un des hommes les plus influents de l'Empire, numéro deux de son organisation la plus puissante après l'armée. Mais pour la galaxie, j'étais encore et toujours le Petit Avocat.
Mine de rien, j'aimais mon titre officieux. J'entendais les surnoms de mes homologues et ils étaient rarement flatteurs. Alors que le sobriquet dont on m'avait affublé avait en lui une sorte de tendresse, d'amour, qui me plaisait tout particulièrement. Même ici au coeur de la nuit sur Fyr, des gens dans la foule avaient murmuré mon nom alors que je m'étais avancé sur le parvis d'un grand hôtel particulier, que mes hommes transformaient en QG en ce moment même. J'avais parlé longtemps. Longuement, sous une pluie battante, devant une foule arrachée à la chaleur de ses draps. Ce n'était pas la pluie molle et grasse de Fejor, mais une ondée agressive, qui fouettait avec violence la moindre parcelle du corps. Parfois, on retrouvait même de minuscules copeaux de glace mêlés à l'eau, qui faisaient perler de microscopiques gouttes de sang lorsqu’elle s'écrasait sur la peau nue.
Cela ne m'arriverait pas. Ma tenue ne laissait pas une parcelle de mon corps soumise aux attaques de la pluie. Quand j'étais à la tête des troupes, je troquais mes éternels complets ocre pour ma tenue militaire. Et comme tout haut personnage de l'Empire, j'avais eu le droit tacite de le modifier à ma guise.
Avant tout, j'en avais personnalisé la couleur. Dédaignant les habituels schémas que l'on pouvait retrouver ici et là, j'avais opté pour un amas de nuance sombres, proche du noir absolu. Mes décorations et mes médailles étaient argentées, afin de ressortir clairement. Le jais et l'ocre.
C'étaient mes couleurs, mon héraldique. J'étais le seul au sein du COMPORN à les porter. Ainsi, je marquais l'esprit du public. Qu'il voie du noir ou de l'ocre et il pensait automatiquement à moi. Un effet simple et terriblement efficace de manipulation mentale.
La manipulation. C'était devenu ma tâche principale au sein du Comité : "Délégué du COMPORN à la Communication et aux Relations Publiques". Un titre bien élégant pour désigner le maître absolu de la propagande impériale. J'étais en charge de tout ce qui avait trait à la culture de masse. Je parlais au peuple, faisais retoucher les holofilms pour qu'ils entrent dans la ligne de l'Empire, faisais censurer des hololivres subversifs...
Je ne pouvais pas dire que j'aimais ce travail, mais j'y étais bon. Excellent même. Ce n'était pas un hasard si ce poste de délégué avait été créé pour moi.
Il ne fallait d'ailleurs pas se leurrer. Mes compétences et mes relations étaient les seules raisons qui m'avaient protégé des purges. Après la première d'entre elles, neuf ans auparavant, le COMPORN fut encore purifié deux fois, se débarrassant coup sur coup des éléments du Comité jugés peu fiables, puis des modérés.
Les places vacantes furent confiées aux jeunes hommes et femmes qui sortaient des Groupes SubAdultes. On remplaça la compétence par le fanatisme. Je crois qu'il n'y avait plus que mon réseau qui n'était pas radical. Je possédais presque une partie du COMPORN, des êtres qui m'étaient tout dévoués, à moi en priorité, puis seulement ensuite au Comité.
Le plus curieux, c'était que je ne m'étais pas aliéné le reste de l'organisation au fur et à mesure qu'elle sombrait davantage dans l'extrémisme. Les nouveaux cadres me connaissaient depuis leur entrée dans les SA et beaucoup voyaient en moi le successeur naturel d'Ishin Il-Raz. L'ironie de l'histoire voulait que mon nom reste attaché aux Zones de Protection Aliens, dont j'avais été, il est vrai, le premier moteur. Même maintenant, alors que ces zones couvraient des quartiers entiers de ghettos, surveillées en permanence par des soldats de la CompForce qui tiraient sans sommation sur le premier non-humain qui tentait de sortir du secteur, j'étais vu comme le père spirituel de ces mesures. Et les fanatiques du Comité m'adoraient pour ça.
Mes idées ne plaisaient guère au reste de l'Empire. On me considérait parfois comme trop mou, trop laxiste. Plus d'un impérial aurait fait tirer mille fois ses troupes dans les situations où je m'étais trouvé.
Mais encore une fois, tout était question d'illusion. De réputation.
Je me moquais bien des échos de ma renommée auprès du COMPORN, du moment que j'avais l'aval de mes chefs et que mon réseau me suivait. En revanche, j'étais bien plus soigneux avec les populations ennemies.
Je faisais tout pour me montrer le plus humain possible - sans mauvais jeu de mot - essayant d'éviter les affrontements. Pas par peur du conflit : mes hommes étaient bien équipés et entraînés. J'avais rarement perdu une bataille. Mais je croyais surtout à la guerre psychologique. Pour moi, la victoire s'obtenait avant tout dans la tête. Vous pouviez enfermer un rancor dans la cage la plus solide du monde, il finirait par se révolter et attaquerait ses gardiens. En revanche, si la cage était assez grande pour qu'il ait de la place pour se déplacer, qu'il soit bien traité et si l'on pouvait atteindre l'idée utopique qu'il ne voie même plus sa cage, alors nous aurions gagné. Notre présence sur Fyr était un fait et non une acceptation progressive par la population locale.
Mais elle devait apparaître comme telle aux yeux de cette dernière.
Une fois le plus féroce des chiens kath endormi, l'a-t-on déjà vu mordre quelqu'un ?
Voilà quel était le sens de mon discours nocturne devant les notables de Fyr, sous cette pluie glaciale.
- Et je vous assure, dis-je en levant la main droite, qu'il n'y aura pas de gouverneur impérial sur Fyr. Votre planète restera totalement indépendante. Notre présence ici n'a pas d'autre but que d'assurer votre sécurité pendant cette période de transition.
Une façon bien tournée pour dire que nous étions des forces d'occupation et que nous allions nous établir ici jusqu'à être certains que Fyr ne ferait plus jamais l'erreur de rallier l'Alliance Rebelle.
Je parlai encore de choses et d'autres et tournai les talons. Je m'enfonçai dans le luxueux hôtel particulier que nos troupes aménageaient en QG en ce moment même. Les possesseurs légitimes avaient été expropriés, légalement, bien entendu. On pourrait les reloger sous peu, dans une aile du bâtiment laissée à leur convenance. Ainsi, ils auraient encore l'impression d'être chez eux et ne protesteraient pas trop. La manipulation tenait parfois à peu de choses. Les décorations des lieux croulaient sous les caisses de matériel et tout n'était que déballage, branchement de câbles, courses, ordres, rapports. Alors que je grimpais le sublime escalier de marbre de l'hôtel particulier, inondant la moquette à mon grand regret, de trombes d'eau, une nuée d'assistants et de subalternes se précipitèrent sur moi, pour recevoir mes ordres.
- Ils ne changent pas, expliquai-je à un capitaine de la CompForce, ce sont toujours les mêmes : personne ne touche au moindre cheveu d'un civil fyrien, et surtout pas aux femmes. Je ne tolérerais aucun débordement. Tout ce que prend un soldat devra être payé. Et les officiers supérieurs ne pourront être logés au sein des civils qu'après l'accord express de la population, c'est bien compris ?
L'officier consulta un datapad à la va-vite :
- Commandant, on nous signale des bribes d'agitation en ville. Doit-on intervenir ?
- Laissez-les courir dans tous les sens si ça les amuse, dis-je sans cesser de grimper les marches. Ils viennent juste de se rendre compte de notre présence, après tout, on peut comprendre qu'ils soient un peu déboussolés.
- Pas de couvre-feu, donc ?
Je marquai un instant de réflexion, m'appuyant contre la rambarde du grand escalier alors qu'une douleur bien connue venait lentement s'installer dans mes poumons. Fichue pluie. Ma poitrine était au supplice.
- Instaurez tout de même des barrages aux sorties de la ville, articulai-je avec application alors que la souffrance gagnait doucement en intensité. Circuler n'est pas interdit, mais je veux que les soldats relèvent l'identité de toute personne qui passera le checkpoint. Compris ?
- Oui, Commandant ! s'exclama le capitaine en claquant les talons et en détalant, non sans avoir exécuté le salut du Comité.
Quoique non, je me devais d'être honnête. Le salut n'était pas tout à fait celui du Comité. C'était plus le mien, en réalité.
Le salut impérial était un geste simple : il suffisait de tendre le bras à l'horizontale, parallèlement au sol et de dissocier le pouce des autres doigts de la main. J'avais lancé une variante : le bras était placé plus haut, décrivant un trait ascendant et tous les doigts de la main étaient joints. La différence pouvait sembler subtile, mais elle en disait beaucoup. J'avais été le premier à lancer mon bras de cette façon, et j’étais à présent ravi de voir que l'effet de mimétisme s'appliquait une fois de plus. Il ne fallut que quelques semaines aux membres du Comité qui m'étaient attachés pour accomplir ce salut à la place de l'ancien. Ainsi, en fonction du salut impérial exécuté, l'ancien ou le nouveau, je savais généralement si la personne m'était loyale ou non. Encore de la manipulation mentale. Et encore une fois, redoutablement efficace.
Je continuai de grimper les marches quatre à quatre alors que le feu remontait dans ma trachée tandis que mes ordonnances s'affairaient autour de moi. Je toussai deux fois et réprimai un cri de douleur.
- Je vais prendre une douche chaude, mes bronches en ont besoin. Assurez-vous que le chauffe-eau fonctionne bien, toussai-je en atteignant enfin l'étage supérieur et en mettant le cap vers mes quartiers. Où en est l'équipe de liaison ? Ont-ils tout mis en place ?
- Ils tentent d'avoir un signal viable, monsieur le Délégué, m'expliqua un jeune SA. L'orage brouille les communications, il est dur d'obtenir le moindre signal.
- Alors, qu'ils se débrouillent comme ils veulent, mais dans quinze minutes, je veux un rapport préliminaire sur la situation, prêt à être contresigné et envoyé au siège du COMPORN. Le Grand Amiral Il-Raz ne supportera pas d'attendre plus longtemps.
Je consultai ma montre et calculai rapidement le décalage horaire avec Coruscant :
- Et qu'ils m'établissent aussi un holocom privé avec mon appartement, sur le Centre Impérial. J'aimerais parler à ma fille.
- Certainement, monsieur le Délégué, répondit le SA en relayant mes ordres.
Je congédiai le reste de mes assistants d'un geste de la main alors que je pénétrais dans ce qui serait mes quartiers privés durant l'occupation de Fyr. Une luxueuse volée de pièce, avec une grande chambre, une bibliothèque et une salle d'eau. Le maître des lieux y tenait aussi son bureau mais je choisis de travailler ailleurs. Occupation ou non, je n'allais pas changer mes habitudes. Dans mes appartements, je ne me considérais plus comme en service. Et je ne ramenai jamais de travail à la maison.
J'allai dans la salle de bain, jetai mes vêtements détrempées sur le premier portemanteau venu et me glissai sous la douche. Premier bon point, les robinets fonctionnaient.
Je n'aurais pas aimé devoir me borner aux douches soniques. J'avais besoin de la sensation de l'eau sur mon corps comme un aveugle avait besoin de sons. Je réglai la température de la douche sur "très chaud", presque à m'en faire cloquer la peau. Hormis un certain attrait pour la chaleur, c'étaient mes poumons qui réclamaient ce traitement. Les crises diminuaient lorsque le froid s'en allait.
Me plaquant contre le mur, je m'agenouillai et me recroquevillai. Je laissai l'eau courir sur moi alors que je poussais un long soupir de frustration.
Combien de temps encore supporterais-je cela ? De servir une organisation à laquelle je ne croyais plus ? A faire ordonner des choses terribles, à signer des ordres immoraux ?
