Depuis Coruscant et le reste de la Galaxie : « Les Jedi nous manipulent. »« Les Jedi nous enlèvent nos enfants. »« Les Jedi veulent notre perte. » Ces paroles, absolument impensables voici quelques années, sont devenues monnaie courante parmi tous les échelons des populations galactiques. Sur Coruscant, certains magasins et débits de boissons s’enorgueillissent même d’en refuser l’accès aux Chevaliers du Temple. Un célèbre restaurant du monde-capitale, La Tour de Cristal, a ainsi apposé un écriteau à l’entrée, rédigé comme suit : « Interdit aux animaux et aux Jedi ». Plusieurs incidents ont même éclaté en divers endroits, certains tenanciers de bars étant accusés par des agitateurs d’entretenir de bons rapports avec les Jedi. « Je ne les ai pas vus arriver, témoigne Dexter Jettster, gérant d’origine besalisk de la Taverne de Dex.Ils ont débarqué par surprise, peut-être étaient-ils une quinzaine. La plupart portaient des uniformes noirs, comme ceux des associations paramilitaires de jeunesse initiées par la guerre actuelle. Il ne leur a pas fallu cinq minutes pour saccager le restaurant. Mes droïds ont été massacrés avec une rage incroyable. Je m’en suis sorti par miracle, en faisant appel à quelques… « connaissances ». Ils étaient vraiment déchaînés, n’arrêtant pas de gueuler « Mort aux Jedi ! Mort à leurs amis ! ». C’était délirant. »

De tels troubles sont loin d’être isolés. De nombreuses planètes du Noyau et de la Bordure Extérieure ont eu à en signaler de pareils. A dire vrai, ils témoignent d’une dérive surprenante de la Guerre des Clones : l’impopularité croissante des Jedi. A mesure que les ravages du conflit se multiplient, les civils se tournent vers ceux qu’ils considèrent comme les premiers responsables du désastre. Ne sont-ce pas les Jedi qui ont attaqué Geonosis ? Les troupes cloniques ne sont-elles pas, en partie du moins, dirigées par les Jedi ? Le Comte Dooku, leader des Séparatistes, n’est-il pas non plus un Jedi ? Un calcul fallacieux, produit de la souffrance et de la colère, de la ruine et de la misère, et peut-être savamment entretenu par diverses ligues anti-Jedi qui se sont formées un peu partout.

Sont-elles à l’origine de cet opuscule à succès, Les Protocoles des Maîtres Jedi, qui se répand comme une traînée de poudre parmi les mondes républicains... et même séparatistes ? L’ouvrage dénonce un vaste complot jedi pour s’emparer de l’Univers et réduire ses peuples en esclavage. Entre autres accusations fantasmagoriques : les Jedi kidnapperaient les enfants pour les soumettre à leurs mœurs barbares, décadentes, à tout le moins indécentes ; ils envisageraient de mettre sur pied un ordre nouveau, fondé sur la domination totale du Temple Jedi sur la vie politique, l’économie, la société... L’habileté du propos réside dans son ton neutre, presque universitaire, dépourvu d’emphase et de violence. D’où vient une telle brochure ? Qui en est l’auteur ? Nul ne le sait – l’enquête menée par les services de renseignements du Sénat n’a rien donné.

Le plus inquiétant est que de tels sentiments se retrouvent dans la bouche de certains Sénateurs, militaires, fonctionnaires. Nombreux sont ceux à voir d’un mauvais œil la prépondérance des Jedi sur l’armée de la République. « Ils devraient cesser d’agiter la Force à la manière d’une baguette de sorcier », commente le major Motti, expert militaire auprès de la société Sienar. « Leur dévotion à cette religion périmée ne leur a pas empêché d’éviter cette guerre, ni de subir d’humiliantes défaites. » Leur sont pêle-mêle reprochés, et sans grand souci de cohérence, leur arrogance, leur élitisme, leur indécision, leur non-violence, leur tyrannie... Il est de plus en plus question au Sénat de leur ôter leurs postes de commandement au sein de l’armée, pour les confier à une nouvelle génération d’officiers triés sur le volet.

Qu’en pensent les principaux intéressés, à savoir les Jedi eux-mêmes ? Fidèles à leur devoir de réserve, ils n’ont pas souhaité jeter de l’huile sur le feu. Sous-entendu : ils n’ont pas de temps à perdre en palabres. Ils ont une guerre à gagner, eux. Mais ne l’ont-ils pas déjà perdue ?

Gahr Yson