Je me sentais trahi par la nouvelle génération de cadres. L'ancienne était tout aussi spéciste, mais ce n'était pas la même chose. Elle était spéciste pour des raisons idéologiques, personnelles, économiques parfois. Mais cette nouvelle génération que nous avions formée, les anciens SA, ils haïssaient les aliens parce que nous leur avions dit de le faire. Nous leur avions enseigné la haine et la supériorité naturelle de l'humain sur toutes les autres races.
Mon neveu était un parfait exemple. À quinze ans, il était en phase de devenir major de sa promotion SA.
Je ne pus m'empêcher de songer à mon propre cas, à la sortie de l'école de droit, plus de douze ans plus tôt. Je n'étais donc pas le seul de ma famille à frayer avec le succès. Quoique je ne savais pas si succès était le terme idéal pour décrire le parcours de Pakn. Il correspondait à tous les critères de la ligne du régime, au point que cela en devenait inquiétant. Il militait avec ardeur, avait coupé les ponts de lui-même avec ses amis aliens et jouissait d'une bonne réputation au sein de son groupe. C'était le neveu du Petit Avocat et il n'hésitait pas à le faire savoir à qui voulait l'entendre. Fidèle à l'Ordre Nouveau jusqu'à l'aveuglement, je m'étais toujours demandé si je n'étais pas quelque part responsable de son fanatisme. Après tout, j'avais été le premier, neuf ans plus tôt, à l'enterrement de mon père, à lui offrir un brassard du COMPORN.
Brassard qu'il arborait toujours fièrement, soit dit en passant.
Je grimaçai quand un jet d'eau plus chaud que les précédents s'écrasa sur ma clavicule. Je coupai l'eau et restai encore un moment assis sur le sol carrelé, à réfléchir.
Au final, je ne pouvais pas me retirer du Comité, même si j'en avais envie. J'étais un personnage trop important, j'avais travaillé trop dur pour tout lâcher. Et puis, je pouvais essayer de modérer les actions de mes collègues sur les populations civiles. Peut-être qu'ainsi, elles ne se rallieraient pas à l'Alliance Rebelle, nous laissant une chance de remporter la guerre civile.
Exactement un quart d'heure plus tard après m'être douché, je signais et envoyais le rapport préliminaire à Ishin Il-Raz avant de me retirer pour la nuit dans mes quartiers.
Mes ordres avaient été suivis et la console d'holocom portative était prête et fonctionnelle, branchée sur mon appartement de Coruscant. Je m'assis devant elle et pressai le bouton d'activation. Aussitôt, l'image bleutée de ma fille apparut.
- Bonjour papa ! chantonna cette dernière.
- Bonjour, ma chérie, répondis-je en souriant franchement.
Eesla avait huit ans depuis un peu plus d'un trimestre et mesurait déjà plus d'un mètre vingt. Il fallait croire qu'elle n'avait pas hérité de mes gènes pour ce qui était de la croissance. Si cela continuait ainsi, elle me dépasserait avant de fêter son quinzième anniversaire !
J'avais eu de la chance avec ma fille. Durant les neuf mois de grossesse d'Eleiza, j'avais eu peur jusqu'au dernier moment que les origines hapans de mon ancienne maîtresse ne se retrouvent chez Eesla. Non que cela m'aurait gêné d'un point de vue personnel. Mais le numéro deux du Comité pour la Préservation de l'Ordre Nouveau, dont la propre fille ne serait pas purement humaine... J'aurais pu avoir des problèmes. Par chance, Eesla n'hérita pas des yeux de sa mère. Au regard du monde, elle était humaine à cent pour cent.
J'avais dû déployer une véritable machine de guerre pour cacher ses véritables origines au Comité. J'avais usé de mon argent et de mon pouvoir pour faire disparaître jusqu'au dernier morceau de filmplast qui pourrait prouver quelque chose. Les gardiens, le médecin qui avait examiné mon ancienne maîtresse et globalement, tous ceux qui dans le Centre de Détention Impérial savaient qu'Eleiza avait mis au monde une petite fille avaient été contraints au silence, par le biais de grosses sommes de crédits, de mutations et de subtiles menaces. Ils savaient que j'avais le pouvoir de les faire exécuter s'ils ne disaient ne serait-ce qu'un mot sur ma fille.
Kraik non plus ne dirait rien. Même si nous ne pouvions pas vraiment nous définir comme amis, il était membre de mon réseau et savait qu'il me devait l'ensemble de ses promotions de ces dix dernières années. Il ne serait pas devenu Colonel de la CompForce sans moi.
Enfin, restait le problème d'Eleiza elle-même. Je n'avais eu d'autre choix que de me défaire d'elle.
Définitivement.
Un "accident médical" avait eu raison de la vie de mon ancienne maîtresse quelques heures seulement après l'accouchement de ma fille. Le rapport de décès, quant à lui, avait mystérieusement été égaré.
Il allait de soi qu'Eesla ne saurait jamais la vérité sur sa mère. Je lui avais dit que cette dernière était morte en la mettant au monde, ce qui au final n'était pas si faux. Eleiza était condamnée au moment où sa fille poussa son premier cri.
- Quand rentres-tu à la maison ? demanda ma fille, enroulant une de ses mèches de cheveux, d'un blond presque blanc, entre ses doigts.
- Pas avant quelques mois, ma chérie, expliquai-je en grimaçant. Mais peut-être que dans quelques semaines, je pourrais venir te voir.
Le visage de ma fille s'éclaira immédiatement à l'effet de cette annonce.
- Pour de vrai ? demanda-t-elle.
- Pour de vrai, lui assurai-je. J'ai beaucoup de travail, mais je trouverais toujours du temps pour toi. Tu es la personne que j'aime le plus au monde, tu le sais, ça ?
Eesla opina du chef.
- Je vais devoir y aller, ma chérie. Je vais essayer de rappeler demain ou après-demain. En attendant, reste sage, occupe-toi bien de Boldni et obéis bien à oncle Dakcen, d'accord ?
- Oui papa ! s'exclama ma fille. Je t'aime. Bisous.
- Je t'aime aussi, ma chérie. Bisous.
J'éteignis la console avec un pincement au coeur. Ma fille me manquait déjà. Je ne la voyais que trop rarement à cause de mes horaires de travail et il était exclu qu'elle m'accompagne là où j'allais. Ce n'était pas la place d'une enfant.
Resté seul dans la pièce, j'étouffai un bâillement en m'étirant et me dirigeai d'un pas traînant vers le lit. Je n'avais que quelques heures devant moi avant de reprendre mon travail. Même le chef d'une armée d'occupation avait besoin de sommeil.

Une grosse boîte de chocolats. C'était la première image qui se gravait dans mon esprit lorsque j'observais la cité depuis le point le plus haut de la ville, accoudé au balcon du dernier étage du palais de Fyr.
Une de ces boites de chocolats bombés, où les friandises sont alignées les unes à côté des autres, ne donnant l'impression que de voir une multitude de dômes. C'était tout à fait Fyr : l'ensemble de la capitale n'était que bulbes et coupoles. J'avais beau porter mon regard dans toutes les directions, je ne voyais pas un seul toit plat. Même le palais dans lequel je me trouvais actuellement avait une architecture originale : il évoquait très clairement une flèche, montant haut dans le ciel, surplombant la ville et ses alentours, devenant ainsi l'édifice le plus haut de la planète.
Un de mes pilotes TIE l'avait appris à ses dépens quand il avait failli écraser son chasseur contre l'immense édifice lors de la parade de la victoire, deux mois plus tôt. Cela avait été un beau défilé. Nous avions marché dans les rues fyriennes en ordre, au pas de l'oie, en rythme avec l'hymne impérial. Ou plutôt, mes troupes avaient marché. Moi, j'avais assisté au défilé depuis la tribune officielle, en compagnie de mon plus proche Etat-Major, tendant le bras pour saluer mes hommes près de trois heures durant. Épuisant. Mais cela en valait la peine. Les images prises par les holocaméras que j'avais fait disposer aux endroits clés du défilé avaient à peine dû être retouchées. On aurait pu les envoyer telles quelles à Coruscant, pour leur diffusion sur l'Holonet. On avait simplement modifié quelques détails dans la foule, rendant les fyriens plus satisfaits de voir la CompForce défiler dans les rues de leur ville qu'ils ne l'avaient été en réalité. Quoique les civils ne nous posaient guère de problèmes depuis le début de notre arrivée. J'avais su doser notre présence pour qu'elle ne leur apparaisse pas comme intrusive. Et petit à petit, depuis trois mois que nous étions entrés dans Fyr, j'augmentais le degré de l'occupation.
Insidieusement, lentement, on apercevait chaque jour d'avantage de soldats, flânant dans les rues ou attablés aux terrasses des cafés. Cela donnait l'illusion que la garnison était en vacances sur Fyr plutôt qu’en train de l'occuper. Et c'était tout à fait ce que je voulais. Personne ne savait que si j'en donnais l'ordre, je pouvais faire renverser le gouvernement fyrien en quelques heures, faire disparaître ses élites à tout jamais et raser jusqu'à la dernière pierre de la planète.
Je me détournai de la vue de la cité et fixai mon attention sur le petit homme rondouillard qui ne cessait d'éponger la sueur qui lui perlait au visage avec un mouchoir en tissu. Officiellement, le Premier Pair de Fyr, dirigeant de la planète. En réalité, pantin à la tête d'un gouvernement fantoche, qui suivait aveuglement nos directives. À la fois par peur de l'Empire et parce qu'il savait qu'en coopérant, je pouvais lui accorder certaines concessions. Un semblant d'autonomie, des livraisons de crédits plus importantes, ce genre de choses.
- Monsieur le Délégué, balbutia-t-il d'une voix nasillarde... J'aimerais que nous abordions le problème du musée national...
- Le problème ? répétai-je en haussant les sourcils.
Il eut un mouvement de défense instinctif, comme si je l'avais menacé d'une vibrolame en parlant.
- Pas le "problème", se défendit-il en s'excusant. Mais disons le... le... enfin, le fait que vos hommes aient pris plusieurs de nos oeuvres d'art.
- Le terme exact est réquisition. Nous avons réquisitionné les possessions du musée national, conformément à la convention d'armistice.
- Oui, bien sûr, hésita-t-il, mais enfin, nous ne pouvons continuer à tenir ouvert un musée vide... Je suis sûr que vous comprenez. Si vous voudriez bien rapporter ici quelques-unes des oeuvres, je suis persuadé que la population apprécierait.
- J'ai appliqué les textes de loi, monsieur le Premier Pair, répondis-je d'une voix un peu sèche. Relisez-les. Il est marqué noir sur blanc que les trésors nationaux des mondes sous protection impériale, seront convoyés par nos soins jusqu'à Coruscant, pour y être mis en sécurité.
- Je ne doute pas de la bonne foi ni de la légitimité de votre démarche, monsieur le Délégué, mais enfin, quelques-uns de mes ministres...
Je frappai violemment mon poing dans ma paume pour appuyer mes propos, ce qui fit bondir au plafond le Premier Pair :
- Au diable vos ministres, monsieur le Premier Pair ! Ont-ils déjà oublié que c'est grâce à la complaisance du COMPORN qu'ils sont encore en poste et qu'ils peuvent administrer leur monde ? Ils ont vraiment la mémoire courte !
- Certes, certes, pépia le chef du gouvernement mais il me semble que...
- Vous n'avez plus d'armée, ni de moyens de défense. Si des pirates lancent un raid sur Fyr, vous n'aurez aucun moyen de les stopper, de les empêcher de piller. Nous sommes les seules forces armées du secteur, et notre travail n'est absolument pas de jouer aux gardiens de musée ! Vos oeuvres d'art vous seront rendues plus tard, quand Sa Majesté l'Empereur Palpatine jugera la situation adéquate.
Autant dire que Fyr pouvait faire une croix sur ses trésors pour de nombreux cycles. Le pillage des mondes occupés était presque une conséquence nécessaire de notre présence. Palpatine et de nombreux autres dignitaires impériaux raffolaient d'art et bien des oeuvres "mises en sûreté", selon les termes officiels, finissaient dans leurs galeries privées.
Moi-même, je devais confesser avoir, disons, emprunté à long terme un holotableau magnifique, représentant un homme de dos, ayant gravi un pic rocheux, le regard fixé sur l'immensité de l'univers à ses pieds. La peinture aurait pu représenter ma réussite au sein du COMPORN. J'avais gravi une gigantesque montagne et lorsque je regardais le chemin parcouru, j'avais la même sensation que devant l'holotableau : j'étais presque pris de vertiges.
L'holotableau était en sécurité, dans mon appartement de Coruscant, accroché au mur du salon. Ma fille avait le loisir de l'admirer chaque jour si elle le désirait.
Songer à Eesla me fit un pincement au coeur. Je n'arrivais pas à trouver un moment pour voir ma fille. J'arrivais bien à grappiller un jour ou deux ici et là, mais le temps du trajet ajouté à la masse de travail faisait qu'il ne me restait à chaque fois qu'une ou deux heures à passer en sa compagnie.
Ces heures se passaient merveilleusement bien, ce n'était pas la question, mais j'estimais devoir lui offrir plus qu'une poignée de minutes en coup de vent. J'étais son père après tout, son seul parent. Et on ne pouvait pas dire qu'elle croulait sous les amis.
Je devais néanmoins avouer une certaine part de responsabilité dans ce fait. J'avais volontairement limité les contacts entre ma fille et les autres enfants des dirigeants du COMPORN. Je ne voulais pas que ma gamine finisse comme Pakn, embrigadée par la propagande dont j'étais le grand architecte. Elle méritait quand même de penser par elle-même.
Le Premier Pair étouffa une quinte de toux, ce qui m'arracha à mes pensées. Il semblait vouloir attendre que j'ajoute quelque chose. Je repris rapidement le fil de la discussion.
- Vous me décevez, monsieur le Premier Pair, le réprimandai-je en quittant la terrasse et entrant dans son bureau, aux couleurs ternes. J'avais espéré que le mot "coopération" n'était pas vain pour vous.
- Mais nous coopérons ! se défendit immédiatement le chef du gouvernement. Pas plus tard que la semaine dernière, n'avons-nous pas fait passer un texte de loi interdisant aux non-humains d'occuper des emplois dans la fonction publique ?
- Le Centre Impérial estime que ce n'est toujours pas assez, dis-je calmement en arpentant son bureau. D'autres mondes, qui se trouvent dans une situation identique à celle de Fyr, ont pris des mesures énergiques, qui ont été saluées par Sa Majesté l'Empereur en personne...
Je laissai volontairement un blanc dans mon discours, lourd de sous-entendus.
- Et si nous... hésita le Premier Pair. Si nous accentuions la coopération, par exemple, en imitant les arkaniens et le problème scion... Pourrait-on espérer revoir nos trésors nationaux et améliorer nos conditions de vies ?
J'esquissai un geste d'hésitation :
- En tout cas, l'initiative serait appréciée. Et jusqu'en haut lieu.
Ainsi donc, Fyr se préparerait à déporter tous les aliens de son sol avec pour seul but de retrouver ce qu'elle avait perdu. Intéressant de savoir ce que pouvaient faire les hommes pour qu'on leur lâche un peu la bride sur le cou. Ravi, le Premier Pair hocha plusieurs fois la tête et tint à me serrer la main. Sa poigne était molle et gluante de sueur.
- Splendide ! Assurément splendide ! Je suis content de voir qu'il est toujours possible de s'entendre avec vous, monsieur le Délégué !
- Il n'est pas de problème qu'on puisse résoudre par une coopération libre, soufflai-je en récitant une des lignes de propagande que j'avais écrite, martelée à longueur de temps sur l'Holonet ou par des holoaffiches dans la rue.
- Absolument ! confirma le Premier Pair en me lâchant enfin la main.
J'essuyai discrètement ma main sur le revers de mon pantalon tandis que le Premier Pair semblait déborder de joie.
- Monsieur le Délégué, je voulais vous demander : la troupe de théâtre nationale organise une représentation privée cet après-midi, chez le ministre de la Culture. Vous plairait-il de vous joindre à nous ?
- Cela dépend, commentai-je en retournant m'accouder au balcon de la terrasse. Quelle pièce jouent-ils ?
- Le Marchand d'Ando, vous savez, cette pièce sur les aquales et les quadras.
La surprise arracha mon masque d'impassibilité quelques secondes, mais par chance, j'étais de dos par rapport au Premier Pair. Je m'efforçai de cacher mon trouble alors qu'il allait grandissant jusque dans la dernière cellule de mon corps.
Par les canyons de cristal de Chandrila, le Marchand d'Ando... la pièce que j'avais vue il y avait maintenant plus de douze ans. J'étais toujours avec Dontika à l'époque... je n'étais même pas encore membre du Comité !
- Non, répliquai-je d'un ton plus dur que je ne l'aurais voulu, j'ai d'autres projets pour cet après-midi.
Mes yeux scrutèrent le paysage autour de la cité, cherchant désespérément un point d'intérêt. Puis, ils se cristallisèrent sur une crique qui semblait minuscule tant elle était loin.
- Je vais plutôt aller à la plage, soufflai-je, presque in petto.

La naïade, vêtue d'un simple maillot de bain blanc, s'élança dans le vide après un rire de gorge qui tenait plus du gloussement qu'autre chose, en un plongeon plus ou moins bien exécuté, avant de fendre lourdement les vagues.
Elle disparut sous la surface de la mer un très court instant avant de reparaître en éclatant de rire, éclaboussant ses voisins et voisines de bain d'écume salée. Son rire communicatif passa rapidement au sein des vis à vis et en un soupir, plus d'une dizaine de baigneurs pouffaient en tentant de se maintenir à flot.
J'observais le spectacle à quelques mètres de là, allongé sur la plage rendue presque brûlante par la chaleur du soleil. Le sable collait à la peau et crissait sous les pas.
J'étais sorti de l'eau quelques minutes auparavant et j'étais encore recouvert d'écailles de sel.
Aveuglé par l'astre de Fyr, je tâtonnais à côté de ma serviette, cherchant mes lunettes de soleil. Je visais mal et touchai à plusieurs reprises le sable brûlant. Trouvant enfin ma monture, j'enfilai mes lunettes noires sans attendre, secouant mes doigts par réflexe comme si cela avait pu en diminuer la douleur.
Ainsi équipé, je pus mieux porter mon regard sur le décor sans devoir plisser les yeux. La plage où nous nous trouvions était enclavée au sein d'une crique, qui fendait brusquement les falaises fyriennes.
La baie s'ouvrait sur une mer turquoise, rarement agitée. D'assez petite taille, la plage ne s'étendait que sur quelques klicks avant de se heurter à nouveau aux rochers. En raison de son caractère intimiste, elle séduisait les fyriens depuis des générations. Inutile de dire à quel point l'armée d'occupation du Comité s'était pliée à cet avis local.
La plage s'était rapidement retrouvée marquée du sceau du COMPORN. Bien que les civils fyriens puissent toujours s'y rendre, du moins, officiellement, la présence d'une dizaine de gardes en armes sur les falaises, surveillant les alentours, dissuadaient généralement les habitants de jouer les plagistes. On ne pouvait plus accéder à cette crique qu'en compagnie d'officiers du COMPORN. Et de préférence, si on était jeune et jolie, comme les jeunes femmes que je voyais jouer dans l'eau avec les soldats.
Certaines étaient des prostituées, qui ne voyaient pas de raison de refuser leurs charmes aux membres du Comité, du moment qu'elles étaient payées. D'autres étaient des fyriennes, qui expérimentaient la "coopération horizontale".
Je me relevai sur mes coudes alors qu'une sublime jeune femme aux cheveux noirs, celle-là même que j'avais vu plonger, sortait de l'eau et venait à ma rencontre, avant de me demander si je pouvais lui offrir une cigarette. Avec un sourire de façade, je lui présentais un paquet de Fortunate Hits, offert par Dakcen. Je ne fumais moi-même que très peu, mais j'avais appris qu'offrir des cigarettes permettait généralement de gagner bien des points auprès des consommateurs réguliers.
La jeune femme prit un rouleau de tabac entre ses lèvres et accepta avec reconnaissance la flamme de mon briquet.
Elle me fit un sourire à damner un saint et s'éloigna rejoindre sa serviette. Si je le désirais, elle pouvait être dans mon lit le soir-même.
Même encore avant.
Depuis que j'avais fait emprisonner Eleiza et gagné en influence au sein du COMPORN, je n'avais plus aucun problème avec les femmes. J'avais assez d'argent pour m'offrir les plus belles call-girls de la galaxie, et surtout, je disposais de pouvoir. Je ne pouvais pas l'expliquer, mais le fait d'être une célébrité et d’avoir la reconnaissance du public, m'attirait le regard des femmes. Et des hommes aussi, d'ailleurs.
Un temps, j'avais cru que c'était mon don d'éloquence, ma capacité à manipuler dont je me servais inconsciemment pour séduire. Je n'avais même pas besoin de ça. Être le Petit Avocat suffisait. Des militantes parcouraient parfois des distances astronomiques, attendaient des heures pour ne serait-ce que m'apercevoir à l'entrée d'un meeting du COMPORN. Elles étaient prêtes à s'entredéchirer pour me voir, me toucher ou me parler. Je n'avais pourtant pas changé physiquement d'un iota depuis la fin de l'adolescence, avec mes cheveux blonds en bataille et mon petit mètre soixante. Mais je pouvais séduire n'importe quelle femme si l'envie m'en prenait.
Plusieurs par jour, même.
La fin de ma relation avec Eleiza m’avait fait comprendre quelque chose de clair : la vie en couple, ne serait-elle basée que sur l'accord physique, ne pouvait m'être accordée. Je finirais par faire confiance d'une manière naturelle et livrerais des secrets, sans le vouloir. Cela n'était pas acceptable.
Je dépensais déjà assez d'effort et d'énergie à travailler pour une cause à laquelle je ne croyais pas.
Je ne devais pas me révéler. La seule personne à qui je pouvais faire une confiance totale et absolue était moi-même.
Ainsi, rares étaient les jeunes femmes qui partageaient mes draps plus d'un soir ou deux. Comme je l'avais dit, je ne cherchais pas une quelconque stabilité, et j'avais bien assez le choix pour me le permettre. Je me conduisais en parfait séducteur corellien, et c'était parfait ainsi.
Un de mes officiers, un jeune capitaine, vint m'aborder, une bouteille de vin de fleur de Naboo à la main avec deux verres et me proposa de trinquer avec lui. Je n'avais pas spécialement soif, mais soucieux d'entretenir des bons rapports avec mes subordonnés, j'acceptai. Il versa une bonne rasade d'alcool dans les verres avant de passer la bouteille à un de ses amis, qui bronzait non loin de nous.
- C'est bien que vous soyez venu, Commandant, commenta le jeune officier en me tendant mon verre. Ça fait bien deux mois qu'on cherche à vous faire venir ici avec nous !
Il avait raison. Mes officiers avaient adopté cette crique comme lieu de villégiature presque immédiatement et n'avaient cessé de m'encourager à les rejoindre un après-midi pour me détendre. Ils trouvaient que je travaillais trop. Ce n'était pas totalement faux : la paperasse, les discours et d'une manière générale, ma charge étaient les seules choses qui empêchaient ma conscience de me tourmenter.
J'évitais de repenser à Fejor et à tous les autres massacres dont j'étais responsable. J'éloignais de moi le spectre des Zones de Protection Alien et les dizaines de non-humains qui y périssaient chaque jour.
Mais c'était un cercle vicieux. Plus je travaillais et plus je faisais faire des choses atroces. Choses que pour oublier, je noyais dans le labeur.
La pause de cet après-midi était la bienvenue. Elle me permettrait de souffler un peu, de sortir de la tête de l'abîme avant d'y replonger plus profondément.
- Mon Commandant, j'ai entendu des rumeurs... je peux vous demander comment s'est passée l'entrevue avec le Premier Pair ce matin ?
Je fis miroiter le liquide incolore au soleil un instant avant de commencer à boire.
- Comme d'habitude. C'est un pantin sans aplomb, qui craint plus que tout perdre une miette de son pouvoir. Il n'a pas encore compris qu'il n'est plus là que pour adoucir l'image de l'armée d'occupation.
- Vous croyez vraiment qu'il va faire comme sur Arkania avec les scions ? Une déportation massive ?
Je haussai les épaules :
- Et pourquoi pas ? Quelques voix protesteront au sein de la population quand on emportera les aliens ailleurs, et puis, on oubliera. Ou on se dira peut-être que reloger près de trois millions de non-humains n'est pas un problème, si ça peut soulager les souffrances du "vrai" peuple fyrien. On a déjà vu ça ailleurs. Ça ne serait pas la première fois.
- Ce n'est pas vraiment l'idée que je me faisais de la Haute Culture Humaine, souffla l'officier en avalant son verre.
Sa franchise ne me surprit pas. Les hommes étaient enclins à parler librement devant moi. Le fait que je sois à la tête des modérés du COMPORN devait aider à cela.
- C'est comme ça, dis-je à mon tour d'un air désabusé en trempant mes lèvres dans l'alcool. Nous savons très bien que si nous ne faisons rien, en plus des problèmes que nous aurions, les ordres seraient finalement appliqués par quelqu'un de plus spéciste que nous. Au moins, on peut essayer de limiter la casse.
Le capitaine hocha tristement la tête avant de changer de sujet de conversation, désignant d'un coup de menton la jeune femme avec qui j'avais échangé plus tôt qui se rhabillait d'une robe légère.
- On ne peut pas dire que l'occupation n'a que des mauvais côtés, mon Commandant, non ?
- On y trouve effectivement quelques points positifs, pouffai-je en finissant mon verre.
La jeune femme marcha jusqu'à nous d'une démarche chaloupée, nouant ses cheveux noirs en une queue d'equine. Le capitaine avec qui je parlais comprit immédiatement et s'éloigna sans attendre.
La jeune femme s'arrêta au bord de ma serviette, papillonna des yeux et me glissa d'un air mutin qu'elle était lasse de se baigner et aurait bien aimé être ramenée en ville. Je hochai simplement la tête, me rhabillai, signalai à mes hommes que je quittais les lieux et regagnai mon airspeeder garé sur la zone d'atterrissage de la falaise, avec les véhicules des autres officiers. Je grimpai dans mon speeder à l'arrière, en compagnie de la jeune femme et donnai ordre à mon chauffeur de nous ramener à Fyr.
Environ une demi-heure plus tard, j'entraînais la jeune femme dans mon lit. Le capitaine avait raison, vraiment. L'occupation avait aussi ses bons côtés...
Deux heures plus tard, alors que je quittais la chaleur de ses bras après un dernier baiser, je laissai à la jeune femme le loisir de profiter du confort des lieux à condition qu'elle soit partie avant la nuit, quand je viendrais me coucher. Au moins, on ne pouvait pas m'accuser d'être hypocrite dans mes relations sentimentales.
J'enfilai mon uniforme noir, griffé du sigle impérial, celui de capitaine de la CompForce et me rendis dans mon bureau d'un pas énergique. La plage et ce qui avait suivi m'avaient requinqué et j'étais prêt à abattre une montagne de travail.
En chemin, je croisai les propriétaires légitimes des lieux, de grands bourgeois fyriens. Ils me saluèrent avec déférence, pour ne pas dire obséquiosité. Ils vivaient toujours dans l'hôtel particulier, dans une volée de pièces assez éloignées de là où se tenaient mes hommes. J'échangeai brièvement quelques mots avec eux avant de les quitter et d'atteindre mon bureau.
Lambrissé comme je l'aimais et décoré déjà avec goût, je n'avais pas eu à changer grand-chose au cabinet de travail du maître des lieux lorsque nous avions transformé l'hôtel particulier en QG. Une pile importante de filmplast attendait ma signature, sans parler des ordres à donner par comlink. J'étais absorbé par mon travail depuis plus d'une heure quand un sous-officier pénétra dans la pièce en trombe, si excité et essoufflé que sa casquette faillit en tomber. Il la rattrapa in extremis, fit le salut impérial et expliqua d'une voix entrecoupée de halètements :
- Mon Commandant, il y a eu un incident au café de l'Aérogare... un sous-officier a été tué... il faut que vous vous rendiez sur place ...
Je bondis. Quoi ? Un assassinat ? Sur une planète dont j'avais la charge ?
Laissant en plan mon travail de bureau, je fis immédiatement préparer mon escorte pour qu'elle me conduise au café de l'Aérogare, un des bars les plus courus de Fyr par notre armée d'occupation. Je me renfrognai en me tassant contre le cuir de la banquette arrière de mon airspeeder alors que mon chauffeur se garait devant le café où une meute de soldats étaient déjà sur place, reléguant les civils curieux derrière des cordons de sécurité.
Je descendis du véhicule sous forte escorte, ne serait-ce que pour montrer que j'étais protégé. J'entrai dans le café accompagné de mes gardes du corps. Le bar faisait penser à un très long rectangle, dont un côté servait de zinc tandis que l'autre était criblé de tables où les clients pouvaient s'assoir, dos ou face aux fenêtres qui donnaient sur les rues et l'astroport tout proche.
Habituellement, le café était toujours bondé, mais il était à présent pratiquement vide à l'exception d'un carré d'officiers, debout devant une table non loin de l'entrée. D'autres soldats retranscrivaient sur un calepin les dires des employés, reconnaissables à leurs grands tabliers blancs.
Je m'approchai des officiers qui me saluèrent sans attendre. Je leur rendis le salut impérial et découvris la scène qu'ils observaient. On avait ôté le corps, mais la violence de l'assassinat pouvait encore se faire sentir. Les verres et les tasses sur la table avaient volé en éclats et trois trous béants criblaient un fauteuil éclaboussé de sang. Des gouttes avaient giclé tout autour et jusque sur la vitre.
Je demandai à mes hommes un rapide briefing.
- D'après nos premières informations, dit un soldat en compulsant ses notes, la victime était un sergent qui était venu ici fêter les fiançailles d'un ami. Il y a de ça vingt-cinq minutes, un civil est entré dans le bar, s'est dirigé directement vers cette table et a ouvert le feu à trois reprises avant de s'enfuir.
- Le café était plein de soldats, demandai-je d'une voix grave. Pas un n'a pensé à réagir ?
- Vous savez ce que c'est, Commandant, ils n'ont compris ce qui se passait que lorsqu’il était déjà trop tard. Je crois que c'est la première fois depuis deux mois que les hommes sont confrontés à un acte de violence.
- On a au moins un portrait-robot, quelque chose ?
- C'est sans doute un humanoïde, sans quoi, il ne serait pas rentré avec ça, expliqua le soldat en pointant du pouce le panneau derrière lui, où il était marqué en gros "Interdit aux Aliens". Sinon, c'est assez flou. Mais le café a des holocams de sécurité. On travaille à récupérer les bandes. On a activé nos barrages aux portes de la ville, mais sans renseignements tangibles, on ne va pas aller loin.
J'étouffai un juron. Je me devais de réagir. Peu m’importait la raison du meurtre du sergent par cette personne. Le souci, c'était que l'armée d'occupation semblait désormais vulnérable à ses ennemis. Il fallait prévenir toute action future.
- On applique la procédure, ordonnai-je aux soldats en quittant le bar alors que de lourds nuages pointaient dans le ciel, remplaçant le beau soleil de cet après-midi. Vous prenez dix civils fyriens en otage et si le coupable ne se rend pas dans les vingt-quatre heures, ils seront fusillés. Faites donner une récompense de cinq cents crédits pour tout renseignement qui permettra la capture du terroriste.
Alors que les officiers hochaient la tête et transmettaient les ordres, les nuages crevèrent et il commença à tomber dru, m'obligeant à renfiler ma casquette pour me protéger de l'averse.
Le ciel semblait d'accord avec moi : le temps du repos était caduc pour l'instant. Là, c'était le moment de passer aux actes.

Je soufflais comme un boeuf et transpirais à grandes gouttes dans mon uniforme noir alors que je manquais de déraper et de me fouler la cheville une fois de plus en ayant posé le pied sur une pierre instable. Je m'accordai quelques secondes de repos en m'adossant contre la paroi de la falaise, m'éventant avec ma casquette alors que le reste de la colonne progressait tant bien que mal à travers les rochers. J'allais peut-être couvrir le dos de mon uniforme de poussière de roche, mais je m'en moquais complètement.
On comprenait tout à fait pourquoi les résistants avaient choisi le mont Moecuht comme base d'opération. Situé à une bonne dizaine de klicks de Fyr, c'était un amas de rochers et de plateaux, dont le plus haut était puissamment boisé. C'était aussi le refuge d'une bande de résistants que nous traquions depuis plus de trois mois, quelques semaines après l'assassinat du sergent de la CompForce.
Mes menaces avaient porté leurs fruits et moins de vingt-quatre heures après avoir pris dix fyriens en otage, l'assassin s'était rendu. Nous avions alors relâché les otages, sans leur faire le moindre mal.
Après enquête, il s'était avéré que le meurtre n'avait rien de politique ou idéologique. Le sergent avait tout simplement entretenu une liaison avec une femme mariée. L'époux trompé avait décidé de se venger en assassinant l'amant de sa femme. Une simple histoire de moeurs, en définitive. Mais ce n'était pas l'image qu'en avait eu Fyr.
La planète avait vu un employé administratif, un simple petit fonctionnaire de rien du tout, rentrer dans un café rempli à ras-bord de soldats et ouvrir le feu sur un sous-officier de l'armée d'occupation. L'homme était passé pour un véritable héros au sein de la résistance fyrienne. Et les héros provoquaient toujours des émules.
Ça avait commencé de manière légère. Des tracts, des réunions secrètes dans des caves. Je devais admettre que j'avais sous-estimé l'ampleur de la chose. Je m'étais persuadé que mon occupation "douce" me prémunirait contre les actes séditieux. J'avais eu tort.
Journaux clandestins, grèves, manifestations, sabotages... tout ceci s'était rapidement multiplié dans les rues de Fyr. Mais les choses avaient encore empiré avec les premiers attentats. On s'en était pris à mes hommes en pleine rue, par le biais de bombes, quelquefois en les exécutant alors qu'ils patrouillaient dans les rues.
J'avais renforcé notre présence dans la capitale, instaurant un couvre-feu et multipliant les représailles après chaque attentat. Si après une exécution d'otages, la situation se calmait quelques jours, tout recommençait rapidement. Nous savions que tout était dû à un seul réseau de résistance, soutenu par l'Alliance Rebelle. Réseau que nous étions justement en route pour démanteler de façon ferme et définitive.
Nous avions vite compris que les résistants s'étaient repliés en pleine nature, se servant de leur connaissance du terrain pour égarer nos hommes et réussir leurs opérations de guérillas. Jusqu'à présent, nous n'arrivions pas à leur mettre la main dessus. Mais aujourd'hui, tout allait changer, grâce à la Phalange.
C'était une force paramilitaire ultracoopératrice, issue de la population fyrienne, fondée par des volontaires. Reconnaissables à leurs vêtements civils à la coupe très militaire et à leur équipement léger, ce serait aujourd'hui le baptême du feu pour ces hommes. Je jetais un oeil derrière moi et vis du coin de l'oeil cinq de ses membres, discutant avec des hommes de la CompForce. Leur chef suprême, Jdorph Snaaned, ouvrait la marche du petit groupe.
L'armée de la COMPORN envoyée au Mont Moecuht ne comptait que peu de troopers. J'avais préféré me baser sur les soldats de la Phalange, réservant le savoir-faire de la CompForce aux véhicules et au soutien aérien. Un char TX-130T passa justement à mes côtés, ignorant le terrain accidenté grâce à ses répulseurs. Une fois le véhicule parti un peu plus loin devant, Snaaned s'approcha de moi et me fit un signe de tête respectueux.
- Les éclaireurs ont déjà pris position sur le haut plateau, mon Commandant. D'après eux, les bois regorgent d'activité ennemie. C'est plutôt bon signe, me glissa-t-il avec un sourire carnassier.
Snaaned, comme l'essentiel des miliciens de la Phalange, n'était rien avant notre arrivée que le chef d'une bande d'extrémistes, spécistes et pro impériaux. Ils avaient gagné en activité après notre arrivée, transformant leur minuscule bureau politique en un organisme voué à développer la coopération sous toutes ses formes.
J'avais fini par accepter de leur donner des armes et un semblant de pouvoir militaire à condition que la Phalange se place sous les ordres immédiats de la CompForce. Aujourd'hui, près de huit cents miliciens marchaient aux côté de nos hommes, dans la bataille qui allait avoir lieu.
- Je peux vous poser une question, mon Commandant ? demanda Snaaned en soulevant son béret noir et en se grattant brièvement la tête. Vu la tête du terrain, pourquoi est-ce qu'on n’utilise pas des TR-TT ? On en a bien en garnison à Fyr, non ?
Je renfilai ma casquette et me remis à gravir la route, tout en répondant au phalangiste :
- Les bipodes auraient peut-être convenu pour grimper le long de cette route, mais c'est tout, expliquai-je en haussant la voix alors que le bruit strident d'un chasseur TIE déchirait les airs. Ils auraient été inutiles sur le plateau. J'ai besoin de chars TX pour faire une expérience.
Snaaned hocha simplement la tête avant de reprendre :
- Ça sera un bon baptême du feu pour mes gars. Vous pouvez pas savoir à quel point ils sont impatients de faire la peau à ces salauds de maquisards ! Et encore merci de vous appuyer sur la Phalange pour cette opération. C'est chic de votre part de nous faire autant confiance.
J'opinai du chef sans ajouter un mot. Inutile de dire à Snaaned que je refusai de voir mes soldats, des hommes de valeur, tomber dans l'escarmouche qui allait débuter. Je préférai mille fois voir des phalangistes déguster pour mes hommes, qui seraient bien à l'abri sous les épaisses plaques de duracier des chars et des chasseurs TIE.
En plus des miliciens de la Phalange et des hommes de la CompForce, la colonne comptait aussi dans ses rang des cameramen et des journalistes qui retransmettraient l'assaut en direct sur l'Holonet. Notre victoire serait un bon instrument de propagande dans toute la galaxie, renforçant la réputation d'invincibilité des troupes de l'Empire, tout en flattant la gloriole des phalangistes, qui se prendraient pour de véritables stars puisque diffusés jusqu'aux confins de l'univers.
Mes jambes me tiraient mais je me forçai à serrer les dents et à grimper. Il nous fallut encore trente bonnes minutes de marche forcée pour atteindre le haut plateau, mais une future victoire valait bien quelques douleurs dans les pieds.
Le plateau était très étendu, sur une dizaine de klicks. Quelques dizaines de mètres de terre nue séparaient l'endroit où nous nous trouvions de l'orée des bois, dont on voyait clairement l'ombre des sapins se détacher dans la lumière du matin. Laissant aux troupes encore quelques minutes pour se déployer, je me retournai et observai le paysage qui servirait de toile de fond à la bataille, tout en ordonnant aux journalistes de faire quelques prises de vue. Fyr était une planète faite de collines et de vallées verdoyantes, avec ici et là des lacs qui semblaient presque noirs à une telle distance. On voyait au loin, Fyr, la capitale, et encore plus loin, la mer intérieure dans laquelle mes hommes avaient l'habitude de se baigner. Peut-être que j'y retournerai piquer une tête dans les jours à venir, si nous arrivions à nous défaire du maquis aujourd'hui.
Un éclaireur de la CompForce vint me voir et fit le salut impérial. Le mien, bien entendu.
- Mon Commandant, les premières reconnaissances d'électrojumelles confirment la présence des résistants dans cette forêt. Plusieurs centaines. Armés et en position de tir. Ils nous ont vus arriver.
- Ou entendus, commentai-je en voyant les chasseurs TIE décrire de longs cercles au-dessus de la plaine, comme un gundark qui tournerait en rond avant de bondir sur sa proie pour la déchiqueter. Dites aux éclaireurs de repérer précisément les zones où se concentrent les maquisards. Qu'ils transmettent ces données aux pilotes. Et à partir de là, on pourra lancer la bataille.
Les ordres ne furent pas longs à être suivis. Moins de dix minutes plus tard, j'ordonnai le déclenchement de l'oraguerre. Le nom était peut-être horriblement stupide et discordant, mais la tactique, elle, ne l'était pas. Avant tout venaient les chasseurs TIE. Ils allaient noyer les positions ennemies sous un déluge de lasers jusqu'à leur en faire perdre la tête. Extrêmement bref et brutal, ce serait la foudre.
Puis, quand les ennemis seraient encore désorientés par ce barrage de feu et de destruction, ils verraient une nuée de chars foncer sur eux en un roulement d'enfer et d'annihilation.
Grondement violent et destructeur, ce serait le tonnerre.
Enfin, une flopée de soldats viendrait terminer le travail, les débusquant et les tuant un à un, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus. Meurtre de masse et massacre sur une large zone, ce serait l'averse.
Foudre, tonnerre, averse.
Les trois composants d'un orage.
Les trois éléments de l'oraguerre.
Pour l'instant, la tactique n'avait été testée que sur le filmplast. Aujourd'hui, bien plus qu'une bataille, c'était une stratégie de combat que je testais. Par définition, l'ennemi aurait toutes les peines du monde à se défendre contre les éclairs et le tonnerre. Par contre, comme tout animal mis dos au mur, il pourrait mordre férocement pour chercher à s'échapper. L'infanterie risquait de payer un lourd tribut dans la troisième phase de l'oraguerre. Voilà pourquoi, par prudence, ce serait la Phalange qui, lors de ce test grandeur nature, tiendrait le rôle de la pluie. Au pire, même si les miliciens étaient décimés, on devait pouvoir gagner avec un orage sec, c'est à dire, juste avec les TIE et les chars.
Dans un hurlement strident qui rappelait le cri d'un animal sauvage, les chasseurs TIE se lancèrent à l'attaque. Les premiers tirs de lasers émeraude frappèrent la frondaison, y boutant le feu. Des tirs de réplique rouge sang y répondirent, sans doute des batteries antiaériennes placées là pour protéger le maquis. Mais la DCA des résistants était conçue pour abattre des bombardiers qui volaient lentement, pas des chasseurs qui attaquaient en piqué. Aucun tir antiaérien ne toucha les TIE, même quand ces derniers frôlèrent la cime des arbres. Le feu gagna en intensité, commençant à dévorer les bois du mont Moecuht.
À côté de moi, je sentais les phalangistes trembler d'excitation, mourant d'envie de se jeter dans la bataille. Ils devraient encore attendre un peu.
A contrario, mes soldats, sanglés dans les chars TX-130T, étaient calmes et presque détendus. Ils savaient qu'eux n'auraient que de peu de chance de mourir dans les minutes qui allaient suivre.
Les caméras étaient braquées sur la forêt et les speakers se lançaient déjà dans des discours enflammés, comme s'ils se trouvaient eux-mêmes au coeur de la bataille. L'escarmouche devrait donner une certaine audience à l'Holonet aujourd'hui.
Les flammes se firent plus puissantes, crachant vers le ciel une épaisse fumée noire.
Dans quelques minutes, les chasseurs n'auraient plus une assez bonne visibilité pour continuer leurs attaques en piqué. Par sécurité, je les fis sortir de la zone de vol tout en faisant signe aux chars de se lancer à l'assaut.
Une centaine de chars TX-130T se jetèrent simultanément en direction des bois, enfonçant la frondaison comme un coup de vibrolame dans de la chair humaine. Je m'adressai d'un petit air triomphal à Snaaned :
- Vous avez compris pourquoi j'ai préféré les TX aux TR-TT ? Les walkers auraient eu du mal à avancer sur un humus de cendres, de braises et de bois coupé. Les répulseurs des chars leur épargnent tous ces problèmes.
Le milicien hocha simplement la tête, trop concentré sur la bataille à venir pour vraiment comprendre mes paroles. Nous perdîmes les chars de vue au fur et à mesure qu'ils enfonçaient les sapins. Des bruits discordants de tirs lasers, d'explosions et de cris parvenaient sporadiquement jusqu'à nous.
C'était la rapidité, la clé de l'oraguerre. Il fallait noyer l'ennemi sous le feu et le duracier. Les chars allaient enfoncer les lignes ennemies et les briser, isolant les maquisards en petits groupes démoralisés. Une proie de choix pour les phalangistes.
J'attendis encore dix minutes que les chars brisent au maximum la formation et la foi des résistants.
Puis, je fis un petit signe à Snaaned, qui rugissant de plaisir, entraîna ses huit cents miliciens dans la bataille. Les phalangistes n'avaient pas encore posé leurs bottes dans l'orée des bois que déjà, quelques maquisards hagards en sortirent, les vêtements calcinés et le regard fou, le plus souvent blessés et apeurés, cherchant juste un refuge au fracas du tonnerre qu'étaient les TX.
La Phalange ne leur laissa même pas le choix de se rendre : ils braquèrent leurs fusils E-11 et tirèrent sans sommation. Les premiers maquisards s'écroulèrent, d'autres cherchèrent à répliquer ou à s'enfuir. Mais que pouvaient faire de petits groupes d'une demi-douzaine contre huit cents assassins ? Le sang allait couler, et tout ça sous les yeux de milliards d'holospectateurs en galaxiovision.
C'était beau, la technologie.
Avec un soupir lassé, je détournai le regard de la forêt dévorée par les flammes, les lasers et la mort.
Je n'avais plus d'ordre à donner pour l'instant. Autant consulter les premiers rapports en attendant que tout ça se termine enfin.
Je passai les deux heures de la bataille à faire du travail de paperasse et à répondre aux questions des journalistes.
- Monsieur le Délégué, diriez-vous que c'est une grande victoire pour Fyr aujourd'hui ? me demanda un speaker en me tendant le micro.
- Je pense que c'est avant tout une victoire pour tous les citoyens de l'Empire, répondis-je en affichant un sourire de façade. Le nettoyage du plateau du mont Moecuht a eu lieu dans une action d'envergure contre les terroristes de Fyr. De nombreux prisonniers sont faits en ce moment même. Parmi eux se trouvent de nombreux criminels, responsables de meurtres, de vols, ou d'attentats... Ils seront gardés par des membres de la Phalange qui luttent au coude à coude avec les soldats impériaux contre la Rébellion.
Encore une fois, il y avait une façon de présenter les choses. Les spectateurs n'avaient pas à savoir que les phalangistes ne faisaient pas de prisonniers, que les criminels se trouvaient plutôt dans notre camp que chez les maquisards et que le combat avait été aussi équitable qu'un destroyer stellaire ouvrant le feu sur un gizka englué par l'action d'une grenade glop.
Je poursuivis ma petite litanie de propagande.
- J'aimerais en profiter pour saluer le courage et l'abnégation de ces hommes, qui chaque jour, risquent leur vie pour garantir celles de milliards d'êtres sensibles qu'ils ne connaissent pas. Merci à eux, et ne les oubliez pas. Je devais être magnifique sur les écrans Holonet de la galaxie entière, dans mon uniforme noir griffé d’argent, posant au sommet d'un plateau devant une forêt détruite par le feu.
Les journalistes et les cameramen me remercièrent et continuèrent leur reportage alors que je m'éloignais d'eux, et que les premiers bombardements d'eau avaient lieu sous mes yeux, cherchant à éteindre les foyers d'incendie. Un phalangiste vint à moi, fit le salut impérial et m'expliqua que Snaaned et son unité avaient définitivement remporté la victoire, en capturant le quartier général ennemi. J'exprimai mon souhait de me rendre sur place sans attendre. Les miliciens me guidèrent sous la frondaison calcinée et plus d'une fois ma botte s'enfonça dans d'épais tas de cendre. Une odeur atroce de brûlé et de chair carbonisée s'installa dans mes narines pour ne plus les quitter. Alors que nous avancions tant bien que mal, je voyais ici et là des groupes de phalangistes fusiller à tour de bras des maquisards qui avaient rendu les armes, parfois par simple jeu.
J'eus un choc en voyant une escadrille de jeunes résistants, qui devaient à peine avoir vingt ans, fusillés juste au-dessus d'une immense fosse commune dans laquelle la gravité entraîna les cadavres.
Je ne m'approchai pas. Je savais très bien que la scène devait se répéter dans toute la forêt en ce moment même. Cela me refit penser à Fejor et à l'assassinat des enfants Jedi. Je secouai alors violemment la tête pour chasser ce souvenir. Je ne devais pas penser à ça. Je n'avais pas eu le choix de toute façon, comme ici. Quelqu'un devait bien faire le sale travail. Et puis on m'avait confié une tâche alors je la remplissais, c'était aussi simple que ça. Un quart d'heure de progression nauséeuse plus tard, nous atteignîmes le QG des maquisards.
C'était un réseau de cabanons retranchés en bois épais, assez résistants pour arrêter un tir d'E-Web. Des copeaux de bois frais souillaient la mousse verte de la forêt. Quelques cadavres encore fumants étaient étendus ici et là. Snaaned, entouré de ses hommes, mettait à bas le drapeau de résistants, censé représenter une Fyr libre de notre présence, pour le remplacer par l'étendard impérial et celui de la Phalange. Les miliciens me saluèrent quand ils me virent arriver.
- C'est une victoire totale, mon Commandant, s'enchanta Snaaned. Plus de quatre cents tués chez les terroristes. Et le compteur n'a pas fini de grimper, gloussa-t-il avec un clin d'oeil ravi.
- Vous avez découvert quelque chose d'intéressant ? demandai-je en désignant d'un coup de menton le cabanon principal.
- Qu'ils ont tenu jusqu'au bout, faut bien leur accorder ça à ces salauds, déclara le bras droit de Snaaned. Mais en même temps, à presque deux contre un, ils n’avaient aucune chance. Certains se sont rendus. Ils ont pas dû comprendre qu'on était pas là pour les épargner… On est pas des Jedi, nous.
Éclat de rire gras et général chez les phalangistes. Snaaned se reprit.
- Sérieusement, mon Commandant, on a peut-être mis la main sur quelque chose. Venez voir.
D'un geste de la main, il m'invita à pénétrer dans le plus grand des cabanons devant lequel flottait à présent les armes de l'Empire. Le quartier général des résistants était assez dépouillé : une table de plastacier sur laquelle était déployée une holocarte d'État-Major des environs, quelques armes posées contre le mur, une armoire remplie de soins au bacta... la rusticité des lieux tranchait nettement avec le confortable hôtel particulier dans lequel le COMPORN avait pris ses quartiers. Je suivis Snaaned jusqu'à une volée d'escaliers qui s'enfonçait dans une sorte de sous-sol nu, rempli à ras-bord de caisses et de containers. Une caisse avait été éventrée et vomissait littéralement des fusils blasters, des grenades ou encore des morceaux d'armures de combat.
- Il y a un véritable arsenal là-dedans, m'expliqua le phalangiste en embrassant d'un geste les réserves des résistants. Une chance qu'ils n’aient pas eu le temps de s'en servir contre nous. Sinon, on aurait compté bien plus d'une dizaine de pertes.
- Où est-ce qu'ils ont eu tout ça ? m'exclamai-je en découvrant une tourelle lourde en kit.
- Ils ont été livrés, voilà tout, me répondit une voix derrière moi.
Nous nous retournâmes d'un même mouvement pour découvrir un homme d'assez grande taille, aux cheveux mi- longs et roux, dans des vêtements à la coupe sobre.
- Mon nom est Kulas Brbaie, expliqua l'inconnu en sortant une carte d'identité afin de prouver ses dires. Je travaille pour l'Inquisitorus.
L'Inquisition, maintenant... Comme si nous n'avions déjà pas assez de problèmes dans nos relations avec l'armée régulière. Avions-nous vraiment besoin de nous récupérer les chiens religieux des Renseignements Impériaux ?
Brbaie progressa doucement jusqu'à nous, tenant à nous serrer la main, ce que je fis non sans déplaisir.
- Et livrés par qui ? demanda Snaaned. Et comment, puisque nous avons le contrôle du ciel ?
Brbaie eut un petit rire :
- Par l'Alliance Rebelle, quelle question. Ils sont plus malins que vous ne le pensez, milicien. Et puis, corrompre un soldat ou deux pour qu'il ferme les yeux sur certaines zones de vol, c'est à la portée du premier venu.
- Et pourrais-je au moins savoir la raison de votre présence, aussi agréable soit-elle, parmi nous, Inquisiteur ?
- Si ça ne vous gêne pas, grimaça le religieux avec un air ennuyé, je préférerais en parler dans votre bureau en ville. Les caves des maquisards ne sont pas le meilleur endroit pour parler de ça.
- Comme vous voudrez, répondis-je en le suivant à l'extérieur jusqu'à une navette lambda qui s'était posée dans une clairière calcinée.
Je laissais Snaaned et ses phalangistes régler les derniers détails de "nettoyage" tandis que l'appareil décollait et mettait le cap vers l'astroport de Fyr. C’est en prenant de la hauteur que je me rendis compte de l’ampleur des dégâts : même si le feu avait été globalement maîtrisé, de lourdes vapeurs grises et noires s’élevaient toujours vers le ciel bleu de Fyr. Le mont Moecuht serait défiguré pour des années, avant que la nature ne reprenne ses droits. Impressionnant : par l’oraguerre, j’avais frappé les bois assez durement pour des dizaines de mois. Tout ceci en ne laissant que très peu d’hommes sur le carreau.
Brbaie ne desserra pas les dents de tout le trajet, même lorsqu’une fois descendus à l’astroport, nous prîmes l'airspeeder pour rejoindre le QG du Comité. Ce ne fut qu'une fois les portes de mon bureau refermées derrière lui qu'il daigna ouvrir la bouche.
- Je cherche cet homme, dit Brbaie en sortant un portait holographique de sa poche d'un homme d'une quarantaine d'années, aux cheveux noirs, portant écharpe et chapeau mou. Je vous présente l'ex-sénateur Jlei Namoun, natif de Kuat. Ou Xam, si vous préférez son nom de code au sein de l'Alliance Rebelle.
Je me passai la main sur les yeux d’un geste las. Après les évènements de ce matin, j’avais mieux à penser qu’à un obscur rebelle, traqué par l’Inquisitorus.
- Et vous pensez que ce Namoun est ici ?
- Je le traque depuis des mois, s'exclama le religieux en se mettant à faire les cent pas. À chaque fois, il me passe sous le nez. Je suis sûr qu'hier à la même heure, il était au mont Moecuht, en train de former les autres terroristes.
- Les former ? répétai-je en levant un sourcil.
- C'est le travail que lui ont confié Bel Iblis et les autres chefs rebelles : fédérer les mouvements de résistance partout dans la galaxie en une véritable armée. Vous avez vu l'équipement qu'il leur a apporté… Par chance, vous avez attaqué avant qu'ils ne sachent vraiment s'en servir.
- Peut-être que Namoun est mort dans l'assaut ? hésitai-je.
- J'en doute. C'est un salopard intelligent et résigné. Un politique. Pas le genre d'homme à mourir sur le champ de bataille.
Parce que le mont Moecuht avait été une bataille ? Personnellement, j'avais plus eu l'impression de visiter les abattoirs de nerfs de Coruscant...
En soupirant, j’ôtai ma casquette et desserrai le col de mon uniforme. Je posai mon couvre-chef à même le bureau et allai jusqu’à jeter ma veste noire sur le dossier de ma chaise avant de m’y affaler. Brbaie lui, resta immobile, dédaignant même le siège que je lui offris.
- Et en quoi puis-je vous aider, Inquisiteur ?
- J’ai besoin que vous mettiez les unités militaires de Fyr à ma disposition pour traquer et éliminer Xam.
Je croisai les mains devant moi et formulai la question qui me brûlait les lèvres :
- Et pourquoi est-ce que vous ne faites pas tout votre travail dès maintenant ? Vous n’allez pas me faire croire que l’Inquisition est sans moyen ?
Un sourire en coin passa sur le visage du religieux.
- Je ne suis pas plus enchanté de traiter avec le Comité que le COMPORN doit l’être de travailler avec l’Inquisitorus. Mais mes ordres sont de m’entretenir avec le gouverneur impérial local, autrement dit, vous.
- Je ne suis pas « gouverneur », persiflai-je. Je ne suis que le représentant du Comité pour la Préservation de l’Ordre Nouveau. Ce poste est occupé par des milliers de semblables à travers toute la galaxie.
- Jouez sur les mots si ça vous plaît, il n’empêche que vous représentez l’Empire ici. Pour moi, vous êtes gouverneur.
- Très bien, soufflai-je en abandonnant la partie, peu désireux de me disputer avec un membre de l'Inquisition. Vous serez présenté aux troupes ce soir, lors de la réception qu'on donnera pour fêter la... enfin, l'écrasement du maquis.
- Vous m'en voyez ravi, lâcha le religieux avec un petit sourire.
- Maintenant, si ça ne vous ennuie pas, j'ai encore du travail. Alors si vous voulez bien sortir de mon bureau... Un de mes aides de camp vous trouvera bien une pièce où vous pourrez vous installer.
Brbaie fit une petite courbette :
- Je vous remercie de votre accueil, monsieur le Délégué. À ce soir, donc.
Je ne répondis pas, alors qu'il sortait enfin de mon bureau. Resté seul, je lâchai un long soupir en observant la foule de messages électroniques qui s'empilaient sur mon datapad. Des dizaines de rapports sur l'équipement ennemi, des extraits d'interrogatoires faits avant qu'on n'exécute les maquisards sur place, des statistiques, ce genre de chose. J'avais de quoi m'occuper pour un bout de temps...

Un serveur, impeccable dans sa livrée blanche, passa près de nous en nous proposant du champagne. J'en pris une coupe, imité par mon État-Major. La salle de bal où se tenait la réception faisait salle comble et croulait sous les officiers de la CompForce, les dirigeants fyriens ou encore quelques rares phalangistes.
Tous fêtaient la victoire de ce matin, me félicitant pour ma brillante tactique. Je devais être le seul à vraiment me rendre compte que nous avions assassiné quatre cents personnes et détruit une forêt séculaire. Mais en tant que chef de l'armée d'occupation, je me devais de bien paraître et de multiplier sourires, poignées de main et mots de reconnaissance même si j'avais plus le goût de la bile dans la gorge que celui des petits fours.
Nous étions tous en costume ou en smoking. J'avais remis mes habits ocre, content de porter autre chose que mon uniforme noir de Commandant. J'échangeai quelques mots avec mes hommes quand le Premier Pair vint à nous en clopinant presque, tant il semblait mal à l'aise dans son costume de soirée ridicule. Il fit le salut impérial et se lança dans un discours sans fin d'au moins dix minutes dans lequel il vanta les mérites de la coopération. Cherchant désespérément des yeux quelque chose qui pourrait me tirer de là, je vis Brbaie à quelques mètres de moi, en train de s'entretenir avec Snaaned. Je m'excusai auprès du Premier Pair et me précipitai presque sur les deux hommes. Je préférais encore parler avec des extrémistes qu'avec un être aussi lâche que le Premier Pair.
- Belle fête, mon Commandant, commenta le phalangiste en levant sa coupe de champagne. Comme je le dis toujours, faut se détendre après une bonne bagarre. Et on peut dire qu'on s'est bien mis sur la gueule ce matin, hein ?
Sa grossièreté me choquait, mais j'étais peut-être trop sensible. On ne remplissait pas une organisation paramilitaire avec des gens un tant soit peu intelligents et qui choisissaient un minimum leurs mots.
- Inquisiteur, dis-je à l'attention de Brbaie. Je vois que vous avez déjà fait la connaissance du lieutenant Snaaned. C'est à lui que je vous confie. Il saura vous aider pour la traque de Xam.
Autant refiler le travail à la Phalange. Ça devrait les occuper, et libérer mes hommes du poids que serait l'envoyé de l'Inquisitorus.
- Je n'en attendais pas moins de vous, répliqua Brbaie avec un sourire si fin qu'on aurait pu le croire sincère. Je verrai donc avec le lieutenant comment nous nous organiserons. Bien sûr, en tant que personne la plus haute gradée de Fyr, vous serez tenu au courant.
Je me bornai à un simple geste du menton. Il ne fallait pas trop en demander non plus. Que Brabaie et la Phalange mettent Fyr sans dessus-dessous pour retrouver Nemoun, ça ne me gênait pas.
L'important était de protéger mes hommes de toute retombée négative.
Au fur et à mesure que la soirée s'avançait, je sentais la fatigue envahir mon corps. Je dormais déjà très peu en temps normal, et mal. Je cauchemardais beaucoup. Généralement, j'essayais de tenir le coup par de petites siestes l'après-midi, mais là...
J'étouffais un bâillement avec difficulté. Non, je ne pouvais quand même pas être un des premiers à quitter la fête. J'étais plus ou moins l'hôte après tout. Du coin de l'oeil, je vis le Premier Pair qui enfilait son lourd manteau fourré, se préparant à rejoindre sa voiture. Autant le raccompagner, cela me ferait prendre le frais.
J'emboitai donc le pas du politicien, échangeant quelques banalités avec lui. L'air froid de la nuit fyrienne me fit le plus grand bien, comme une minuscule décharge électrique. J'arriverais peut-être à tenir cette nuit, à la réflexion. Je me tenais à côté du Premier Pair qui grimpait dans son speeder quand un soldat surgit de l'intérieur du bâtiment en m'apostrophant, m'expliquant qu'on avait besoin de moi à l'intérieur. En maugréant, je fis quelques pas vers le perron, ce qui me sauva la vie. En effet, au même moment, l'airspeeder du Premier Pair explosa soudainement à moins d'un mètre de moi.
Le souffle de l'explosion me projeta violemment en avant contre les marches de l'escalier. Surpris, j'eus à peine le temps de protéger mon visage. Mes oreilles bourdonnaient, mes avant-bras me faisaient un mal de chien et je crus m'être cassé quelque chose en tombant, ce qui en définitive était bien le cas. Mais surtout, le stress me provoqua une nouvelle crise respiratoire. Mes poumons eurent plus de mal que d'habitude à fonctionner et mon cerveau paniqua. Il eut l'impression que je n'avais plus d'air et que j'allais mourir. Toussant et crachotant, je le crus pendant un ou deux battements de coeur.
Je me repris plus ou moins quand on m'entoura et on m'examina à la va-vite avant de me porter à l'intérieur pour un examen plus approfondi. Mes oreilles me sifflaient et j'entendais mal. Des voix multiples, des ordres, donnés par... Par Brbaie. Lorsque je vis le religieux prendre l'ascendant sur mon État-Major, je voulus protester, mais je ne pus émettre qu'un sifflement court. On m'injecta un produit tranquillisant alors qu'on me portait vers ma chambre. Une demi-seconde avant que mes yeux ne se ferment, je vis distinctement Brbaie et Saaned ordonner une répression immédiate en prenant mille fyriens en otages. J'essayais de me débattre, mais formuler un contre-ordre fut au-dessus de mes forces, et, anesthésié par le produit, je m'endormis.
Cette nuit-là, après le massacre de Moecuht, un message clair fut bien relayé par mes services de propagande : un représentant de l'Empire était intouchable, en particulier quand c'était le Petit Avocat. Cette leçon coûterait mille âmes à la galaxie. En quelques heures, mille personnes étaient assassinées, mille familles endeuillées parce que j'avais été légèrement blessé dans un attentat.
Attentat dont je n'étais même pas la cible.
Mais après tout, comme le répétait si souvent le GSA Education, un bon enseignement n'avait pas de prix... N'est-ce pas ?

Coinçant le bout de ma langue entre mes dents et plissant mécaniquement les yeux pour mieux me concentrer, faisant ainsi apparaître sur mon visage une grimace qui fit pouffer de rire ma fille, j'essayais désespérément de saisir au moins une penne du bout de ma fourchette.
Ce n'était guère évident de tenir une fourchette quand on avait la main entière prise dans un plâtre au bacta. Mes doigts dépassaient trop peu pour permettre une bonne prise sur l'ustensile et j'en eus une nouvelle fois la confirmation lorsque la fourchette m'échappa des doigts pour tomber lourdement dans l'assiette remplie de penne, se maculant de crème et de sauce au basilic. Incapable de se retenir plus longtemps, ma fille partit dans fou rire nerveux, si communicatif que je ne pus m'empêcher de me mettre à rire moi-même.
- Pourquoi tu ne te sers pas de ta main gauche, papa ? me demanda Eesla en posant son hamburger dans sa boite en carton devant elle, en récupérant ma fourchette dans mes pâtes, essuyant le manche avec sa serviette en papier avant de me la placer d'autorité dans la main en question.
- Tu n'es pas un peu jeune pour faire la leçon à ton père ? la réprimandai-je d'un air exagérément sérieux.
- C'est toi qui m'a appris que les mauvaises habitudes, fallait s'en défaire tôt, me répondit-elle d'un ton pince-sans rire avant de reprendre son burger au nerf et de mordre dedans à pleines dents.
- D'accord, admis-je en ouvrant les bras et en levant les mains en signe de reddition. Vous avez gagné, mademoiselle Nexrhn. Votre vieux père infirme sera désormais obligé de se servir de son autre main pour manger.
Échange de sourires respectifs avant que ma fille ne continue de déguster son repas et moi, de me battre avec mon plat de penne. Et quoiqu'en dise Eesla, j'avais quand même l'impression de mieux me débrouiller avec la main droite, fut-elle plâtrée, qu'avec la non-directrice, libre ou pas.
Un véritable sentiment de triomphe m'envahit lorsque je réussis à embrocher deux pâtes d'un même mouvement de fourchette. Le bonheur tenait parfois à des choses simples...
Comme il fallait s'y attendre, ma fille finit son repas bien avant moi. Elle se paya même le luxe de siroter son soda à la paille, un peu comme le lepi de la fable, qui finissait par perdre la course de pods face au neti à force de trop perdre son temps à l'attendre, pour se moquer de lui. Mais même là, elle me battit à plate couture.
J'avais la défaite en horreur, l'expérience me l'avait prouvé à maintes reprises au cours de ma vie. Je n'avais pas forcément besoin d'être le meilleur, mais surtout de ne pas échouer. Échouer, c'était... C'était retourner s'enterrer sur Chandrila, se geler les mains dans la boue et dans les cultures infertiles.
La réussite, au contraire, c'était s'enrouler dans une chaude couverture en sortant d'une tempête de neige, c'était un éclair orgasmique qui frappait directement au creux de ventre, si bon que c’en était parfois douloureux. Le succès, c'était mon moteur depuis tout petit, ce qui me donnait la force de me tirer du lit le matin. Je n'avais peut-être pas la foi en Dieu, mais je l'avais dans la réussite.
Mais là, à voir ma fille me battre dans le jeu simplisme duquel finirait son plat le premier, je me sentis envahi par un sentiment nouveau. Un frisson le long de l'échine, doublé d'une certaine chaleur intérieur. C'était ça, la fierté ? Voir ma gamine de huit ans et demi prendre l'ascendant sur une chose aussi minuscule, aussi triviale et me dépasser ? Et si ce n’était pas ressentir de la colère ou du ressentiment, mais de l'orgueil ? Un petit quelque chose qui me chuchotait à l'oreille qu'elle me dépasserait forcément un jour et qu'elle serait meilleure que je le serais jamais ?
Je ne savais pas si c'était de la fierté. Mais c'était assurément l'émotion qui je ressentais à ce moment précis.
Eesla se mit à faire courir ses doigts sur la table en plastacier d'un rythme musical comme à chaque fois qu'elle s'ennuyait. Elle pensait ainsi dissimuler son ennui d'une manière polie, sans le formuler.
Hélas pour elle, je connaissais très bien ce tic, pour l'avoir moi-même de temps en temps. Avec un petit sourire et un geste de la main vers l'aire de jeux qui se trouvait juste devant nous où une demi-douzaine de gosses courait dans tous les sens à l'intérieur de structures colorées, je lui fis comprendre qu'elle pouvait aller jouer en attendant que je termine mes pâtes. Ma fille gazouilla un remerciement avant de filer comme une flèche vers le petit square, de pousser le portillon et de d'engager presque aussitôt dans un jeu de ballon. La petite porte en bois battit un petit moment avant de s'immobiliser, me laissant tout loisir d'observer le néon intitulé "Parc à jeux réservé aux enfants. Interdit aux aliens".
Conséquence des lois sur les Zones de Protection, les non-humains étaient de plus en plus exclus de la vie civile. Ce n'était pas vrai sur toutes les planètes, bien des gouverneurs impériaux sur la Bordure Extérieure ou Médiane étaient du genre tolérant tant que ces aliens ne posaient pas de problème à l'Empire.
C'était déjà moins vrai dans la Bordure Intérieure, et encore pire dans le Noyau. Mais le chantre du spécisme était Coruscant. Il aurait semblé curieux aux yeux de la galaxie que la cité-monde n'applique pas à la lettre les textes de lois pro-humains. Tous les aliens n'étaient pas parqués dans les Zones de Protection, mais ils en sortaient peu. Avant tout parce que les stormtroopers postés à l'entrée des ghettos n'étaient pas du genre conciliants et parce que les non-humains avaient été ôtés de la vie publique. On leur interdisait des professions, de posséder certains biens, leurs entreprises étaient saisies et "redressées". En clair, on plaçait à la tête de ces usines et de ces magasins des administrateurs humains, validés par le Comité et l'Empire, dits provisoires, qui géraient l'entreprise avec plus ou moins de succès, l'important étant que l'essentiel du chiffre d'affaire finisse dans les caisses de la trésorerie impériale. De nombreux holocinémas, restaurants ou magasins fermaient leurs portes aux non-humains. Techniquement, c'était illégal, mais c'était en réalité bien vu d'apposer une mention "aliens interdits" à la vitrine ou à la porte d'entrée.
Il ne fallait pas se leurrer, les coruscantis étaient majoritairement en accord avec ces mesures. Ils se disaient qu'après tout, ils ne devraient pas s'en faire pour les aliens et plutôt supporter leur propre race, la race humaine. Coruscant apportait assez de paix et de sécurité dans les niveaux supérieurs et médians pour qu'on ignore le sort réservé aux aliens quelques kilomètres plus bas.
À voir ma fille jouer avec les autres petits enfants, je me demandais comment réagiraient les autres parents, postés eux aussi non loin de l'aire de jeu, s'ils savaient que ma gamine n'était pas pleinement humaine mais métisse. Moitié humaine, moitié hapan. Sans nul doute que cela choquerait la bonne société que le numéro deux du Comité pour la Préservation de l'Ordre Nouveau ait eu une enfant avec une proche humaine.
Encore une fois, la position des proches humains dans la société de l'Ordre Nouveau était complexe.
En théorie, ils devaient bénéficier de la Haute Culture Humaine mais les faits étaient différents. Ni humains, ni aliens, ni choyés, ni persécutés, ils représentaient une sorte de pont entre les deux grandes catégories de la galaxie. Personne n'irait jusqu'à refuser l'entrée d'un bar à un balosar par exemple, mais si un de ces derniers était assez fou pour tenter l'expérience, il aurait droit à des messes basses, à des regards, à une attitude de rejet. De fait, les proches humains se tenaient plutôt à l'écart du reste de la population, préférant vivre entre eux. Ce qui ne les empêchaient pas de mépriser profondément les races qu'ils considéraient comme inférieures, autrement dit, les moins humanoïdes qu'eux.
Le spécisme était décidément bien plus complexe qu'il ne paraissait l'être au premier regard.
Tandis que je réfléchissais, un droïde serveur, frappé d'un M majuscule jaune, emblème du restaurant dans lequel nous déjeunions, s'approcha de notre table et demanda s'il pouvait débarrasser le relief du repas de ma fille. Je fis un petit signe de la main au robot qui se saisit des boites en carton avant d'aller les jeter dans une poubelle proche. Qu'un droïde serveur s'occupe de vous dans un fast-food comme celui-ci était extrêmement rare. Si vous étiez un client ordinaire, bien sûr. Mais les gérants du restaurant avaient dû penser qu'ils seraient bien vus et peut-être récompensés s'ils traitaient le numéro deux du COMPORN et sa fille avec une profonde déférence. À vrai dire, cela se produisait si souvent désormais que j'y faisais à peine attention.
Après quelques minutes, je finis à mon tour mon plat de penne et laissais le droïde débarrasser. Me passant la main libre dans les cheveux, je renversai la tête en arrière pour observer le décor dans lequel nous nous trouvions.
Moi et ma fille étions à l'extérieur d'un des innombrables centres commerciaux du monde capitale, un immense bâtiment s'étendant sur presque un klick, s'enroulant sur lui-même sur plusieurs mètres de hauteur. Les magasins aux alentours étaient chers, et la clientèle plutôt huppée. Après une matinée de shopping, ma fille m'avait presque supplié pour que nous mangions dans ce fast-food bien précis. Il était certain que le jouet offert à tout acheteur du menu enfant devait y être pour quelque chose... C'était un modèle réduit en plastique grossier d'un chasseur TIE, donc l'unique réelle particularité était la musique stridente qu'il jouait dès qu'on pressait son hublot. Aussitôt, une musique discordante, singeant les tubes des Emperor New's Clothes, le groupe de musique le plus en vue du moment, se mettait à vriller les oreilles de tous les adultes aux alentours.
Les enfants eux, ne semblaient pas spécialement gênés par cette cacophonie, étant juste heureux car leur nouveau jouet faisait de la musique.
J'entendis mon ami arriver avant de le voir. Impossible de manquer ce pas lourd, chancelant parfois, que certaines mauvaises langues, au sein du COMPORN, comparaient avec le pas d'un TB-TT. Une main puissante et forte, qui évoquait un peu celle d'un wookiee dont on aurait rasé les poils, s'abattit amicalement sur mon épaule. Je tendis ma main droite par réflexe à Dakcen avant de brusquement me souvenir qu'elle était plâtrée et lui présenta l'autre main. Mon ami gloussa et me serra la main avant de s'assoir en face de moi, à la place qu'occupait Eesla quelques minutes plus tôt. Je n'avais pas revu Dakcen en chair et en os depuis bien des mois et il me semblait qu'il grossissait davantage à chaque fois. Le tailleur du Comité devait sans cesse agrandir ses costumes. À se demander comment il pouvait rester paradoxalement aussi vif dans les matchs de wegspehre.
- Ta main va bien ? me demanda mon ami en guise d'introduction.
- Ça va, répondis-je simplement. Elle est juste cassée, ce n'est pas comme si je l'avais perdue, non plus.
Il eut un mouvement d'épaules, avec l'air de dire "mais quand même". Puis :
- T'en auras pour combien de temps ? Avec le plâtre, je veux dire ?
- Quelques semaines. Mais ce n'est pas grand-chose, au final. Le bacta fait bien son travail.
Dakcen hocha la tête d'un air entendu et apostrophant le droïde serveur, commanda une boisson. Après s'être entretenu quelques secondes avec le robot, il revint vers moi.
- J'ai un peu suivi cette affaire sur Fyr. Ça serait les résistants qui seraient impliqués, c'est ça ?
- C'est ce qui semblerait le plus probable. Mais ils s’en seraient pris à moi ou à Snaaned suite à la bataille. C'est là que ça coince.
- Qu'est-ce que tu racontes ? T'as été blessé, non ? s'exclama Dakcen en montrant ma main emplâtrée du doigt.
- C'était le Premier Pair qui était visé, précisai-je. Et j'ai été touché que parce que j'étais sorti le raccompagner.
- C'est peut-être comme l'assassinat dans le café dont tu m'as parlé. Quelque chose qui n'a rien à voir avec la politique.
- Peut-être. Mais je me demande quand même si nos amis de l'Inquisition n'y seraient pas pour quelque chose...
- Tu soupçonnes Brbaie ?
- Il serait parfait dans ce rôle : il débarque sur la planète dont j'avais la charge depuis des mois et où tout se passait bien, sauf ces derniers temps, et le soir même de son arrivée, on perd le chef officiel de Fyr. Mieux, pendant que je suis dans les vapes à cause des médicaments, il prend le contrôle de mes troupes et se déchaine sur la population, soi-disant pour inciter les coupables à se rendre.
- Sauf que les exécutions d'otages, ça ne marche pas, commenta Dakcen.
- Ça ne fait que radicaliser le camp d'en face. Je sais que j'ai déconné en autorisant les premières fusillades, mais je ne serais jamais allé jusqu'à faire tuer mille personnes ! Mille personnes, quoi ! Pour ça ! m'exclamai-je en exhibant mon plâtre. Pour une main cassée. J'ose même pas imaginer ce qu'il aurait fait aux fyriens si j'avais été vraiment blessé. Ou carrément tué.
- Il applique la Doctrine Tarkin, dit mon ami alors que le droïde lui apportait son café et que lui-même tirait une cigarette de ses poches.
- Tu sais très bien ce que je pense de cette foutue doctrine, Dak. Si les militaires savaient faire de la politique, ça se saurait.
- Pourtant, toi, t'es un civil versé dans le droit et un peu de politique et tu es commandant de la CompForce, fit remarquer Dakcen d'un air malicieux. Ce n'est pas un peu la même chose dans l'autre sens ?
- Du tout ! affirmai-je d'une voix sans appel. Je sais réfléchir et surprendre, c'est pour ça que je suis un bon tacticien. Mais ça s'arrête là. Je ne suis pas un soldat. Mon domaine de compétence, c'est le droit, les discours et la propagande. Tarkin aurait mieux fait de rester le cul sur sa chaise d'aurodium à Eriadu plutôt que nous foutre dedans avec la guerre !
- Ce n'est pas Tarkin qui a poussé les rebelles à se lever contre nous, fit remarquer Dakcen.
- Et le massacre de Ghorman ? Où notre stratège de génie a-t-il fait atterrir son vaisseau ? Sur un rassemblement pacifique ! Tarkin, c'est exactement ce que les gens ne supportent pas : l'emploi de la force brutale sur ceux qui ne peuvent pas se défendre. Il n'y a pas que Tarkin, mais ce sont des gars comme lui qui ont provoqué ces soulèvements, par leurs foutues exactions. Des gens comme Brbaie par exemple !
- D'après ce qui paraît, glissa Dakcen entre deux gorgées de café brûlant, Tarkin serait en train de mettre au point une nouvelle arme pour se débarrasser des rebelles. Une sorte de station de combat qui aurait la puissance nécessaire pour détruire une planète.
- On appelle ça un Base Delta Zéro, fis-je remarquer d'un ton désabusé. Et ça existe déjà.
- Non, là, je te parle pas d'utiliser des destroyers stellaires pour vitrifier une planète, je te parle de la détruire.
- Entièrement ?
Dakcen opina du chef.
- C'est impossible, rétorquai-je. Aucune arme au monde ne pourrait faire ça.
- Tarkin bosse sur ce projet d'arme secrète depuis la Guerre des Clones. Là, elle serait enfin au point.
- D'accord, donc maintenant, il se contente plus d'écraser des manifestants non-violents, il va carrément détruire des planètes.
- Rien ne dit qu'il va l'utiliser pour de bon. Ça sera plus une arme de dissuasion que de...
- Une arme n'est jamais dissuasive, fis-je remarquer d'un ton amer. Parlons d'autre chose, penser à Tarkin ne va pas m'aider à digérer mes pâtes...
D'un coup de menton, Dakcen désigna ma fille toujours plongée dans son jeu de balle.
- Elle est plutôt douée, ta gamine, tu sais ? Elle m'a déjà mis quelques raclées au wegsphere.
- À toi ? demandai-je en étouffant un rire. À Dakcen Risus, le titan du Comité ?
- Je suis plus aussi bon qu'avant, gloussa-t-il. Je suis comme toi, je vieillis. Et je me laisse peut-être un peu aller, commenta-t-il avec un bref regard sur son énorme panse. Et à propos de wegsphere, Palpatine a donné son accord, on va en faire le sport officiel du régime.
- Donc, on oublie le gravball, l'hoverball et tout le reste ?
- Personne va t'interdire d'y jouer, précisa Dakcen. C'est juste que maintenant, c'est le wegsphere qui sera sur le devant de la scène. Y a peut-être moyen de gagner pas mal d'argent. Et de songer à la retraite.
- Tu veux quitter le Comité ? demandai-je, surpris.
- Je sais pas encore, me répondit-il en haussant les épaules. J'y suis depuis plus longtemps que toi et je commence à me lasser de mon travail à la Coalition pour l'Amélioration.
- Je pourrais peut-être te trouver une place quelque part, suggérais-je.
- C'est gentil, me remercia-t-il, mais je pense de plus en plus à me retirer. Ça va bien faire vingt ans que je suis dans le COMPORN. Je veux passer à autre chose.
- Je te vois assez mal faire pousser des légumes hydroponiques et les vendre au bazar de Coruscant, fis-je remarquer avec un petit sourire.
- Tu m'as compris, précisa-t-il en me renvoyant mon sourire. Et puis Quorba ne serait pas non plus contre déménager sur un coin plus tranquille que Triple Zéro. Dans les colonies, peut-être.
- Dans un cas comme dans un autre, lui assurai-je avec franchise, si t'as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas à venir vers moi.
Alors qu'il hochait la tête en signe d'assentiment, Eesla revint vers nous, une plaque de sueur collée au front, à bout de souffle, mais bardée d'un grand sourire. Elle se précipita pour faire la bise à mon ami lorsqu’elle le vit.
- Bonjour oncle Dakcen ! pépia ma fille.
- Salut, toi ! répondit l'intéressé en ébouriffant paternellement les cheveux presque blancs d'Eesla. Alors, t'as gagné ?
- Ben oui ! répondit cette dernière avec une certaine dose d'orgueil. J'ai bien retenu ce que tu m'as appris, tout de même ! Et puis je suis comme papa, je ne peux pas perdre si je le veux vraiment !
Nous partageâmes tous les trois un bref éclat de rire. Sur ce point-là, Eesla était indubitablement la chair de ma chair, il n'y avait aucun doute à avoir. Dakcen finit sa tasse de café, régla l'addition et nous quittâmes le fast-food. Nous marchions dans une galerie marchande proche quand la retransmission holonet fut interrompue par un flash spécial. Le visage impassible et professionnel d'un présentateur humain fit son apparition alors qu'un bandeau défilait juste sous lui, transmettant les premières bribes d'informations. Moins d'une seconde après avoir lu les messages en question moi et Dakcen lâchions d'une même voix :
- Merde...
Des forces rebelles et impériales s'étaient affrontées sur Fresia, se soldant par la défaite de l'Empire. La situation n'aurait pas été si grave si les rebelles ne s'étaient pas emparés des tout derniers appareils de combat destinés à la Marine, les prototypes du T-65 X-Wing, d’Incom Corporation. En d'autres termes, déjà que nous étions englués dans la situation pour le moins délicate qu'était la guerre civile, voilà que le camp ennemi venait de mettre la main sur des chasseurs plus performants que les nôtres.
Il ne restait plus qu'à espérer que l'arme secrète de Tarkin se montre à la hauteur, ou bien la guerre ne s'achèverait pas de sitôt...
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